Le site des Moulins de France
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L’utilisation de l’énergie des marées a fait l’objet d’un colloque organisé en juin 2017 par l’École Nationale Supèrieure d’Architecture de Bretagne et l’UMR 6566 CREAAH de l’Université de Rennes I.

L’énergie de la mer a été utilisée pendant des siècles pour mettre en jeu des moulins le long des côtes qui offraient des conditions favorables à des moulins dits « moulins à marée », c’est à dire des marnages (amplitude des marées) suffisants et une topographie d’estuaire.

Les marnages sont inégalement répartis dans le monde (illustration 1) et certains littoraux où ils sont importants sont éloignés des zones de consommation ou situés dans des régions où le froid interdit l’exploitation de l’énergie des marées. Celle-ci n’est donc possible que dans quelques régions du globe.
De plus, les moulins à marée ont été traditionnellement construits sur des barrages fermant tout ou partie d’un estuaire. Il fallait donc que le tracé de la côte s’y prête. Aujourd’hui, on se détache de cette contrainte en s’orientant vers l’édification de lagons côtiers ou de lagons offshore, artificiels et intégrant usine marémotrice ou hydroliennes.

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1. Carte des marnages dans le monde. Zone de marnage moyen supérieur à 2 m. Guilcher 1979. Géoconfluences ENS Lyon / DGESCO. Cartographie : H. Tronchère

 

Les participants au colloque ont découvert les technologies les plus anciennes comme celles du futur. Bien que les interventions n’aient pas été faites dans cet ordre, je les présente ici par ordre chronologique, de la recherche archéologique portant sur les moulins médiévaux aux projets les plus futuristes.

  • C. Rynne (Cork, Irlande) a évoqué l’archéologie des moulins à marée médiévaux de l’Irlande et de Grande-Bretagne (illustration 2).
  • D. Goodburn (Londres) a présenté les moulins construits sur la Tamise, et en particulier celui de Ebbsfleet mill daté du VIIe siècle.
  • D. Plunkett, de son côté, s’est attaché à l’étude de la première conduite forcée du Moulin d’Eling dans le New Hampshire.
  • V. Bernard (Rennes I) s’est interrogé sur la place des moulins à marée médiévaux de l’ouest de la France dans les échanges trans-Manche.

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2. Dessin de C. Rynne : Reconstitution du moulin double de Littleisland (Comté de Cork , en Irlande)

 

En Grande-Bretagne, les moulins sont en bois, dans le sud de la France, ils sont bâtis en pierre. Dans l’estuaire de la Vilaine, les vestiges d’un moulin cité au XVe siècle sont en faveur d’un moulin construit en pierre et bois, équipé d’une roue verticale.

  •  S. Douglas Anderson (Floride, USA) et F. Marques (Belem, Brésil) ont évoqué l’utilisation de l’énergie marémotrice dans l’estuaire de l’Amazone où des moulins à sucre sont installés depuis le XVIIe siècle. 
  • E. Warren (Dorchester, États-Unis) a présenté les premiers résultats des prospections qu’il conduit en Nouvelle-Angleterre. Ici, les marnages sont importants, il y a plus de 5000 km de côte en dents de scie offrant de nombreux sites favorables bien que le froid handicape certaines installations. Les moulins, en bois, ont été établis sur pilotis et mettaient en jeu des scies ou des moulins à grain avec des roues horizontales ou verticales.
  • Pour la péninsule ibérique, A-C. Silveira (Lisbonne, Portugal) a présenté les moulins à marée de l’Algarve. Beaucoup datent du XVe ou XVIe siècle. Ils ont été d’abord construits avec des roues horizontales qui ont pu être placées dans un puits à partir du XVIIIe siècle. Un changement de politique favorisant le développement des salines entraîne par la suite l’abandon de beaucoup d’entre eux.
  • H. Wittenberg a consacré une étude au fonctionnement des moulins à marée historiques du Portugal. Leur développement est lié à la politique d’Henri le Navigateur, responsable de la flotte de la couronne : la nécessité de fournir à la marine de la nourriture, essentiellement sous forme de biscuits, a eu pour conséquence la construction de fours et de moulins. Les roues sont horizontales.
  • L. Ménanteau (Nantes) a, de son côté, présenté les moulins à marée du golfe ibéro-marocain, faisant un lien entre leur présence et la Reconquête. Au XVIe siècle, est attestée la présence d’un moulin fonctionnant dans les deux sens. Des salines sont reconverties pour l’établissement de moulins à marée mais on trouve aussi l’inverse comme au Portugal.
  • Plusieurs interventions ont concerné l’aspect patrimonial de ces installations et leur possible valorisation. C. Cordoba a présenté les transformations possibles des moulins à marée de la côte nord de l’Espagne. Plusieurs chercheurs portugais ont évoqué la remise en état d’un moulin sur l’estuaire du Tage.
  • Pour la France, C. Parmentier (Indre Histoire d’Îles) et E. Loir-Mongazon (Inventaire du Patrimoine Culturel, CR Rennes) ont permis de retracer l’histoire de la forerie d’Indret avec son moulin à marée destiné à creuser les bouches des canons. Antoine de la Vernhe (urbanisme, mairie d’Antibes) a projeté un film tourné dans le Moulin de Traou Meur à Pleudaniel, faisant revivre les premières visites qui y ont été organisées. P-J. Jehel (Gobelins, Paris) et C. Feiss-Jehel (Paris-Sorbonne et LETG Dinard) ont présenté une approche photographique de l’énergie marémotrice de la Rance et de son patrimoine.

