Le tènement de la Veyrasse est sis sur la commune de Taussac-la-Billière (nord-ouest héraultais).
Il porte le nom du ruisseau au débit intermittent en proximité. Il s’agit d’un banc gréseux de plusieurs dizaines d’hectares géologiquement attribué à une formation triasique conglomératique (Muschelkalk, 200 millions d’années).
Fig 1. Vue générale de la Veyrasse
Le site de production de meules a été inventé par Christophe Bivolas, membre de la Société Archéologique et Historique des Hauts Cantons Héraultais (SAHHCH). La surprise de la découverte de la meulière est assez complète, puisqu’il est établi que le secteur a été maintes fois arpenté. Quelques décennies auparavant, des prospecteurs amateurs éclairés ont parcouru le secteur, des agents venus condamner l’accès aux mines de plomb et de zinc à quelques hectomètres seulement sont également intervenus. De même, des travaux de géologie ont cartographié et ont été consacrés à l’étude de la zone au cours des années 1970. Ainsi peut-on légitimement s’étonner du fait qu’une meulière possédant une emprise pourtant assez considérable n’ait jamais été pointée.
Cette lacune a été comblée par notre déclaration auprès des services de la DRAC. Le site meulier de la Veyrasse est essentiellement défini par la présence de quatre secteurs sur lesquels on peut remarquer des concentrations d’exploitation (fig 1).
L’étude de la meulière a donc été engagée par la SAHHCH qui s’est surtout employée durant plusieurs semaines à effectuer des relevés de mesures, des croquis, des photographies. Ces actions ont abouti à la mise en évidence de différentes concentrations d’alvéoles et de meules. Leur géolocalisation individuelle permet de comprendre que certains secteurs ont été choisis en raison des incontournables nécessités que sont les critères de qualité du grès et des espacements suffisants entre les diaclases. La combinaison des deux exigences permet de comprendre par exemple l’absence totale de tentatives de fabrication pour de grands secteurs de la Veyrasse (entre V1 et V3).
L’observation de nombreux stigmates résultant des différentes phases d’exploitation a permis d’échafauder un vraisemblable scénario des modes opératoires de conception et d’extraction. La répétition exacte des phases techniques, et l’absence d’une grande majorité de meules par rapport à la quantité d’alvéoles, prouvent le succès d’une méthode éprouvée écartant l’éventualité d’un amateurisme. Peu de place semble avoir été laissée à l’approximation dans la conduite des opérations.
Le creusement des encoches périphériques (3 à 6 selon les alvéoles) et des emboîtures à la base des blocs suggère l’utilisation de pinces, d’éventuelles pointerolles ainsi que de coins pour lesquels il faudrait préciser s’ils étaient en bois (mouillage) ou bien en métal. Aucun outil n’a à ce jour été retrouvé sur la zone
(fig 2).
Fig 2. Une des nombreuses alvéoles présentant les stigmates de différentes phases : détourage, creusement des encoches, des emboîtures et traces du décollement de la meule
Si l’on connaît pour le secteur « Haute Vallée de l’Orb » l’existence de quelques sites sporadiques possédant seulement quelques exemplaires de meules – d’une seule à quelques unités – on ne mentionne pas de format de site comparable à celui-ci. Le volume de production est ici incomparable par la densité des réalisations et le caractère évidemment plus organisé et systématique, avec à ce jour plus de deux cents alvéoles et une cinquantaine de meules.
On ne saurait prétendre que les zones d’exploitation, tout comme l’inventaire complet des traces d’exploitation de la meulière, aient été intégralement appréhendées à ce jour. En effet, malgré les efforts méritoires (!) des intervenants et la somme des travaux jusqu’ici engagés, il est vraisemblable que la densité de végétation (bosquets de chênes) ainsi que les épaisseurs sédimentaires masquent encore une part importante de ce site étendu, formé par quatre zones principales (V1, V2,V3,V4). Il est estimé que le versant globalement ouvert sur le nord-est couvre selon les zones, environ 150 m de large pour 900 m entre les sites les plus distants V2 et V4.
Différents secteurs du site meulier
Quatre zones principales d’exploitation sont identifiées avec la présence d’alvéoles et de meules à différents stades d’élaboration.
V 1 – 128 alvéoles – 29 meules
V 2 – 31 alvéoles – 15 meules
V 3 – 35 alvéoles – 5 meules
V 4 – 10 alvéoles – 0 meule
Les deux plus petites meules mesurent 80 cm de diamètre tandis que la plus grande atteint 180 cm (fig 4). Ces observations sont-elles suffisantes pour considérer des attributions ou des périodes d’emploi différentes ?
