Le site des Moulins de France
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La continuité écologique a été imposée dans la traduction française de la DCE 2000 comme la panacée pour la reconquête de la naturalité des cours d’eau. Les expériences de terrain montrent cependant que, plutôt que d’affirmer en préalable une réponse contestable et contestée à postériori, il est essentiel de se poser de bonnes questions et de ne surtout pas reculer devant la complexité du problème.

Concernant l’état des lieux

Avant toute décision concernant la continuité dite écologique : passe à poisson, arasement ou blocage d’aménagements, il est indispensable de disposer de tous les éléments de l’histoire.

La réalité géographique

Combien de seuils sont présents sur le cours d’eau ? Quels usages ont-ils ? Sont-ils gérés et dans quel état de fonctionnalité ?

Histoire : Depuis quand sont-ils là ? Et quels usages ont-ils eu, surtout à partir des années 1850 (révolution industrielle). Sont-ils isolés ou ont-ils eu, historiquement, une activité préférentielle sur le bassin ?

Quelles ont été les différentes phases d’évolution : disparition de l’usage et/ou de l’entretien des ouvrages hydrauliques (moulin, scierie etc.) ou modification de l’usage (irrigation, hydroélectricité) ?
Pourquoi ? Parce que la réflexion doit être plus approfondie si les seuils sont nombreux et s’ils sont anciens, car de nouveaux équilibres se sont installés au cours du temps et la reconquête opérationnelle pour les migrateurs, amphihalins ou non, reste une hypothèse.

La réalité morpho-dynamique du cours d’eau

Débits : connaît-on les débits et leur calendrier annuel ? Les débits ont-ils évolué de mémoire d’homme : étiages renforcés, crues plus fréquentes ? Est-ce l’effet du changement climatique ? Pour rappel, les « tableaux 1 » (de 1862 à 1920) des états statistiques et les états de taxe de statistique (1920 à 1945) donnent les débits constatés par l’administration.
Pourquoi ? Parce que, si les conditions estivales ou hivernales sont régulièrement incompatibles avec la survie des espèces, il peut être inutile ou hasardeux d’engager des financements, qu’ils soient publics ou privés, pour la continuité écologique.

Occupation du sol et activités : les rives du cours d’eau ont-elles fait l’objet de changement d’usages (prairies, forêts puis cultures, par exemple) ? Y a-t-il un lien entre la pédologie des champs environnants de fonds de vallées et de bassin et les sédiments présents dans le cours d’eau ou derrière les seuils ?
Pourquoi ? Parce qu’il peut être dangereux d’assurer un transfert vers l’aval de sédiments non adaptés au cours d’eau et à la vie aquatique : colmatage, transferts de pollutions, etc.

Le fond et les berges : la nature du fond du cours d’eau correspond-elle à la réalité des débits (capacité de transport etc. zone de dépôt ou d’érosion, etc.) ? La dynamique sédimentaire est-elle connue ? La pente du cours d’eau est-elle connue et à quelle échelle géographique ? (cf : service IGN des fiches géodésiques)
Pourquoi ? Si les débits n’assurent plus un renouvellement sédimentaire, et donc un renouvellement des habitats, ces derniers peuvent rapidement être incompatibles avec la vie aquatique.

Les berges sont-elles anthropisées ou naturelles ? La ripisylve est-elle significative, réduite ou inexistante ?
Pourquoi ? Si la ripisylve est absente ou peu adaptée, la faune ne trouvera plus les abris racinaires ni les supports de ponte aériens pour les insectes.

La réalité biologique

Hier : quels poissons fréquentaient le cours d’eau ? Y avait-il des grands migrateurs (aloses, saumons, lamproies, anguilles, etc.) ?

Et aujourd’hui, comment se porte la population ?
Connaît-on l’origine et la date de leur régression-disparition ? Pollution, construction d’un barrage, pêche, etc. ?
Pourquoi ? Parce que, si certaines espèces n’étaient pas présentes, il y a des raisons, et il est illusoire de vouloir les introduire.

Aujourd’hui : quels poissons sont présents de façon pérenne, c’est-à-dire qu’ils se reproduisent, se nourrissent et s’abritent naturellement et ne font l’objet d’aucun alevinage ou introduction volontaire ou non ? S’il y a une différence entre hier et aujourd’hui, connaît-on la cause de l’évolution ? Sa date ?
Aujourd’hui : connaît-on les pratiques piscicoles (alevinages ou autre) et halieutiques ?
Pourquoi ? Parce que, si les populations ne sont pas en situation de survivre sans intervention humaine, il est inutile ou hasardeux d’investir, sauf à vouloir favoriser un usage particulier (pêche par exemple), ce qui n’a rien à voir avec la biodiversité.
Connaît-on la qualité des peuplements d’invertébrés aquatiques ? (Même si, en principe, ce point devrait être connu, puisque les classements au L 214-17 l’exigeaient.)
Pourquoi ? Parce que, si les populations d’invertébrés, qui sont la source de l’alimentation des poissons, entre autres (des copépodes aux insectes, etc.), sont affaiblies ou déséquilibrées, signe de la perturbation du milieu, il est essentiel de se préoccuper de ce problème avant d’engager toute autre démarche.

