Le site des Moulins de France
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Qui ne s’est pas posé la question de savoir d’où proviennent les meules des moulins à grains ? Les propriétaires, les animateurs et les visiteurs des moulins voudraient en avoir la réponse. Après avoir utilisé les pierres de toute nature pourvu qu’elles soient un peu dures, les meuniers ont opté pour les meilleures, en silex. Or les gisements sont peu nombreux. La France a très tôt fourni en meulières de qualité non seulement ses moulins mais ceux du monde entier. Le site le plus connu, le plus important et le plus étudié (1) est à La Ferté sous Jouarre dans le bassin parisien, l’exportation s’effectuant d’abord par voie fluviale puis par chemin de fer. Mais il n’a pas fourni toute la France. L’enquête de 1809 ordonnée par Napoléon Ier pour faire l’inventaire des moulins à farine avec leur productivité, indique aussi de quelle provenance sont les meules. Ainsi pour la Haute-Garonne (2) sur plus de 1500 moulins ou paires de meules référencés, 4 seulement sont originaires des Pyrénées, en particulier du village de Latoue dans le calcaire danien (- 60 millions d’années), 11 de la Montagne Noire dans les granits du Sidobre et 1 de Bourgogne. Les autres villes citées sont Bergerac et les ports de la Garonne où il n’y a aucun silex (Bordeaux, Auvillar, Verdun, Moissac et surtout Toulouse). Il est manifeste que la région de Bergerac fournissait ces meules qui partaient en gabarres (3) sur la Dordogne et remontaient sur la Garonne vers Toulouse. Elles étaient entreposées chez des marchands à la disposition des meuniers de la région (4). De 1853 à leur cessation d’activité en 1906, on dénombrait à Toulouse 9 marchands et pendant plusieurs dizaines d’années, 3 exerçaient simultanément leur métier. Leurs entrepôts étaient souvent à proximité du port St Sauveur sur le Canal du Midi relié à la Garonne.

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Plan de Bergerac fin 17ème, anonyme – Ce document a été aimablement fourni par Yan Laborie, directeur du musée du Tabac de Bergerac. On distingue sur la pointe de l’île, 3 meules prêtes à être transportées sur la Dordogne vers Bordeaux et le Sud-Ouest.

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Carte géologique du plateau de Bord (Dordogne) 1/50.000ème, 832-Gourdon. Les carrières de meules sont dans les bords des parties roses

Carrières de meulières du plateau de Bord

A quelques kilomètres de Domme (Dordogne), le plateau de Bord d’une altitude d’environ 300 mètres, de 2 x 2,5 km est constitué d’argile qui recouvre les bancs de meulières de l’oligocène inférieur ( – 30 millions d’années). Sur ses flancs la carte géologique indique la présence de 8 carrières de meulières. Sur le terrain, de nombreuses excavations de plusieurs mètres de côté et de 3 à 5 mètres de profondeur et des énormes tas de bloc de silex ne laissent aucun doute sur l’importance de ce lieu d’extraction de meules. Malgré l’envahissement par la végétation et la présence d’eau stagnante, on retrouve des traces caractéristiques. Dans une étude historique très documentée, Louis- François Gibert (3) décrit ces chantiers à partir des premiers documents de la fin du XVIIème siècle et au cours du XVIIIème.
Sur les échantillons prélevés, on trouve quelques petits trous, inférieurs à 1 mm qui correspondent à des microfossiles de végétaux, algues vertes de l’espèce Gyrogona medicaginula ; ce sont ceux qu’on a observés sur les meules d’un moulin de la
Haute-Garonne à St Lys (voir “Le Monde des Moulins” n°11). Cela confirme que les meules de silex du Sud-Ouest proviennent pour la plupart soit du plateau de Bord, soit des petites carrières de la région de Bergerac de même formation géologique.

