Le site des Moulins de France
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Aldo Leopold. Photo DR

À l’argumentation de la critique de la wilderness* par le philosophe Callicott* dans son article « Critiques contemporaines sur l’idée reçue de la wilderness », nous ajouterons l’exemple de nos rivières pyrénéennes vues par les instances de l’environnement, qui est en quelque sorte l’expression de la wilderness de la rivière.

La rivière des indigènes (ici rivière des Pyrénéens)

« C’est une nature depuis longtemps transformée par l’homme, en constante évolution… »
une rivière aménagée depuis le Moyen Âge avec la construction de chaussées et infrastructures de moulins, pour utiliser l’énergie de l’eau : moudre le grain (pour la nourriture), scier le bois (pour l’habitat), actionner les forges et les martinets (pour fabriquer des outils pour cultiver, pour couper le bois et travailler les matériaux, et aussi des armes pour se défendre), fouler la laine (pour se vêtir)…
un milieu poissonneux qui assurait un complément de nourriture à ces gens de la terre et à quelques pêcheurs venus de la ville proche (Toulouse), et ceci jusqu’au milieu du XXe siècle
un milieu où on prélevait, à l’étiage, les matériaux (galets, graviers, sable) nécessaires à l’édification des maisons…

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La chaussée sur le Touyre (Ariège), à Laroque d’Olmes, alimentait plusieurs moulins et usines de textile. Photo Patrick Suilhard

L’homme assurait ainsi les conditions indispensables à sa survie.
Un milieu naturel dans le sens où l’homme faisait partie de la nature, participait à son évolution : un homme-castor avec ce regard interne de l’homme sur la nature, avec ce reste de culture païenne, relation privilégiée de l’élément homme à l’entité nature, avec cette conscience d’être au sein et non au-dessus de cette nature, milieu à la fois fragile et redoutable qu’il faut soigner et craindre, mais encore milieu restreint qui oblige au respect des ressources de l’environnement et où l’homme ponctionne juste ce qui lui est nécessaire sans perturber le milieu dont il dépend.

La rivière vue par les urbains

« …les européens arrivés dans le Nouveau Monde, le trouvèrent « en l’état sauvage » … »

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L’une des chaussées du Carla-de-Roquefort (Ariège). Photo Patrick Suilhard

Au milieu du XXe siècle, l’exode rural se termine, la campagne s’est vidée, et la majorité de la population vit dans les villes. Depuis lors, les gens de la ville (milieu artificiel) redécouvrent (et ce de plus en plus) la campagne, en particulier nos montagnes, comme milieu naturel, les autochtones devenant les indigènes, autrement dit les indiens, ce qui a été ainsi ressenti par les populations locales lors du projet de création chez nous d’un Parc Naturel Régional. Et maintenant, c’est ce même regard qui est porté sur nos montagnes pyrénéennes quand on parle de l’ours ou de la pêche. Nos instances environnementales sont une émanation de cette majorité urbaine et elles sont dans ce concept de wilderness. Or, elles ont le pouvoir de gérer un monde qui leur est devenu étranger, et voici ce qu’il en est advenu de la rivière : sous la pression du lobby des pêcheurs, de plus en plus nombreux dans la deuxième moitié du XXe siècle, c’est le poisson qui est devenu le sujet principal de l’étude de cet environnement, d’où une étude scientifique et technique de l’écosystème de la rivière, ici rivière à truites.
Étude de la truite, salmonidé dont le comportement migrateur (localement) est invoqué pour restaurer la libre circulation piscicole ; étude en laboratoire à partir d’observations de techniciens sur le terrain, excluant celles des autochtones et sans retenir leurs remarques relatives aux changements : diminution de la population piscicole et moindre vigueur des individus pour remonter les chaussées…
« …Le mythe américain de la wilderness exalte le pionnier mais occulte les Indiens ». Ici, le pionnier, c’est le chercheur scientifique, le technicien de l’environnement ; les Indiens, ce sont les gens du cru, les vieux.
Ainsi semblent être ignorées l’évolution du milieu (problèmes de pollution, de débit, de surpêche…), l’évolution même de la truite qui, au cours des temps, est passée d’un régime de migration mer-eau douce à une migration plus limitée, restreinte aux eaux douces, en remontant à la recherche de milieux favorables à la reproduction, et l’accélération actuelle de cette évolution qui rend la truite quasiment sédentaire dans nos bassins d’élevage où on amoindrit (voire on élimine) la sélection naturelle qui permettait d’avoir une truite sauvage capable selon sa taille et sa vigueur de remonter des obstacles.
Forts de leur connaissance (au dire d’un technicien : des tonnes de documents, de bases de données, des bibliothèques entières, impossibles à communiquer tant était grand leur volume) qui leur donne une supériorité dirons-nous ethnocentrique, ces hommes, représentant ce savoir scientifique et technique de l’environnement, se sentent le devoir d’intervenir et de protéger ce « milieu naturel » qu’ils découvrent et s’approprient pour en faire « un musée vert » destiné aux pêcheurs du dimanche…

