Le site des Moulins de France
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Mes parents étaient agriculteurs sur les coteaux de Feugarolles (Lot et Garonne) et, c’est moi, malgré mon jeune âge qui portait le grain au moulin. Quelques jours avant, je partais en vélo voir le meunier pour prendre rendez-vous. Pour moi, c’était un évènement.

Je partais de bon matin car pour parcourir une dizaine de kilomètres avec un attelage à vaches il fallait pas mal de temps. A l’époque, c’était normal de passer des heures sur les routes. Le long du parcours, je m’arrêtais chez les voisins pour prendre des sacs de grains que je restituais au retour, une fois transformés en farine.
Arrivé au moulin, avec l’aide du meunier, je dételais mes vaches que j’attachais à un anneau prévu le long du mur; j’avais pris soin de prendre une brassée de foin pour les nourrir à midi car la mouture durait une bonne partie de la journée.

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Jeannot Boizon au moulin Goux – photo M.Sicard

Le “moulin de Laroque” après Barbaste (Lot et Garonne), sur la route de Bordeaux se situe sur le Larebuzon. C’était un beau moulin avec de puissants bâtiments à plusieurs étages qui autrefois étaient pleins de blé. Le moulin par lui-même possédait trois paires de meules : deux étaient autonomes grâce à une grande roue à aubes et l’autre grâce à une petite turbine. Le meunier passait mon grain dans les meules de la roue car la turbine, trop gourmande en eau, ne servait que l’hiver lorsqu’il y en avait beaucoup. La mouture tombait dans un grand coffre en bois et le meunier avec une pelle faite d’une poignée en bois et d’un vieux bidon remplissait les sacs avec lesquels j’avais apporté le grain.

Entre les deux coffres, il y avait un petit tonneau debout, muni d’un couvercle tout à fait inoffensif qu’on ne remarquait même pas et, de temps en temps, discrètement, n’étant vu de personne, le meunier y glissait une pelle de farine qui servait à améliorer l’ordinaire de sa porcherie. Tout le monde le savait mais faisait semblant de l’ignorer. Cela faisait partie des coutumes et de nos jours, je le comparerais à une surtaxe que l’on retrouve parfois sur nos factures modernes.
Plus tard, devenu son ami, il me confiait le secret du tonneau en me disant qu’il ne prélevait qu’aux méfiants, aux insatisfaits de ses services et autres roublards et que moi, je n’avais rien à craindre.

Pendant que mon grain passait dans le moulin, je ne restais pas inactif. Je musardais dans tous les recoins, à l’affût de tous les détails qui m’intéressaient.
J’allais voir à travers quelques petites ouvertures cette grande roue verticale à augets avec une grande couronne hérissée d’une dentition en bois qui s’engrenait inlassablement dans des transmissions aussi obscures que mystérieuses, le tout avec un bruit de pignons et de clapotis régulier de l’eau sur la roue. Faisant le tour du moulin, j’allais voir la butte de terre bien gazonnée qui retenait la gourgue, petite retenue d’eau qui s’étirait plutôt en longueur pour constituer la chute et une réserve pour les heures de mouture car le ruisseau n’était pas comme on l’a dit plus haut, d’un gros débit. Les rives de ce petit lac étaient bordées d’une belle végétation faite de joncs et de vergnes dont les racines tentaculaires et emmêlées plongeaient dans l’eau claire et je m’imaginais qu’elles servaient de refuge à des écrevisses et autres goujons que j’aurais eu plaisir à pêcher.
Le maître des lieux était un fier italien venu en France avec sa famille; il avait un fils qui faisait marcher le moulin. Il avait l’air très compétent. Il entretenait tout le mécanisme. C’était lui qui remplaçait les dents de la grande roue usées ou cassées, à partir d’un bout de bois d’acacia et d’outils rudimentaires. Il lui fallait une matinée de travail pour une dent. Voyant que j’étais intéressé, il m’expliquait comment il faisait pour “piquer” les meules avec un petit marteau dont il forgeait et trempait lui-même les pointes et bien d’autres détails dont je ne me souviens guère.

Quand notre association des amis du moulin fut fondée, j’ai pensé tout de suite à lui car il aurait pu nous apprendre beaucoup de choses. Je lui en ai fait part et, bien qu’il fut à la retraite et d’une santé précaire, il était tout heureux et avait accueilli cette demande avec joie. Mais hélas, victime d’une maladie implacable, il nous a quitté il y a quelques temps.

Mais le meunier avait aussi des filles et particulièrement deux fières gaillardes d’une beauté rayonnante. C’était l’été, elles vaquaient autour du moulin souvent pieds nus, vêtues de petites robes légères dont le tissu des boutonnières du corsage, gonflé, était étiré à la limite de l’explosion.

La mouture terminée, je repartais avec mon attelage qui, n’étant pas trop chargé et sentant le retour au bercail, allait d’un bon pas. En passant chez les voisins, je leur laissais les sacs de farine correspondant. De retour chez moi, le souvenir de cette journée me trottait dans l’esprit encore longtemps et je pensais déjà à ma prochaine expédition car pour moi c’étaient des journées formidables. Je pense que c’est à partir de ce moment là qu’est né en moi la passion des moulins : j’avais quinze ans.

Jeannot Boizon – Article paru dans le Monde des Moulins – N°6 – octobre 2003

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