Le site des Moulins de France
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Alors que je projetais un voyage dans une région très isolée du nord de l’Inde, une passionnée de moulins m’a dit : « Si tu vois des moulins, tu les photographies ». C’est l’origine de cette petite série de photos et de cet article.

En juin 2009, je suis donc parti pour deux mois dans cette région du nord de l’Inde, isolée du monde plus de la moitié de l’année par la neige, le Zanskar, un ancien royaume du Ladakh situé dans l’état indien du Cachemir Jamut. Le Ladakh est dans le massif de l’Himalaya, drainé par l’Indus et son affluent le Zanskar. Cette région de tradition bouddhiste est limitrophe du Pakistan et du Tibet, d’accès difficile, ses frontières toujours contestées étant à l’origine de plusieurs conflits militaires entre voisins. Elle ne s’est ouverte aux étrangers qu’au début des années 80.
Je vous l’ai dit, ces villages sont situés dans l’Himalaya, donc leur altitude s’étage de 3 200 m pour les plus bas à 4 500 m et même un peu plus. Ce sont pour la plupart de tout petits villages, les fermes isolées sont nombreuses car les zones cultivables sont petites, les vallées sont étroites. La vie y est dure, par les longues journées de labeur en été, le froid en l’hiver. Au Zanskar, le bois est rare car il y a peu d’arbres et tous de petite taille, aussi le combustible le plus utilisé est la bouse de yak séchée. La nourriture de base est l’orge, la population est peu nombreuse, et même si les soudures alimentaires de la fin de l’hiver sont parfois difficiles, ce n’est pas considéré en Inde comme une région à famine. Il y a souvent plusieurs heures de marche entre deux habitats. Le transport de charges lourdes doit souvent se faire sur des sentiers, à l’aide de chevaux ou à dos d’homme ; de nombreux hameaux sont à plus d’un jour de marche de la route, même en été. L’hiver dure six mois, le froid et
la neige rendent alors les déplace ments très périlleux et le Zanskar se retrouve complètement isolé de novembre à juin.

Ceci pour vous dire que les habitants ont l’habitude d’être autonomes en tout et que, par contrainte ou par tradition, ils utilisent ingénieusement et au mieux les matériaux locaux.
Pour clore la présentation, les treks et les monastères attirent de plus en plus de touristes, car même si les structures d’accueil sont rares et rudimentaires, la population de ce beau pays de montagne, bouddhiste, est souriante et accueillante. (fig.1)

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Figure 1. Photo Patrick Picard

La culture la plus importante est l’orge, base de la nourriture traditionnelle. Les moulins sont destinés à la mouture de cette production. Les grains sont préalablement légèrement grillés afin d’obtenir une farine « précuite », la tsampa, qui constitue la base de l’alimentation.
Ils sont aussi utilisés pour les farines de pois et de blé aussi produits localement. Au Ladakh et au Zanskar, ce sont tous des petits moulins qu’on retrouve dans toutes les vallées sauf à Leh, la capitale du Ladakh, qui a un moulin industriel.
Si les cours d’eau les plus importants sont rarement équipés de moulins, bien différent est le cas des nombreux petits torrents qui, à la fonte des neiges, irriguent pour quelques mois les fonds de vallée. Ceux-ci sont en effet jalonnés de petits moulins qui se succèdent, parfois en grand nombre à proximité des centres d’habitat, et dont certains, au cours de l’été 2009, sont encore en construction.
Pour construire leur moulin, les gens utilisent les matériaux locaux. S’ils en éprouvent le besoin, ils vont consulter quelqu’un d’expérience, mais la plupart du temps, le mécanisme leur étant familier, ils les construisent sans aide en prenant modèle sur les moulins les plus proches. Dans leur principe, ces moulins sont identiques aux nôtres, mais réduits à leurs seuls éléments essentiels pour produire de la farine à partir de graines d’orge, de pois ou de blé. Le plus souvent, il s’agit d’unités familiales très rudimentaires, une bâtisse de deux à trois mètres de côté avec trois ou quatre murs, un plancher de rondins couvert de terre, un toit. (fig.2)

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Figure 2. Photo Patrick Picard

Chaque moulin appartient à une famille, celles qui n’en ont pas peuvent y moudre en échange de journées de travail. Isolés ou en batterie, ils s’échelonnent le long de cours d’eau mineurs, de chenaux secondaires ou de petites dérivations (ci -contre à Hemis Shugpachan dans le Cham – fig.3).

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Figure 3. Photo Patrick Picard

Les canaux d’amenée sont souvent très rudimentaires et ne servent pas de réservoir. L’eau est conduite directement par le coursier sur la roue horizontale du moulin. L’eau passe d’un moulin au suivant par un court canal. (fig.4)

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Figure 4. Photo Patrick Picard

Comme dans de nombreux pays de montagne dans le monde, une roue horizontale en bois, ou rodet, assure la mise en mouvement de petites meules taillées dans les matériaux disponibles près du moulin. L’arbre du rodet est le plus souvent constitué d’un simple tronc, parfois cerclé de fer, muni d’une vingtaine de pales planes. Les éléments de la trempure sont, eux aussi, la plupart du temps en bois, tout comme le coursier. (fig.5)

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Figure 5. Photo Patrick Picard

Le métal est peu présent, ponctuellement utilisé dans la chambre d’eau au niveau du pivot quand il n’est pas en pierre, mais aussi parfois pour le coursier et le tirant vertical de la trempure.( fig.6) Une exception toutefois : un moulin en construction va être équipé d’un arbre,  taillé dans une pièce de bois, équipé d’un pivot et de godets métalliques.

