Le site des Moulins de France
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De nombreuses recherches sur l’évolution du mécanisme des moulins à vent et en particulier de leurs ailes, m’ont donné l’occasion de constater, principalement dans le département de la Loire-Atlantique, mais aussi ceux voisins du Maine et Loire, Morbihan, Vendée, et Ille et Vilaine, l’existence d’une pièce essentielle au système Berton, destinée à la manoeuvre d’ouverture / fermeture des ailes par le meunier, située sur l’arbre moteur à l’intérieur du moulin.

Cette pièce est une double commande appelée : “différentiel”, “mécanique” ou encore “brassereau”, par les meuniers. Dans les croquis joints elle porte les numéros 1 et 2 et s’appelle “couronnes du différentiel”. Elle est composée de deux couronnes parallèles dont les dentures se font face, sur lesquelles sont fixées des poignées métalliques que le meunier manipulera selon l’intensité du vent afin de “donner” ou “retirer” de la planche en vue de régler l’allure du moulin. Ces couronnes dentées actionnent un engrenage placé perpendiculairement et va transmettre le mouvement à une vis sans fin reliée à un pignon directement placé sur la tringle de commande d’ouverture / fermeture des ailes. Cette tringle, longue de plusieurs mètres, agit à l’extérieur de l’arbre sur un second mécanisme directement relié aux ailes. Or la particularité constatée dans les départements cités plus haut est que cette pièce de fonderie autrefois fabriquée artisanalement par des forgerons semble ici avoir franchi le cap d’une semi- industrialisation.

La caractéristique commune à un grand nombre de ces pièces est de porter l’inscription bien visible d’une véritable marque de fabrique : “CHENE et DOISY” et de se retrouver dans de nombreux moulins. Ce qui ne fut jamais le cas auparavant, les seules signatures que l’ont pouvait trouver dans un moulin étant le nom du charpentier ou d’un propriétaire, gravées dans le bois des élément de la charpente ou du mécanisme, celles-ci étaient toujours différentes, et non systématiques, d’un moulin à l’autre. La double couronne est constituée d’un bloc homogène entièrement métallique (les anciennes couronnes de bois figurant sur les plans joints à une demande de brevet n’y apparaissent plus), probablement plus pratique à installer car standardisée et ne laissant aucun jeu dans les engrenages qui constituent l’essentiel de ce mécanisme.

Vu le très grand nombre de moulins ayant été construit dans ces régions de l’Ouest Atlantique, il est logique qu’un artisan ou industriel se soit lancé dans une fabrication à grande échelle (en 1862 le Loire-Atlantique était avec 585 moulins à vent l’un des départements français qui en comptait le plus). Malheureusement pour la recherche sur l’histoire des techniques, il ne reste à ce jour aucune entreprise dans ce département ni dans ceux voisins portant le nom de Chené et Doisy.

Les chercheurs en archéologie industrielle régionale auraient-ils déjà rencontré ou répertorié cette entreprise, soit dans le domaine de la fabrication mécanique, soit dans celui de la meunerie ?

L’activité de Chené et Doisy ne semble pas s’être restreinte à la fabrication, ou la vente, des doubles commandes Berton : une des deux paires de meules en service au moulin à vent de Rairé (Sallertaines, Vendée) vient également d’Ancenis et porte l’inscription “Chené et Doisy”. Cette preuve de diversification de la société traduit une nette orientation vers la fourniture de matériel en tous genres pour la meunerie régionale.

La consultation de registres commerciaux, de catalogues, de répertoires des sociétés pour le département de la Loire-Atlantique permettrat- elle d’en savoir plus ?

Sans aller jusqu’à envisager l’hypothèse formidable de retrouver un catalogue des productions de cette Société qui donnerait sa date de fondation, il est permit de penser qu’elle se serait spécialisée dans l’équipement des moulins puisque l’invention des ailes Berton en 1841 et la mise au point du système à double commande (brevet INPI n° 13855, 1er additif du 5 Août 1852) correspond au début d’une intense modernisation des moulins à vent. Modernisation obtenue par la multiplication du nombre de meules, l’ajout de mécanismes de blutage, nettoyage, concassage, broyage, le changement du système de mouture en passant des meules de pierre aux cylindres métalliques (tels qu’ils furent utilisés dans les minoteries), et agrandissement du volume intérieur de ces petites usines par leur surélévation ou élargissement de la base.

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Mécanismes et ailes Berton classiques – dessin E. De Villaret

L’arrivée de nouvelles ailes a-t-elle été le facteur déclenchant la modernisation intérieure des moulins à vent ou celle-ci était-elle déjà engagée lorsque l’invention des Berton père et fils s’est répandue ? On sait que leur installation en 1852 à Angers marque les débuts de l’expansion de leurs ailes à planches dans la partie ouest de la France ligérienne, mais qu’en est-il de l’industrie d’équipement des moulins en machine et matériels de meunerie ? On suppose qu’en Loire-Atlantique un moulin du canton de Blain en fut équipé dès 1864 (à la Chemée, Notre Dame des Landes).

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Commande intérieure à double couronne, fabrication de la fonderie Chené et Doisy, sur un arbre moteur posé au sol, à Saint-Julien-de-Concelles (44) 1989 – photo J.F. Amary

Répondre avec précision à l’une de ces questions serait d’une grande utilité pour comprendre le mécanisme d’évolution des procédés de modernisation d’un artisanat en voie de pré- industrialisation que fut la meunerie à vent. Particulièrement bien implantés dans
les départements de l’Ouest Atlantique, les moulins à vent s’y sont maintenus du XIIIème au XXème siècle marquant d’une façon indélébile le paysage, le langage et l’imaginaire des hommes pour qui ils furent au cours d’une très longue durée, la seule machine (avec le moulin à eau) ne nécessitant pas d’efforts humains ni animaux, dont disposeront des générations vouées au labeur. Un labeur dont ces hommes en venant au moulin, pourront s’affranchir et obtenir farine sans se donner de peine (mais en s’acquittant d’une taxe au 1/6ème ou 1/16ème).

La compréhension du mécanisme de l’allègement des souffrances humaines mérite bien dans la vaste histoire de notre espèce, qu’on se donne le mal de fouiller au plus profond des traces que nous laissent encore quelques vieilles ruines de tours lézardées et sans ailes. C’est la tâche que je m’efforce de poursuivre en menant ces recherches. Merci de bien vouloir y contribuer.

Christian Porcher – Article paru dans le Monde des Moulins – N°17 – juillet 2006

Catégories : Technique

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