Dossier réalisé par Jean-Pierre Henri AZéMA, Membre fondateur de la Fédération Des Moulins de France, Expert, spécialiste des moulins, du patrimoine industriel et de l’histoire des rivières, Chercheur associé au CNRS UMR 5136 Framespa / Université Toulouse Le Mirail
Préambule
En cette année du centenaire de la Grande Guerre 1914-1918, il nous a paru essentiel de rappeler la place et le rôle des moulins et des meuniers dans ce conflit par l’édition d’un numéro spécial de notre revue « Le Monde des Moulins » consacré à cet événement. Cette publication prend le relais et élargit le propos de la seule manifestation réalisée à ce jour sur ce thème : « Les moulins pendant la guerre », exposition organisée par Joseph Markey au Moulin Steenmeulen , à Terdeghem, dans le Nord, à 36 km au sud de Dunkerque.
INTRODUCTION
1914. La France, un pays face à une guerre sans précédent
À l’occasion du centenaire du déclenchement de la première guerre mondiale, dont une très grande partie des combats s’est déroulée sur notre sol, la Fédération Des Moulins de France a tenu à rendre hommage aux meuniers, meunières et usiniers qui ont donné leur vie pour la Nation, ou permis le fonctionnement de son économie tout au long de ces 1564 jours de conflit.
En 1914, la France est un pays majoritairement rural, et les meuniers sont encore très présents et essentiels dans le fonctionnement des communautés humaines. Le 1er août le gouvernement décrète la mobilisation générale. Dans les campagnes, les meuniers en âge de combattre quittent leurs moulins.
Devant la rapide progression des armées allemandes, le pays se trouve vite privé de ses principales ressources énergétiques. Les gisements de charbon de Lorraine et du Nord-Pasde- Calais sont hors d’usage et hors d’atteinte. La France doit se réorganiser face à la mobilisation des meuniers et à une importante perte de main-d’oeuvre. Les énergies renouvelables retrouvent une place centrale dans le fonctionnement économique du pays et sont utilisées au maximum de leurs capacités. Les moulins à eau apportent une contribution essentielle à l’économie de guerre. En plus de fournir la farine et des denrées alimentaires pour les militaires et la population sédentaire des villes et des campagnes, ils permettent la production de nombreuses matières premières et produits de base indispensables à l’équipement des armées. Des centaines d’usines, dispersées, décentralisées, fabriquent du textile, transforment le bois, produisent de l’électricité, travaillent
les métaux et les produits chimiques nécessaires au fonctionnement de la Nation et des troupes engagées.
Le rôle de l’énergie, et des énergies renouvelables en particulier, au cours de ce conflit majeur, n’a jamais fait l’objet d’une étude attentive et détaillée de la part des historiens ou des géographes. C’est pourtant l’un des postes clés de la guerre. Sans énergie, pas de vie, pas de guerre.
Ce dossier exceptionnel est une première approche qui ne demande qu’à être poursuivie et approfondie sur l’ensemble du territoire national. Il se compose de trois parties.
La première partie montrera qu’en 1915, au coeur de cette épouvantable tuerie, de la volonté et du regard d’un artiste américain, Herman-Armour Webster, est né le mouvement de sauvegarde des moulins et du patrimoine industriel français.
La deuxième partie, délibérément succincte, apportera quelques éclairages sur les rôles oubliés des moulins, dans l’économie de guerre de la France, au travers d’exemples locaux.
La troisième partie est consacrée aux moulins situés dans les zones de combats et sur le front. Dans un premier temps, nous présenterons quelques usages spécifiques des moulins à vent. Souvent localisés aux meilleurs points de vue, ils ont servi de lieux de choix pour l’observation des combats, comme sites défensifs, et ponctuellement comme lieux de prières.
Dans un deuxième temps, nous proposerons un échantillonnage des moulins sacrifiés sur le front, et des dégâts causés par la guerre au patrimoine meunier et aux usines hydrauliques de France, tout au long des 800 km de front, depuis l’Alsace jusqu’aux Flandres et à la mer du Nord. Nous présenterons des lieux symboliques, en illustrant le sujet par des cartes postales anciennes ; celles-ci figurant les moulins et usines avant la guerre, quelquefois après leur destruction, et parfois lors de leur reconstruction.
1. En 1915, au coeur de la guerre, Herman-Armour Webster découvre les moulins à vent Naissance de la sauvegarde des moulins en France
Herman-Armour Webster naît à New York le 6 avril 1878. En 1900, il se rend à Paris où se tient l’Exposition Universelle. En 1904, il retourne à Paris et entre à l’Académie Julian, dans l’atelier de Jean-Paul Laurens. Il y étudie la peinture et la gravure. En 1905, à 27 ans il est peintre-graveur-paysagiste, et en 1912, il devient membre de la Société des peintres-graveurs de Londres et de la Société des Beaux-Arts de Paris. Il travaille de longues années en collaboration avec Germaine Huard, dessinatrice et aquarelliste. C’est avec elle qu’il réalise son oeuvre photographique (1936-1953), laquelle est exclusivement consacrée aux « Moulins à vent de France », la seule de cette nature en Europe.
La Grande Guerre 1914-1918 et la découverte des moulins à vent
Très attaché à la France, Webster s’engage dès octobre 1914 au service de l’armée française ; il est alors âgé de 36 ans. Dès l’année suivante, il éprouve un attrait tout particulier pour les moulins à vent qu’il est amené à fréquenter comme secouriste et brancardier (fig. 1). Dans une note manuscrite non datée, il s’en explique ainsi: « Au cours d’une mission en Artois et dans le Pas-de-Calais, alors que j’étais engagé dans les sections sanitaires attachées de l’Armée française, en 1915, j’avais remarqué et j’avais été attiré par quelques magnifiques moulins à vent qui tournaient dans ce pays. Je me suis promis, une fois la guerre finie, de retourner pour faire quelques dessins. J’ai pu entreprendre ce projet en 1924, dans la région de Cassel. C’est ainsi que commençait, sans me douter de son extension, le grand ouvrage que nous avons fait ma femme et moi, sur les moulins à vent de France, et dont nous avions promis un exemplaire à la Bibliothèque Nationale pour son Cabinet des Estampes ».
fig. 1- Infanterie de ligne. Tenue bleue azur
En 1924, il achète une voiture Willys Knight décapotable, et, pour la roder, se met à parcourir les campagnes françaises à la découverte des moulins à vent (fig. 2). Il les dessine, les peint sous forme d’aquarelles, et commence à les photographier avec un appareil Leica 24 x 36. Pendant ce temps, Germaine interroge les meuniers et prend des notes sur un carnet.
fig. 2- Hermann Armour Webster. Père de la sauvegarde des Moulins Français, 1878-1970
1924-1934 : Le pionnier de l’étude et de la sauvegarde des moulins à vent de France
Le travail d’inventaire des moulins à vent, et la fréquentation des meuniers, amènent Webster à s’interroger sur les moyens à mettre en oeuvre pour assurer leur sauvegarde. En 1927, avec la complicité de François Monod, il choisit la presse hebdomadaire pour lancer un mouvement national en faveur de ce patrimoine. Ainsi le magazine « L’Illustration » publie-t-il dans son N° 4425 du 24 décembre, un article intitulé « La mort des moulins à vent dans la région du Nord ». Monod s’indigne de la disparition accélérée de ces bâtiments. « Nulle part les moulins n’étaient plus nombreux que dans les plaines fertiles, ouvertes à tous les vents de la région du Nord, en Picardie, en Artois et dans la Flandre française. Nulle part, au cours de ces dernières années, ils n’ont disparu plus vite que dans ces pays d’industrie intense. Les ravages de la guerre ont accéléré leur ruine, la reconstruction des régions dévastées n’a pas relevé ceux qui sont tombés (…) ».
Cet article fondateur fut le premier à poser la question du devenir du patrimoine industriel et artisanal français. Il est illustré de sept aquarelles de Webster représentant des moulins à vent, et reproduites en quadrichromie (fig. 3). Ces dernières sont d’une grande poésie, et ont de surcroît le mérite d’être d’une remarquable fidélité technique et architecturale.
fig. 3- Hermann-Armour Webster. Le Moulin de Citerne (Somme), 1928, aquarelle
En juin 1928, avec le Docteur Paul Hélot, il fonde la première association française consacrée à la sauvegarde des moulins à vent : la Société des Amis des Vieux Moulins (association mère de toutes les associations françaises de sauvegarde des moulins), dont le siège social est situé au 9 de la rue Morand, à Rouen. Cette association, de type 1901, a pour objet : de protéger les moulins à vent de France dans un intérêt pittoresque, historique, technique et touristique. H-A Webster en devient Vice-Président, mais très vite il juge cette association trop mondaine, pas assez concrète et pratique, et démissionne. Il continue seul son travail d’artiste, se rendant régulièrement sur le terrain, et peignant de très nombreux moulins à vent du Nord de la France (Somme, Nord et Pas-de-Calais).
