Cette huile de noix ruisselant sous le pressoir, filet d’or aux arômes capiteux ensorcelant nos narines, nous avons peine à croire qu’elle soit issue d’un fruit à coque grenue et d’une amande brunâtre aux contours tourmentés, disgracieux.
N’est-ce pas un tour de prestidigitation fabuleux, ou encore la transformation d’une chrysalide difforme en gracieux papillon ? Et quel manque de tact qu’appeler « huilerie » ce lieu magique, un peu mystérieux, imprégné d’effluves chauds, bruissant du mouvement des courroies, poulies et engrenages, où ne cesse de s’accomplir le miracle !
En Haute-Savoie, de nombreuses huileries s’animent tous les hivers et nous avons osé troubler la quiétude, comme le planning, de l’un de ces magiciens qui perpétuent la tradition à Annecy-Vovray.
Il se nomme Jean-François Masson, issu de cinq générations d’huiliers que les archives de la ville nous signalent dès 1842.
Vue extérieure du Moulin Masson – Photo H. Ruaux
Une telle antériorité n’a, en soi, rien de banal …
Mais elle mérite encore davantage notre attention lorsque l’on découvre les profonds bouleversements qui se sont produits en Savoie, pendant ces presque 200 ans :
- 1842 : l’huilerie Masson est exploitée en Royaume de Piémont-Sardaigne, à Annecy (Savoie)
- 1860 : la Savoie vote son rattachement à la France
- trois guerres se succèdent, la guerre éclair de 1870, la « Grande Guerre », puis le conflit de 1939-1945.
Au-delà de ces drames, les évolutions économiques et les progrès technologiques sont considérables :
- usines et manufactures, jadis sous privilèges royaux, sont confrontées à une sévère concurrence
- 1866 : le chemin de fer se fraye, après maints contournements de monts, franchissements de torrents et crachements de fumée, un chemin sinueux jusqu’à Annecy
- 1906 : une dynamo éclaire quelques rues de la ville, les moteurs électriques envahissent les entreprises.
- 1946 : la population, 26 000 habitants, passe le cap, 22 ans plus tard, des 54 000, accompagnant l’essor économique :
- échoppes et boutiques vont devoir se confronter aux grandes surfaces, (Annecy, berceau du premier « Carrefour » en 1960)
- l’activité touristique se découvre et se développe à pas de géants, sur et autour d’un lac survolé par les parapentes, le long des sentiers de randonnée, sur les pistes de ski, à l’assaut des sommets …
- de grandes entreprises, à la pointe de la technologie, courtisent la ville : SNR (roulements), Entremont (fromages), Mobalpa (mobilier), Salomon (ski), Dassault-Aviation, etc.
Hiver 2017 : malgré sa charge de travail, Jean-François Masson, « retraité actif », nous accueille avec un grand sourire, bien droit, l’œil vif sous son inséparable casquette (été comme hiver). Ce vétéran, né en 1928, peut être fier de sa mémoire et de ses réflexes ; et il en abuse, lorsque, meule tournant sur la conche, il aide manuellement mais imprudemment au recentrage des cerneaux et de la pâte chassés par la meule.
JF. Masson rabat les cerneaux écrasés sous la meule roulante – Photo H. Ruaux
Journée de détente, une excellente prune servie dans deux petits verres, et M. Masson évoque ses souvenirs…
François : les temps héroïques
En ce temps-là, 20 février 1864, François Masson, père de famille prévoyant ou « sentant sa mort prochaine », rédige d’une écriture élégante son testament, répartissant ses biens entre le fils aîné, Pierre, dit Hyppolite, né en 1827, et quatre filles alors toutes mariées.
En fait, dès 1842, les archives nous apprennent que les Masson habitent le quartier de la Porte Ste-Claire, à Annecy, mais cultivent leurs terres de Vovray et y disposent d’un bâtiment à vocation agricole. L’ensemble se situe le long des berges encaissées du ruisseau des Trois Fontaines, résurgence d’eaux pluviales infiltrées dans le Massif du Semnoz, massif qui domine la ville, le lac, et barre la route aux vents d’Ouest.
Au rez-de-chaussée, une huilerie fort modeste :
elle fonctionne au moyen d’un manège et c’est une bête de trait qui entraîne la meule verticale, écrasant les cerneaux sur une table circulaire de pierre, dite « conche ». La pâte obtenue, versée dans un chaudron de cuivre, se chauffe lentement pendant que l’huilier la brasse manuellement. L’inventaire signale, pour la phase finale, une presse à bras.
