Le site des Moulins de France
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La Charente devait être extrêmement poissonneuse pour que tant de pêcheries aient été construites sur son cours, et les différentes sortes de poissons très appréciées, surtout les anguilles ! De plus, cette activité procurait des revenus appréciables.
Nommées également essac, essard, furne ou pertuis, on les découvre tout au long des dépouillements d’archives.

En 1331, Geoffroy de Vaux, seigneur de Mosnac, fait don au prieur de Mosnac des revenus des moulins, eaux et pêcheries de Mosnac. (J/361 à 363)
En 1435, Marguerite Deladuch, dame du Fa en Sireuil, avoue tenir des religieux de l’abbaye Notre-Dame-de-la-Couronne l’écluse de la Liège, avec les moulins bladiers et drapiers, anguillards et pêcheries. (H2/103)
25-4-1478 – Cession et arrentement d’un essac sur l’écluse des Corbeaux à Saint- Simeux, par Roger Augeard, seigneur de Mosnac. (J/361 à 363)
29-1-1630 – Roch Guy, seigneur de Pontlevain, afferme ses terres de Champmillon avec deux essacs situés sur l’écluse de la Liège, l’un appelé le Grand Essac et le second l’Essac neuf. (2E 5713 Thomas notaire à Sireuil)
18-5-1649 – à Basseau. Plusieurs personnes payent au seigneur de l’Oisellerie la somme de 3 livres 5 sols pour 2 gueules d’essards, ou anguillards, assis sur l’écluse de Basseau, tenant au Moulin de Jacquette Barbot et ses parsonniers, et de l’autre côté aux essards d’Antoine Valleteau. (J/894)
17-3-1661- Jean Bouillon, meunier à Saint-Simon, arrente de Charles Riffaud, sieur de l’Étang, un essac ou furne sur la rivière qui descend de Vibrac au Moulin Besson pour 6 livres par an. Jean Bouillon exploite ce moulin et possède déjà un essac. (2E 1585)

Un revenu considérable

Au mois de mai 1716, Gabriel Grattereau, un marchand de Saint-Simeux, expose qu’il possède deux essacs à la Liège qu’il entretient car ils sont pour lui d’un revenu considérable « par le moyen des anguilles, lamproies et autres poissons qu’il y prend avec des reuses et des bourgnons qu’il y tend continuellement.»
Malheureusement, des ennemis inconnus de lui jusqu’à présent lui ont, à plusieurs reprises, détendu ses pièges et emporté le poisson.
Les voleurs sont revenus la nuit suivante et ont brisé entièrement les reuses de l’un des essacs.
Le notaire, conduit en bateau sur les lieux, voit que cet essac se trouve entre deux autres appartenant au seigneur du Tourtron.
Cet essac est garni de bois pontonnier, longée et traversière pour le soutenir ; il y a au-devant de celui-ci quatre tables qui le ferment et empêchent que l’eau n’y passe autant qu’il est possible ; il est bien maçonné de carrelages et de carreaux et autres grosses pierres. Environ un tiers de la construction a été démoli et les pierres jetées à l’eau, où elles ont écrasé les reuses et les bourgnons. (2E 2308 Jolly notaire)
20-1-1720 – Le comte de Jarnac afferme « les eaux et pêcheries des anciens deffends du canal de Rouanet et celui des moulins jusqu’au bout du bois appelé des Essats, ainsi que la noue de Chantebuzin en dépendant, à commencer aux dits moulins et au beignoir appelé le beignoir de Madame jusqu’au bout du bois sans que le preneur puisse pêcher au-delà des dits moulins et du beignoir, ni dans les noues du bois.» La moitié du prix de la ferme sera payée en poissons noirs, les plus belles pièces 5 sols la livre, à porter chaque semaine au château. Le fermier ne pourra pas jouir des furnes. (2E 3105 Cauroy à Jarnac)

Une gêne pour la navigation et pour les moulins

Vers le milieu du XIXe siècle, l’Administration essaie de réglementer l’usage des pêcheries avec des obligations très précises assorties d’amendes aux contrevenants. Il faut faire des demandes quand on veut y faire des travaux.
Premier changement : les essacs seront fermés du 1er avril au 1er novembre de chaque année.