Cet artiste, grand admirateur et défenseur du patrimoine molinologique et industriel français, s’éteint à l’âge de presque 92 ans, à l’Hôpital Ambroise Paré de Boulogne-Billancourt, le 9 mars 1970. Son épouse, Germaine Huard, décède en 1980.
Sources : Azéma Jean-Pierre Henri (2007). Les moulins à vent de France, 1936-1953. Le « grand ouvrage » de Hermann-A. Webster et de Germaine Huard. In, Revue de la Bibliothèque Nationale de France, 2007, N°26, p 50-55. Webster Herman (1937). La grande détresse de nos moulins. L’illustration, N°4935, du 2 octobre 1937, np.
2. Le rôle des moulins dans l’économie de guerre de la France
2.1- La mobilisation et la désorganisation de la meunerie. Meunières et enfants meuniers
La mobilisation générale ébranle l’ensemble de la meunerie française, une industrie stratégique. Certains meuniers se trouvent mobilisés à domicile pour fournir l’armée dans une production encadrée. D’autres sont durement frappés par la réquisition des animaux de trait.
Les chevaux en bonne santé sont arrachés à leurs propriétaires, ce qui handicape et anéantit le fonctionnement de nombreux moulins encore en état de marche et ayant conservé leurs meuniers, souvent âgés, ou leurs meunières. Ainsi, en 1986, au Moulin de Vazilières, premier moulin à grain sur la Diège, dans le village de Salles-Courbatiers (Aveyron), Roger Miquel me racontait, la gorge encore nouée, l’immense choc affectif, professionnel et financier, que fut pour son père
la réquisition de sa jument fidèle.
Les femmes doivent d’emblée remplacer leurs maris et prendre les rênes de leurs usines. Il faut parfois faire appel à de jeunes adolescents. À Sévérac-le-Château (Aveyron), le Moulin de la Calsade perdit son meunier, Léon Alauzet. Ce dernier laissa le moulin aux mains de son épouse. Pour compenser cette perte de compétence et de main d’oeuvre, des prisonniers allemands furent par la suite envoyés en renfort au moulin. L’un d’eux essaya de persuader la meunière de moderniser le moulin, et d’y installer une dynamo pour bénéficier de l’éclairage électrique.
La meunière du Moulin de la Calsade – Sévérac-le-Château (Aveyron)
En 1914, le Moulin de la Calsade, moulin à meules de pierre, desservait environ 80 lieuxdits dans une zone de 23 km long et 17 km large, jusqu’aux Gorges du Tarn (fig. 4). Au cours de ces années de guerre, un événement marque les esprits. Un jour d’été, un paysan de la montagne (sud-est de la Commune), se rend au moulin avec sa charrette chargée de sacs de grain, tirée par une paire de boeufs Aubrac. Après avoir fait réceptionner sa marchandise et discuté avec madame Alauzet, il prend son tour. La paire de boeufs est attachée au gros anneau de fer près de l’entrée cochère du moulin. Le temps de la mouture étant assez long, il se rend au village et monte au vieux bourg du Château pour aller se désaltérer. Les cafés sont alors nombreux dans la vieille ville.
fig. 4- Sévérac-le-Château (Aveyron) le Moulin de la Calsade, vers 1900
Plusieurs heures après, il redescend au moulin pour prendre livraison de ses sacs de farine. Les boeufs étaient restés dehors, à la rage du soleil, attachés à leur charrette. Le paysan charge alors la farine sur sa charrette et fait demi-
tour pour reprendre le chemin en direction de la RN 9. Après avoir passé le pont de pierre enjambant le canal de fuite, le convoi longe ce dernier. Tout à coup, sans crier gare, la paire de boeufs assoiffés décide de rejoindre le bord de l’eau pour boire. Dans ce mouvement violent et dans un vacarme invraisemblable, la charrette bascule, se renverse. Le chargement de sacs de farine et le paysan se trouvent projetés dans l’eau. La meunière, alertée par tout ce fracas, sort en toute hâte de son moulin pour porter secours à l’infortuné paysan et pour sauver au maximum la marchandise. Le paysan, voyant arriver la meunière, lui dit en occitan « Molinièira vos’n fasètz pas, se los buòus avian set, lo patron avia pas set ! » (« Meunière ne t’en fais pas. Si les boeufs avaient soif, le patron, lui, n’avait plus soif »).
Henri Berthaud, meunier de treize ans au Moulin à vent d’Escoublac (Loire-Atlantique)
Souvent propulsés comme soutien de famille, les enfants prennent une part non négligeable dans la charge du fonctionnement économique du pays. Des centaines de jeunes enfants ou adolescents épaulent leur mère pour faire tourner, dans les moindres villages du territoire national, les moulins en état de marche. Mes recherches m’ont amené à découvrir un témoignage exceptionnel. L’hebdomadaire « L’Illustration » N°3892, du 6 octobre 1917, consacre un long article à un jeune meunier breton, mettant ainsi en évidence la mobilisation de tous les Français en âge de travailler.
fig. 5- Henri Berthaud, meunier de 13 ans, en 1917
« La guerre a donné plus d’une fois à des enfants l’occasion de parler et d’agir en hommes. Appelés brusquement à tenir au foyer la place du père mobilisé, certains jeunes garçons ont témoigné d’une énergie virile et d’un sérieux au-dessus de leur âge. Le jeune Henri Berthaud (fig.5) mérite assurément d’être cité au premier rang de ces courageux petits Français qui, comprenant la gravité de l’heure, ont fait spontanément le sacrifice de leurs années d’insouciance pour charger leurs frêles épaules des plus lourdes responsabilités.
Son père exploitait, avant guerre, un grand moulin à vent, un de ces moulins dits « à voltiges » comme on en rencontre encore en certains villages bretons. Les ailes tournoyantes du Moulin Berthaud dominaient le bourg d’Escoublac (Loire-Inférieure). Il y a deux ans, le meunier fut appelé sous les drapeaux. Il laissait à la maison sa femme et trois garçonnets dont l’aîné venait à peine d’atteindre ses onze ans !… C’était la ruine. Il fallait arrêter les meules et fermer le moulin (fig. 6) !
fig. 6- La Baule (Loire-Atalntique), le Moulin à vent d’Escoublac en 1917
Mais prenant au sérieux sa mission de chef de famille, le petit Henri tint tête au destin : il décida de continuer seul le commerce de son père ! Et l’on vit ce meunier de onze ans mettre en marche les grandes ailes de toile ( ?) et rouvrir le moulin à la clientèle. Le métier de meunier n’est une galante sinécure que dans les estampes et les chansons populaires. En fait, c’est une profession qui exige un labeur assidu, une surveillance attentive et une dépense physique considérable. Depuis deux ans, l’énergie de l’enfant n’a pas faibli. Il remplit tous ses devoirs professionnels avec une parfaite compétence. Il sait admirablement recevoir les clients pour une livraison de blé, effectuer toutes les manutentions
intérieures, régler la pression des meules et le développement de la voilure. Il n’ignore aucune des circulaires de monsieur Long et s’entend à merveille à doser les proportions de farine, de son, et de recoupes et de recoupettes qui permettent d’obtenir le taux de blutage imposé. Et c’est à peine s’il accepte exceptionnellement l’aide d’une de ses jeunes cousines, lorsqu’il vente trop dur et qu’il faut faire « virer » pendant la nuit !
C’est à la fin du mois dernier que les photographies du plus jeune meunier de France ont été prises par un de nos lecteurs. En nous les communiquant, leur auteur nous a fait parvenir une somme de 500 francs destinés à doter le courageux enfant d’un livret de caisse d’épargne.
L’énergie de ce petit Français précocement chargé du fardeau de la vie est, en effet, un très bel exemple qu’il faut encourager et proposer à l’admiration de tous. Nos combattants seront fiers d’apprendre qu’ils laissent derrière eux une génération aussi vaillante et des fils si prompts à continuer leur tâche ! … Qu’un vent favorable fasse joyeusement tourner les ailes du Moulin du bourg d’Escoublac ! ».