REPRODUCTION EN EAU DE BONNE QUALITE

En eau claire, sur des graviers de bonne dimension

En eau bien oxygénée

Bien pourvue en larves et insectes

Favorable au renouvèlement des espèces aquatiques

 

La réalité de la qualité des eaux

La qualité chimique des eaux est une des conditions primordiales de la continuité écologique. Il y a sur ce point des lacunes très importantes de l’administration : par exemple le site « CartOgraph’ Eaufrance » permettait, jusqu’en novembre 2020, d’obtenir « l’état chimique », bon ou mauvais, d’un cours d’eau. Depuis la refonte du site à cette date, ce n’est plus possible. De plus, le site « Naïades » ne donne aucun renseignement sur ce point, se contentant de données sur l’hydrobiologie, l’hydromorphologie, la physicochimie et les températures. À titre informatif, le dernier CR du COPIL du PNMA (Compte Rendu du Comité de Pilotage du Plan National Migrateurs Amphihalins) du 21 juin 2021, ne mentionne même pas la qualité chimique des eaux.

Hier : la qualité était-elle bonne ? ou déjà dégradée ? (rouisserie du lin, rejets urbains etc.) Y avait-il déjà des poissons ? (Cf. :
« Les temps de l’eau » de Delerme).

Aujourd’hui : la qualité est-elle bonne ?
Y a-t-il eu des apports polluants qui n’existaient pas hier : apports multiples de l’agriculture et de l’élevage, apports urbains ou industriels ?
Quelle est la nature des produits et de leurs dérivés ?

Connaît-on l’effet simple et cumulé (effet cocktail) de ces produits et de leurs dérivés sur les différentes écophases des animaux aquatiques ?
Pourquoi ? Parce que la qualité de l’eau est le paramètre qui conditionne la survie de toutes les écophases des espèces aquatiques, des invertébrés aux poissons. Bien que ce soit l’action la plus difficile, socialement ou techniquement, à engager, elle doit constituer le préalable à tout projet d’aménagement physique sur les seuils, sauf à investir avec un risque d’échec avéré.

Concernant l’analyse du projet continuité

Tous les éléments précédents étant compilés et analysés, nous pouvons lancer le débat sur la nécessité, ou non, de parler continuité sur le cours d’eau ou le site considéré.
Il s’agira, là encore, de poser un certain nombre de questions qui concerneront les motivations réelles du projet de continuité, d’en analyser le bien-fondé sous différents aspects et, surtout, d’analyser les risques correspondants.

Quelles sont les motivations du projet ?

Motivations écologiques

Elles sont justifiées en cas de présence avérée et actuelle de grands migrateurs en nombre significatif avec population pérenne.

Mais elles sont injustifiées :

  • à court terme si cette présence est uniquement potentielle mais sans réelle compréhension de l’origine de l’absence,
  • s’il n’y pas de présence historique,
  • pour des espèces non migratrices déjà présentes, sauf argumentation spécifique,
  • si les alevinages sont réguliers ou la pêche non maîtrisée.

Motivations sociales

Elles sont justifiées s’il s’agit de la mise en œuvre d’une responsabilité nationale ou régionale avérée.

Elles sont injustifiées si la demande émane uniquement d’une catégorie d’usagers.

Motivations idéologiques

Elles sont justifiées si le projet relève d’une importance nationale avérée (en cas de financement exclusif de l’État).

Elles sont injustifiées si la demande émane d’une seule catégorie d’usagers.

Quels sont les risques à considérer ?

Risques écologiques du projet

Le projet est injustifié si la qualité de l’eau n’est ni acceptable ni compatible avec les écophases des espèces considérées.
Il est injustifié s’il risque de perturber une situation écologique stabilisée.
Injustifié également s’il risque de provoquer une érosion, régressive ou progressive par exemple, ou s’il existe un risque d’assèchement amont, en étiage, ou un abaissement de la nappe.

Risques sociaux du projet

Le projet est injustifié s’il émane de la demande d’un seul usager non clairement concerné ou s’il est incompatible avec les politiques nationales, régionales ou locales (objectifs de production électrique par exemple).