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Figure 6. Photo Patrick Picard

Dans la chambre des meules, directement au-dessus de la chambre d’eau, le métal est utilisé pour l’anille et l’axe qui fait la jonction avec l’arbre du rodet. Les murs sont en pierres sèches colmatées intérieurement à l’argile. Le sol sert dans ces petits moulins à recueillir la farine. Parfois, un petit muret en argile d’une vingtaine de centimètres délimite un compartiment construit à cet usage.
Le mode de réglage de l’écartement des meules, toutes de petite taille, est difficile à déterminer, certains moulins n’ont pas de tirant vertical de la trempure visible.
Si certaines meules sont parfaitement aplanies sur les deux faces, ce n’est pas le cas général. Dans le moulin à deux meules de Zangla, c’est le cas d’une seule des tournantes. Certaines sont relevées au niveau de l’oeillard. La plupart des tournantes ont la face supérieure plutôt bombée et peu régularisée.
La raison en est simple : le sabot, qui se trouve au contact de la meule par l’intermédiaire d’une pièce de bois, est agité par les irrégularités de surface. Elles jouent le rôle du babillard et déclenchent la descente du grain. Ces éléments excluent un retournement des meules et l’usage des deux faces pour la mouture. (fig.7)

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Figure 7. Photo Patrick Picard

Parfois, de petites meulières livrent quelques exemplaires de ces meules inachevées, utilisant le matériau disponible à proximité même du moulin :
galets de granit, dont la tournante conserve la face bombée ou roche sédimentaire arrachée aux versants et débitée en un premier temps en blocs parallélépipédiques. (fig.8 et 9)

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Figure 8. Photo Patrick Picard

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Figure 9. Photo Patrick Picard

La trémie est un « panier » tronconique souvent doublé de tissu, et dans lequel on verse le grain à moudre. Elle n’est pas solidaire du système de mouture, mais suspendue au plafond du moulin à la verticale des meules. Le bas de la trémie est une pièce de tissu ouverte sur le sabot. Celui-ci, court conduit  en bois solidaire de la trémie, a une faible inclinaison réglable, mais qui ne permet pas au grain de couler spontanément. Il ne le laisse descendre dans l’oeillard que très lentement, au rythme de son agitation transmise par la meule tournante.(fig.10)

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Figure 10. Photo Patrick Picard

Le grain est moulu entre les meules, et la farine s’écoule sur le sol d’argile du moulin, avec parfois un petit muret délimitant un compartiment destiné à cet usage.
Si la plupart des moulins « documentés » sont de toutes petites unités familiales avec un seul système de mouture, l’un d’entre eux est plus important. Ce moulin est situé à proximité d’un village (Zangla), sur un affluent du Zanskar relativement important, en bordure d’une voie de communication et à proximité d’un pont, localisation courante facilitant l’accès à partir des deux rives. Un large canal d’amenée conduit l’eau vers deux rodets. (fig.11).

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Figure 11. Photo Patrick Picard

Un meunier y fait travailler deux systèmes de mouture. Les grains et la farine sont stockés dans la pièce unique. Celle-ci est équipée, (fait rare, mais le lieu est isolé du village) d’un fourneau couramment utilisé pour la cuisine et la préparation du thé.
La construction de petits moulins se poursuit toujours de façon très traditionnelle : petite dimension, murs en pierres sèches rendus étanches au vent par un colmatage à la terre argileuse, plancher de rondins recouvert d’argile, meules sommaires. Les solutions retenues montrent une grande économie de moyens, sont simples et efficaces, et font preuve d’une ingéniosité et de belles connaissances pratiques sur les matériaux disponibles
et leurs propriétés. (fig.12)

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Figure 12. Photo Patrick Picard

L’isolement des hautes vallées (sans chemin carrossable), le compartimentage du relief, les rigueurs du climat qui entravent les communications une grande partie de l’année, le maintien d’une économie autarcique, expliquent sans doute la pérennité d’un système de mouture,
certes vulnérable, mais efficace et peu coûteux. La seule minoterie de toute la région du Ladakh et Zanskar est située à Leh, capitale régionale de 12000 habitants, toujours accessible. 
Le tourisme se développe lentement au Zanskar, réputé pour ses treks et sa culture bouddhiste de tradition tibétaine intacte. Je tiens à remercier le Lama Sonam Wangchuk qui a organisé mes déplacements au Zanskar et au Ladakh avec des zanskarpas, et répondu a posteriori au questionnaire sur les moulins que nous lui avons envoyé.
Les photos de moulins ont toutes été prises au Ladakh, plus précisément dans le Cham et le Zanskar. Des moulins identiques existent au Népal, d’autres m’ont été signalés en Bolivie. Propagation d’une invention inchangée car efficace et copiable dans sa simplicité ou invention spontanée ? Aux spécialistes des moulins de répondre !

1. La tsampa se consomme nature comme une gourmandise, avec le thé, ou mélangée avec un peu de beurre et/ ou de thé pour faire une pâte consistante, dont on détache des morceaux qu’on absorbe avec un potage ou un peu de légumes.
Conférence faite au colloque d’Albon dont les actes sont encore disponibles (Moulins d’aujourd’hui… en Vivarais et ailleurs, MATP 2011) sur internet auprès de « Mémoire d’Ardèche Temps présent ».

Texte et photos de Patrick Picard – Article paru dans Le Monde des Moulins N°48 – Avril 2014

Catégories : Etranger

1 commentaire

écodouble · 29 août 2020 à 21 h 18 min

Super article. Merci.

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