La canne du meunier de Cieurac (Lot)
Alain Moisset, meunier du Moulin à vent de Cieurac, à 15 km au sud de Cahors, a 44 ans lorsqu’il est mobilisé et doit partir à la guerre. Dans une forêt près de Compiègne, il coupe une tige de jeune bouleau torsadée par le travail d’une liane. Ce bâton de compagnie, devenu canne, va au fil des années de guerre se transformer en carnet, consignant, gravée dans le bois, les événements les plus marquants vécus par ce meunier-soldat. A la manière d’un rébus, il symbolise par des sortes d’idéogrammes et dessins, les faits marquants de sa vie de jeunesse, sa condition paysanne, ses croyances, les événements militaires, le matériel employé comme le canon de 75, ses compagnons d’armes. Enfin, de retour au pays, il cisèle la silhouette de son moulin à vent en se représentant, devant lui, avec un sac de grain sur l’épaule. Cet objet miraculeusement conservé a été légué à la commune de Cieurac par la famille Moisset à l’occasion de la commémoration du 11 novembre 2013.
Sources : Rivals Claude, 1995. La canne du meunier de Cieurac. Première partie ; Quercy-Recherche N° 81, Juillet-Août, pp 10-15 et deuxième partie, Quercy-Recherche N° 82, Juillet-Août, pp 38-43.
2.2- Le repli d’une entreprise de décolletage au Moulin de la Fréjère à Najac (Aveyron) : la société Plouvier, de Daours (Somme)
Dès le début du conflit, le Ministère de la Guerre se met en quête de bâtiments industriels vacants, loin, à l’arrière du front. Il s’agit de trouver des sites de repli stratégique pour des entreprises proches des zones de combat. C’est ainsi que la Société Albert Plouvier, de Daours, près de Corbie (Somme) trouve refuge au Moulin de la Frégère (fig. 7), sur l’Aveyron, au pied du versant nord du château de Najac. La vieille usine hydraulique accueille ainsi une boulonnerie. Les atouts du site sont importants : une chute de 1,95 m, d’une puissance de 70 kW, la proximité d’un deuxième site hydraulique en aval, le Moulin de Ferragut (2,50 m de chute) fournissant un appoint en énergie électrique. Les deux sites appartiennent à François Ferrié. Enfin, la gare de Najac est toute proche, à 500 m au nord. Cette entreprise de décolletage est spécialisée dans la conception et la fabrication de boulons de toutes les tailles. Parmi ses produits phares, le « boulon-crampon antidérapant » vanté dans les premières publicités.
fig. 07- Najac (Aveyron), le moulin de la Frégère abritant la boulonnerie, après 1914
L’usine de la Frégère, rebaptisée « boulonnerie de Najac », embauche jusqu’à une quarantaine d’habitants de la commune. Dans les premiers mois, l’activité est exponentielle. L’entreprise, avec à sa tête Albert Plouvier, occupe encore les lieux en 1921, produisant une grande variété de boulons et de rivets, dont les « boulons de marine ». à l’étroit dans ce fond de vallée, l’usine ne peut s’étendre, le propriétaire ne le permettant pas. De plus, la Compagnie de Chemin de Fer du Paris-Orléans ne l’autorise pas à construire un barrage au « Bois rond », arguant que les eaux du barrage noieraient une partie de la muraille de soutènement de la voie ferrée. Relocalisée par la suite à Villefranche- de-Rouergue, elle donne naissance à la société BOMAP (aujourd’hui Blanc Aéro Industrie) qui travaille pour l’aéronautique. De retour dans la Somme, le logo de l’entreprise « boulonneries et forges de Najac », dont l’usine et les bureaux se trouvent désormais à Daours, reste le château de Najac enfermé dans un cercle.
Sources :
– Couffin Jean-Paul. Histoire d’Aveyron (6) : Albert Plouvier, l’indéboulonnable. La Dépêche du Midi (Aveyron) 28/12/2011.
– Gauchy Marcel. Najac-en-Rouergue. 1983. 363 pages.
– Foire-exposition des industries et métiers de l’Aveyron. Catalogue officiel. Année 1921.
2.3 – L’approvisionnement en farine et matière première du pays et de l’armée. L’exemple de Saint-Affrique (Aveyron)
Très éloignée du front, la commune de Saint- Affrique participe à l’effort de guerre. Les moulins hydrauliques sont sollicités tant pour l’alimentation en farine de la population résidente qu’en textile pour l’armée. En voici trois exemples.
Le Moulin d’Albissy
Situé sur le ruisseau de Monnargues, ce moulin à grain sera directement touché par la Première Guerre Mondiale. En 1915, Auguste Jules Clamouse fils, devient meunier exploitant du Moulin d’Albissy. Mobilisé, il meurt pour la France le 25 mai 1916. Le moulin ferme temporairement par suite du décès du meunier. Clémentine Clamouse n’a que deux illes qui ne sont pas prêtes à reprendre le moulin, dont les deux paires de meules chôment dorénavant. Face à une telle situation, Clémentine devient elle même meunière par nécessité, elle le restera jusqu’en 1934.
Le Moulin de Monnargues-Haut, au cours de la première guerre 1914-1918
La Première Guerre Mondiale relance l’activité de l’usine textile située sur le ruisseau de Monnargues. En 1915, l’Intendance militaire référence cette entreprise comme étant une « usine travaillant pour la Défense Nationale ». « Ouverte en octobre 1915 cette usine travaille pour l’armée depuis plusieurs années. Elle a été fermée en juillet 1915 et rouverte en octobre 1915 (AD12, 18 R 1-6) ».
La position retranchée de l’usine Dufeu est intéressante. En effet, en 1915, il faut fournir, en toute sécurité, du drap de troupe pour vêtir les soldats engagés dans la défense du pays. De plus, cette usine tire la plus grande partie de son énergie de l’exploitation d’une chute hydraulique, ce qui est précieux, quand beaucoup de mineurs sont mobilisés et que les grandes mines de houille du Nord sont aux mains de l’ennemi. Le nombre de métiers à tisser passe alors à 32 et celui des broches actives double, passant à 1600. Il y a désormais trois apprêteurs d’étoffe appelés aussi friseurs.
Le Moulin de Rondy-bas, Usine Chaumat
Situé sur le ruisseau de Galatrave, l’usine travaille comme « effilocheur ». Il s’agit de déstructurer des chiffons et de fournir une sorte d’étoupe qui sera filée dans une autre usine. En 1917, la société est dénommée par l’Intendance militaire « Usine de tissage de couvertures militaires de Rondy ». Elle bénéficie d’un abonnement électrique d’une puissance de 20 kW auprès de la Société d’Énergie Électrique de la Sorgues et du Tarn, et fait partie des rares usines alimentées par cette compagnie travaillant pour la Défense Nationale (AD12, 18 R 1-10). La première mention de l’existence de l’Usine Chaumat, date de 1917. D’abord louée, elle apparaît comme une teinturerie de laine, spécialisée dans les draps de troupes.
Source : Azéma Jean-Pierre Henri (2013). Saint-Affrique et ses moulins. L’eau qui travaille. 12 siècles d’histoire industrielle. Saint-Affrique. éditeur Imprimerie du Progrès. 352 pages.
3. Les moulins et usines sacrifiés sur le front
3.1- Quelques usages spécifiques des moulins à vent
3.1.1- Les moulins à vent convertis en observatoires
Dominant le territoire alentour, les moulins à vent font l’objet de nombreuses convoitises. Un grand nombre d’entre eux servent de point d’observation privilégié. L’hebdomadaire « L’Illustration » du 27 avril 1918 reproduit une peinture du peintre François Flameng représentant des militaires anglais juchés sur le balcon d’un moulin pivot flamand (fig. 8). C’est peut-être celui de Saint-Jans-Capelle.
fig. 8- Observatoire anglais dans un moulin à vent. Tableau de François Flameng, 1918
Département de la Somme : nous en avons identifié d’autres :
• À 10 km au nord-ouest de Montdidier, dans le sud-est de la Somme, le moulin tour de Grivesnes, construit en brique et pierre de taille, est de ceux-là. Établi à 111 m d’altitude, il a été détruit le 31 mars 1918.
• Du Moulin à vent de Warloy, il ne reste que des ruines. Situé sur la commune de Baizieux, à 700 m au nord-est du bourg, à 119 m d’altitude, il dominait la vallée de l’Hallue.
