Blotti au fond de la vallée de la Dure (à 20 km de Carcassonne – Aude), le Moulin à papier de Brousses est le dernier moulin à papier en activité en Languedoc-Roussillon. Il perpétue l’activité papetière présente sur le village de Brousses depuis la fin du XVIIe siècle.
Acquis en 1877 par Paul Chaïla, papetier installé en aval du village de Brousses depuis 1820, la construction de cet ancien foulon remonte aux années 1800. En 1981, l’activité industrielle prend fin avec l’arrêt de la machine à papier.
Décembre 1993, l’Association du Moulin à papier de Brousses se constitue et entreprend la restauration du site.
Avril 1994, le moulin est ouvert au public 363 jours par an pour donner « à voir, à voir faire et à faire ». Aujourd’hui, la septième génération de la famille continue à oeuvrer pour perpétuer et transmettre un savoir-faire millénaire. Lieu incontournable de la découverte du papier, le Moulin est un musée vivant mettant en valeur les techniques anciennes et les moteurs hydrauliques, accueillant chaque année plus de 20 000 personnes dont plus de 2 000 scolaires.
Atelier permanent, le moulin fabrique des papiers uniquement faits main à base de lin, chanvre et coton (papiers chiffon) et des papiers originaux à base de fougères, orties, lavande, rafles de raisins…
La production, la plus originale est le papier à base de crottin d’éléphant ou de cheval permettant l’utilisation d’une cellulose extraite naturellement du végétal.
Chaque jour, des feuilles de papier réalisées à la forme à main sortent de l’atelier de fabrication pour répondre aux attentes des particuliers (faire-part de naissance, mariage, articles de correspondance) mais aussi des artistes (calligraphes, graveurs, peintres) et des maisons d’édition …
Quoi de plus magique que d’assister à la naissance d’une feuille de papier, une histoire d’eau et de fibres végétales, sous le geste précis du papetier !
Transmis par l’Association « le Moulin à papier de Brousses »
La farine de l’Esprit
Erik Orsenna, écrivain et spécialiste des matières premières, géographe et aussi grand voyageur, convie le lecteur à un nouveau voyage à la poursuite du papier dans cet ouvrage intitulé « Sur la route du papier ». Dans ce tome 3 « Petit précis de mondialisation » de la collection (voir références p 34), il rend hommage au papier qui, pendant plus de deux mille ans, fut l’unique support des textes des écrivains.
« Et l’intérêt grandit pour cette belle matière étrangère sur laquelle il est si bon, si doux, si facile d’écrire.
Pourquoi continuer de l’acheter aux Arabes ?
Ne pourrait-on pas la fabriquer nous-mêmes ?
L’idée vient d’aménager les moulins.
Ils s’ennuient l’hiver, quand ils n’ont plus rien à moudre, plus de blé, plus d’olives.
On va les occuper à faire du papier, l’autre farine, la « farine de l’esprit ».
Délissoir – Photo Le moulin à papier de Brousses
Pénétrons dans l’un de ces moulins et faisons connaissance avec le petit peuple qui y travaille sous la conduite d’un gouverneur.
Premier salut aux délisseuses. Ces femmes ont la charge de préparer la matière première, c’est-à-dire les chiffons. Elles les trient, les brossent, les décousent, les exposent au soleil pour les blanchir. Elles les découpent (les délissent) en lanières. Puis elles les portent au pourrissoir, de grandes cuves pleines d’eau où ils vont séjourner quelques semaines, le temps de bien macérer. La torture de ces malheureux chiffons ne fait que commencer.
Car voici qu’on les jette sous des marteaux de bois plantés de clous.
Maillets – Photo Le moulin à papier de Brousses
Au cours de quelques heures de ce traitement violent ne reste plus qu’une pâte. On la verse dans un bac, où, pour la délayer, l’attend de l’eau claire.
Alors intervient l’ouvreur.
Il tient en main deux instruments : Une forme, c’est-à-dire un châssis rectangulaire où se croisent les pontuseaux, des tiges de sapins, et les vergeures, des fils de laiton. L’ensemble fait tamis.
Une couverte, un cadre de bois dans lequel s’emboîte exactement la forme.
L’ouvreur est aidé d’un compagnon, le coucheur.
Ouvreur – Photo Le moulin à papier de Brousses
Ils plongent la forme dans la cuve pleine de pâte liquide.
Quand ils la retirent, l’eau s’écoule par les ouvertures du tamis.
La forme – Photo Le moulin à papier de Brousses
Coucheur – Photo Le moulin à papier de Brousses
Reste la matière.
Pour égaliser sa surface, l’ouvreur remue la forme d’avant en arrière et de droite à gauche.
Dans la forme, la pâte est devenue feuille.
L’ouvreur pose l’ensemble sur une table. Il applique un feutre. Puis, d’un geste vif, il retourne l’ensemble. La feuille repose désormais sur le feutre et commence à s’égoutter. La forme peut être enlevée.
Elle a rempli sa tâche.
La fabrication d’une autre feuille l’attend.
Lorsque la feuille aura séché, on pourra y voir la marque des fils, les vergeures. D’où l’appellation de papier vergé. Au XVIIIe siècle, on inventera le velin, obtenu grâce à des réseaux de plus en plus fins.
Deux bons ouvriers, un ouvreur et un coucheur, peuvent produire huit feuilles à la minute.
Intervient le leveur.
Car les feuilles regorgent d’eau.
Quand on en a empilé vingt-cinq, chacune séparée de la suivante par un feutre, le trio porte la pile sous une presse.
L’eau jaillit.
Séchoir – Photo Le moulin à papier de Brousses
Au leveur maintenant de séparer les feuilles, aidé par un vireur.
Le vrai séchage commence.
De nouvelles femmes apparaissent.
On les appelle des étendeuses car elles fixent les feuilles comme du linge, sur des cordes.
Dernière étape : le collage. Il s’agit d’enduire les feuilles d’une substance sur laquelle on puisse écrire, qui empêche le papier de boire l’encre.
La colle est de la gélatine, un bouillon d’os et de peau qui mijotent dans un chaudron. Un colleur y plonge, sans tarder, un paquet de feuilles.
Nouveau pressage.
Nouveau séchage.
Bienvenue au papier !
Geste du papetier – Photo Le moulin à papier de Brousses
Qui, plongé dans un vieux livre, sait encore le nombre de métiers nécessaires pour fabriquer la « farine de l’esprit » ?
Hommage aux délisseuses, aux couvreurs, aux leveurs, aux colleurs, aux étendeurs… Hommage aux gouverneurs de moulins !
Un certain nombre de passionnés perpétuent la tradition. Vous pouvez y apprendre à fabriquer le papier selon les anciennes méthodes« .
Erik Orsenna – Article paru dans le Monde des Moulins – N°51 – janvier 2015
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