L’Association » Marseille – Patrimoine et Mémoire » (Jean-Marc Deveney et René Pierini) et Jean Noël Beverini de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille souhaitent appeler l’attention de « La Marseillaise » et de ses lecteurs sur le dernier moulin du Panier, installé en haut de la butte, très précisément Place des moulins.
à la suite de travaux de démolition d’un vieil entrepôt qui le cachait à la vue, le moulin est apparu. Tout autant surpris qu’admiratifs, les habitants si attachés à leur quartier, le plus vieux de Marseille, ont alors créé un collectif « Touche pas à mon moulin » et ont lancé une pétition pour la sauvegarde de cet élément de patrimoine historique et typiquement marseillais.
Un des derniers moulins qui fait l’objet des préoccupations du collectif. Photo prise en juillet 2012 © Anne Van den Steen
« Historique et typiquement marseillais », c’est précisément ce que révèle l’histoire du dernier moulin du Panier qu’ont mis en lumière Jean Noël Beverini et Marseille – Patrimoine et Mémoire. Ce moulin, contrairement à l’opinion communément admise, n’est pas simplement un vestige paysan de l’histoire de Marseille. Bien sûr, dès son
élévation au XVIème siècle (sur des fondations bien antérieures remontant au XIIIème siècle), le moulin est un moulin à grains et ses meules broient des blés pour alimenter (c’est le cas de le dire !) Marseille en farine et donc en pain. Mais notre moulin, un peu comme les chats, a eu plusieurs vies : le blé ne résume pas son histoire ; il eut aussi une fonction ouvrière au sens plein du terme, puis une mission technique. Trois vies successives ! Faut-il aujourd’hui toutes les trois les rayer de la carte ?
LA FONCTION PAYSANNE
Marseille, dès le Moyen-âge et au XVIème siècle, manque dramatiquement de blé. Les terres aux alentours sont plus propices à la culture de la vigne qu’à celle des céréales. Il faut importer du blé du pays d’Arles, du Languedoc, de Bourgogne et même de l’étranger et de l’autre rive de la Méditerranée. Ce sont alors les blés dits « blés de mer ». Les meules rondes qui servent dans les moulins d’alors viennent aussi d’Orient par voie de mer ; on les appelle les « meules des maures ».
Dix sept moulins s’élèvent alors au sommet de la butte du Panier, de la Roquette et de Saint-Laurent. Notre dernier moulin est le héros de cette belle histoire. Il a permis à nos Marseillais de se nourrir, c’est à dire de vivre, en un mot. En lui s’inscrit un pan original et unique de notre passé. C’est notre moulin nourricier ! Un enfant ôte-t-il la vie à sa mère qui l’a nourri ?
LA FONCTION OUVRIÈRE
On aurait pu penser que les nouvelles techniques de minoterie, apparues avec la première révolution industrielle, allaient entraîner la mort de notre moulin à la fin du XVIIIème siècle et au début du XIXème. Mais notre fameux moulin avait bien d’autres ressources dans ses ailes ! Si le blé allait maintenant ailleurs, de moulin à grains, il allait devenir « moulin à briques » ! De paysan le voilà devenu ouvrier. Marseille avait aussi besoin de briques pour ses constructions. La terre argileuse lui arrivait séparée, sous la forme de morceaux dégrossis de la taille d’un oeuf. Ces oeufs d’argile devaient être réduits en poudre pour ensuite être traités et devenir briques de construction ou briques réfractaires. Les mêmes anciennes meules à grains de notre dernier moulin se transformaient en « malaxeur – broyeur – mouleur », sorte de pétrin de deuxième génération. Après les avoir nourris, notre moulin participait à l’habitat des marseillais. Faudra- t-il aussi rayer de la carte ce dernier symbole ouvrier et méconnu du Panier ?
LA FONCTION TECHNIQUE
En 1821, très exactement le 9 décembre, notre moulin naît à sa troisième vie : il devient, en effet, support du télégraphe inventé par Claude Chappe. La place des moulins culmine à 42 m, endroit idéal pour y implanter le nouveau système visuel de communication. On installe au sommet d’une tour ou d’un clocher un mât vertical de 7 m de haut muni d’un bras principal pivotant (4,60 m) portant à chaque extrémité une aile de 2 m. Un système de transmission par cables et poulies permettait d’actionner différemment les ailes selon un code préétabli formant le message à transmettre. De tour en tour distantes d’une vingtaine de kilomètres, les informations pouvaient alors circuler en quelques heures à travers la France entière. Quel progrès par rapport aux communications par estafettes et chevaux !
Le télégraphe Chappe fut installé sur notre actuel dernier moulin du Panier le 9 décembre 1821, reliant Lyon, Marseille, Valence et Toulon. Alexandre Dumas dans son roman « Le Comte de Monte Cristo » décrit précisément le fonctionnement d’un télégraphe Chappe. Oui, Alexandre Dumas, et dans Monte Cristo !
Ce n’est donc plus une seule page de notre histoire que nous offre ce dernier moulin du Panier ; ce sont trois magnifiques récits toujours vivants. à chacun, en son âme et
conscience, de savoir si ces trois superbes et uniques pages qui sont les nôtres méritent d’être sauvées ou d’être passées à la » meule-broyeur » de l’oubli.
Jean Noël Beverini – Paru dans Le monde des moulins N°46 – octobre 2013
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