• Le Moulin de Puzeaux, Commune de Puzeaux, se trouve à 16 km au sud de Péronne, à 250 m au nord du village, à 87 m d’altitude.
• Le Moulin à vent de type tour de Mailly-Maillet, commune à 19 km au nord d’Albert, à 700 m au nord-est du bourg, à 149 m d’altitude, placé le long de la route d’Arras, servit de bunker aux anglais. Ses ruines enfouies, sous la verdure, sont encore visibles, mais pour l’heure non valorisées.
• Le Moulin à vent de Flesquières, dans le département du Nord, à 11 km au sud-ouest de Cambrai, fut occupé par les allemands et transformé en bunker en béton armé.
Dans le département de la Marne :
• Le Moulin à vent de la Housse est intégré dans les faubourgs sud-est de Reims. Le 5 décembre 1915, il reçut plus de 200 obus et fut partiellement démoli.
• À 11,5 km au sud-est de Reims, le Moulin à vent de Verzenay (Commune de Verzenay) servit lui aussi d’observatoire. Ce moulin à vent de type pivot est à 700 m au nord-ouest du village. Pendant la guerre 1914-18, il fut choisi comme poste d’observation, des galeries souterraines et des chambres en béton furent construites. Le 27 septembre 1917, il reçut la visite de hauts responsables militaires, le chef allié Victor-Emmanuel III, roi d’Italie, le président Poincaré, et les généraux Marie- Emile Fayolle, Joseph Micheler et Henri Gouraud… Il a été touché par deux obus qui lui ont causé de gros dégâts, réparés par la suite. Il est toujours en place.
3.1.2- Les moulins à vent comme sites défensifs
• Une carte postale prise durant la campagne 1914-1915 représente un groupe d’artilleurs français occupant le site d’un moulin à vent type tour, groupés autour d’un canon de 75 (fig. 9).
fig.9- Flandre. Notre « 75 », défend un moulin, 1914-1915
• À Bailleul, commune située à 30 km au nord-ouest de Lille, il y avait autrefois, autour de la ville, une ceinture de moulins à vent. L’un d’eux fut investi par les allemands qui y installèrent des mitrailleuses (fig. 10). En 1915, ce moulin est détruit par des tirs d’obus français.
fig. 10- Bailleul (Nord) moulin en partie détruit par les obus, après 1914
• Le magazine « J’ai vu… » dans son N°7 du 31 décembre 1914, représente, en première de couverture, un veilleur, à la fenêtre d’un moulin flamand de type tour, près de Ramscapelle en Belgique (fig. 11).
fig. 11-Veilleur à la fenêtre haute d’un moulin-tour flamand près de Ramscapelle, Belgique, 1914
• Une carte autrichienne reproduit une aquarelle montrant un soldat isolé, caché derrière une grande roue à aubes, de l’eau jusqu’au genou, tirant au fusil sur l’ennemi (fig.12).
fig. 12- Autriche. Soldat conducteur de train tirant avec assurance sur l’ennemi l’ennemi alors qu’il se tient derrière la roue d’un moulin avec de l’eau jusqu’au genou
3.1.3- Les moulins à vent, églises de plein air
Le hasard des recherches permet de rappeler un rôle oublié des moulins à vent de Flandre Orientale, en Belgique : celui d’églises improvisées pour les troupes engagées dans la défense du front, à deux pas de la mer du Nord. Près de Ramscapelle ou d’Ypres (fig. 13-14), avant de partir au combat, les soldats cantonnés dans ces secteurs participent aux offices en plein air, donnés au pied des moulins à vent de type pivot. Les ailes sont positionnées en croix et l’autel sommaire est installé au pied du moulin.
fig. 13- Ramscapelle (Belgique), les soldats qui vont partir aux tranchées assistent à la messe célébrée sur la butte d’un antique moulin des Flandres
fig. 14- Belgique. Secteur de l’Yser. La messe dans un cantonnement du front au pied d’un moulin-pivot
3.2-Les moulins sacrifiés sur le front
3.2.1- Le Front de l’Est, Alsace-Lorraine
3.2.1.1- Département du Haut-Rhin (68)
La prise d’un moulin
Devant l’incapacité de représenter et de photographier une armée conquérante repoussant l’ennemi pour contrôler le territoire alsacien, la propagande française se résout à utiliser l’artifice du dessin (fig. 15). Tout va bien, l’armée républicaine a réussi la prise d’un moulin !
fig. 15- Haute Alsace. Prise d’un moulin par l’infanterie française, 1914
Le Filature Hartmann (Commune de Munster)
La ville de Munster se trouve à 19 km au sudouest de Colmar. Cette grande filature créée en 1785, par André Hartmann, à l’emplacement d’un moulin hydraulique, est établie au coeur du village, à 380 m d’altitude, en rive gauche de la Fecht. Une roue hydraulique ver ticale sert de moteur à la fabrique, complétée ensuite par la mise en place d’une machine à vapeur. Cette manufacture de tissage et d’indiennerie atteint son apogée en 1818. En 1841, elle emploie 3200 employés. En 1914, l’usine est entièrement détruite (fig.16). Le village est libéré le 7 août 1914. En 1920, André Hartmann (1865-1950) fonde une coopérative de reconstruction. L’entreprise ferme le 9 octobre 2009.
fig. 16- Munster (Haut-Rhin), la filature Hartmann détruite après 1914
Moulin Schuler (Commune de Guewenheim)
Le village de Guewenheim se trouve à 9 km au sud de Thann et à 23 km à l’ouest de Mulhouse, dans la vallée de la Doller, à 334 m d’altitude. Le moulin est entièrement détruit en août 1914 (fig. 17).
fig. 17- Guewenheim (Haut-Rhin), le moulin détruit, 1914
3.2.1.2- Département des Vosges (88)
Scierie André (Commune de Saint-Léonard)
Le village de Saint-Léonard est situé dans l’est du département, dans la haute vallée de la Meurthe, à 12 km au sud de Saint-Diédes- Vosges. La scierie André, implantée au sud-est du village, à 418 m d’altitude, occupe l’emplacement d’un moulin à eau. Entreprise importante, elle est la troisième cible lors de l’attaque du village par les troupes allemandes, bombardée et réduite à néant le 28 août 1914 (fig. 18-19). Les chantiers de grumes, les stocks de planches et les halles de
sciages sont réduits en cendres. Quelques bâtis de scieries à ruban résistèrent à ce déluge de feu et figurent sur les cartes postales.
fig. 18- Saint-Léonard (Vosges), Scierie André, vue générale après sa destruction, après 1914
fig. 19- Saint-Léonard (Vosges), Scierie André, Vue de machines incendiées, après 1914
Moulin à plâtre de Xerbéviller (Commune de Lunéville)
La ville de Lunéville se trouve dans le sudest du département, à 31 km au sud de Nancy, dans la vallée de la Vezouze. Le moulin à blé est établi sur un bras dérivé de la rivière, près de Saint-Léopold, à l’ouest de la ville, à 221 m d’altitude. Fondé en 1686, il est acheté en 1797 par Sébastien Keller, propriétaire d’une faïencerie de Lunéville. Ce dernier le transforme en moulin à terre, à émail, à gypse. L’usine, entourée de carrières de gypse, est mentionnée comme moulin de la Plâtrerie, sur la carte de Cassini, vers 1754-1763. Reconstruit au cours de la première moitié du XIXe siècle (fig. 20), il est détruit durant l’occupation allemande du 22 août au 12 septembre 1914 (fig. 21). Reconstruit en 1920, c’est actuellement une maison de retraite.
fig. 20- Lunéville (Meurthe-et-Moselle), le Moulin à plâtre de Xerbeviller, vers 1900
fig. 21- Lunéville (Meurthe-et-Moselle), le Moulin à plâtre de Xerbeviller, après 1914
3.2.1.3- Département de la Meuse (55)
Moulin de Gibercy (Commune de Damvillers) Le hameau de Gibercy se trouve à 5 km au sud de la Commune de Damvillers, ellemême à 25 km au nord de Verdun. Le Moulin de Gibercy, placé à 215 m d’altitude, figure sur la carte de Cassini vers 1754-1760. Il est alimenté par une dérivation du ruisseau de la Thinte. La photo prise par les Allemands montre un moulin à huile de noix mû par une roue hydraulique verticale à augets (fig. 22). Gibercy est à 29 km à vol d’oiseau au sud-est de Dun-sur-Meuse.
