Le site des Moulins de France
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Dans notre pays de Forcalquier, au coeur de la Haute-Provence, une des nos caractéristiques est d’avoir eu surtout des moulins à blé actionnés par l’eau et fort peu de moulins à vent. Nous avons hérité de techniques antiques, voire même d’origines grecques, puisque Marie Claire Amouretti, spécialiste de techniques agricoles antiques, a découvert un poème grec qui chantait le travail des muses de l’eau pour moudre le blé ! Le moulin de l’Agnelier est l’un d’une vingtaine de moulins à farine, installés au cours des temps, tout au long de la toute modeste rivière du Largue qui, depuis son origine à Banon jusqu’à sa jonction avec la Laye et avant de rejoindre la Durance, les alimentait en force motrice : l’eau. Certains d’entre eux comportent encore des bâtiments devenus résidences, très peu conservent encore quelques vestiges d’installations meunières, généralement éradiquées par des propriétaires qu’elles encombraient. La plupart ont complètement disparu, un seul avait gardé toutes ses installations, le moulin Agnelier, que nous nommons aussi le « moulin Delestic », du nom d’une dynastie de propriétaires-meuniers l’ayant possédé depuis cent cinquante ans, et qui a été maintenu intact grâce à l’obstination de son dernier propriétaire, Lucien Delestic. Il y a une trentaine d’années, l’intérêt pour ce moulin fut détecté par Pierre Martel, fondateur d’Alpes de Lumière, et étudié par Danielle Musset, maintenant conservatrice du conservatoire départemental de Salagon, a entraîné son inscription à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques, déclarée en 1993. La volonté des Monuments Historiques était de « maintenir la compréhension du fonctionnement et transmettre les techniques aux générations futures ». Mais que de temps perdu depuis !

Un moulin riche d’appareillages et de savoirs

L’ensemble des appareillages du moulin présente l’évolution des différentes techniques depuis celle de base, datant du Moyen-Âge, jusqu’à celles des années 1960. On peut encore les voir dans les quatre différents niveaux. Extérieurement c’est un grand bâtiment à deux étages (fi g.1).

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Figure 1 – Ensemble du moulin Delestic. Photo J. Bourveau, présidente d’honneur-fondatrice du Patrimoine du pays de Forcalquier (2010)

La partie gauche constitue le logis du meunier, la partie droite est uniquement consacrée à l’activité meunière. Il a été reconstruit en 1859 sur des bases d’un moulin ruiné et la chambre des eaux, conservée, est visiblement beaucoup plus ancienne . Son canal démarre par une prise d’eau, 1300 mètres en amont sur le Largue. Il alimentait un réservoir important accolé au dos du moulin (fi g.2).

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Figure 2 – Réservoir au dos du moulin. Photo E. Lauga (aimable autorisation d’Henriette Lauga présidente des Amis des Arts, Reillanne)

Pour moudre, on ouvrait une vanne, l’eau se précipitait par le canon dans la chambre des eaux, située en sous-sol du moulin, 7 m plus bas. Elle fouettait les pales d’un rodet horizontal et le mettait en rotation. (fi g.3).

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Figure 3 – L’eau arrivant sur le rodet. Photo E. Lauga (vers 1960)

Celui-ci, relié par un axe vertical à une meule circulaire située au rez-de-chaussée du moulin, la faisait tourner au-dessus d’une meule fi xe (ou dormante). On introduisait le blé au centre de la meule tournante ; une fois le grain broyé, la farine obtenue était éjectée en périphérie du couple de meules et recueillie dans un coffrage en bois, l’arescle, ornée de colonnettes adossées (fi g.4).

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Figure 4 – Arescle à colonnettes. Photo E. Lauga (vers 1960)

Ce système simple, mis au point depuis l’Antiquité, a continué à équiper nos moulins à eau pendant des siècles. Ici, le plus ancien témoignage est un rodet de grande taille dont l’axe et les cuillers sont en bois. Il a été déposé, tout du fait de son poids et sa taille, il n’a pu être sorti lors de l’installation ultérieure de rodets métalliques encore en place dans leurs fonctions (fi g.5).

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Figure 5 – Rodet en bois déposé, concrétionné. Photo M. André président des Amis du Moulin Delestic (2008)

On en voit deux car le deuxième actionnait une meule à décortiquer l’épeautre (fi g.6).

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Figure 6 – Le moulin à épeautre. Photo E. Lauga (vers 1960)

Plus tard, ces systèmes ont été complétés par une turbine métallique (fi g.7), aussi mue par l’eau, admise par une vanne (fi g 8), actionnant un grand axe horizontal qui, par des jeux de courroies, mettait en marche d’autres types de broyeurs à cylindres métalliques (fi g. 9), autres générations d’appareils, mais toujours mis en oeuvre par la force de l’eau.