Risque financier du projet

Il est injustifié si le propriétaire n’est pas en capacité d’assumer financièrement les travaux.
Il est éventuellement justifié en cas de prise en charge totale par l’État.

Propositions

Observations : dans bien des cas, les personnes qui formulent la demande ou l’exigence (OFB) n’assument pas, ni techniquement, ni financièrement, ni juridiquement, la responsabilité de la réussite ou de l’échec des aménagements à court, ni surtout à moyen et long terme.

De nombreux aménagements, inefficaces mais règlementaires, ont été construits à grands frais sans qu’aucun responsable, ayant validé les travaux, ne soit sanctionné. Il est facile de demander beaucoup dès lors que l’organisme considéré n’engage pas sa responsabilité. Ceci amène parfois des instructions variées, changeantes dans le temps, sans réel justificatif technique, qui amènent des surcoûts sans efficacité. Une politique de suivi de l’efficacité des dispositifs recommandés par les services instructeurs, assumée financièrement par l’État et confiée à un organisme indépendant, permettrait sûrement d’engranger des expériences.

N’engager des travaux que là où les études garantissent la réussite et faire s’engager financièrement et juridiquement l’usager intéressé et demandeur (pêcheur par exemple) ou l’État, si c’est lui qui exige.
Revoir les listes d’espèces associées aux classements en s’appuyant sur les connaissances acquises et la réalité locale.
Si la présence de grands migrateurs est avérée, et plus de trois seuils importants à franchir, éliminer la grande alose des espèces cibles.
Si la restauration des grands migrateurs est un projet de l’État et qu’il s’appuie seulement sur un potentiel, donc non avéré, l’État doit financer seul les passes à poisson.
Si une population de grands migrateurs existe, et que les études montrent sans équivoque que la zone amont présente un vrai potentiel d’accroissement de la population, c’est-à-dire que le seuil limite le développement de la population, l’obligation d’aménagement peut s’imposer après une analyse coût/bénéfice.
Prendre en considération, de façon forte, l’effet attendu du changement climatique sur l’écologie du cours d’eau, avant d’engager un projet d’aménagement ou de restauration (par exemple, si le cours d’eau est soumis à des assecs ou des étiages sévères, ne pas poursuivre le projet).

Ne pas engager de projets si les grands migrateurs ne sont pas concernés, ou faire financer le projet en totalité par l’usager demandeur (pêcheur par exemple), qui sera alors dans l’obligation d’assumer , scientifiquement et financièrement, son choix. Sur ce point, il serait bon que la FNPF (Fédération Nationale de la Pêche en France), dans ses règlements généraux, tienne compte de la capacité de reproduction des espèces en fonction de la typologie des cours d’eau (voir, par exemple, des affichettes de l’AAPPMA [Association Agréée pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique] : autoriser 6 prises par jour et par pêcheur dans un petit cours d’eau de tête de bassin, est une aberration).

Ne pas engager de projet au bénéfice de poissons holobiotiques si le cours d’eau fait l’objet d’alevinages et ne fait l’objet d’aucune gestion halieutique rigoureuse et vérifiée.
Vérifier toujours, avant tout projet, que la qualité de l’eau, dans toutes ses composantes, est compatible avec le bon état écologique recherché par la DCE [Directive Cadre sur l’Eau] (La continuité écologique est une composante du bon état, mais il est souvent plus simple de cibler un seuil que de mettre en cause, pour raison de pollution, des pratiques agricoles, industrielles ou urbaines).
Déterminer systématiquement l’intérêt de la restauration locale considérée par rapport au niveau régional et national, et prioriser les investissements là où l’efficacité nationale est la plus grande, puis l’efficacité régionale et enfin l’efficacité locale.

Enfin

Prendre en compte l’aspect patrimonial, historique ou énergétique, dans les débats.

Étudier précisément l’intérêt énergétique des seuils à différentes échelles, considérant que bon nombre de microcentrales anciennes sécurisaient l’alimentation en électricité de villages ruraux, et qu’il peut toujours s’agir de dispositifs de secours en cas de perturbation nationale ou régionale des réseaux.

L’autonomie énergétique étant aussi importante que l’autonomie alimentaire, encourager l’État à réfléchir sur l’importance de mettre en place un plan de sécurisation des réseaux à différentes échelles, favoriser les maillages, etc.

Guy Pustelnik
Biologiste, ancien directeur de l’établissement public territorial du Bassin de la Dordogne

Paru dans le Monde des Moulins n°80 d’avril 2022
https://fdmf.fr/le-monde-des-moulins-n80-avril-2022/

Catégories : Environnement

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