fig. 22- Damvillers (Meuse) le Moulin de Gibercy, après 1914
Le Grand Moulin (Commune de Dun-sur- Meuse)
Le village de Dun-sur-Meuse se trouve au nord du département de la Meuse, à 34 km au nord-ouest de Verdun. Le moulin est situé au faubourg nord du village, en rive droite de la Meuse, à 173 m d’altitude, sur un bras du fleuve, le long de la route de Stenay (fig. 23). Le 1er août 1914, de violents combats opposent les 91e, 120e et 147e Régiments d’Infanterie français à la 5e armée allemande. Le moulin est partiellement détruit. Les cartes postales anciennes représentent ce bâtiment vers 1900 et après les combats d’août 1914 (fig. 24). C’est actuellement une usine électrique.
fig. 23- Dun-sur-Meuse (Meuse), le Grand Moulin, vers 1900
fig. 24- Dun-sur-Meuse (Meuse), le Grand Moulin, après 1914
3.2.2- Le Front de Champagne
Département de la Marne (51)
« La Champagne est tout entière occupée par les Allemands, au début de septembre 1914, pendant la retraite stratégique de l’armée française. Du 6 au 11 septembre 1914, se déroule la Bataille de Vitry-le-François, épisode de la grande Bataille de la Marne. De l’ouest à l’est, les armées de Von Hausen, du Duc de Wurtemberg et du Kronprinz impérial s’avancent en brûlant de nombreux villages, en pillant les maisons, en saccageant les usines et les manufactures » (guide Michelin 1922). Le 25 septembre 1914 s’engage une offensive française sur le cours supérieur de la Suippe et la haute vallée de l’Aisne, d’Aubérive à Ville-sur-Tourbe. Sur 27 km de long, les Allemands construisent une ligne de défense. Trois ans plus tard, du 17 avril au 25 mai 1917, s’engage la Bataille des Monts de Champagne.
Le Moulin Crocheret (Commune d’Huiron)
Le village de Huiron se trouve dans le sudest du département, à 6 km au sud-ouest de Vitry-le-François. Le moulin lui-même est à 102 m d’altitude, dans la vallée du ruisseau des Granges, à 500 m au sud du bourg, le long de la route de Courdemanges. Autrefois dénommé Moulin Giberti, il est créé en 1180. En 1187, le nom du ruisseau qui le fait tourner est dit « Crocheret ». Le moulin figure sur la carte de Cassini vers 1754-1758. à l’occasion de la « Bataille de la Marne » qui dura du 6 au 12 septembre 1914, il se situe sur la ligne de front. Il est incendié le 7 septembre 1914 (fig. 25). Seule la roue hydraulique verticale à augets, construite en métal, et une paire de meules résistent à la destruction totale (fig.26).
fig. 25- Huiron (Marne) le Moulin Crocheret, vers 1900
fig. 26- Huiron (Marne) le Moulin Crocheret, après 1914
Le Moulin (Commune la Chaussée-sur- Marne)
Le village de La-Chaussée-sur-Marne se trouve à mi-chemin entre Vitry-Le-François et Châlons-en-Champagne, à proximité de la Vallée de la Marne. Le moulin est situé au sud du village. Implanté à 93 m d’altitude, il est établi sur une dérivation du Fion. Figuré sur la carte de Cassini vers 1754-1758, il est détruit le 4 septembre 1914 (fig. 27), lors de la forte poussée de la 3e armée allemande, en direction de Vitry-le-François et la vallée de la Marne. Du moulin, il ne reste que la grande roue verticale à aubes courbes et quelques engrenages.
fig. 27- La Chaussée-sur-Marne (Marne) le Moulin, après 1914
Le Moulin (Commune Saint-Etienneau- Temple)
Le village de Saint-Etienne-au-Temple se trouve à 11 km au nord-est de Châlons-en- Champagne, le long de la vallée de la Vesle. Le moulin était situé à l’ouest du village, à 125 m d’altitude, près du pont franchissant la Vesle en direction de Châlons-en-Champagne. Vers 1900, une carte postale figure le moulin avec ses trois niveaux (fig. 28). La force motrice est assurée par une roue à aubes, verticale, de type Zuppinger, à laquelle était adjointe une machine à vapeur, comme
l’atteste la cheminée en brique. L’armée française se replie à Saint-Hilaire-au-Temple les 30 et 31 août 1914 (fig. 29). L’année suivante, en septembre 1915, le maréchal des logis Henri Masquelin, en déplacement avec le 41e RA, découvre le village presque entièrement brûlé. Du moulin, il ne reste que les armatures métalliques de la roue et la base de la cheminée.
fig.28- Saint-Etienne-au-Temple (Marne) le moulin, avant 1900
fig. 29- Saint-Etienne-au-Temple (Marne) le moulin, après 1914
Le Moulin à vent de Juvigny (Commune Juvigny)
Le village de Juvigny se trouve à 11 km au nord-ouest de Châlons-en-Champagne. Le moulin à vent, situé à 90 m d’altitude, est établi sur un coteau à 600 m à l’est du village, et domine la vallée commune de la Gravelotte et de la Marne (fig. 30). Il est figuré sur la carte de Cassini en état de marche vers 1754-1758. Vers 1900, une carte postale permet d’apprécier l’originalité de ce moulin à vent de type pivot. Au niveau national, c’est l’un des très rares moulins de cette catégorie à être équipé de six « ailes Berton », à voilure variable. Il est alors tenu par la famille Goujard, de père en fils. En septembre 1914, le moulin est détruit par les Allemands.
fig. 30- Juvigny (Marne) le moulin-pivot équipé de six ailes Berton, vers 1900
Le Moulin à vent de Souain (Commune de Souain-Perthes-les-Hurlus)
Le village de Souain se trouve dans l’est du département, à 40 km de Reims. Le moulin à vent est situé à l’extrémité d’une longue col line, à 800 m à l’ouest du village de Souain. Placé à 156 m d’altitude, il domine la vallée de l’Ain. Il est figuré en état sur la carte de Cassini, vers 1757-1760. Du 18 au 21 septembre 1914, les villages de Souain et de Massiges sont enlevés. Le site, ceinturé de tranchées, est détruit au cours de la « Bataille de Champagne » entre le 24 et le 30 septembre 1915 (fig. 31). Alors en zone allemande, il est entièrement pulvérisé par les tirs d’obus. Il ne reste alors que la pièce maîtresse de l’axe moteur sur laquelle reste greffée une partie du grand rouet. Puis les troupes françaises s’emparent des tranchées ennemies. Lors de cet événement, l’affaire des caporaux de Souain défrayera la chronique. Quatre caporaux (1 breton et 3 normands), MM. Lefoulon, Maupas, Lechat et Girard ont été fusillés pour l’exemple. Ils ont été réhabilités en 1934. Au musée de Souain, une maquette du site reconstituant l’attaque du village en 1915, représente le moulin, de type tour , avec calotte tournante et ailes à toiles, à coterets.
fig. 31- Souain (Marne) les vestiges du moulin à vent après le bombardement, après 1915
Non loin de là, à 6,5 km à l’est, un autre moulin à vent, figuré sur la carte de Cassini vers 1757-1760, marquait aussi les monts de Champagne, le Moulin de Perthes-les-Hurlus. Equipé d’ailes Berton, il occupait le sommet d’une colline, à 1 km au sud-est du village, à la cote 193 m (fig. 32). Les Allemands le détruisent en septembre 1914. Au cimetière du village une meule marque la tombe d’Ernest, Marie, Louis et Pauline Simon.
fig. 32- Perthes-les-Hurlus (Marne) le moulin tour équipé de quatre ailes Berton, vers 1900
Les Moulins (Commune Saint-Soupletsur- Py)
Le village de Saint-Souplet-sur-Py se trouve à 37 km à l’est de Reims, dans la vallée de la Py. Vers 1757-1760, sur la carte de Cassini nous notons trois emplacements de moulins alimentés par la Py (fig. 33). Un se situe à l’est du village, et deux en aval du village. En 1914, l’armée française se replie à Saint-Souplet- sur-Py, les 30 et 31 août. Puis le village est occupé, tout au long de la guerre, par des régiments d’infanterie allemands appartenant à la 3e armée du général Von Hausen. Le village est partiellement détruit en 1915 et totalement rasé en juillet 1918. Les cartes postales nous montrent un moulin en état, et les ruines de deux autres dont il ne reste que les roues hydrauliques verticales à aubes en métal (fig. 34-35).
