C’est en visiteur du moulin de la Laurède en Ariège que Christophe Bernus, venu du village voisin du Bosc, nous informa au cours de cet été 2010 connaître une meule, taillée et presque terminée, directement dans un bloc de quartz charrié par l’eau des crues, dans le cours de l’Arget, à une altitude d’environ 740 mètres, quand ce n’est encore qu’un torrent de montagne difficilement accessible entre des pentes abruptes.
Pendant les journées du patrimoine de septembre 2010, Christophe nous permit de faire connaissance avec sa superbe découverte. Le Bosc est actuellement un village de 2900 ha, cent quarante-deux habitants permanents, et cent deux résidences secondaires, le tout réparti dans les quatorze hameaux à flanc de montagne, entre 700 m en fond de vallée et plus de 1600 m sur les estives. Mais en 1884, le village avait mille quatre vingt-dix-sept habitants, et près de deux mille au milieu du XIXème siècle avant que certains hameaux ne quittent Le Bosc pour créer en 1833 le village de Burret. En 1770-72, dates de levée de la carte de Cassini, Le Bosc comptait parmi ses moulins, celui de Breigne sur le ruisseau de Freychinet, mais aussi cinq sur l’Arget, tout en vasques et en ressauts, qui se jette dans l’Ariège à Foix.
C’est au beau milieu d’une nature verdoyante et dense, au ras de chablis tombés avec la neige lourde de début mai, que Christophe nous montra la meule « presque terminée » posée au milieu de l’Arget, et caressée par les vaguelettes du ruisseau. Quelle surprise !
quelle merveille ! Chacun s’en est approché ; la belle fut nettoyée de sa mousse pour être admirée à la fois pour sa grande taille (1,50 mètre de diamètre), son épaisseur, et son trou central parfaitement rond, avec de petits trous d’encoche que le tailleur de meule avait faits pour la détacher du restant du bloc. Chacun y est allé de son hypothèse de transport envisagé vers le moulin qui devait l’accueillir : moulin de Monner à 500 mètres en contrebas ou moulin du Four à 400 mètres plus haut, en radeau ou plus vraisemblablement en la faisant rouler, tirée par des bourriquots ?
Nous ne saurons sans doute jamais pourquoi la meule n’a pas été terminée. Nous avons interrogé les plus anciens de la contrée mais déjà, du temps de leur jeunesse, ces moulins étaient abandonnés. Maintenant ils sont en ruine, disposant toutefois encore de leurs jeux de meules avec l’anille et le fer de meule fiché dedans. L’histoire et sa composante d’exode rural sont passées par là. Il ne reste que ces rares témoins d’une sorte de civilisation disparue.
Jean-Paul Denier
Paru dans le Monde des Moulins n°36 d’avril 2011
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