Un patrimoine à sauver

Lors de notre visite à La Vergnolle (Domme) en 2000, nous avons été accueillis par Mr Maurice Mazet, ancien meulier qui nous a amenés sur la carrière « Aux Places ». Sous la couche d’argile qu’il faut dégager se trouve un premier banc de 1 à 2,5 m d’épaisseur appelé “rufeau”. Il est assez caverneux. Sous une deuxième couche d’argile bleue se trouve un banc de meulière gris bleu de 1 à 1,5 m d’épaisseur appelé “le caillou” ou “le banc bleu” qui a fait la richesse de la région en raison de l’excellente qualité des meules. La pierre se planifiait facilement. Parmi les outils, on utilisait le “couperet” en forme de marteau avec un biseau. D’un coup sec, Mr Mazet nous a montré comment on détachait un bloc de silex. Le “tetu” était aussi une masse aux faces de frappe creusées qui permettait d’équarrir les côtés des blocs de meules et de les aplanir. Cette masse pouvait peser jusqu’à 18 kg. Il fallait un grand tour de main. On utilisait aussi de la poudre noire pour faire exploser les roches. Pour trouer la meule, on utilisait une barre de fer que l’on reforgeait après tous les 10 cm de percée. Un ouvrier tournait la barre pendant que les 3 autres frappaient alternativement en maintenant de l’eau dans le trou. Les ateliers de fabrication de meules se trouvaient essentiellement à Domme, Cénac et Bergerac. Après avoir fourni des meules en Nouvelle Calédonie ou à Chypre, Mr Mazet a fabriqué des pavés de silex pour couvrir l’intérieur de broyeurs à kaolin, il y a encore une trentaine d’années, avant de cesser toute activité sur le silex.

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Coupe synthétique du plateau de Bord (oligocène inférieur) – 832-Gourdon

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Détachement d’un bloc de silex par Mr Mazet – photo M. Sicard

Il y eut sans doute concurrence entre La Ferté et Bergerac car en 1878 les meuliers de La Ferté ont dénigré les productions de la Dordogne, ce qui est contesté par un meulier de Domme qui déclare que “lorsque les pierres de Dordogne ont été envoyées pour remplacer celles de La Ferté, les meuniers l’ont assuré que ces dernières s’usaient plus rapidement” (5-6).

Un avenir ?

Aujourd’hui malgré le remarquable colloque sur les meules à grain de La Ferté sous Jouarre (1) et l’excellent ouvrage sur les meuliers du Bassin Parisien (6), malgré les efforts désespérés de Jacques Beauvois pour maintenir un lieu de mémoire, il ne reste plus rien des usines de La Ferté (voir “le Monde des Moulins” n°11). Pourtant l’intérêt pour les carrières de meules et la vie des meuliers s’amplifie comme en témoigne le colloque de Grenoble sur les meules, de septembre dernier et relaté dans ce numéro. Ne pourrait-on pas réhabiliter une carrière du plateau de Bord, faire visiter les lieux, parler de l’origine du silex, des outils et des méthodes d’extraction, rassembler les documents des anciens ateliers et profiter d’un acteur qui serait certainement prêt à faire revivre ce métier d’autrefois et à aider à créer un site de tourisme original. Ne voit-on pas des incitations à visiter des carrières de pierres de taille bien moins élaborées que celles des meuliers. La Fédération des Moulins de France organise des stages de cerclage ou de repiquage de meules en silex. Est-ce inconcevable de retrouver les gestes des meuliers ? La Dordogne ne serait-elle point un lieu idéal pour un tel Musée vivant ?

Bibliographie :
1- M.Barboff, F. Sigaut, C.Griffin-Kremer et R.Kremer : “Meules à grains” Actes du Colloque international de La Ferté sous Jouarre, ed. Ibis Press 2002
2- Archives départementales de la Haute-Garonne. 12 M 14 et 6 M sub 6
3- L-F. Gibert “L’extraction des pierres meulières de la plaine de Bord au XVIIIème siècle”. Actes du 39ème congrès d’études régionales à Sarlat 1987, p512-522
4- Annuaire des métiers. Archives municipales de Toulouse
5- C.Lacombe “Les meulières de la plaine de Bord à Domme, Dordogne” du XVIII au XIXème siècle, dans les Actes du Colloque international de La Ferté sous Jouarre, ed. Ibis Press, 2002 p 312-333.
6- O. Ward “Les meuliers, meules et pierres meulières dans le Bassin Parisien” Presse du Village, Agapain

Michel Sicard – Article paru dans le Monde des Moulins – N°15 – janvier 2006

Catégories : Histoire

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