fig. 33- Saint-Souplet (Marne) un moulin en état, vers 1914
fig. 34- Saint-Souplet (Marne) un moulin ruiné, roue verticale à augets et mécanisme, après 1914
fig. 35- Saint-Souplet (Marne) un moulin ruiné, grande roue verticale à augets et soldats se lavant, après 1914
Moulin d’Aubérive (Commune d’Aubérive)
Le village d’Aubérive est situé à 32 km à l’est de Reims. Le moulin se trouve à l’est du village, en rive gauche, à 113 m d’altitude, à 100 m de l’église, près du pont enjambant la Suippe. Ce moulin à grain, qui a appartenu à l’Abbaye Saint-Pierre de Reims jusqu’à la Révolution, est figuré sur la carte de Cassini vers 1757-1760. En 1890, la famille Lorin achète le moulin. Une carte postale ancienne le représente avec deux niveaux et une roue verticale à aubes (fig. 36).
fig. 36- Aubérive (Marne) le Moulin d’Aubérive, vers 1900
À partir du 25 septembre 1914, une offensive se déroule sur le cours supérieur de la Suippe et la haute vallée de l’Aisne (fig. 37). Le village se trouve sur le front lui-même. Trois ans plus tard, lors de la Bataille des Monts de Champagne,
le 18 avril 1917, le village d’Aubérive est encerclé et détruit. Du moulin, il ne reste que la roue à aubes. La paix revenue, l’usine est reconstruite en béton armé. En 2012, le meunier reconstruit une roue hydraulique verticale en bois de 4,60 m de diamètre, en se référant à des plans conservés aux Archives Départementales de la Marne. Cette roue met en jeu une paire de meules en pierre produisant 130 kg/h de farine bio (L’union-l’Ardennais du 29.05.2012). En 2014, ce moulin, équipé de cylindres, produit 5000 tonnes de farine par an, et son aire de chalandise s’étend sur 150 km de rayon.
fig. 37- Aubérive (Marne) le Moulin d’Aubérive, après 1917
Le Moulin d’Heutrégiville (Commune d’Heutrégiville)
La commune d’Heutrégiville est à 20 km au nord-est de la ville de Reims, dans la vallée de la Suippe, à 2 km de la limite avec les Ardennes. Le moulin est établi à l’est du village, en rive gauche, à 86 m d’altitude, en amont du pont enjambant le bras principal de la Suippe. Figuré sur la carte de Cassini vers 1757-1760, il est incendié en 1885. Reconstruit, il est alors équipé d’une roue à aubes de 6 m de diamètre. Une carte postale présente le moulin avant 1914 (fig. 38), et une autre après sa destruction, à la fin de la guerre, après 1918 (fig. 39). Une troisième carte postale le représente en 1922, en pleine reconstruction (fig. 40). Édifiée en béton armé, l’usine comprend alors quatre niveaux et accueille une
minoterie à cylindres. Son activité meunière cesse en 1966. Machines et turbines hydrauliques sont encore en place. La restauration du moulin est lancée en 1985 et en novembre 2010, une nouvelle turbine est inaugurée. Le moulin d’une puissance de 16,5 kW est converti en usine électrique. C’est aussi un lieu culturel accueillant des expositions.
fig. 38- Heutrégiville (Marne) le Moulin d’Heutrégiville, vers 1914
fig. 39- Heutrégiville (Marne) le Moulin d’Heutrégiville dont il ne reste que la roue Zuppinger, après 1918
fig. 40- Heutrégiville (Marne) le Moulin d’Heutrégiville, reconstruit en béton armé vers 1922
3.2.3- Le Front des Ardennes et le Chemin des Dames
3.2.3.1- Département des Ardennes (08)
Les filatures (Commune de Rethel)
La ville de Rethel se trouve au sud du département des Ardennes, à 39 km au nord-est de Reims, sur les bords de l’Aisne. En 1827, l’industrie textile se développe et la ville de Rethel est célèbre pour ses fabriques de flanelle, de mérinos et de châles. La production atteint alors 61,8 km de drap par an. Le site des moulins est établi sur le bras nord de l’Aisne, à 72 m d’altitude, au contact direct de la vieille ville. En 1892, quatre filatures de laine, mues par la force hydraulique, occupent le site, à savoir les usines Grand-Jean, Hippolyte Noiret, Fournival-Lacaille et Poulet. En 1911, la ville de Rethel compte 5186 habitants (fig. 41). Prise par les Allemands, la ville est incendiée le 1er septembre 1914 et le centre anéanti (fig. 42-43). Elle est rasée à 80 % en 1918.
fig. 41- Rethel (Ardennes) les filatures sur les bords de l’Aisne, vers 1900
fig. 42- Rethel (Ardennes) les filatures et la ville rasées par les bombardements, vers 1900
fig. 43- Rethel (Ardennes) ruine d’une filature sur les bords de l’Aisne, vers 1914
3.2.3.2- Département de l’Aisne (02)
Le Moulin Walbaum (Commune de Pontavert)
Le village de Pontavert est à mi-chemin entre Reims et Laon, dans la vallée de l’Aisne. Le moulin à vent est situé à 28 km au nordouest de Reims, le long de la route qui mène à Craonne, à 1500 m au nord du village. Il a été bâti par Henri Louis Walbaum, sur un terrain où il possédait un « chalet ». La famille Walbaum, originaire de Westphalie en Allemagne, a fait fortune dans le Champagne en s’associant aux Heidsieck, et en travaillant également dans le secteur du déménagement et des transports.
Le Moulin à vent de Pontavert est un compromis technique et architectural singulier. La construction tout en bois représente un moulin tour, à deux galeries, de type hollando-allemand. La calotte tournante demi-sphérique et son papillon d’orientation automatique sont de type anglais (fig. 44). Quant aux ailes, à voilure variable, elles sont françaises, de type Berton, fabriquées par une famille de mécaniciens d’origine champenoise. Le moulin produit de l’électricité, au moyen de dynamos, pour assurer le fonctionnement des pompes à eau de la propriété.
fig. 44- Pontavert (Aisne), le Moulin à vent Walbaum, vers 1900
Durant la guerre 1914-1918, il est situé côté français, très près du front, dans le secteur du « Chemin des Dames ». En mars 1916, malgré les bombardements allemands, il reste intact alors que tout est ruiné autour de lui. Naît alors la rumeur du « moulin de l’espion ». Un français aurait renseigné les Allemands du haut du moulin, par des signes lumineux. Découvert, il a été exécuté. Le moulin reste encore debout après les combats de 1917 et sert d’observatoire aux soldats français
(fig. 45). Pour Francis Walbaum, descendant du propriétaire, le moulin a été détruit par le Génie français qui l’a fait sauter le 16 mars 1918 à 11 heures.
fig. 45- Pontavert (Aisne), le Moulin à vent Walbaum, vers 1917
Moulin à vent de Laffaux (Commune de Laffaux)
Le village de Laffaux se trouve à 12 km au nord-est de Soissons, sur un plateau, le long de la RN 2. Figuré sur la carte de Cassini vers 1760-1761, le Moulin à vent de Laffaux est situé à 172 m d’altitude, à 750 m à l’est du village. Durant la guerre, ce lieu est hautement stratégique. Dès septembre 1914, les Allemands s’en rendent maîtres. Le 5 mai 1917, les cuirassiers français prennent symboliquement le site du moulin (fig. 46). Ce fait d’armes, sans grande portée militaire, eut un retentissement médiatique considérable dans toute la presse nationale, et les plumes du moment s’en emparèrent (source Wikipédia 2014).
fig. 46- Laffaux (Aisne) l’emplacement du Moulin de Laffaux, après 1914
L’écrivain-chirurgien militaire Georges Duhamel évoque ce secteur dans Civilisation 1914-1917 par ces mots. « Une position comme le Moulin de Laffaux, c’est une épine au fond d’une plaie : ça entretient l’inflammation ». Après la guerre, le Moulin de Laffaux conserve sa notoriété. Roland Dorgelès en fait un des éléments essentiels de son roman « Le Réveil des morts » (1923), puisque le héros est hanté par le premier mari de sa femme, cuirassier tué le 5 mai 1917, jusqu’à ce qu’il se fasse raconter l’assaut par des anciens de la compagnie sur les lieux des combats. Bien plus tard, en 1945, c’est au tour de Louis Aragon d’immortaliser ce moulin :
« Créneaux de la mémoire, ici nous accoudâmes. Nos désirs de vingt ans au ciel en porte-à-faux. Ce n’était pas l’amour, mais le chemin des Dames, Voyageur, souviens-toi du Moulin de Laffaux ».