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Eaux limpides. Photo Patrick Suilhard

Donc, retour à une nature « primordiale », « primitive » 

Dans cette démarche, il faut commenter celle qui considère la qualité de l’eau, avec en corollaire le programme d’assainissement, plus que nécessaire.
Car à l’étiage, époque des vacances, c’est l’invasion (pouvant être surpopulation) des campagnes par les gens de la ville, grands consommateurs d’eau potable et d’eau chaude pour une hygiène exacerbée par une hantise de la saleté et une peur du microbe, du vivant qu’on ne voit pas. Elles sont l’expression du syndrome de Macbeth chez ces gens qui veulent enlever une tache originelle, se défaire de cette origine terrienne pour être homme civilisé dans un monde artificiel confiné, que l’on stérilise. Alors, il est déversé effluents et produits chimiques dans une rivière parfois quasiment asséchée, provoquant des pollutions biologiques, chimiques, thermiques…
Le traitement des pollutions ménagères est déjà bien difficile. Or, il reste beaucoup à faire au niveau des comportements agricoles profondément perturbés par des politiques productivistes incitant à l’emploi de pesticides, herbicides, engrais, produits chimiques qui, lessivés par les eaux, vont à la rivière.

Retour à une nature « primitive » 

On parle dans les textes de « renaturation », « renaturalisation », avec au programme rétablissement de la continuité écologique :

Libre transit des matériaux que charrie la rivière
On parle de transparence : évacuation des matériaux de l’amont vers l’aval qui, pour un barrage, peut être très importante (jusqu’à la vidange) et traumatisante pour la vie de la rivière (jusqu’à sa mort pendant des années comme cela s’est produit il y a dix ans pour la visite décennale du barrage de Castillon en Ariège), hydroélectricité à partir de grands ouvrages oblige, pour satisfaire la demande et bénéficier de la réactivité du système…
Mais, par ailleurs, règlement drastique sur les prélèvements que voudraient effectuer les autochtones, comme cela se faisait autrefois en été, alors qu’après quelques orages, le lit reprenait son aspect antérieur par rétablissement de l’équilibre et que les truites pouvaient installer sans dommage, à l’automne, leurs frayères dans les endroits propices.

Libre circulation piscicole, par équipement de passes à poissons ou effacement des chaussées 
passes à poissons 
– inutiles, puisque à l’époque de nos grands-pères, il y avait des « digues » (chaussées) et des truites, des truites qui sautaient les obstacles et remontaient la rivière 
– qui produisent un effet contraire à celui attendu : les passes à poissons deviennent des distributeurs de poissons pour les hérons, nouveaux prédateurs qui viennent s’installer dans nos régions
effacement des chaussées, autrement dit destruction des chaussées : il serait prévu la suppression de 40 000 chaussées en France, ouvrages déclarés inutiles. Or, ces chaussées font maintenant partie intégrante de l’écosystème (« une nature depuis longtemps transformée par l’homme, en constante évolution… et il est impossible de se référer à un équilibre que l’on pourrait qualifier d’originaire »). Ici, l’homme a construit, à l’exemple des embâcles naturels, ces seuils de moulin qui sont dans le sens d’une évolution vers un équilibre temporaire à l’échelle géologique, et les supprimer d’un seul coup peut déclencher des « catastrophes » :
– problèmes d’érosion sur des parties riveraines qui sont depuis longtemps aménagées (villes, villages installés au bord des cours d’eau, ponts …)
– perte de l’effet de régulation des débits lors des grosses crues car les chaussées peuvent permettre l’étalement des eaux sur le lit majeur et ainsi amoindrir et retarder les inondations à l’aval dans les plaines où se situent les grandes villes.
La rivière fait lien entre cette partie qu’est la montagne à la wilderness originelle et la partie basse civilisée.