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Figure 7 – Turbine. Photo M. Richaud président du CLAPAS groupement de 14 associations de bénévoles du patrimoine (2008)

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Figure 8 – Vanne. Photo M. Richaud (2008)

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Figure 9 – Broyeurs à cylindre. Photo M. Richaud (2008)

 

La modernisation : complexité et tintamarre

La demande de farines plus pures et raffi nées, les possibilités fi nancières des propriétaires ainsi que leur désir de modernité entraînèrent l’achat d’appareillages complexes. Ils permirent de nettoyer parfaitement le blé avant le premier broyage, puis de trier les produits obtenus par alternances de tamisages et broyages successifs pour obtenir la séparation du son et autres particules plus grossières destinées aux animaux, de la farine fi ne et blanche recherchée. D’où la rare complexité de l’ensemble de conduites en bois passant au travers des planchers, dans lesquelles circulaient des courroies à godets qui montaient ou descendaient les produits déjà obtenus après leurs différents traitements : du rez-de-chaussée (stockage) au 2e étage (triage, brossage), de nouveau au rez-de-chaussée (lavage, essorage), puis 2e étage (ventilation, séchage), encore au rez-dechaussée (broyage) puis le 1er étage (tri par tamisage séparant son, farine, fi not, gruau) et de nouveau au 2e étage (blutoir), et re-descente au rez-de-chaussée (pour un nouveau broyage), et re-montée au 2e (pour tamisage au plansichter) et ceci quelquefois plusieurs fois pour enfi n remonter la farine panifi able au 2e étage d’où elle tombait dans des sacs de conditionnement situés au premier ! On imagine le tintamarre de cette machinerie complexe lorsque le moulin fonctionnait ! Le parcours invraisemblable des produits à traiter se faisait uniquement par les jeux de courroies à godets grimpant verticalement ou tubes inclinés pour redescendre et effectuer les différentes phases (fi g.10).

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Figure 10 – Tubes en bois contenant courroies et godets. Photo M. André (2008)

La juxtaposition de ces mécanismes de différentes époques est exceptionnelle : laveuse, broyeurs de marques différentes : Büher, Sama, Lafon, blutoirs, plansichter qui ébranlait tellement le moulin qu’on dût le mettre hors-service ; ce sont autant d’améliorations coûteuses choisies par la famille Delestic pour moderniser le moulin au fur et à mesure des progrès techniques. Les exigences de la législation d’après-guerre ont provoqué l’arrêt de la meunerie dont la production, avant-guerre, allait jusqu’à Marseille. Gaston et Marie Chrisostome, fermiers à Saint- Martin-les-Eaux, ont fréquenté Lucien Delestic et les gens du moulin pour la mouture des grains pour leurs animaux ; c’était la seule activité ayant persisté en s’amenuisant jusqu’à extinction. Marie, conteuse et excellente photographe, a publié « Lucien du Largue » (2005 – Ed. Alpes de Lumière), livre dans lequel elle évoque les personnages de cette famille, le moulin et l’ambiance qu’elle a connus.

Le temps qui tue !

Après la mort sans descendance de ce dernier membre de la famille Delestic, pendant les mois où le notaire recherchait des héritiers potentiels, le moulin fut pillé de tous les objets domestiques et de ce qui pouvait présenter une valeur quelconque, et squatté. La meule tournante de plusieurs centaines de kilos fut même dérobée. Cependant, la municipalité de Reillanne, consciente de la valeur patrimoniale du moulin et suivant les suggestions pour sa mise en valeur, émises à l’occasion du classement, racheta le moulin et les terres adjacentes. Il s’agissait de le transformer en musée de la meunerie. Mais des diffi cultés, suivies d’un changement de municipalité, ont bloqué ce talentueux et ambitieux projet. Actuellement, la municipalité a délégué au Parc Régional du Luberon les rênes de ce projet. Mais entre-temps, le moulin était abandonné à son sort, le toit s’est fragilisé, il y a maintenant des entrées d’eau que personne n’est capable de réparer par manque ou retards de fi nancement. Quoi faire de ce moulin ? C’est la question qui se pose à tous, conscients de sa valeur patrimoniale et des potentiels qu’il représente. En faire un musée de la meunerie qui pourrait aussi accueillir le remarquable ensemble d’objets ethnologiques du musée de l’association « Amis des Arts à Reillanne » ? D’autres réfl exions s’amorcent : remettre en eau et utiliser ces possibilités du réservoir de grande capacité pour produire de l’énergie tout en constituant une réserve d’eau ? Des études vont être faites mais pour nous, c’est l’urgence qui prime !

Vite ! Une action efficace

Nous, les amis de ce moulin que nous sommes devenus depuis une mémorable interventionnettoyage, opérée en 2008, sommes désespérés de voir ce moulin classé se détériorer dans l’indifférence de certains et l’incapacité des autres à intervenir ! Nous avons constitué l’association « Les Amis du Moulin Delestic » dans le but de réunir quelques fonds privés pour une action urgente de mise hors d’eau provisoire par des bâches en attendant que le Parc Régional du Luberon puisse entreprendre des travaux plus défi nitifs. Nous pourrons poursuivre éventuellement cette action en soutenant le projet de mise en valeur du moulin. Nous sommes déjà plus de cent à apporter notre concours à cette oeuvre de sauvegarde car l’avenir du Pays de Forcalquier, dépourvu de grande ressources, doit rester attractif par son patrimoine, pour un tourisme qui déjà nous aide à vivre.

Jeanine Bourvéau (Association Patrimoine du Pays de Forcalquier et des Amis du Moulin Delestic) – Article paru dans le Monde des Moulins – N°35 – janvier 2011

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