Il s’agit donc, pour les Masson, d’un travail à façon saisonnier s’ajoutant à leur activité de cultivateurs : celle-ci s’exercerait, semble-t-il, sur seulement 18 hectares.
Au-dessus de l’huilerie, sous toiture, la remise à foin. Au rez-de-chaussée toujours, 2 pièces d’habitation, au confort incertain, pour une occupation intermittente. En aval, sur la propriété, un lavoir.
Une presse à bras remplace ou complète l’équipement de l’huilerie en 1865, avec un broyeur à cylindres en 1871.
Schéma d’ensemble de l’huilerie – H. Ruaux
Pierre : une roue hydraulique
Dans les conditions décrites, l’huilerie ne peut satisfaire une abondante clientèle. En 1875, Pierre, alors âgé de 48 ans, soucieux de donner de l’ampleur au moulin, obtient de la préfecture l’autorisation de dériver une partie des eaux du ruisseau des Trois Fontaines, déjà mouliné en amont par les artifices du Sieur Lyonnet et en aval par la manufacture d’ouates des Sieurs Chamoux et Bocquet. Cette date, 1875, nous la retrouvons gravée sur le linteau de la porte d’entrée.
Date gravée sur le linteau de la porte d’entrée – Photo H. Ruaux
Pierre Masson dérive l’eau 200 mètres en amont de l’huilerie pour alimenter une roue hydraulique de 4 mètres de diamètre, insérée au sein de la bâtisse pour mieux la protéger du gel. Cette roue entraîne la meule de conche, le ou les broyeurs et l’hélice de brassage (pour la pâte de cerneaux).
Un imposant pressoir manuel à cadre sur
6 colonnettes est probablement installé dans la foulée :
- section de la poutre au sol : au max.
- 65 x 65 cm sur 4,30 m de long
- 6 colonnes acier, d’un diamètre de 7 cm ménagent un écartement de 1,30 m. avec la poutre supérieure.
- entre les deux poutres :
- 4 cuves de pressage en fonte (3 pour l’huile, 1 pour le cidre), section 40 x 40 cm, hauteur 30 cm
- 4 vis de manœuvre à filets carrés, pas 1,65 cm, diamètre 7,2 cm
- écrous bloqués en rotation dans la poutre supérieure.
L’huilier s’arc-boutait sur un levier horizontal à cliquet provoquant la rotation de la vis et assurant la pression dans la cuve. Lorsque l’effort à fournir sur le levier dépassait ses forces, l’homme l’actionnait par l’intermédiaire d’un cabestan.
Cette roue hydraulique et le pressoir manuel restèrent en service jusqu’après la guerre de 1939-1945.
Conséquence de ses initiatives, d’acquisitions probables et de ses résultats, le patrimoine de Pierre prend de la valeur et le fisc ne l’oublie pas : les taxes de 1863 sont multipliées par 1,6 en 1876, et par 8 en 1883 !
Louis : l’électricité
Lorsqu’il prend en charge le moulin de son père, en 1891, Louis a 26 ans.
Comme lui cultivateur, il agrandira le domaine par achats successifs et quittera Annecy pour Vovray avec ses 4 enfants, dont Ernest, futur repreneur de l’huilerie.
Les terres de Vovray, exploitées en cultures maraîchères, permettent à la famille d’écouler ses produits sur les différents marchés de la ville : la tradition perdure et, de nos jours, ces marchés très fréquentés ont lieu en vieille ville, tous les mardis, vendredis et dimanches.
Moments privilégiés qui redonnent à la ville son cachet d’antan : tréteaux sous l’ondulation des arcades de pierre, rues grouillantes de gens qui déambulent, soupèsent ou tâtent, choisissent et rentrent chez eux en escaladant des escaliers souvent fort « montagneux », lourdeur du panier … légèreté du porte-monnaie !
C’est à Louis que l’huilerie doit l’installation de deux moteurs électriques 110 volts :
- un moteur de 5 CV pour la conche
- un moteur de 3 CV pour l’hélice du brasseur et l’entraînement des broyeurs à cylindres.