Fig 4. La majorité des diamètres est comprise entre 120 et 140 cm
La proximité de galeries minières (Pb, Zn) au sommet et sur le versant opposé (sud-ouest) à notre site fut la première hypothèse envisagée. Il semblerait cependant que les caractéristiques physiques des meules ne conviennent pas de manière évidente à l’exercice de broyage de minerais.
La présence de deux types d’exploitation distincts, mine et meulière, sur ce même secteur n’est peut-être que la résultante diachronique d’activités sans connexion. Il n’a pas encore été retrouvé par exemple de fragments de meules parmi les haldes de la mine. Des investigations complémentaires in situ permettront peut-être de nuancer le propos.
La qualité du grès est-elle compatible avec l’exercice de mouture alimentaire ? L’amplitude de la granulométrie relativement élevée est fortement variée selon les secteurs du banc de grès conglomératique. Les nodules les plus volumineux enchâssés dans un liant plus fin révèlent le plus souvent, mais pas systématiquement, un aspect plutôt hétérogène aux contrastes chromatiques prononcés en raison de la présence de grains blancs de quartz et de grains noirs siliceux.
La compacité, la densité du matériau, ainsi que les propriétés abrasives des surfaces de contact sur certaines meules retrouvées paraissent de qualité satisfaisante voire très satisfaisante.
Fig 5. Secteur V1
Le plus souvent, les meules retrouvées possèdent des faiblesses structurelles et des fissures qui laissent sans doute comprendre la raison de l’arrêt des travaux. Il n’y a vraisemblablement pas besoin de pousser plus avant la réflexion pour ces situations. Il n’en est certainement pas de même pour toutes les occurrences de meules. En effet, certaines ont été laissées sur place en dépit d’un degré d’élaboration élevé (V3) (fig 6) voire quasi-complet jusqu’au creusement de l’œil (V1) (fig 5).
Fig 6. Secteur V3
Quelle raison retenir pour expliquer la raison d’un apparent abandon de meules quasiment « prêtes à l’emploi »? Les hypothèses sont nombreuses. Parmi celles-ci peut-on songer à un motif d’ordre privé comme les éventualités de décès, de faillite de(s) l’entrepreneur(s) carrier(s)…
S’agit-il d’une question de remplacement, de concurrence par un autre type de meule de meilleure qualité ou de moindre coût ? Doit-on songer à un contexte politique particulier ?
Faut-il évoquer l’abandon ou l’évolution de la technique de mouture qui a pu condamner l’exploitation ?
Richesse de la variété des phases du processus de taille
La meulière de la Veyrasse possède d’indéniables atouts pédagogiques pour la compréhension de l’exercice de fabrication des meules. Ce site possède de nombreux témoignages éclairant les différentes étapes du processus de conception des meules.
Cela débute par la recherche d’un emplacement permettant une diminution de la durée des travaux. L’accroissement de la rentabilité des opérations est partiellement lié au degré de connaissance de l’observation des qualités et des opportunités géologiques. La connaissance des particularités de la structure du terrain conduit le carrier à retenir des aires sises entre des intervalles diaclasiques suffisamment espacés. Ce choix est essentiel car il vise à diminuer la pénibilité d’une longue tâche d’au moins plusieurs semaines. La recherche d’une couche stratigraphique homogène suffisamment épaisse (au moins 40 cm) réduit également le risque d’échec au moment de l’effort de décollement de la meule.
Le carrier trace ensuite le contour de la meule à l’aide d’une corde tendue ou d’un compas, détoure le bloc – on observe de très nombreuses traces d’outils – crée les encoches latérales puis les emboîtures. À ce stade, on ne peut assurer que le décollement du bloc puisse avoir été effectué par le seul placement de coins dans les emboîtures ni que la seule action de pinces (3 à 6)
soit suffisante pour détacher des blocs dépassant parfois aisément la tonne. Les deux techniques pourraient avoir été menées de concert.
Force est de constater, en ce site étendu, la variété des situations. Un exercice de synthèse pour l’ensemble des secteurs du site conduit surtout à révéler trois cas de figure.
Dans le premier cas, on constate la présence d’essais non-aboutis sans décollement du bloc. Il existe par exemple une grande gamme de sillons de détourage à des stades différents. D’une alvéole à l’autre, ils peuvent être plus ou moins longs, de largeur et de profondeur variables.
Le deuxième groupe est constitué par l’ensemble des alvéoles montrant un décollement de la meule.
Enfin, le troisième ensemble comprend les meules décollées, possédant une faiblesse structurelle allant parfois jusqu’à la fracturation.
Une seule meule possédant l’œil échappe à notre classification puisqu’elle semble quasiment terminée. L’ensemble des observations tendrait à indiquer que la réalisation de l’œil est la plupart du temps effectuée postérieurement au décollement des blocs.
