Les centrales hydro-électriques : une chance et des problèmes.
La Seine possède un patrimoine mal connu : ses centrales hydroélectriques. Bien sûr, ce ne sont pas des barrages avec retenues d’eau tels qu’on les voit en montagne, mais au contraire des centrales au fil de l’eau installées le long des écluses et des vannes réglables. Elles représentent jusqu’aux limites du département de l’Eure une puissance installée de 33 MW soit plus de 200 GWh d’électricité produite par an. Cette production se compare à la consommation d’une agglomération de 20 000
foyers et correspond à 80000 tonnes évitées de rejet de CO2 par une production d’électricité d’origine thermique équivalente. Nous vous proposons de découvrir ce patrimoine et les enjeux dont il est l’objet. L’énergie hydraulique de la Seine est utilisée depuis la nuit des temps. On comptait 120 moulins en 1290 pour moudre la farine des 300 000 habitants de Paris, et on en dénombrait 6 000 dans l’Ile de France au XVIIIème siècle. Cependant, ce sont essentiellement la navigation et la protection des crues qui ont façonné la Seine, classée navigable depuis Marcillysur- Seine jusqu’à la mer sur 517 km. Ce parcours représente une dénivellation de 67 mètres échelonnée sur 25 écluses dont la plupart sont en amont de Paris.
Les plus importants de ces ouvrages ont été rendus nécessaires par la navigation du XIXème siècle. La création des grandes écluses a fait apparaître des chutes d’eau exploitables à des fins hydro-électriques. En amont de Paris, trois sites présentant une chute d’eau suffisante ont été équipées pour un débit de 110 à 150 m3 par seconde. Ils se trouvent en Seine-et-Marne. Ce sont les barrages de La Cave ( à Chartrette, Bois-le-Roi avec une chute de 3,1 m et une puissance installée de 2,7 MW), de Champagne (avec une chute de 2,9 m et une puissance installée de 3,4 MW, et de Varennes-sur-Seine (avec une chute de 2,6 m et une puissance installée de 3,2 MW). En aval de Paris, trois autres sites ont été équipés. Ils sont situés en aval de la confluence avec l’Oise, ce qui permet de porter leur débit d’équipement à 200/240 m3 d’eau par seconde soit presque le double de ceux de l’amont de Paris situés eux-mêmes en amont de la confluence avec la Marne. Ce sont les sites de Méricourt (dans les Yvelines, avec une chute de 5,1 m et une puissance installée de 7,7 MW), Port- Mort (à Notre-Dame-de-la-Garenne dans l’Eure, en parallèle de quatre écluses grand gabarit, une chute de 4 m et une puissance installée de 8 MW) et de Poses (Amfreville dans l’Eure, avec une chute de 5,40 m à 8 m selon la marée et une puissance installée de 8 MW).
Ces centrales sont de basse chute, c’est à dire qu’elles se passent de conduite forcée, l’eau étant acheminée par un canal d’amenée à l’air libre pour entraîner ensuite une turbine reliée à un générateur d’électricité. La turbine est généralement de type Kaplan ou Francis (c’est à dire des hélices à axe vertical ou à axe horizontal), les roues à aubes n’étant bien sûr plus utilisées pour la production d’électricité. L’électricité produite est ensuite conduite au réseau EDF par une ligne Moyenne Tension. L’eau
retourne au fleuve par le canal de fuite.
Ces petites centrales ont été construites par des sociétés privées qui les exploitent et dont certaines ont plusieurs sites. Elles font parties des 1700 exploitants indépendants de France qui fournissent 1,5 % de la production nationale avec leurs petits barrages. Un syndicat de la profession GPAE, compte 3000 emplois et un chiffre d’affaire cumulé de 380 millions d’euros pour l’électricité mini-hydraulique française. Aujourd’hui ces producteurs vendent leur électricité à EDF à des prix tarifés. Ces prix sont suffisamment élevés pour permettre le maintien en activité des mini-centrales et sont une obligation imposée à EDF. Le producteur, de son côté, est libre de bénéficier de cette possibilité, mais il pourrait aussi bien auto-consommer ou vendre son électricité à un autre commercialisateur qu’EDF au prix du marché, tout en émettant en même temps des certificats verts.
Le certificat vert permet d’attester qu’un MWh a été produit par une énergie renouvelable, il est démembré du MWh physique injecté dans le réseau avec le reste des autres productions d’électricité. Si bien en théorie qu’un consommateur situé à Brest qui voudrait uniquement de l’électricité verte (bleue) d’un barrage des Pyrénées pourrait tirer son électricité physiquement du réseau de distribution d’électricité habituel en Bretagne et achèterait en parallèle la quantité de certificats verts correspondante à son barrage pyrénéen.