Ces deux moteurs asynchrones étaient couplés à la roue hydraulique, renvoyant éventuellement le complément d’énergie sur un réseau géré par la « Compagnie des Forces du Fier ». En outre, ils pallient le manque d’eau saisonnier et offrent, pour l’entretien de la roue hydraulique, plus de temps et le choix opportun des dates.
Particularité du dispositif : l’arbre moteur horizontal emprunte une tranchée creusée dans le sol de la salle et, par l’intermédiaire d’un couple conique, meut l’arbre vertical de conche. Cette disposition de l’arbre sous plancher, peu fréquente mais sécurisante, libère l’espace « aérien » de l’huilerie des multiples poulies, arbres et courroies qui l’encombrent habituellement.
Le roudet, la conche et la meule roulante – Photo H. Ruaux
La conche, c’est celle d’origine, celle que l’actuel propriétaire utilise encore.
Ernest : la famille dans le moulin
Né en 1895, Ernest avait deux frères, une sœur … et 19 ans lors de la déclaration de guerre en 1914. De retour des combats, gazé et de santé devenue fragile, il délaisse le métier de cultivateur, se marie en 1921 et monte un commerce rue Ste-Claire, vieille ville d’Annecy, près du Thou : épicerie// Thiou : épicerie, laiterie, légumes, fromages, mercerie, bonbons !
Le commerce prospère, mais si la rue Ste-Claire est l’une des plus pittoresques d’Annecy, l’humidité et le manque d’ensoleillement de la boutique conduisent son médecin à lui recommander fermement… la campagne.
C’est ainsi qu’en 1930 Ernest rachète à ses frères et sœur leurs parts du moulin et s’y installe avec sa famille, seul décisionnaire de transformations importantes :
- les 2 pièces du rez-de-chaussée deviennent rangements
- la remise à foin, rehaussée, cède la place à un confortable logement équipé d’un chauffage central au bois
- la chaudière fait irruption dans l’huilerie en 1932 : voisinage anachronique peu apprécié par son fils !
Le bâtiment couvre 15 x 13 mètres au sol, traversé en sa partie médiane par le logement de la roue hydraulique, les canaux d’arrivée et de sortie d’eau.
Hélas, 9 ans plus tard, les clochers sonnent le tocsin, annonçant la mobilisation générale d’août 1939. Ernest doit alors faire face, au moulin, à la demande pressante de gens victimes des restrictions, proposant à l’huilier de multiples graines supposées fournir la matière grasse tant recherchée.
Jean-François, son fils de 11 ans au début de la guerre, nous énumère tout ce qu’il a vu et traité au moulin : « On en a dépanné, du monde ! C’était le marasme, la pénurie … ». Après les noix et noisettes, vite introuvables,
- le colza auquel on ajoutait des croûtons de pain pour éviter l’envahissement sous la mousse, au moment de la chauffe (aujourd’hui valorisé par la présence d’oméga 3),
- l’œillette, graine minuscule de moins d’un demi millimètre (« la noire, comme une graine de tabac, la blanche, bien meilleure, mais aussi petite !). On les passait dans le broyeur à cylindres, ça les aplatissait … et elles tombaient en dessous, comme des confettis. »
- le tournesol, la courge, et d’autres au rendement dérisoire, moutarde, lin, faîne de fayards (hêtre), cameline …
Certains clients venaient de loin, avec tout leur barda, le cheval ou l’âne, l’avoine et le foin, à manger et à boire… pour la journée.
Le broyeur et la balance – Photo H. Ruaux
Jean-François : tradition et modernité
Après guerre, la région va connaître, on l’a vu, un essor considérable.
La Société des Équipements de Haute-Savoie contribue à la création d’une zone industrielle à Vouvray pour mieux accueillir les entrepreneurs. Une usine de transformateurs et régulateurs de tension (devenus indispensables aux appareils domestiques) s’installe près du moulin, et Jean-François y fera carrière pour assurer ses revenus. Comme pour ses ancêtres, le moulin est une passion qui ne peut, seule, les faire vivre ; chacun adoptera un métier qui le conduira des champs aux cultures maraîchères et au commerce, avant de recourir, au XXe siècle, au salariat d’entreprise.
Les travaux de viabilité sur la commune encaissent un peu plus le ruisseau des Trois Fontaines (2,85 m aujourd’hui) et, en amont du moulin, son cours sera même dévié et couvert jusqu’au Thiou. Les prises d’eau des riverains sont mal tolérées. En 1932 déjà, la commune de Seynod avait réalisé un premier captage et les travaux communaux prolongent les coupures d’eau : Jean-François pressent les difficultés à venir.
