L’eau à Saoû
Si vous visitez le magnifique petit village drômois de Saoû, blotti au pied de son emblématique forêt de 2500 hectares, vous ne verrez sans doute pas son moulin à huile de noix. Il se cache derrière une minuscule porte en bois, à côté de la boulangerie, et même certains habitants en ignorent l’existence. Pourtant, ce lieu chargé d’histoire et de souvenirs est un des plus remarquables de ce village où l’eau joue un rôle capital. Car entre Saoû et l’eau, c’est une vieille histoire d’amour !
Déjà, l’étymologie du nom du village, Saon (devenu Saoû) signifie « la vallée traversée par un cours d’eau ». C’est la même origine aquatique que pour la rivière Saône ou pour la Seine. Quant au cours d’eau qui serpente entre les maisons de Saoû, il répond au nom de Vèbre, ce qui signifie « la rivière des castors », du latin « biber ».
L’eau de la Vèbre et des sources environnantes vient de la forêt de Saoû qui agit comme un grand entonnoir (un « impluvium », disent les hydrologues). Il concentre une eau d’où sont absentes les pollutions de l’agriculture et du pastoralisme.
L’eau est d’une qualité telle qu’elle aurait droit à l’appellation légale « eau de source de montagne ».
Les canaux du village
Cette eau fut très tôt considérée comme miraculeuse, et les moines qui créent l’abbaye de Saint-Tiers au IXe siècle gèrent un pèlerinage lucratif. Un canal apporte l’eau à l’abbaye et prend son nom.
Jusqu’à la Révolution, on amènera les personnes paralysées à Saoû et les mamans plongeront leurs enfants dans la Vèbre pour leur donner force et santé.
Mais, outre ce canal, pas moins de six autres traversent le village !
Les premiers datent des villas romaines de la plaine et on en retrouve encore des traces.
Les deux premiers, tracés par les moines, partaient du Pertuis, à l’entrée de la forêt. Celui de la rive droite a été comblé, mais l’autre existe toujours. Il parcourt la rive gauche et faisait tourner une scierie et un moulin, moulin transformé en fabrique de billes, de 1870 à 1930.
D’autres canaux concernaient directement le village.
D’abord, venant des sources du Palloir, celui qui approvisionnait en eau potable les fontaines du village et quelques maisons de notables. Il fournit toujours l’approvisionnement général de Saoû et de ses fontaines devenues des bouches à incendie.
Ensuite, de l’entrée Nord du village, un autre traverse le bourg. Il alimente un des deux grands lavoirs du village, puis le moulin à huile de noix et son voisin démantelé :
le moulin à farine. On signale ce dernier en 1517 comme « moulin banal » (droit de
« ban » exercé par le seigneur ou l’abbé). Il est fort probable que le moulin à huile existait déjà et était aussi « banal », même si on ne le mentionne dans un texte qu’à partir du XVIIe siècle. Il a fonctionné jusqu’en 1967.
Un autre canal partant de la rivière, au centre du village, suit la rive gauche. Il faisait travailler une fabrique de soie au lieu-dit « les Foulons » mais aussi des manufactures de teillage du lin et de rouissage du chanvre. Il profitera, plus tard, à une pisciculture aujourd’hui fermée.
Le moulin à huile de noix
On l’a vu, notre moulin à huile de noix est signalé, dès le XVIIe siècle, dans une charte où le « canal de l’abbaye » devient le « canal du moulin ». On aurait dû dire « des moulins »,
puisqu’il faisait tourner aussi le moulin à farine, situé dans l’actuelle boulangerie mitoyenne et disparu, pour sa part, en 1983.
Après la Révolution, ces moulins sont rachetés par Henry Faure, pour 4 250 livres, par adjudication, le 10 février 1791.
Le moulin va passer de génération en génération mais restera toujours la propriété de la famille Faure.
Le 14 octobre 1887, Adolphe Faure fait construire une usine de battage des graines de luzerne et un atelier de sciage-tournage du bois, en utilisant les eaux de fuite du moulin, mais, quelques années plus tard, la Mairie fait construire un lavoir (toujours visible) en utilisant les mêmes eaux. C’est le début d’une longue procédure judiciaire pour établir la
« propriété » des eaux ! La famille Faure continuera l’exploitation du moulin jusqu’en 1945, date à laquelle Édouard Faure le modernise significativement. Hélas, la concurrence est vive et la situation du moulin, enserré dans les maisons, ne permet pas d’agrandissement. Avec tristesse, Édouard Faure, dit « Farinau », cessera l’activité en 1967. Le moulin à farine voisin tournera encore quelques années.
Enfin, le 8 octobre 1983, la commune rachète le moulin et le canal. Les accès aux parties motrices du moulin sont alors murés et le moulin s’endort pour de longues années, avec seulement quelques visites organisées par l’Office de Tourisme lors des Journées du Patrimoine, pour la plus grande joie des touristes et des habitants du village qui, souvent, ne connaissent même pas les lieux.
En 2017, l’Association « À la découverte de la forêt de Saoû », animée par Marie-Claude Gresse, Martine Guillerme et Bernard Foray-Roux, trois anciens présidents de l’Office, proposent à la Mairie de prendre en main le dossier de restauration du moulin. Ils mobilisent les villageois motivés par ce projet, mais aussi de nombreuses associations comme la Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme, les Maisons Paysannes de France et, bien sûr, la Fédération des Moulins de France. Suivis par la Conservation du Patrimoine de la Drôme et supervisés par la Municipalité de Saoû, les porteurs du projet ont commencé par une phase de collecte d’informations et de documents pour retracer l’histoire du moulin et connaître son fonctionnement. Viendront ensuite une évaluation et un chiffrage des travaux de restauration à entreprendre, puis la phase décisive de recherche de financements pour mener le chantier à son terme.
Vous pouvez vous renseigner sur ce projet, le soutenir ou simplement visiter les lieux en écrivant à : decouverteforetsaou@gmail.com
Article paru dans le Monde des Moulins – N°67 – janvier 2019
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