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Le Douctouyre par temps de crue (Ariège). Photo Patrick Suilhard

 

Le classement des rivières

Cette volonté de continuité écologique amène à des découpages de rivières pour leur classement. Ainsi, par le jeu du découpage, on ignore un barrage (juste en amont d’une confluence) et on établit la continuité écologique sur l’affluent, dirons-nous encore sauvage. Ce faisant, on raccorde une zone aval perturbée par des débits anarchiques qui empêchent l’ensemencement naturel et demande un alevinage en truites d’élevage, à un affluent en amont sain, et on y projette une pollution génétique.
Ceci fait apparaître la dualité de la rivière, mode wilderness, et de la rivière aménagée à des fins productivistes d’énergie (tributaires des fluctuations en des temps très courts du marché et donc des tarifs), avec un compromis entre lobbies (pêche, grande hydroélectricité) qui, en fait, aggrave la situation (extension des désordres génétiques et hydrodynamiques), et met en porte-à-faux l’application de cette idée de renaturation-wilderness, car ce n’est plus la nature qui fait la loi.

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Les pécheurs procèdent à un alevinage sur une rivière classée liste 1. Photo Patrick Suilhard

 

Ces exemples illustrent « cette gestion interventionniste de la wilderness qui va au rebours de sa définition ; il faut bien des artifices pour que sa physionomie ne change pas, pour qu’elle semble se conserver en son état d’équilibre ». Cette gestion peut être catastrophique, puisqu’elle rompt des équilibres et libère des énergies qu’il est impossible de maîtriser.
L’exemple de la rivière et de ses aménagements pour les moulins et ces extraits de « Les philosophies de l’environnement » de C. Larrère* font passer de cette réflexion de bon sens paysan (paysan qui fait le pays), avec une logique qui permet l’adaptation de l’homme à son milieu), à une réflexion philosophique (émergence d’un milieu intellectualisé) qui doit être à la base (en amont) de toute prospective d’avenir de pays. Ils montrent la nécessité, pour les instances qui refont le monde, de prendre en compte dans leur étude sur l’environnement le savoir indigène paysan, ainsi que cette réflexion plus édulcorée qu’est la pensée philosophique.
Les auteurs du projet de classement des cours d’eau, dans leur but louable de conservation et de restauration de la biodiversité, ne doivent pas sombrer dans le mythe de la wilderness en faisant fi du rôle, au cours des siècles, des Pyrénéens autochtones qui ont façonné cette nature et l’ont domestiquée. Le classement de la majorité des cours d’eau revient à sanctuariser la montagne en figeant toutes les possibilités de développement futur d’une petite hydroélectricité à taille humaine tout à fait compatible avec le respect de l’environnement, comme l’avait été en son temps le foisonnement des moulins pour l’exploitation de l’énergie hydraulique.
Ils se comportent comme les conquérants du Nouveau Monde, venus imposer leur conception de la « nature sauvage ».
« L’idée de la wilderness est associée à un équilibre écologique démodé, et ignore l’impact écologique d’au moins 11000 ans d’occupation humaine aux Amériques et en Australie. Finalement, l’idée de la wilderness perpétue la séparation prédarwinienne de l’homme et de la nature ». Selon Callicott, le concept alternatif de « réserve de biodiversité » exprime plus clairement le rôle essentiel de ces zones dites « sauvages » dans la conservation actuelle de l’habitat des espèces autres que l’Homme qui ne coexistent pas bien avec lui. (USDA Forest Service Proceedings RMRS-P-15-VOL-1. 2000)
L’équipement systématique en passes à poissons ou la destruction de nos anciennes chaussées reviennent à oublier l’impact écologique de ces chaussées non équipées, qui s’est instauré au cours des temps. Elles sont le prélude à des désastres écologiques tout à fait parallélisables à ceux qu’a engendrés la politique de remembrement, qui était pourtant aussi respectable dans ses objectifs que l’est notre actuelle politique environnementale de gestion des milieux aquatiques, et garantie par les mêmes affirmations de cautionnement scientifique. Respectable, mais erronée. Et lorsqu’on s’en apercevra, il sera malheureusement trop tard, et les dégâts à l’environnement seront pour la plupart irréversibles.
Ainsi que l’écrivent Callicott et Nelson (The Great New Wilderness Debate, 1968), « the wilderness idea is alleged to be ethnocentric, androcentric, phallogocentric, unscientific, unphilosophic, impolitic, outmoded, even genocidal »

