Le site des Moulins de France
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Les écoliers qui viennent visiter le moulin à vent de St Lys situé à 25 km de Toulouse ne manquent pas de demander la date de sa construction. Une science, la dendrochronologie, permet d’y répondre. Bastide royale du XIII ème siècle, créée sur les lieux d’une
exploitation cistercienne “la Grange d’Eaubelle”, St Lys possédait dès ses origines un moulin à eau puis des moulins à vent. le dernier de ces moulins a fonctionné pendant la seconde guerre mondiale.
laissé à l’abandon par les descendants du dernier meunier François Bélard, i1 a perdu ses ailes et son toit. le mécanisme, les planchers et les marches se sont pourris et la tour s’est fissurée.
l’Association pour la Réhabilitation du Moulin de St lys l’a restauré (cf Maisons Paysannes de France n° 134, 1999) et i1 fait maintenant la fierté des St lyslens (fig. 1).

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fig 1 – moulin de St Lys

Que sait-on de son histoire? les témoignages concordants de la famille de ce meunier indiquent qu’à la fin du XIX ème siècle, 11 a été construit à partir d’un ou de plusieurs moulins situés sur la route départementale 632 (anciennement route départementale nO3). Il a fallu démonter brique à brique et transporter le mécanisme et les éléments en bois sur le lieu actuel. Dans les documents d’archives de la seconde moitié du XIXème siècle, on relève d’ailleurs qu’à plusieurs reprises, i1 a été recommandé de “faire démolir ou reculer ces moulins trop près de la route car il est arrivé de nombreux accidents pour qu’on donne(…) toute la sécurité que commande la conservation des voyageurs”. Ces moulins situés de part et d’autre de cette route ont bien été démolis. Ils figurent sur les cartes de 1859 et sur celle de Cassini (1750-1815). Le moulin actuel de St Lys mentionné seulement depuis la fin du XIX ème siècle a donc vraisemblablement utilisé des éléments antérieurs à ces dates. On peut se demander si la totalité du bois conservé provient de réutilisation ou si des chênes ont été coupés au moment de sa reconstruction.
Enfin quel est le degré d’homogénéité de ces bois? Aucune date n’a pu être relevée sur la bâtisse de St lys. les fouilles sont restées muettes. la faible épaisseur et les déformations de certaines briques foraines suggèrent une réelle ancienneté. Elles sont liées à l’argile ce qui explique qu’elles aient pu être récupérées sans trop de pertes à partir d’un ancien moulin.

Les principales pièces de bois anciennes sont: l’arbre moteur, les paliers de support de cet arbre, les sablières qui soutiennent toute la charpente, la civière ou encastre qui constitue le châssis de la meule dormante et les madriers qui portent ces meules, les poutres du rez-de-chaussée qui soutiennent l’ensemble, des pieds-droits verticaux séparant le rez-de-chaussée et le second étage sur lesquels s’articule le levier d’écartement des meules. Enfin des marches et les linteaux de la porte et des fenêtres percés de trous proviennent de toute évidence d’anciennes ailes réutilisées. Sur les conseils d’une archéologue de l’Université de Toulouse le Mirail, l’Association pour la Réhabilitation du Moulin de St lys a demandé à Béatrice Szepertyskl, directrice du laboratoire d’Analyse et d’Expertise en Archéologie et Oeuvres d’art de Bordeaux*, de dater ces bois.
C’est ce qui a été réalisé en mars 2002.

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fig 2 – Cernes du bois du coussinet de tête – Ils permettent de déterminer l’âge et la période à laquelle le chêne a été coupé

Méthode

Sous nos climats, les arbres poussent au printemps puis en été et la croissance s’arrête en hiver. Au printemps, l’activité biologique est maximale, créant des gros vaisseaux clairs pour le passage de la sève. En été, le bois devient plus dense, plus abondant et plus foncé, avec de petits vaisseaux. l’ensemble constitue un cerne tous les ans, bien visible, en particulier chez le chêne dont le bois est abondamment utilisé pour la charpente des moulins à vent en raison de sa solidité (fig. 2). On peut compter les cernes concentriques depuis le premier au centre jusqu’à l’extérieur. On passe du coeur de l’arbre dont le bois n’est plus vivant très dur avec des vaisseaux bouchés, à la périphérie où se trouve l’aubier, plus clair où circule la sève et, sous l’écorce, une couche fine le cambium où s’effectue la prolifération. Si toutes les couches sont présentes jusqu’à l’écorce, on pourra déterminer avec précision l’âge de l’arbre mais cela ne nous indique pas l’année de la coupe.

Quand on fait observer aux visiteurs une tranche de bois récupérée sur une ancienne poutre du moulin (fig. 2), Ils ont vite vu que les cernes ne sont pas d’épaisseur égale: certaines années la croissance est forte, d’autres elle est réduite. Nul doute que le climat joue un rôle prépondérant dans la croissance. Des étés chauds et humides permettent une lignification abondante alors que la sècheresse se traduit par des cernes étroits. Ainsi la coupe de la figure 2 fait apparaître 3 années consécutives de cernes étroits, entourés de cernes plus larges. la répartition de ces cernes va se retrouver chez la plupart des arbres de la même espèce et de la même région.