Fig 7. Les meules présentent parfois des faiblesses (diaclase) ou des fractures
Le chargement des meules semble possible par endroits, au-dessous de quelques fronts de taille, par exemple à l’altitude la plus basse de V1. On ne sait, à ce stade cependant, rien du mode de transport employé ni des voies d’exploitation empruntées.
De même, la destination des livraisons demeure, elle aussi (!) inconnue. Nombre de moulins environnants de la moyenne vallée de l’Orb, de la Mare et de quelques-uns de leurs affluents, ciblés par les recherches de la SAHHCH, ne possèdent pas (ou plus) ce type de meule : est-ce un indice de l’ancienneté de l’exploitation ? Ces meules ont-elles été remplacées par des meules de qualité supérieure ou plus performantes ? Preuve n’est pas non plus faite d’une exportation au-delà de la vallée de l’Orb. Des comparaisons avec d’autres sites qui posséderaient des techniques d’exploitation et de façonnage de ce type de meules favoriseront peut-être la progression des investigations.
Enfin, la quantité élevée d’alvéoles – plus de deux cents – prouve sans ambiguïté que le secteur de la Veyrasse a connu un certain succès au sein du monde meunier. Nous ignorons tout de la durée du temps d’exploitation. Même si l’on ne peut précisément évaluer le taux de réussite d’extraction des meules en raison d’un comptage forcément incomplet, le site semble en quelque sorte avoir répondu aux exigences de son temps.
En l’état actuel des recherches, aucune littérature notariale, cadastrale, administrative, professionnelle ou privée ne mentionne l’existence de cet ensemble de meulières pourtant assez remarquable. Les enquêtes menées auprès de la population locale et environnante montrent l’oubli complet de cette activité. La toponymie n’est pas d’un meilleur secours. Sont-ce autant d’indices pour estimer l’ancienneté de la période d’exploitation du site ?
Ces observations indirectes (hors technique d’exploitation) pourraient conduire à songer à la fin du Moyen-Âge ou à la Renaissance.
Souhaitons que les recherches en cours puissent apporter quelques lumières sur cet épisode jusqu’alors insoupçonné de l’histoire régionale qu’il vient compléter. Il permet la déduction ainsi que la révélation d’un ensemble d’acteurs professionnels périphérique au monde meunier, jusqu’alors totalement insoupçonné. Les datations sont donc encore incertaines, mais quelle que soit la période considérée, l’exploitation de cette meulière illustre un pan non négligeable de l’économie de la moyenne vallée de l’Orb. Il est certain que des carriers, des transporteurs, des fabricants d’outillage … et des meuniers (!) ont pu profiter plus ou moins directement de l’activité de la carrière.
Le site de la Veyrasse, au-delà de l’intérêt de sa propre découverte, révèle probablement l’importance d’une exploitation qui a pu être un temps à la genèse (et/ou) au cœur d’un réseau professionnel meulier et meunier fortement constitué.
Société Archéologique et Historique des Hauts Cantons de l’Hérault (SAHHCH) – volintlup@yahoo.fr
Christophe Bivolas – Michel Scanzi – Article paru dans le Monde des Moulins – N°57 – juillet 2016
1 commentaire
CHARTRAIN Alain · 29 février 2024 à 11 h 52 min
Bonjour, et merci de votre travail. Le commentaire est attentif et solide, et précieux le diagramme des envergures brutes. Les diamètres de 120 à 140 cm (il faut sans doute enlever 10 cm pour le diamètre, net, fini) tendraient à indiquer une période Renaissance à XVII-XVIIIè s. (moulins hydrauliques à roue verticale ou moulins à vent). Les plus petites envergures (100-120 cm) peuvent indiquer une phase médiévale mais aussi sans doute sinon plutôt, une fabrication de meules pour moulins à entraînement direct et roue horizontale (rodet).
J’attire l’attention sur le fait qu’il faille relever aussi l’épaisseur (minimale et maximale) des meules et ébauches, car le rapport D/H fournit le modèles. En l’occurrence, aux proportions que l’on peut détecter sur vos photos, les meules de La Verasse sont relativement minces (le diamètre valant 3 à 4 Hauteurs, soit des modèles 3H 3,5H et 4H). Cela tend à indiquer une période plus ancienne mais peu compatible avec des envergures de 120-140. Il faudrait disposer des épaisseurs (plus proches de 30/35 cm que de 45?) et les coupler avec les diamètres pour définir les caractères des fabricats de La Verasse et leur position possible en chronologie.
Encore une fois merci
A. Chartrain – Montpellier
archéologue PhD, spécialisé en archéomolinologie
UMR 8068 CNRS / Univ. Paris Nanterre et Paris 1
travaux accessibles sur academia.edu