Il est bien tentant de transposer (avec les limites qui s’imposent) cette réflexion à notre problématique :
Ethnocentric : le concept de la “renaturation”, calqué sur celui de la wilderness, est loin d’être universel, mais lié à un certain type de culture propre à un groupe social.
Androcentric, phallogocentric… autrement dit machiste : dans la mesure où nos administrations ont un comportement de dominateur par la puissance dont elles disposent et parfois abusent.
Unscientific : le concept de la « renaturation » ne repose sur aucune réalité avérée scientifiquement mais sur des études partiales, tronquées ou encore éloignées de la véritable démarche scientifique, et enfin insuffisantes ou cantonnées à certains aspects.
Unphilosophic : l’idée de wilderness est un leg de la théologie puritaine dont le dualisme de l’homme et de la nature occupe le cœur. Dans ce qu’on peut appeler la théologie néo-puritaine de la Nature, l’Homme et ses œuvres sont péché, la Nature est pure et divine.
Le programme de renaturation tend ainsi à exclure les activités humaines tributaires de seuils et de barrages. Mais il est ambigu, car certaines activités humaines comme la pêche ne sont pas exclues.
Impolitic : l’idée de wilderness est politiquement suspecte. Elle a servi à asseoir la notion d’« American character », avec sous-tendu, selon Aldo Leopold 1998, le racisme.

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La renaturation des rivières servirait-elle aussi de prétexte pour affirmer une évolution politique vers une conversion écologique, dont la réalité est suspecte tant sont contradictoires les objectifs affichés ? Quant au « racisme », on peut le ressentir (toutes proportions gardées) par la ségrégation opérée dans les simulacres de concertation, à l’encontre des associations de riverains et du monde des moulins qui pèsent très peu dans les débats où ils sont pourtant les premiers concernés.
Outmoded : les zones de wilderness ne doivent plus être considérées comme des zones sauvages récréatives, mais comme des réserves de biodiversité.
Le programme de renaturation ne va pas jusque là ; même s’il tend à créer des réserves de biodiversité (« réservoirs biologiques »), il ne semble pas question de supprimer leur rôle récréatif. À preuve : y interdira-t-on la pêche ?
Genocidal : la renaturation proposée n’entraînera pas bien sûr de génocides, contrairement à ceux commis sous couvert de la wilderness. Mais elle conduirait à éradiquer
40 000 seuils (chiffre qui a été avancé, même s’il tend maintenant à être minoré), à comparer au total de
55 000 seuils et barrages recensés, et à quasi-annihiler un patrimoine molinier ancestral (génocide culturel). C’est une pure folie !

En conclusion, une analyse philosophique de la wilderness est loin d’être anecdotique. Pour peu qu’on y réfléchisse, la renaturation des rivières avec son préambule, le classement, telle qu’elle est présentée et soumise à notre approbation, est singulièrement empreinte des mêmes travers que la wilderness dont elle s’inspire sans le savoir. Suivrons-nous une fois encore un modèle américain dont on peut apprécier avec le recul l’ambiguïté, voire la perversion ?
Ce qui est grave, c’est que notre monde des moulins en sera la première victime. Aussi devons-nous affirmer avec force que le classement en liste 1 de la majorité des ruisseaux et rivières de montagne, tout à fait logique quand on se réfère aux critères de très bon état qu’ils satisfont souvent, ne doit pas, sous le prétexte d’un prétendu non-respect de la continuité écologique, aller de pair avec l’interdiction :
• de créer de nouveaux ouvrages du type de ceux qui ont existé par le passé, modestes et bien adaptés à l’environnement (de nombreux sites anciens sont réutilisables)
• d’implanter une petite hydroélectricité, soit sur ces nouveaux ouvrages, soit par reconversion de moulins existants, soit par réhabilitation de chaussées orphelines et aménagements complémentaires, car le potentiel hydroélectrique brut y est énorme. Or les prospectives ne s’intéressent qu’aux programmes d’une certaine importance, ce qui amène à conclure, vu l’état proche de la saturation et l’implantation des sites aménageables correspondants, que le classement avec ses interdictions affectera peu ces programmes. Se condamner ainsi à se priver de la petite hydroélectricité est une erreur fondamentale qui pèsera sur notre avenir.
• de remettre en fonction d’anciens moulins pour des activités traditionnelles
• de créer tout autre ouvrage qui n’apporte pas de désordres significatifs à l’environnement (selon une évaluation scientifique impartiale).
Les critères de continuité écologique devraient être revus à la lumière de nos remarques exposées plus haut, pour l’ensemble des cours d’eau et pas seulement pour ceux classés en liste 1. Il faut souligner que ces critères exigés pour les chaussées ne sont pas remplis par bien des ruisseaux de montagne classés en liste 1, qui comportent naturellement des seuils rocheux, alors que, de fait, ils ne font pas obstacle à cette continuité. Voilà bien la preuve que les critères exigés pour les chaussées sont excessifs et irréalistes. En particulier, les ruisseaux en question n’ont évidemment pas de passe à poissons règlementaires sur leurs tronçons entièrement naturels, et leurs seuils rocheux entraînent un régime hydrodynamique qui peut être plus perturbant que celui qui existe en présence d’une chaussée établie de longue date : or une perturbation qui ne répond pas aux critères de continuité de l’Administration sera acceptée pour un seuil de cours d’eau en raison de son caractère naturel, alors qu’elle ne le sera pas pour une chaussée. De plus, ces critères ne sont pas codifiés, ne font pas l’objet d’un consensus, et sont donc la porte ouverte à des abus. En outre, on peut même aller jusqu’à dire qu’un seuil naturel ou une chaussée ancienne ne peuvent être perturbants, car au sens strict une perturbation résulte nécessairement d’une modification de conditions préexistantes. Par contre, un nouvel obstacle artificiel sera certes perturbant à court terme, mais il convient d’examiner la situation à moyen terme et de considérer l’étendue réelle de sa zone d’influence. Seuls devraient être considérés comme perturbants, selon un degré à préciser impérativement, les ouvrages entraînant des modifications instantanées ou rapides du transit solide et des conditions hydrodynamiques, dont certaines peuvent effectivement impacter l’« hydromorphologie » : ainsi, ceux dont le mode de gestion implique des éclusées, des transparences, des vidanges, mettant en jeu des fluctuations importantes de débit et de charge. Ceci n’est pas le cas des moulins fonctionnant au fil de l’eau.
En résumé, dans une logique de cohérence, si un cours d’eau en liste 1
ne satisfait pas à la totalité des critères exigés pour les ouvrages, soit il devrait être déclassé, soit les ouvrages interdits ne devraient plus l’être systématiquement.
Une certaine idéologie ne doit pas dicter les règles. Seules l’observation, l’expérience, et une analyse rigoureuse doivent permettre un classement objectif, conciliant le mieux possible et sans exclusion les divers intérêts.