Or, un beau jour, lors d’une remise en route, la roue, restée sèche trop longtemps, se scinde en deux. La cause est entendue, J.F. Masson achève son démantèlement…
D’ailleurs, l’huilerie prend un sérieux coup de jeune, son fringant patron cédant aux sirènes de la modernité, de l’efficacité et… d’un certain confort dans le travail :
- parachèvement et adaptation du 1er étage d’habitation
- installation d’une chaudière au mazout remplaçant la vieille chaudière au bois
- re-bobinage en 220 volts des 2 moteurs électriques : une nécessité
- l’ancien pressoir manuel, épuisant pour les hommes et lui-même à bout de souffle (il avait fait la guerre !) cède la place à un pressoir hydraulique couplé à son compresseur
- la roue hydraulique a disparu : les moteurs, rajeunis, suffiront largement !
La balance romaine et son plateau – Photo H. Ruaux
L’huilerie a-t-elle perdu son âme ? Jean-François a-t-il commis un « crime de lèse-moulin » ? Pas vraiment. Les murs, patinés par le temps, protègent toujours la conche, sa meule, le foyer et ses bassines de cuivre. La balance romaine reste toujours soumise à l’action de la pesanteur. Le procédé traditionnel n’a pas changé, la qualité perdure : l’homme de l’art y veille !
D’ailleurs sans état d’âme, Jean-François nous commente la rationalité de sa démarche, la possibilité d’être « à l’usine et au moulin » et la perspective d’une activité de retraité à la mesure de ses forces. Bref, la tranquillité et la sérénité retrouvées ! Au passage, il s’offre le plaisir d’installer la nouvelle chaudière hors de l’huilerie (enfin !), à la place de la roue hydraulique.
« Et puis, cette chaudière au bois … Couper, scier, transporter, empiler, couvrir le bois … Encore et toujours enfourner ! … Avec l’électricité et le mazout, vous appuyez sur un bouton … et c’est parti !! »
Le nouveau pressoir à 4 colonnes supprime la pénible phase de pressage à force de bras, parachevée sur les leviers du cabestan. Et l’on peut pousser les pressées plus loin encore, exprimer l’huile en une seule fois. Bien sûr, Jean-François regrettera sa roue hydraulique, le ruissellement de l’eau dans les augets, mais la belle n’avait jamais pu attirer les regards, coincée qu’elle était entre deux murs, et personne n’avait plus envie de lui faire la cour !
Comment le maître aurait-il pu regretter certaines heures difficiles :
» Les nuits de gel, la glace charriée par le torrent endommageant le plancher et les flancs bois de la couronne, les réparations rendues délicates, un accès dangereux et malaisé. Que dire des cavalcades pour atteindre les vannes, 200 m plus haut, les nuits de « gros d’eau » ! Sans parler du terrain glissant et des risques de chute dans la ravine et les eaux déchaînées. Lorsque le calme était revenu, il fallait retirer troncs et racines, pelleter graviers, boues… Et en automne … cette fois, c’étaient les feuilles mortes et la vase! Vous savez, en ce temps là, les déchetteries n’existaient pas, et tout partait à la rivière. On en récupérait, des détritus … bien involontairement « .
L’essentiel de la roue était en bois et partit au feu.
« Les augets métalliques, il y en avait un peu partout. Ça couvre le bois, ça fait poids sur les tôles…Un moyeu passe chez le ferrailleur. La ferraille, ça partait à Turin pour faire les « bagnoles ». Enfin… c’est ce qu’on disait, à l’époque ! »
Mais Jean-François Masson éprouve quelques remords et conserve un bras, un moyeu, quelques tirants transversaux, un segment de flanc de couronne, des augets, grâce auxquels nous dressons, 50 ans plus tard, les plans de cette roue :
- 4 m de diamètre (en accord avec les archives de 1875 !)
- 40 augets courbes, en tôle, planchers et flanc en bois
- 1 m de large (0,90 m au niveau des augets)
- 2 moyeux fonte de 0,72 m de diamètre positionnant chacun 10 bras radiaux.
Ces derniers entraînaient un arbre en acier, de 10,8 cm de diamètre.
