Deux articles sont déjà paru sur le thème de l’huile d’olive dans le Monde des Moulins n°3 et 4. Cette fois-ci je parlerai de la fabrication de l’huile d’olive en partant du fruit, l’olive et de son traitement dans le moulin.
La France a une place particulière dans le monde des producteurs d’huile d’olive. Les grands pays méditerranéens ont des surfaces plantées d’oliviers infiniment plus vastes que notre pays, ils pourraient difficilement produire l’huile dans de petites structures. Chez nous, la limite climatique de l’olivier se confond ou presque avec celle du climat méditerranéen Les petits moulins peuvent encore exister et ont une place de choix. Ils sont une alternative à la production “de masse”.
La fabrication traditionnelle
Voyons ce qui se passe dans les petits moulins où le type de travail est artisanal et traditionnel. On les trouve de la Drôme provençale aux rivages de la Méditerranée, des Alpes Maritimes aux Pyrénées orientales.
Le temps de la cueillette
Qui dit fabrication d’huile d’olive dit olive, bien sûr et, en fait, jus de fruit. L’olive arrive à maturité bien après le raisin, les fruits peuvent alors être verts, noirs ou entre les deux, selon la variété.
Comme pour le battage jadis, comme pour les vendanges aujourd’hui encore, la cueillette des olives donnait lieu au rassemblement de la famille, des amis et, éventuellement, des ouvriers dans les grands vergers, dans une ambiance de froid, de travail, de partage et de fête. Aujourd’hui, elle rassemble les ouvriers de l’exploitation et des travailleurs saisonniers, pour la plupart venus du Maghreb (chaque année, suivant un parcours bien précis) de plus en plus concurrencés par la machine à cueillir les olives (qui fait tomber les olives en “vibrant les branches”).
Les petits oléiculteurs produisent pour la consommation familiale. L’un d’eux m’expliquait qu’il ne pouvait demander à ses enfants ou petits-enfants de venir parce qu’ils étaient trop loin, ils ne pouvaient “caser la cueillette” dans un week-end : “alors je fais ça à mon
rythme et je porte mes olives au moulin quand j’ai fini”.
Des animations autour de l’olive verte comme à Mouriès, dans la vallée des Baux, rappellent ce temps. Elles ont lieu quand les moulins sont ouverts et travaillent. Les olives nouvelles, à l’instar du Beaujolais nouveau, sont présentées et plus spécifiquement les olives cassées. Rappelons que les olives et l’huile d’olive sont les fruits et les productions de la fin de l’automne et du début de l’hiver.
L’engouement pour cette huile dont les bienfaits sont largement expliqués dans les médias, attire des curieux qui s’informent aussi des productions artisanales issues de l’olivier, des fruits et de l’huile (cela va des objets en bois d’olivier à des inventions alimentaires
surprenantes).
Moulin de Tourtour – Jean Arène – 40×60 – 1986 – Tandis que l’un des mouliniers écrase un « scourtin » pour briser la pâte de grignons durcie part la pression, son frère penché sur la presse, règle la tête de la vis qui pèse, par l’intermédiaire d’un petit madrier, sur une double pile de scourtins – Dessin paru dans Moulins de Provence n° 5 (1989)
Les olives au moulin
La cueillette terminée, les olives sont apportées “au moulin”. L’oléiculteur qui m’avait parlé de sa famille “éparpillée en France” expliquait aussi qu’il fallait choisir son moulin “parce que tous ne se valent pas ! Il y en a qui se disent moulinier et ils n’y comprennent rien, ils gâchent le produit !”. Les mots sont sévères mais chacun a ses critères, les manières de faire qui leur semblent indispensables pour faire une bonne huile.
S’il y avait une réelle formation, un apprentissage sérieux pour mener un moulin à farine (le métier de meunier ne s’improvisait pas !), il n’y a pas de formation pour les mouliniers (le meunier d’olives comme certains le nomment). Les manières de faire sont “volées” par les apprentis et d’autant plus que ce n’est pas un métier à plein temps qui suffirait à faire vivre un homme ou une famille. Par définition, nous sommes dans une activité saisonnière, souvent pratiquée par des agriculteurs, dans un temps où les travaux des champs sont moindres ou finis.
Le moulin est composé de l’atelier de fabrication de l’huile et, au-dessus, d’un grenier à olives de la surface approximative du moulin. Les murs, blanchis à la chaux, sont pourvus de rails verticaux qui reçoivent des planches de bois qui s’empilent pour former séparation avec l’espace voisin. Ainsi chaque producteur avait son nom et sa place dans le moulin, certains ont même été propriétaires de ces parcelles de greniers (comme le montrent des documents à Grans, près de Salon de Provence, qui désignaient des oléiculteurs propriétaires de trois trentièmes d’un grenier à olives par exemple). Aujourd’hui le principe est le même mais la multipropriété du grenier à olives a disparu. Les lots d’olives insuffisants pour une tournée (environ 250 kg) sont regroupés et chacun reçoit sa quote-part d’huile. Les olives vertes sont traitées dès leur arrivée, les olives noires sont entassées afin qu’elles chauffent avant d’être passées sous les meules du broyeur. Toute la science du moulinier est de connaître le moment où elles sont prêtes.