Parmi les moulins à vent détruits, il faut aussi citer le Moulin Pontois, dit de Vauclair, Commune de Bouconville-Vauclair, un moulin-tour de trois étages situé sur le plateau dominant, au nord, le village de Craonnelle. Il disparut au cours de la bataille qui se déroula d’avril à juin 1917.
Le Grand-Moulin (Commune de Vic-sur-Aisne)
Le village de Vic-sur-Aisne se trouve dans la vallée de l’Aisne, à l’ouest du département, à 16 km à l’ouest de Soissons. Le Grand Moulin, implanté à l’ouest du village, à deux pas de l’église, était alimenté par un canal dérivé, prenant l’eau du Ru d’Osier. Confronté à la pénurie d’eau en période estivale, il était équipé d’un moteur auxiliaire. La présence d’une cheminée en brique traduit l’existence d’une machine à vapeur (fig. 47). En mai 1918, le village est bombardé et le moulin détruit (fig. 48).
fig.47- Vic-sur-Aisne (Aisne), le Grand Moulin, vers 1900
fig. 48- Vic-sur-Aisne (Aisne), le Grand Moulin, après 1918
3.2.4- Front de Picardie
3.2.4.1- Département de l’Oise (60)
Le Moulin des Carmes ou de la Tour-Billebaut (Commune de Senlis)
La ville de Senlis se situe à 56 km au nordnord- est de Paris. Ce moulin était établi sur un bras de la Nonette, au sud de la vieille ville, à 52 m d’altitude. Il fut construit par les religieux Bons-Hommes le 4 avril 1358. Monté « à l’anglaise » en 1835, par Corège, mécanicien à Paris, il bénéficie d’une chute de 1,60 m, mettant en jeu une roue hydraulique à aubes, de 5 m de diamètre et 2,80 m de large. La mouture des grains est assurée par trois paires de meules de 1,33 m de diamètre (Graves, 1841, 257) (fig. 49). Le 2 septembre 1914, lors de la bataille de Senlis, le moulin, tout comme la ville, est incendié (fig. 50). Dans les premiers jours de novembre, le peintre aveyronnais Maurice Bompard, alors âgé de 57 ans, le peint en ruine et calciné, sur une toile de 0,46 m x 0,55 m, conservée au Musée d’Ile-de-France, à Sceaux (Hauts-de-Seine).
fig. 49- Senlis (Oise) le Moulin des Carmes, vers 1900
fig. 50- Senlis (Oise) le Moulin des Carmes, après 1914
Le Moulin de Louvet (Commune de Thourotte)
Le village de Thourotte se trouve dans l’est du département et la vallée de l’Oise, à 11 km au nord-est de Compiègne. Le Moulin de Louvet est alimenté par une dérivation du Matz, affluent de rive droite de l’Oise. Situé à 40 m d’altitude au nord de la commune, près du pont du Matz, il est détruit lors de la Bataille du Matz, le 10 juin 1918 (fig. 51). à son emplacement, se trouve aujourd’hui une usine de l’entreprise « Sun Chemical », spécialisée dans la fabrication d’encre, de pigments et de dispersants.
fig. 51- Thourotte (Oise) le Moulin Louvet, après 1914
3.2.4.2- Département de la Somme (80)
L’usine hydraulique Rochet-Schneider (Commune d’Albert)
La ville d’Albert se trouve dans le nord-est du département, à 30 km au nord-est d’Amiens. Le moulin primitif est figuré sur la carte de Cassini vers 1757. Il se situe au sud-est de la vieille ville, en rive droite de l’Ancre, à 65 m d’altitude, au nord-ouest du jardin public. Vers 1900, l’usine est dotée d’une hauteur de chute de 7 m, certainement l’une des plus hautes du département. Équipée de deux turbines hydrauliques, l’entreprise fabrique des bicyclettes, des motocyclettes et des machines à écrire (Informations Stéphane Mary) (fig. 52).
fig. 52- Albert (Somme) L’usine hydraulique Rochet-Schneider, vers 1900
Le 25 septembre 1914, pour stopper l’avancée des troupes allemandes vers la mer, le général de Castelnau, sous le commandement du général Joffre, lance une attaque frontale sur les positions ennemies, près d’Albert.
L’usine Rochet-Schneider est alors détruite et la chaussée encombrée de débris de toutes sortes (fig. 53).
fig. 53- Albert (Somme) l’usine hydraulique Rochet-Schneider, après 1914
Usine Bullot (Commune de Corbie)
La ville de Corbie occupe le centre du département, à 17 km à l’est d’Amiens, dans la vallée de la Somme. Un moulin est déjà figuré sur la carte de Cassini vers 1758-1759. L’usine Bullot est située au sud de la commune, sur un bras de la Somme, au pont de Ronne. Au début du XXe siècle, la force motrice est délivrée par une grande roue type Sagebien. Cette usine textile est équipée de 29 métiers à tisser les mèches de lampes à pétrole et de 26 métiers pour les mèches à briquets (informations Stéphane Mary). Employant du coton venant d’Amérique et du Bengale, l’usine est incendiée par l’aviation allemande le 22 mars 1918 (fig. 54). Une carte postale représente la famille Bullot, désemparée, posant devant
la seule partie de l’usine encore épargnée, la roue hydraulique Sagebien (fig. 55)
fig. 54- Corbie (Somme) vue générale de l’usine Bullot, après le bombardement du 22 mars 1918 (coll. S. Mary)
fig. 55- Corbie (Somme) l’usine Bullot, après le bombardement du 22 mars 1918. La famille du propriétaire et la grande roue Sagebien
Les Grands Moulins (Commune de Péronne).
La ville de Péronne se trouve à l’est du département, à 51 km d’Amiens, dans la vallée de la Somme. Les Grands Moulins sont situés au sud de la vieille ville, à la porte de Paris en rive droite du fleuve, à 50 m d’altitude. Déjà figurés sur la carte de Cassini vers 1758-1759, ils sont déjà transformés en minoterie vers 1900 (fig. 56).
fig. 56- Péronne (Somme) Les Grands Moulins, vers 1900 (coll. S. Mary)
L’usine se compose d’un grand bâtiment principal comportant cinq niveaux : un rez-de-chaussée surmonté de deux étages, équipé de 5 appareils à cylindres. L’ensemble est coiffé de deux niveaux intégrés dans la toiture, abritant le système de nettoyage et les stocks de grain. Sur le côté nord, une deuxième aile formée d’un bâtiment en brique est équipée de 5 autres appareils à cylindres (informations Stéphane Mary). En 1918, il ne reste que quelques pans de murs (fig. 57).
fig. 57- Péronne (Somme) Les Grands Moulins, après 1918 (coll. S. Mary)
Rapidement reconstruits en béton armé, après la guerre, les Grands Moulins offrent une configuration nouvelle, formée de trois bâtiments reliés entre eux par des passerelles enjambant les bras de la Somme (fig. 58).
fig. 58- Péronne (Somme) Les Grands Moulins, vers 1920 (coll. S. Mary)
Parmi les moulins picards sacrifiés au cours des combats de la bataille de la Somme, on peut aussi citer : les Moulins à eau de Nesle et de Laneuville-le-Bray et les Moulins à vent de Proyart et d’Englebelmer.