Quant à l’ancien pressoir, si les deux poutres ont disparu, une colonne fonte subsiste ainsi que trois cuves et les trois ensembles vis-écrou de manoeuvre, autorisant une éventuelle reconstitution.
L’huilerie de Vovray au xxie siècle
Porte d’entrée : 1,70 x 2,26 m, linteau sur impostes, gravé » M P 1875 « .
Encadrée par deux fenêtres de 1,20 x 1,78 m, elle s’ouvre sur une vaste salle de 8 x 7 m, haute de 3,20 m.
L’arbre moteur de conche se trouve à 75 cm sous le niveau du sol.
En surface, le mobilier d’huilerie :
1- Matériel de pesée : balance romaine suspendue :
- Capacité : de 20 à 214 kg
Détail de la balance romaine avec la gravure de sa capacité de 214 kg – Photo H. Ruaux
- fléau L. 110 cm
- panier 72 x 44 cm fait de 4 x 6 lames rivées croisées de 6 x 0,5 cm
Le poids à l’arrivée faisait le prix à la sortie ! Et pour chaque client, le dialogue se répétait :
Le client : « J’ai bien pesé chez moi, avec ma balance… »
Jean-François, faisant la sourde oreille : « Allez … On y pèse ! »
Pesée faite, il marquait aussitôt le poids sur le lot. Pas de doute, c’était la « romaine » qui faisait la loi !
2- Conche et meule de conche
- conche : diamètre 2,15 m et hauteur 0,53 m, sur un socle pierre haut de 20 cm, poids estimé : environ 4 tonnes (avec une densité de 2,5 – non vérifiée)
La conche et la meule de conche (meule roulante) – Photo H. Ruaux
- meule : diamètre 1,10 m à l’extérieur, légèrement conique (1,05 m côté opposé), largeur : 0,38 m, poids estimé : environ 800 kg, vitesse de rotation : environ 4 secondes pour un tour
3- Foyer maçonné, sous hotte
La chaudière et le chaudron – Photo H. Ruaux
- plan de travail : surface 1,78 x 0,85 m en pierre avec ouverture circulaire pour le chaudron, hauteur : 0,66 m
- chargement latéral en bûchettes, largeur de l’ouverture : 30 cm
- chaudron cuivre (ou poêle), diamètre 60 cm, hauteur 22 cm (intérieur), hélice de brassage : 2 pales, diamètre 56 cm largeur 11 cm, vitesse de rotation de l’hélice : 5 secondes pour un tour
4- Pressoir hydraulique Vachet (Bourgoin)
- compresseur à un piston mu par excentrique et moteur 3CV, diamètre du piston : 5,5 cm, course : 4,7 cm.
- pressoir à 4 colonnes : 0,83 x 0,54 m, hauteur totale : 1,50 m, piston moteur : diamètre du piston : 40 cm (étanchéité par joint à lèvre, en cuir), butée haute : section 40 x 40 cm (sur glissières, pour dégager l’espace nécessaire au chargement des scourtins)
La presse – Photo H. Ruaux
5- Mode opératoire
Avant l’arrivée à l’huilerie, les cerneaux ont été débarrassés de leur coquille et de la membrane médiane.
Opération longue et fastidieuse si elle n’avait été transformée, lors de « gromailles », en une réunion familiale et de voisinage, besogneuse certes, mais fort conviviale : chansons, bonnes histoires, nouvelles du pays circulaient d’autant plus volontiers qu’avec le réconfort des victuailles offertes, la soif aidant, les verres se remplissaient et surtout … se vidaient allègrement. Il fallait bien …
Après stockage aéré, chacun menait ses sacs de cerneaux au moulin.
- Le passage sous meule de conche produit une pâte huileuse que l’huilier transfère dans une bassine (ou chaudron) généralement en cuivre, pour la chauffe.
- Elle s’effectue sous feu modéré alimenté par petites bûchettes, et la pâte est brassée en permanence. Pas de thermomètre, remplacé par l’odorat, l’aspect de la pâte brassée… et le savoir-faire.
- Un moule au gabarit de la cuve de pressage reçoit les scourtins (toiles tressées serrées, que l’on croise sur la pâte chaude). Ce « cataplasme » est immédiatement inséré dans la cuve de pressage.