Aujourd’hui, l’énergie marémotrice tend à être peu à peu abandonnée et les énergéticiens envisagent pour l’avenir proche le développement des hydroliennes mues par les courants sous-marins et l’exploitation de l’énergie de la houle parallèlement à celui de l’éolien offshore. Actuellement, on constate un abandon relatif du marémoteur, sauf sous forme de lagon avec en particulier, au Royaume-Uni, le projet de Swansea Bay Tidal Lagoon, destiné à fournir 155 000 foyers (illustration 3). Un barrage de près de 10 km permet la mise en jeu de seize turbines produisant une énergie moins chère que le nucléaire et pouvant être associé à un développement touristique. La société britannique Tidal Lagoon Power, qui conduit le projet, s’intéresse à un développement de ces lagons en France où l’exploitation de l’énergie marémotrice reste bloquée par l’expérience pionnière de l’usine marémotrice de la Rance et les conséquences environnementales de sa construction.

Le développement des énergies de la mer est en France à l’origine de la formation d’un groupe de travail national « Nouveau Marémoteur », issu de la Société Hydrotechnique de France, société qui rassemble des chercheurs afin d’établir les conditions de faisabilité dans notre pays. D. Aelbrecht présente les perspectives à l’étude. Plusieurs types d’aménagements sont possibles, du lagon côtier barrant un estuaire au lagon offshore. Un dernier concept, la « marélienne à la côte », lagon côtier ouvert à la mer par des chenaux équipés d’hydroliennes, n’est pour l’instant pas compétitif. Les conditions du succès de tels projets d’envergure sont liés au prix de l’électricité mais aussi à une intégration territoriale, l’idéal étant qu’ils soient voulus par un territoire plutôt que subis ou acceptés.

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3. Swansea Bay – Tidal Lagoon (Pays de Galles). Site : Booker On the Swansea Bay Lagoon / April 16 2015

 

François Lampérière (président d’Hydrocoop, Paris, France) a présenté les perspectives marémotrices mondiales.
Actuellement, l’énergie marémotrice fournit dans le monde 1 terawattheure sur une production globale de 4000. Le coût d’exploitation restera probablement élevé et conduit à envisager de n’exploiter que les sites les plus favorables compte-tenu d’une prise en compte de l’environnement.
Les marnages les plus élevés, supérieurs à 6 m, ne sont exploitables que sur quelques sites tels la baie de Fundy au Canada, l’estuaire de la Severn en Grande-Bretagne et la zone comprise entre Flamanville et Saint-Brieuc en France.
Des marnages plus modestes entre 4,5 et 6 m sont exploitables en Grande-Bretagne, Russie, Australie, à l’ouest de l’Inde et en Argentine ; des marnages de 3 à 4.5 m le sont sur un grand nombre de sites notamment en Asie.
La recherche porte sur des sites pouvant se compléter en vue d’une production permanente.

Le dernier jour du colloque a permis de visiter l’usine marémotrice de la Rance et deux moulins à marée installés en amont de l’estuaire.

Un colloque très riche donc. Les actes sont attendus pour début 2019.

 

* UMR : Union Mixte de Recherche
** CReAAH : Centre de Recherche Archéologie, Archéosciences, Histoire

Colette Véron, Vice-Présidente FDMF
colette.veron@laposte.net

Paru dans le Monde des Moulins n°67 de janvier 2019

Catégories : Histoire

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