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fig 3 – poutre maîtresse de la base du moulin

Comme elle est liée au climat, elle sera partagée par les forêts de tout le Grand Sud-Ouest dans la zone de climat océanique. Reste à constituer une collection de bois de référence pour faire coïncider une image de bois inconnu avec des bois datés. Or les archives historiques permettent souvent de connaître avec exactitude l’année de construction d’une église, d’un château ou la fabrication de meubles de bois. Progressivement, en reculant dans l’échelle du temps, par juxtaposition des répartitions des cernes, on peut constituer des étalons-références de plusieurs siècles et même milliers d’années (plus de 6000 ans dans des cas favorables) pour chaque grande région climatique et pour diverses essences. le laboratoire de Bordeaux a ainsi constitué son échelle de référence pour le Grand Sud-Ouest qui remonte bien au-delà de la période romaine.

Réalisation

On découpe une tranche de bois (fig. 2) ou on prélève une carotte de 8 mm depuis l’aubier jusqu’au coeur. les échantillons sont polis et les épaisseurs des cernes mesurées à la loupe. Parfois les mesures sont faites sur place sur une face bien polie sans découpe. les valeurs sont analysées par des procédés informatiques complexes pour tenir compte des fluctuations dues à la proximité d’autres arbres, des facteurs du sol, de l’âge, des microclimats etc… Si l’aubier n’est pas complet, on admet des limites maximales et minimales de datation établies par la taille habituelle de l’aubier des arbres d’un âge comparable. Dans le cas du moulin de St Lys, il importait surtout de savoir à quelques années près, la date de coupure des bois utilisés.

Datation des bois du moulin :
Dix prélèvements ont été effectués sur des pièces de chêne dont 9 ont pu être datés. Les plus anciens bois proviennent des poutres du rez-dechaussée qui supportent les étages supérieurs. Il s’agit de pièces de bois taillées à l’herminette, sans trace de réemploi. Elles mesurent 420x30x25cm, ce qui correspond aux dimensions habituelles des poutres de soubassement des moulins anciens de la région. l’estimation de la date d’abattage de l’arbre donne une valeur minimale de 1621-1636, ce qui suggère qu’il s’agit d’une poutre d’un moulin bâti à cette époque, sous louis XIII. Ces poutres ont vraisemblablement été utilisées pour la construction peu après l’abattage de l’arbre comme en témoigne les fentes nombreuses après leur installation (fig. 3). on retrouve cette observation pour la poutre du coussinet de tête (fig. 2) ce qui confirme qu’à part les mobiliers, statuaires et panneaux peints, le bois frais, facile à travailler, était majoritairement utilisé en charpente, contrairement à des idées fausses souvent colportées.

Une série d’échantillons (6) ont été prélevés sur l’arbre moteur, les poutres qui supportent la meule dormante (encastre ou civière), les poutres du coussinet de tête de l’arbre et des éléments de réemploi à partir de vieilles ailes percées de trous pour les barreaux. Tous ces éléments appartiennent à une seule période d’abattage probablement entre 1747 et 1752. On pense donc que le moulin actuel a récupéré les éléments fondamentaux d’un moulin rénové à cette période sur un bâti du XVII ème ou à partir de deux moulins. Des études ultérieures pourraient permettre de trancher entre ces possibilités.

les 2 pieds-droits qui soutiennent les poutres de l’étage des meules (2ème étage) en prenant appui sur les poutres du rez-dechaussée, sont en bois plus clair, attaqué par les vrillettes et en réemploi évident pour le système de bras de levage (trempure) de la meule tournante. Ils sont datés de 1804-1814 (intervalle minimum). On peut penser que ces pièces beaucoup plus récentes proviennent d’un autre moulin, postérieur, et vraisemblablement détruit. on imagine mal que ces éléments intérieurs et fixes aient été abîmés par les intempéries et remplacés au début du XIX ème.

Pour la première fois, en Midi Pyrénées, la dendrochronologie nous a permis de dater les pièces de bois d’un moulin à vent à l’histoire mouvementée et dont aucun document d’archives n’avait encore pu retracer les péripéties. Avec une précision satisfaisante, cette étude nous a fait découvrir l’origine composite de ce moulin. Il fait actuellement de la farine à volonté et les visiteurs viennent non seulement découvrir son fonctionnement, sa charpente et ses divers bois, sa collection de céréales et leur origine, ses meules en silex et leur origine mais encore son histoire retrouvée grâce à ses bois. Bien d’autres moulins pourraient aussi profiter de cette méthode mais également tout ce qui est en bois, poutres, colombages, meubles, encadrements, reliures, etc…

Michel Sicard – Article paru dans le Monde des Moulins – N°2 – septembre 2002

Catégories : Histoire

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