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Cette conférence a été donnée le 11 mars 2012 dans la minoterie du Barrage à Porchères à l’occasion de l’Assemblée Générale de l’AGAM, Association Girondine des Amis des Moulins. Pierre Barrau est décédé le
27 juin 2013, après 53 ans de mandat de maire de Porchères, et près de 20 ans de mandat de conseiller général, du canton de Coutras. Il était la troisième génération de Barrau minotiers au Moulin de Porchères.

Pierre Barrau, 11 mars 2012. Cliché D. Redon

Texte transcrit par David Redon et remis en forme par Bernard Laval, tiré du film de la conférence du 11 mars 2012, réalisé par Francis Bonneteau. Texte paru dans le Bulletin n° 45 du Groupe de Recherches Archéologiques et Historiques de Coutras.

Depuis la nuit des temps, des moulins à vent, des moulins à eau, sur les ruisseaux ou rivières, écrasaient le grain et participaient à l’échange blé-pain, blé-farine. Puis vint la période où la commercialisation de la farine s’améliora. La boulangerie devint aussi plus industrielle.
Avant 1936, le prix du blé se fixait selon les mêmes méthodes qu’aujourd’hui. On essayait aussi de réguler le marché pour apporter plus de sécurité aux producteurs. Le prix du blé suivait les cours de la bourse de commerce (Bordeaux pour nous), ces derniers s’alignaient sur les cours mondiaux.
La production française étant insuffisante, on importait du blé américain pour le transformer en farine. Les Français consommaient encore beaucoup de pain. Ce blé américain, remontant les rivières suivant les canaux, alimentait les moulins tout en permettant d’améliorer la moindre qualité des blés français.
Très fluctuant, le prix mondial du blé ne permettait pas aux producteurs d’établir des plans de production. Le prix de vente du blé se fixait quelquefois en dessous du prix de revient.

La création de l’office du blé

Le gouvernement de Léon Blum, installé en 1936, avait pour ministre d’État Maurice Viollette, radical-socialiste de l’Eure-et-Loir et maire de Dreux. Il représentait les producteurs de grains et de blé de la Beauce, un lobby important, d’où la décision de créer un office du blé, produit de base de l’alimentation.

Office du blé. Coll. D. Redon

Georges Monnet, ministre de l’Agriculture de l’époque, fut chargé de le mettre en place après concertation des producteurs de blé français, dont ceux de la Beauce et de la Brie, évidemment. Le principe de base de l’Office consistait à réguler le prix du blé. Pour cela, il fallait pouvoir stocker le produit lorsque le cours était bas et déstocker dans le cas contraire, en vue d’obtenir un prix moyen. Ainsi, à partir de 1936, on a vu s’ériger le long de la ligne Bordeaux-Paris des silos en ciment, gérés par des coopératives et reliés directement à la voie ferrée.
On comprendra que le principe de la création de l’Office du blé était d’obtenir un prix minimum garantissant au moins le prix de revient. On a pu ainsi établir la confiance entre producteurs et commerce. Celui-ci dut également s’adapter à la nouvelle situation ainsi que l’industrie de la meunerie, les achats de blé se faisant antérieurement selon les « coups de bourse ».

Il faut également préciser, qu’avant 1936, les fluctuations de la monnaie influençaient le cours du blé. Si le Gouvernement dévaluait le franc, le coût du blé américain, en dollars, augmentait. Cette période des années 1930 fut particulièrement propice à la spéculation. Les meuniers anticipaient une baisse du franc, donc un renchérissement du prix du blé américain. Ils accéléraient leurs achats plus que ne le nécessitait l’évolution des besoins. Craignant un avenir incertain, les meuniers « se couvraient » en achetant le blé avec un franc déprécié face à un dollar dont la valeur restait stable. Ainsi, les transactions s’effectuaient-elles à un prix toujours plus élevé, les paiements s’effectuant en dollars.

Contrôle : Plomb de sac de blé, recto. Coll. D. Redon

Contrôle : Plomb de sac de blé, verso. Coll. D. Redon

Le retour de Poincaré au pouvoir en 1926 permit de restaurer la confiance. Le franc se raffermit et s’apprécia par rapport au dollar. Les meuniers qui s’étaient trop couverts en dollars avant la reprise en main par Poincaré avaient payé le blé au prix fort, sur des marchés à moyen et long terme. Certains se retrouvèrent ruinés, et pas mal de moulins (cas de force majeure !) brûlèrent dans la vallée de la Garonne.
L’exemple fut cruel et montra qu’on ne pouvait jouer impunément avec la monnaie et les « coups de bourse » qui font toujours des perdants.

Parallèlement à la création de l’Office du blé, à la garantie d’un prix de base, aux mesures de stockage, le Crédit Agricole intervenait pour des prêts aux coopératives et aux négociants. Ainsi, la confiance fut-elle rétablie.

Propagande de l’Office du Blé. Coll. D. Redon

De son côté, le ministre de l’Agriculture se portait garant pour les organismes stockeurs qui construisaient les silos. Les contributions indirectes surveillaient et contrôlaient les opérations et les moulins (création d’acquit-à-caution, comme pour le vin). La détermination du volume d’affaires et des capacités de la meunerie s’en trouvait facilitée.