3.2.5- Front d’Artois et de Flandres
Départements du Pas-de-Calais (62) et du Nord (59)
Les moulins (Commune de Sainte-Catherine-les-Arras)
La ville de Sainte-Catherine-les-Arras se trouve dans le sud-est du département, en périphérie nord de la ville d’Arras, dans la vallée de la Scarpe. Le site des moulins est établi sur un bras de la Scarpe, à 60 m d’altitude. Il est figuré sur la carte de Cassini vers 1757. En 1900, il se compose de deux grands bâtiments ayant cinq niveaux, dont deux sous toiture (fig. 59). Le moulin est entièrement détruit au cours des batailles d’Arras en octobre 1914 et en avril-mai 1917 (fig. 60-61). En 1919, il ne reste que quelques pans de murs et une grande roue hydraulique type Sagebien, pratiquement intacte.
fig. 59- Sainte-Catherine-les-Arras (Pas-de-Calais) vers 1900
fig. 60- Sainte-Catherine-les-Arras (Pas-de-Calais) les ruines et la grande roue Sagebien après 1917
fig. 61- Sainte-Catherine-les-Arras (Pas-de-Calais), après 1917
Les Moulins à vent d’Achicourt (Commune d’Achicourt)
Sur la commune d’Achicourt se trouve le Moulin de la Tourelle, aussi appelé Moulin Accart, ou Moulin Hacart (fig. 62), du nom de son dernier propriétaire et meunier. Cette construction tronconique, avec base en pierre de taille et maçonnerie en brique, est détruite en 1916 et reconstruite en 1991. Un autre moulin (fig. 63), le Moulin de Neuville-Vitasse (improprement nommé d’Achicourt), de forme cylindrique, est lui aussi bâti en brique. Il a subi des tirs d’une rare intensité, restant toujours debout après avoir reçu plus de 200 obus.
fig. 62- Achicourt (Pas-de-Calais) Moulin Accart, après 1916
fig. 63- Neuville-Vitasse (Pas-de-Calais) le moulin à vent (improprement nommé d’Achicourt) après 1918
Parmi les moulins à vent détruits au cours des différentes batailles du front du Nord, figurent souvent les moulins pivots. Celui d’Hazebrouck (Nord) (fig. 64) est représenté totalement disloqué, les flancs éventrés, mais encore debout sur son pivot. Celui de Monchy- le-Preux (Pas-de-Calais) (fig. 65) est totalement jeté à terre lors de la puissante attaque allemande du 2 octobre 1914. Seul le pivot témoigne encore de l’emplacement du moulin. Du Moulin à grain d’Angres (en banlieue de Liévin) (fig. 66), il ne reste plus que quelques éléments de la roue à augets et des éléments du beffroi. Les Grands Moulins de Valenciennes (Nord), ou Moulin Gillars (fig. 67) ont été anéantis. Les silos de stockage du grain, réalisés en béton armé, ont résisté et sont restés debout malgré d’importants sinistres.
fig. 64- Hazebrouck (Nord) le moulin à vent, après 1918
fig. 65- Monchy-le-Preux (Pas-de-Calais) le moulin à vent, après 1914
fig. 66- Angres (Pas-de-Calais) le moulin à eau, après 1914
fig. 67- Valenciennes (Nord) la Minoterie Gillard, après 1918
épilogue : La Saint-Martin occultée par l’armistice
N’est-t-il pas symbolique que la Grande Guerre 1914-1918 se soit achevée sur un armistice, le 11 novembre 1918, jour de la Saint-Martin, fêtée depuis le Moyen-âge dans toute l’Europe comme la fête des meuniers ? De ce fait, la Saint-Martin n’est plus aussi lisible que durant les 10 siècles précédents. Le mot « Armistice » l’a occulté du calendrier. à nous de lui redonner toute sa force et son actualité.
Conclusion
La Grande Guerre 1914-1918 a provoqué la destruction de milliers de moulins à eau et à vent dans les zones de combats et à l’arrière de celles-ci. Des milliers de meuniers et d’usiniers sont morts pour la France. La Nation, entièrement mobilisée pour la défense de son territoire, a ainsi perdu une grande partie de ses forces vives, de son potentiel industriel, et de fait de son patrimoine architectural, technique et artistique. Fort heureusement, l’étendue du pays a permis de faire fonctionner des milliers de moulins à grain, à huile, et d’usines pour le service des populations locales et l’approvisionnement des armées. Certaines ont même tiré profit de cette conjoncture exceptionnelle. Dès la fin du conflit, l’administration, consciente du fait, engage une grande enquête sur les « bénéfices de guerre » réalisés par les entreprises. à ce niveau de réflexion, il est important d’insister sur un fait majeur de cette guerre.
Grâce à des dizaines de milliers d’usines et de moulins, décentralisés, grâce aux énergies renouvelables et principalement à l’énergie hydraulique et à l’énergie éolienne, aux moulins, l’économie de notre pays a tenu le choc. Très ponctuellement, la force animale a continué à servir d’appoint, pour certaines fabrications saisonnières et pour assurer de nombreux transports. Sans cela, notre pays n’aurait pu faire face, aussi longtemps, à l’ennemi. Cette situation n’est pas sans nous interroger sur le fonctionnement actuel de notre pays, son économie, la place de l’éolien et de son potentiel énergétique hydraulique endormi.
Cent ans après, en pareilles circonstances, comment fonctionnerait notre pays sans moulins ?
En 2014, comment se fait-il que notre pays ait pu devenir si amnésique et oublier le rôle millénaire des moulins dans son économie ? De quelles énergies pourrait-on disposer pour faire fonctionner le pays avec un système de production et de transport électrique hyper-centralisé, et nucléaire de surcroît ?
Notre Fédération se doit donc d’inviter au maintien en activité de tous les sites de moulins.
Ce travail pionnier n’est qu’une ébauche. Il est urgent que d’autres chercheurs le poursuivent.
Remerciements.
Membre fondateur de notre FDMF et longtemps contributeur de cette publication, je tiens à remercier les membres du Conseil d’Administration de la Fédération pour la confiance qu’ils m’ont accordée, en acceptant de donner une suite favorable à ma proposition d’un dossier de notre revue « Le Monde des Moulins » spécial « Moulins et guerre 1914-1918 ». Mes remerciements s’adressent tout particulièrement et chaleureusement au Président Alain Eyquem et à mes amis
de longue date, Dominique et Eric Charpentier et Stéphane Mary.
Jean-Pierre Henri AZéMA- Article paru dans le Monde des Moulins – N°50 – octobre 2014
4 commentaires
LE GUEN · 6 avril 2024 à 18 h 10 min
Bonjour,
Quelqu’un de ma famille a participé à la grande guerre et a laissé des photos du Moulin de Lenlis en 1915. Où se trouvait ce moulin ? Je ne le vois pas sur votre site.
Avec mes remerciements pur votre réponse.
DC · 9 avril 2024 à 9 h 37 min
Il se peut que le moulin fut ruiné, qu’il ait subit les affres de la guerre. Savez vous dans quelle ville votre grand père à combattu ?
GIGAUD Francis · 17 novembre 2022 à 17 h 18 min
Ce document est une véritable anthologie de la diversité des usages des moulins irriguant l’économie des territoires avant la 1° guerre mondiale. Diversité aussi des mécanismes employés avec l’air où l’eau.
Il illustre également l’immensité des destructions causées par cette guerre dans le quart nord-est de la France, un siècle après, la mémoire des tranchées nous a fait oublié le coût aussi de ces destructions. La fin d’un monde.
Enfin, quand en 2022 on parle de sobriété énergétique, on ne peut que s’interroger sur l’abandon totale de ces sources d’énergies diversifiées et présentes sur tous les territoires. Naturellement le changement climatique peut nous faire penser que pour l’avenir, l’énergie produite par les panneaux solaires sera plus fiable que celle de cours d’eau malmenés par les sécheresses.
FRAUD Didier · 7 août 2024 à 16 h 16 min
DE L’OPTIMISME !
Rien de plus précieux que l’énergie, l’intelligence, et la raison.
Le végétal n’est-il pas né de l’air et la lumière ?
L’ animal né de la nature n’a-t-il pas su se nourrir du végétal? Parfois aussi de ses congénères.
L’homme a d’abord cueilli le végétal et tué l’animal puis cultivé et élevé chacun d’eux pour nourriture et production.
La machine créé par l’homme est venu allégé ses efforts, en captant l’énergie des mouvements de l’eau de l’air , des molécules ou photons des uns et des autres;
par les sciences biologiques physiques chimiques et leurs confluences interactives récemment numérisées parfois avec précipitation.
Aux inquiétudes collectives prélevons les inquiétudes utiles,
,Par la collectes des patrimoines liés au moulins à eau, à vent aux rotors des éoliennes, aux turbines nucléaires, mais aussi aux charbons et hydrocarbures pour quelques temps encore gardons confiance en
l HOMME DE COEUR ET DE RAISONS;
Alors le mix énergétique sera optimisé au mieux dans un environnement reconnue à sa juste valeur.
Les fanatismes radicaux des environnementalistes violents et dangereux pour nos démocraties, galvanisés par des réseaux sociaux pervers retourneront dans le néant.
Défendons ensemble la vie de tous les moulins, source d’énergie physique et humaines pour une nourriture de l’esprit et de l’estomac.
Puissent les moulins à paroles numériques ou non, trouvés un cimetière accueillant.
Idées cherchent meuniers, pains cherchent farines, hommes cherchent nourritures.
Retroussons nos manches et alimentons nos neurones.
RENDEZ VOUS A LA MINOTORIE !