Du 28-11-1816. « Plusieurs personnes ont tellement agrandi les essacs qu’ils ont établi pour la pêche aux anguilles dans la digue des moulins de Malvy qu’il en résulte de grandes difficultés pour le passage des gabares dans le canal de navigation entre l’écluse de Saint-Simeux et celle de Malvy.»
Les pêcheurs mis en cause répondent que leurs ancêtres ainsi qu’eux-mêmes ont toujours réparé sur les mêmes fondements, et avec les mêmes dimensions, les essacs qu’ils possèdent sur l’écluse de Malvy. Il en a toujours été ainsi et ils ne savaient pas qu’ils gênaient.
On leur rappelle que selon le nouveau règlement, leurs essacs, dans un délai d’un mois, devront être ramenés à un mètre de largeur s’ils veulent être déchargés de leur amende, avec de plus l’obligation de montrer leurs titres de propriété.

En 1845, Eugène Mallet et François Labat possèdent en indivision un essac situé sur l’écluse de Saint-Simeux, appelé le Grand Essac, qu’ils veulent surhausser de 0,50 m ; même demande de François Naud et Jacques Cochet pour un essac voisin.

16-4-1850 – Des meuniers se plaignent. François Labat, fils aîné, et Pierre Bonnaud, tous deux meuniers domiciliés aux moulins de Saint-Simeux, ainsi que le sieur Eugène Mallet, maire de Saint-Simeux, se permettent depuis deux mois d’ouvrir chaque nuit, depuis 8 heures du soir jusqu’à 3 heures du matin, les essacs qu’ils possèdent dans l’écluse de Saint-Simeux, ce qui fait baisser les eaux et occasionne le ralentissement de leurs moulins. Eux aussi possèdent des essacs, mais ils suivent le règlement qui défend d’ouvrir les essacs avant que l’eau n’ait atteint un certain niveau.

Un exemple de procès-verbal du 11-10-1852 rédigé par Jean Ducloud, éclusier de l’écluse de Saint-Simeux.
« À l’heure de sept heures du soir, venant de Saint-Simeux, j’ai rencontré les sieurs François Labat et Pierre Bonnaud, je leur ai demandé si ils voulaient avoir la complaisance de me passer avec leur bateau à mon écluse, ils m’ont dit que oui. Tout en me passant, j’ai reconnu que l’essac de Monsieur Janet était ouvert en grand et pêchant. Après vérification faite dans le bief amont de mon écluse, j’ai reconnu que l’eau était en contrebas de 12 cm du niveau fixé par l’Administration.
Les essacs ne doivent être ouverts, d’après le règlement de pêche et de navigation, que lorsque l’eau a atteint ce niveau. Après avoir reconnu que l’essac appartient à M. Janet, propriétaire au village du Maine Michaud, commune de Saint-Simeux, je lui ai déclaré procès-verbal pour que le conseil de la préfecture prononce contre lui les peines et amendes voulues ainsi que de droit.»
Puis l’éclusier a ajouté : P.V contre le même pour plusieurs récidives.
M. Janet, qui est juge au tribunal civil d’Angoulême, se justifie et conteste ses six contraventions en disant que son essac est affermé et que c’est son fermier qui doit être rendu responsable.

Un arrêté du préfet du 4-5-1855 dit que l’ouverture et la fermeture des essacs avec cadenas et clés reviendra à l’éclusier le plus voisin, et que les essacs ne sont tolérés que comme instruments ou engins de pêche, à charge pour leur propriétaire d’acheter du fermier des Eaux, par une rétribution convenue, la faculté de s’en servir.