Compresseur mis en route, la pression monte sous le piston moteur, la cuve s’élève, s’emboîte sous la butée haute, la pression monte dans les scourtins et l’huile commence à s’écouler en bas de cuve. Au final, bien que la majeure partie de l’huile ait été extraite pour des pressions plus faibles, l’huilier laissera la pression atteindre 150 ou 180 bars. À ce stade, le résidu solide des scourtins est presque totalement déshydraté : c’est le « tourteau », abandonné aux animaux ou transformé par les pâtissiers en gâteaux secs !
Chaque phase dure un peu moins d’une demi-heure.
Notons qu’avec 180 bars appliqués sur une section de piston mobile de 1256 cm2, l’effort disponible pour soulever table, cuve, et comprimer les scourtins, atteint 226 tonnes, vues également par les quatre colonnes du pressoir, 10 cm de diamètre chacune, mais 7 cm au niveau des filets de l’écrou.
JF. Masson remue à la main la pâte dans le chaudron – Photo H. Ruaux
6- Rendement
Il varie bien sûr selon les années.
Une charge de 24 kg de noix en coquilles donne environ 12 kg de cerneaux.
Après passage à l’huilerie, le client peut espérer récupérer six litres d’une huile sans colorant ni conservateur qu’il pourra consommer jusqu’à l’année suivante, en la conservant au frais et à l’abri de la lumière… au plaisir de nouvelles « gromailles »!
Conclusion
Dans un moment de pessimisme, exceptionnel chez lui, Jean-François Masson nous confiait :
« On n’en fera plus comme avant … Pensez, les noix, il faut les ramasser … et il faut même se baisser !
Les anciens sont morts, ma génération … pareil !
Les jeunes … il y a trop de facilités maintenant… Ils achètent l’huile à 6 ou 10 € dans le commerce, et la nôtre, à 20 € … vous pensez bien … Les gens calculent, y a pas de problème …
Acheter des noix, « gromailler », c’est pas rien ! Et ce n’est plus le plaisir d’autrefois : les gens ne se connaissent plus « .
L’huile pressée est transvasée – Photo H. Ruaux
Voyons, Jean-François ! Oubliez-vous la demande soutenue de vos propres clients, les 4 mois que dure la saison dans votre huilerie ? Comme chez vos autres collègues …
Malgré les bouleversements de la vie sociale et la flambée du progrès technologique, l’artisanat savoyard est si fortement enraciné dans son terroir qu’il trouve encore aujourd’hui, paradoxalement, un écho favorable auprès d’une population éprise de modernité, de vitesse jusqu’à l’instantanéité, de gadgets numériques permettant à tout un chacun d’être « connecté », dans le bus, pendant ses courses, dans l’entreprise, chez soi … pendant les vacances !
Par voie de conséquence, une pathologie nouvelle se répand dans le monde du travail : le « burn-out ».
Le mot s’est inscrit dans le Petit Larousse dès 2010, et des parlementaires travaillent actuellement sur le sujet.
Course au rendement ? Urgence généralisée ? Esclavage du portable ?
Pourquoi ne pas proposer, à la Faculté et à nos chefs d’entreprises, nos huileries et tous nos moulins comme lieux de stages aux vertus thérapeutiques garanties ?
Des lieux qui respirent le calme, les senteurs naturelles, sans écran, sans écouteurs,
où de braves gens prennent le temps de se parler, de s’écouter,
où l’on donne du temps au temps et à l’élaboration d’un produit pur,
où l’on affine, de nouveau, nos sens abusés, où l’on perçoit le frottement soyeux des courroies sur les poulies, le couinement d’un engrenage trop peu graissé ou le clapotis rassurant de l’eau dans la roue.
Les moins assidus de ces stagiaires pourront même aller pêcher à la ligne pendant que des retraités, bons princes, feront le travail !
Des lieux, enfin, où les règlements de comptes s’opèrent autour d’une vieille prune ou d’un petit blanc de derrière les fagots. En fait, le Paradis pendant sept jours… et une remise en forme assurée pour l’année.
Bien mieux encore que Clairefontaine qui transforme, comme chacun sait, nos footballeurs en dieux des stades.
Quel avenir pour nos moulins… assuré à tout jamais !
H. Ruaux, Association des Amis des Moulins Savoyards
Article réalisé avec le précieux concours de Jean-François Masson et les recherches non moins appréciées de Catherine Garcin et Michel Fontaine-Vive dans les Archives.
Paru dans Le Monde des Moulins n°62 – Octobre 2017
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