Les moulins locaux étant nombreux, la capacité meunière s’élevait au triple des besoins. Ainsi fut décidée la création d’un contingent attribué à chaque moulin d‘une certaine importance, basé sur la meilleure année d’écrasement, antérieurement à 1936. La capacité du moulin s’évaluait à partir de la longueur du cylindre et de la surface de blutage. Le Moulin du Barrage à Porchères, par exemple, affichait un contingent de 44 000 quintaux de blé à écraser par an.

Ce contingent fixé à chaque moulin permit d’assurer le ravitaillement en farine des boulangers pendant la Seconde Guerre Mondiale et ce, jusqu’en 1950.

En 1938, le recensement des moulins terminé, l’administration put s’appuyer sur des bases solides. C’est l’Association Nationale de la Meunerie Française qui mit en place ce contingentement sous l’action de M. Convert, un meunier de Bourgogne, Président de la Petite et Moyenne meunerie. Tout le monde y retrouva son compte : les meuniers faisaient dorénavant leur travail de fabricant de farine pour approvisionner la population en achetant le blé à un prix de base ; l’office des céréales garantissait la stabilité du marché aux céréaliers.

Saint-Seurin-L’isle – Le Moulin du Barrage de Porchères, sur les Bords de l’Isle. Coll D. Redon

Avec la guerre et l’occupation, comme il n’était plus question d’importer du blé d’Amérique, malgré l’amélioration de la production française, il fallut rationner et établir le système des tickets ainsi qu’une répartition entre les moulins. Chaque boulanger recevait des tickets et les envoyait au Groupement Départemental de la Répartition des Farines qui dépendait de l’Office du blé à Bordeaux.
Il fallait livrer en farine les boulangers attachés aux moulins, heureusement bien répartis sur le territoire, mais avec cependant des difficultés de transport ici ou là.

Chaque moulin, en fonction de son contingentement, recevait sa quantité de blé à écraser. Mais comme le contingent s’élevait au double de la consommation, il a fallu attribuer à chaque moulin un montant à écraser inférieur à sa capacité, de façon à ce que tous les moulins puissent concourir au ravitaillement, sur tout le territoire national.

On appliquait la formule suivante :
Qm = [ (2x e ) + c ] / 3
Elle donnait la quantité de blé à écraser pour chaque moulin afin de satisfaire les tickets de pain attribués.

  • 2 x e représentait deux fois l’écrasement de la meilleure année du moulin avant 1936
  • c représentait le contingent affecté au moulin
  • Qm représentait la quantité maximale produite par chaque moulin

Pour le Moulin du Barrage à Porchères, le résultat qui découlait de la formule donnait
33 000 quintaux maximum pour un contingent de 44 500 quintaux, l’écrasement de la meilleure année avant 1936 « e » étant de 27 250 quintaux.

Enveloppe d’un courrier envoyé par la Coopérative du Blé de Coutras (Gironde). Coll. D. Redon

Compte-tenu des tickets attribués, la quantité réellement écrasée n’atteignait pas la quantité maximale possible.

Grâce à cette répartition bien organisée, tous les moulins ont pu travailler. En Gironde, il y avait par exemple Huchet à Marcillac (famille dont j’ai connu le grand-père, le père et les fils) qui livrait le Blayais, tandis que le Moulin du Barrage livrait dans la région alentour. En 1947, il y avait 48 moulins en Gironde, aujourd’hui, il en reste trois (dont les grands moulins de Bordeaux) ; en Dordogne, il en reste quatre.

Conclusion

La décision du gouvernement Blum du contingentement des moulins a eu plusieurs conséquences. En rétablissant la confiance et la stabilité de la filière Blé-Farine-Pain en France, elle a contribué à relancer l’investissement de la part des meuniers qui retrouvaient un contexte rassurant et contrôlé par l’état. Elle a aussi permis de moderniser le monde de la meunerie ; c’est le cas à Porchères où la famille Barrau décide de supprimer, entre octobre 1937 et avril 1938, les vieilles meules du moulin pour les remplacer par une minoterie moderne et rutilante.
Ce modèle dit « d’économie dirigée » mérite d’être regardé de près, étudié, et peut être regardé face à la situation actuelle où seul le capitalisme règne.

Congé Blés et farines N° 68 / 1963 Camion / 100 sacs de blé = 100 quintaux. Collection D. Redon

Laissez-passer céréales N° 27 / 1989 Camion de blé / Vrac / 34,50 quintaux. Collection D. Redon

C’est aussi cette maîtrise de la filière « de la fourche à la fourchette » ou plutôt du blé au pain qui a permis de traverser la seconde guerre mondiale sans une trop grande pénurie alimentaire et en limitant les spéculations.

Une des contreparties de ce contingentement a aussi été le contrôle par les impôts indirects. Le blé et la farine ne pouvaient plus circuler librement en France et ils étaient taxés. Leur transport était forcément accompagné d’un
« acquis à caution » ou « congé ».

C’était du coup l’occasion de trafic, de magouille et de contrebande pour ruser le fisc… mais c’est une autre histoire…

Pierre Barrau (avec la participation de David Redon)

Paru dans LE MONDE DES MOULINS 79 de janvier 2022

Catégories : Législation

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