14-7-1855. Les propriétaires d’essacs et anguillards de l’écluse de Saint-Simeux, sur l’avis de M. l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées et la pétition présentée par les sieurs Bonnaud, Quentin et Auguste Mallet, meuniers sur l’écluse de Saint- Simeux, devront dans un délai de 15 jours fermer l’ouverture de leurs essacs au moyen d’un cadenas dont la clé demeurera dans les mains de l’éclusier qui seul aura le droit de venir ouvrir les empellements quand il jugera l’eau arrivée à un point assez élevé, et ceci sous peine de voir leurs essacs supprimés.
Les propriétaires d’essacs s’opposent vivement à cet arrêté, disant qu’il porte atteinte à leur propriété et que les plaintes portées par trois seuls meuniers sur sept qui sont sur la chaussée, sont le résultat de pure jalousie de leur part. Il n’existe pour eux aucun dommage causé par l’ouverture des essacs, et aucune plainte des patrons des bâtiments qui couvrent la rivière. C’est la plus grave atteinte à leur droit de propriété et possession immémoriale qu’ils ont desdits essacs. Ils payent des impôts et des droits d’enregistrement sur le prix de vente des poissons.
Le 21-8-1856, Eugène Mallet, propriétaire à Saint-Simeux, montre dans une lettre au préfet qu’il approuve le nouveau règlement.
« Je vous fais remarquer que tous les anciens droits de pêche appartenant à des particuliers ont été supprimés sans indemnités comme droits féodaux par le décret du 30-7-1793, que par la suite les essacs existant sur la partie navigable de la Charente ne sauraient être considérés comme conférant un droit de pêche à leurs détenteurs, que d’ailleurs leur usage comportant l’emploi d’une certaine quantité d’eau est subordonné d’après l’ordonnance de 1669 et l’arrêt du 28-6-1777 à la condition de ne pas affaiblir et altérer le cours de la rivière d’une manière préjudiciable à l’intérêt public. Qu’ainsi c’est avec raison que l’Administration a inséré dans le cahier des charges de la pêche une clause qui n’autorise l’ouverture des essacs que lorsque les eaux du bief d’amont ont dépassé le niveau nécessaire dû à la navigation et à en assurer la stricte application en plaçant la manœuvre des eaux sous la surveillance directe des agents de la navigation ».

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La pêcherie couverte et les essacs de Saint Simeux. Photo de l’Association « Les Essacs de Saint Simeux »

Plusieurs modèles d’essacs

Cette réglementation n’a pas découragé les propriétaires de pêcheries, car on trouve dans les années suivantes des demandes d’agrandissement ou de reconstruction.
À Basseau, les propriétaires de deux essacs les réparent pour les ramener à leurs dimensions primitives en hauteur et en épaisseur. (S/415)

L’ouverture d’un essac pouvait mesurer entre un et deux mètres. De loin, ces constructions ressemblent à de petits cubes dont l’intérieur renfermait les engins et filets destinés à la prise des poissons.

10-10-1722 – Procès-verbal demandé par Hélie Delagarde, meunier à Malvy, paroisse de Mosnac, contre Étienne Ducloux qui lui a démoli « la chaussée d’un anguillard ou essac fait de huit planches debout soutenues et appuyées par une barre par derrière qui traverse l’essac d’un bout à l’autre, planches appuyées dans le bout d’en bas par un bois appelé colombe qui traverse pareillement l’essac.»
Le tout confronte d’un côté à la chaussée sur laquelle on va du Moulin de Malvy au dit essac, de l’autre côté à l’essac de François Pinault, et des deux bouts au fleuve Charente. (2E2274 Ferrand à Châteauneuf).
Observation : ici, on ne parle pas de murs en maçonnerie.
En 1736, on comptait cinq essacs à Malvy, chacun d’une largeur d’environ cinq pieds (environ 1,65 m ou 1,75 m).

Daté du 28-10-1759, procès-verbal de deux essacs à cause d’une dispute entre le fermier des terres de Vibrac et Pierre Rullier, marchand. Les deux constructions ont une largeur de cinq pieds et sont sans charpente ni garniture, mais leurs murs viennent d’être raccommodés en pierres sèches pour le premier, et en carreaux de pierres de taille pour le second. Une chaussée en pierres sèches de 15 pieds de longueur les relie. (2E 1590)
 
Quand les moulins banaux de Sireuil ont été transformés en usine à fer à partir de 1837, le barrage qui contenait sept anguillards a été reconstruit.
Voici la description qui est donnée de ces petites constructions.
« En effet, ces pertuis nommés essacs ou anguillards sont difficilement accessibles quand les eaux sont trop fortes, car ils ne possèdent pas de vannes ni de fermetures, et lorsque l’on a omis dès le commencement de la crue d’enlever les planches, gazons et fascines dont on les ferme en été, il devient impossible de les ouvrir. »
Enfin, ces pêcheries sont la propriété de différents particuliers, propriétés cotées  aux impositions directes et qui se transmettent par vente, échange, succession et location bien qu’elles n’aient aucun caractère de la définition légale.