Barrage de Champagne – photo A. de Rochefort
Le Protocole de Kyoto concernant la réduction d’émission de gaz à effet de serre a résulté en un engagement de la France d’atteindre 21 % d’énergie renouvelable en 2011. Au niveau national, c’est l’arrêté du 7 mars 2003 qui a fixé des objectifs par filière, dont la mini-hydro entre 200 et 1000 MW supplémentaires. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le maintien de l’obligation d’achat par EDF pour la mini-hydro tant pour maintenir les sites actuellement en activité que pour éventuellement en motiver de nouveaux. L’obligation de rachat d’électricité par EDF se situe autour de 55 euros par MWh, mais peut résulter de composantes variant de 44 à 84 euros selon la saison et la régularité de la production du barrage. Cette obligation représente un surcoût externalisé dans le FSPPE (fonds de service public de production d’électricité) créé par l’article 5 de la loi du 10 février 2000 et financé par les consommateurs, quel que soit le fournisseur afin d’affranchir EDF de cette charge. Ce fonds couvre les surcoûts de production dans les zones non interconnectées (Corse, départements d’outre-mer) ainsi que les surcoûts résultant de l’obligation d’achat dont nous venons de parler, par EDF ou les distributeurs non nationalisés, de l’électricité produite par certains types d’installations ou les énergies renouvelables ( hydro, éolien, photovoltaïque).
Les mini-centrales sont donc en général bienvenues par les communes riveraines à cause de la taxe professionnelle qui en résulte mais généralement peu génératrices d’emploi, les tâches récurrentes de surveillance et de nettoyage restant limitées. En revanche, elles posent quelques questions légitimes d’environnement que nous examinons maintenant.
Outre les aspects d’intégration paysagère et de loisirs (passes à kayak) qui trouvent de nombreuses solutions, le sujet le plus sensible est l’impact sur le peuplement piscicole. Celui de la Seine présente encore une diversité d’espèces caractéristiques des grands cours d’eau de plaine lents et à eau relativement chaude : gardon, carpe, tanche, brème et brochet. Cette richesse de peuplement se dégrade d’amont en aval. Ainsi en Seine-et-Marne, on dénombre jusqu’à 17 espèces (gardon, chevesne, ablette, perche fluviale, brochet et sandre) tandis qu’en région parisienne le nombre d’espèces se réduit de 5 à 12 selon les stations et les années. La Seine accueille encore également quelques poissons migrateurs : par exemple l’anguille qui vit en eau douce et se reproduit dans la mer des Sargasses. Le saumon en revanche a pratiquement disparu. Le brochet, le goujon, la chevesne et la vandoise effectuent des migrations le long du fleuve pour leur cycle de reproduction. La Seine a donc été classée au titre de la libre circulation des poissons migrateurs et la zone qui nous intéresse classée en seconde catégorie piscicole de façon à assurer la protection de toute faune aquatique.
Ceci induit deux ensembles de précautions ; l’un portant sur l’oxygénation de l’eau, l’autre sur l’aménagement d’une circulation des poissons à la dévalaison et à la montaison, notamment pour les migrateurs, et leur protection par rapport aux turbines. En pratique, le renouvellement des concessions des ouvrages existants sera probablement l’occasion de satisfaire à ces obligations lorsqu’ils ont été aménagés à des époques où ces contraintes étaient négligées .
Le SDAGE ( Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux) du Bassin Seine-Normandie de 1996 propose une orientation B.5 qui consiste à réduire sur le bassin les renouvellements de concession et même à engager une réflexion pour supprimer l’obligation d’achat d’électricité par EDF au cas par cas si l’impact environnemental négatif de l’ouvrage le justifie. De façon plus immédiatement applicable, il invite aussi à imaginer des mesures contraignant les exploitants à adopter un comportement responsable en matière de débit réservé en conformité avec les conditions normales de vie, de circulation et de reproduction des espèces : le « débit biologique », allant le cas échéant jusqu’à un « chômage estival » des centrales en période d’étiage (période de basses eaux). Ces dernières recommandations si elles sont suivies permettront :
– de maintenir une surverse de nature à oxygéner l’eau,
– d’organiser une circulation améliorée de la dévalaison des poissons migrateurs pour le maintien du débit réservé,
– d’organiser une circulation améliorée à la montaison des poissons migrateurs par la mise en place de passes à poissons par bassins ou par rivière artificielle.
Passe à poissons du barrage de Champagne – Photo A. de Rochefort
La protection des poissons par rapport aux turbines peut être assurée par le resserrement des grilles de filtrage, ce qui induit une perte de charge pour l’exploitant, mais qui permet de ne laisser passer que des poissons de très petite taille par rapport aux installations. Ceux-ci traversent alors la turbine sans dommage, mais peuvent subir un risque de décompression en sortie de turbine, la réduction de ce risque fait actuellement l’objet de recherches de nouvelles technologies chez certains turbiniers.
On le voit, les intérêts en cause autour d’une micro-centrale sont nombreux : environnement local, agrément des riverains et des usagers, taxe professionnelle, réduction des gaz à effet de serre, nouvelles technologies … un véritable exemple de Seine en partage. Certains ont même évoqué d’intégrer une mini-centrale dans une promenade au parcours pédagogique autour de l’énergie hydro-électrique et les poissons migrateurs. L’amélioration des technologies, le renforcement des exigences environnementales et la sensibilisation de tous les acteurs permet d’espérer que les micro-centrales ne pourront qu’évoluer dans le bon sens et que les six centrales de la Seine resteront durablement un atout pour elle.
Antoine de Rochefort, ingénieur – électricien, AUSTRUY S.A – Article paru dans le Monde des Moulins – N°10 – octobre 2004
0 commentaire