La fabrication traditionnelle proprement dite
La méthode traditionnelle pour la fabrication d’huile d’olive est celle qui respecte la succession de trois opérations : le broyage, le pressurage et la décantation. La question a souvent été posée et a longuement animé les conversations en Provence. Avec l’arrivée
des machines qui traitaient les fruits en circuit fermé, il a semblé plus logique et raisonnable de trouver une définition simple. Les olives arrivent donc dans un broyeur, une cuve à fond plat, aux bords relevés, dans laquelle tournent deux meules redressées. Un ouvrier à l’étage pousse les olives dans un conduit de bois qui les fait descendre dans le broyeur. Le bruit régulier du broyeur rythme le travail au moulin. Les olives écrasées pendant au moins une heure, sont réduites en une pâte homogène et compacte ramassée pour être placée dans ou sur des filtres. Une huile sourd du travail d’écrasement. Récupérée, elle est consommée sur place par ceux qui oeuvrent au cours d’un repas ou en apéritif sur du pain grillé. Elle a une saveur mémorable.
Certains moulins respectent scrupuleusement les manières anciennes et gardent, pour extraire l’huile, des filtres en forme de bérets (les scourtins) qu’ils entassent cinq par cinq, séparés par une plaque en fer blanc de la largeur du pressoir (il s’agit d’éviter que, sous l’action du pressoir, les scourtins ne glissent et ne partent, tels des pigeons d’argile, dans tout le moulin). Cette manière de travailler est abandonnée et ne subsiste que très rarement. A Tourtour, le moulin municipal, exploité par la commune et les employés municipaux est une véritable installation à l’ancienne.
Ailleurs, les pressoirs sont pneumatiques et la pression qu’ils exercent sur les scourtins est considérablement plus importante que dans les pressoirs à bras que nous avons décrits. Les scourtins ne forment plus des bérets en fibre de coco mais sont plats, en matière synthétique alimentaire, faciles à tenir propres, à entretenir d’une saison à l’autre. Les scourtins de coco que certains utilisent encore devraient être tous changés après chaque saison: ils ne peuvent être nettoyés complètement au regard des normes imposées aujourd’hui. Certains amateurs d’huile affirment pourtant qu’ils donnent un goût particulier et préférable à l’huile d’olive.
Le produit qui sort du pressoir, composé d’huile et d’eau de végétation, est envoyé dans des bassins de décantation. Au repos l’huile, plus légère, remonte à la surface pendant que l’eau reste au fond. C’est alors qu’intervient le “maître du moulin” qui n’est pas obligatoirement le propriétaire mais le spécialiste qui sait mener le moulin et surtout “cueillir” l’huile. Un objet grossièrement circulaire (nommé la feuille), en fer blanc, muni d’une poignée, très légèrement concave permet de ramasser l’huile à la surface. Le moulinier ne récupère pas l’huile comme on le ferait avec une louche, en fait, il passe la feuille juste sous la surface et fait glisser l’huile dans un récipient placé à côté de celui qui manoeuvre. Le moment délicat et tout l’art de l’homme consiste à cueillir le plus d’huile possible sans eau de végétation. Le geste est rapide et précis. Cette cueillette est souvent remplacée par un passage dans la centrifugeuse qui sépare plus sûrement les deux éléments. Elles sont de plusieurs types, les plus lentes sont réputées mieux conserver le goût de l’huile parce qu’elle n’est pas chauffée au contraire de ce qui se passe dans les plus rapides. Nous sommes dans le domaine des spécialistes et je ne doute pas qu’ils puissent faire la différence au moment des dégustations qui qualifient et
décrivent les huiles d’olives.
Il reste au consommateur de savoir quelle huile il préfère. Les produits artisanaux ont un goût plus marqué, plus fort et peuvent décevoir. Les huiles du grand commerce sont plus douces, moins typées. Il est important de s’informer car les prix restent ceux des produits haut de gamme. Il est vrai aussi que l’on en consomme moins, une cuillère parfume vite un plat ou une salade. Quelques précautions sont à prendre. L’huile d’olive se conserve à l’abri de la lumière et de l’air. Pour ma part je recouvre ma bouteille de papier aluminium et je remplace le bouchon par un bec versoir étroit. Les huiles d’olive supportent mal d’être utilisées pour la friture, elles perdent, à mon goût, une grande partie de leurs qualités gustatives.
Une seule échappe à cette limite, l’huile d’olive niçoise qui, au contraire, est réputée pour cette utilisation.
La méthode de fabrication de l’huile d’olive et ses déclinaisons telle que j’ai tentée de la présenter ici est donc artisanale et traditionnelle. Tout au long de la fabrication, les mouliniers ont eu le souci de choisir la méthode la plus efficace pour préserver le goût
des olives et celui du terroir, tout en adoptant des procédures que la technique permet d’utiliser sans trahir.
Hilda Dagincourt – Article paru dans le Monde des Moulins – N°16 – avril 2006
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