* wilderness : mot «intraduisible», si ce n’est de manière approchée par « sauvageté », s’appliquant à un territoire délibérément (mais faussement) considéré comme exempt d’occupation humaine permanente.
« Une wilderness, à l’opposé de ces zones où l’homme et ses propres œuvres dominent le paysage, est par là-même reconnue comme une zone où la terre et sa communauté de vie ne sont pas entravées par l’homme, où l’homme lui-même est un visiteur qui n’y reste pas » (Wilderness Act de 1964, Public Law 88-577).
Cette notion de wilderness a un retentissement considérable, car elle sert de fondement à l’identité américaine, l’«American-character ». Théodore Roosevelt était partisan de la préservation de la wilderness en se fondant sur la « thèse de la frontière » de l’historien
F. J. Turner ; pour conserver l’American-character, il a voulu garder un simulacre de frontière car, comme Callicott l’écrit : « Après des générations de contact avec la frontière sauvage, les Européens du Nord-Ouest transplantés sont devenus une nouvelle sorte d’homme étant à la face du monde, un Américain. Ou on pensait cela ». La wilderness est enfin inséparable du concept attractif d’« aventure américaine ».

* John Baird Callicott (1941-) est Professeur de Philosophie et d’Études des Religions à l’Université du Nord-Texas. Il est un pionnier de l’Éthique de l’Environnement et de la protection de la biodiversité.
J. B. Callicott « Contemporary criticisms of the received wilderness idea » USDA Forest Service Proceedings RMRS-P-15-VOL-1. 2000

* Catherine Larrère « Les philosophies de l’environnement » PUF 1997, pp. 92-93

– AMA : Association des Moulins de l’Ariège
– ARAM-MT : Association Régionale des Amis des Moulins du Midi Toulousain

Un grand merci à Philippe Bellan (membre de l’AMA et de l’ARAM-MT, malheureusement aujourd’hui décédé) pour l’intérêt qu’il a porté à ce sujet qui lui était déjà familier, pour son aide précieuse dans la recherche documentaire, et sa relecture du manuscrit.
Merci à Bernard Duperrein, de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, responsable du Certificat International d’Écologie Humaine, qui nous a fourni le déclic dans cette idée de rapprocher les concepts de la « wilderness » américaine et celui de la « renaturation » des rivières.

Christiane et Marc MEURISSE, AMA – Article paru dans le Monde des Moulins N° 60 avril 2017

Catégories : Législation

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