Qu’est-ce en effet qu’un essac, et comment est-il susceptible de former une propriété ?
Un essac se compose de deux petits bajoyers construits en moellons formant partie intégrale du barrage adjacent avec lequel il se confond, d’un seuil de deux montants pour amarrer les filets et de quelques autres pièces de bois d’une valeur presque nulle. L’emplacement qu’il occupe, facilement submersible, ne peut ordinairement contenir ni construction ni culture, il serait souvent difficile de le limiter avec le barrage auquel il est contigu ; ce n’est donc pas ce qui compose matériellement l’essac qui peut constituer une valeur vénale, serait-ce le droit de pêche ?
Mais ce droit défini par la loi est l’accessoire obligé et inséparable de la propriété riveraine dans les rivières non navigables ; et dans les rivières navigables, il appartient en propriété comme accessoire du lit à l’État à l’exclusion de toute autre prétention fondée sur titres ou usage immémorial. Les propriétaires d’essacs reconnaissent « qu’ils ne peuvent en jouir comme d’une véritable propriété.» (S/407)

Une association a entrepris, voici quelques années, de sauver de la destruction les essacs de Saint-Simeux. C’est maintenant une curiosité qui se visite à bord de deux petites embarcations. ( NDLR : Un article lui sera prohainement consacré)

Autres façons de pêcher

La pêche à la ligne à partir du bord de l’eau ou en bateau se pratiquait également, mais pas n’importe où, car chaque seigneurie, grande ou petite, avait ses eaux réservées qui étaient affermées comme un moulin ou une parcelle de terre. Gare aux amendes si l’on était pris à pêcher sans permission !

En juillet 1778, Louis Petit, meunier à Vibrac, s’est fait prendre par le régisseur du château. Il paiera 30 livres, ce qui représentait une assez jolie somme.
Une autre fois, interpellant un pêcheur en bateau avec cordelles et engins, c’est le régisseur qui s’est fait traiter de gueux, coquin, voleur !

Le 4 pluviôse an 9 (24-1-1801), plainte est déposée par l’adjoint au maire de Vibrac contre Louis Pitaud, ancien maître de gabare, « qui se permet d’intercepter la navigation en barrant avec des bois de traverse les arcades du pont de Vibrac pour y tendre des engins appelés vulgairement reuses, construits en cordes et à mailles de la grandeur d’un écu de 5 francs à l’ouverture et diminuant insensiblement de manière à ne recevoir que la passée d’un tuyau de plume ».
Interrogé, le prévenu dit que le procès-verbal est faux et que l’assignation qui en est la suite est nulle parce que l’adjoint d’une commune ne peut constater que des délits dont la peine n’excède pas trois jours d’emprisonnement ou une amende égale à trois journées de travail, et que le délit qui lui est imputé comportant une peine au-dessus, la verbalisation ne pouvait que le dénoncer au juge de paix pour qu’il fasse les premières poursuites.
Malgré ces observations, le P.V est déclaré valable et, après l’audition de trois témoins, le pêcheur est condamné à 100 francs d’amende et aux dépens.

Les témoins :
Jean Richard, 49 ans, cultivateur à Vibrac, sait que Pitaud tend des «lasses» dans la rivière, et un bateau est venu heurter un morceau de bois, ce qui l’a fait tourner. L’engin était assez petit « puisqu’il prenait des anguilles ».
Jean Plumejaud, 46 ans, charpentier de gabare de Saint-Simon, a vu plusieurs fois Pitaud tendre et détendre une lasse dans la rivière.
Jean Papin, 43 ans, charpentier de gabare de Saint-Simon, a vu Pitaud tendre une reuse ou lasse près du pont de Vibrac, sans doute pour prendre des anguilles, mais il ne sait pas s’il en a pris. (L/2424)

Des anguilles vraiment très appréciées

Décembre 1618 – Gaston de Calluau, écuyer seigneur de l’Oisellerie, arrente à Jean Grasillier les moulins de Fleurac avec les eaux et pêcheries qui lui appartiennent comme ayant les droits de messieurs les religieux de la Couronne. Arrentement fait pour le devoir annuel de trois pipes et demie de froment, deux chapons, quatre livres en argent, 400 anguilles moyennes et 24 grosses ainsi qu’un plat de truites. (J/892)

Michelle AILLOT – Association de Sauvegarde des Moulins Charentais – Documents d’archives – Article paru dans le Monde des Moulins N° 60 avril 2017

Catégories : Histoire

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