Avertissement
Cet article présente un extrait de la conférencediaporama donnée par l’auteur lors du Congrès de la FDMF le samedi 25 avril 2009 à Bourg- Achard (Eure). Ne sont abordés ici que trois thèmes. Les moulins alimentaires et les moulins spécialisés autres que transformant les matières minérales ne sont pas abordés. Les cartes postales anciennes présentées sont datées de la période 1900-1914. Elles appartiennent à la
collection de l’auteur.
Introduction
Les cinq départements normands occupent une place singulière par rapport au territoire national. Bordant la rive sud de la Manche, ils bénéfi cient d’une façade maritime donnant accès au monde entier. Cette position a infl uencé le développement de son histoire économique et pendant de longs siècles, celle des moulins et usines hydrauliques qui l’ont servi.
1. L’ancienneté des moulins normands
Les moulins à eau sont déjà présents dans la région au Xème siècle. En effet deux moulins sont mentionnés sur le Robec (à l’est de Rouen) en 996, devant l’église Saint-Maclou. A quelques lieues de là, en 1020, la commune de Louviers (Eure) possédait un pont des quatre moulins. Les moulins à eau spécialisés apparaissent entre le XIIème et le XVème siècle.
Les moulins à manège
Ils ne sont jamais mentionnés dans les enquêtes de la période révolutionnaire et celle du XIXème siècle. Sûrement très nombreux, ils fonctionnent de manière soit épisodique, soit continue. Les plus connus sont les gadages, ou tours à pommes (fi g.1). Leur fonctionnement est saisonnier. Avant l’arrivée de la vapeur, ils étaient nombreux à équiper de manière continue les fi latures de laine, la saturation des sites hydrauliques étant totale. En 1814, à Elboeuf les quatre vingt fabriques de draps et les cent vingt carderies utilisent quarante manèges à chevaux pour leur force motrice.
Fig.1 Domfront (Orne). Fabrication du cidre. Le pressoir (vers 1900). Etabli en plein-air, ce moulin à manège ne fonctionne que durant l’automne.
Les moulins à vent
Les cinq départements normands ont connu les moulins à vent dès le XIIème siècle. La première mention historique est datée de 1180 (c’est l’une des plus anciennes de France et d’Europe) et se trouve localisée à Montmartin- en-Graignes, dans la Manche, près de Carentan, dans le marais du Cotentin. Sur les quatre types de moulins à vent français, trois sont présents en Normandie. Les moulins les plus vieux sont les « chandeliers à pivot tournant sur tour maçonnée » appelés aussi « moulins turquois », comme à Grandcamples- bains (Grandcamp-Marcy), sur le littoral, à deux pas de la pointe du Hoc (fi g.2). Il existe aussi les restes d’une tour de moulin turquois (XVIème-XVIIIème siècle), au bord de la mer, au lieu-dit « La masse de Resne » sur la commune de Saint-Côme-de-Fresne, à l’est d’Arromanches (Calvados). La région connut aussi les moulins pivot tout en bois et les moulins tours. Dans la basse Seine, les moulins à vent venaient en appui de moulins à eau à roues pendantes comme à Muids et Connelles.
Fig.2 Grandcamp-les-bains (Calvados). Le vieux moulin (vers 1900). Les vestiges de ce moulin sont à environ 14 km à vol d’oiseau du lieu de la plus ancienne mention de moulin à vent française.
2. Typologie des moulins à eau
Les moulins à eau appartiennent à six types techniques qui se distribuent dans l’espace en fonction du relief (principalement de la pente) et des précipitations moyennes annuelles qui infl uent sur les débits disponibles pour les moteurs hydrauliques. La Normandie ne connaît que la roue hydraulique verticale en bois déclinée sous les deux principales variantes ; la roue à augets (hautes chutes) et la roue à aubes (basses chutes). Le département de l’Eure atteint le maximum d’usines hydrauliques en 1892 avec sept cents vingt-neuf sites. Pour le Calvados, c’est en 1897 que l’on dénombre huit cents dix-neuf sites. La dernière décennie de ce siècle voit le nombre de moulins à eau s’effondrer de manière spectaculaire.
Fig.3 Environs de l’abbaye de la Lucerne (Manche). Moulin de Vaucelle (vers 1900). La grande roue à augets est à l’arrêt. L’eau rejoint le lit du ruisseau en s’échappant du déversoir.
Fig.4 Ducey (Manche). Le moulin (vers 1900). La grande roue à aubes est à l’arrêt. Les vannes régulatrices, fi xées sur la chaussée, sont levées et l’eau rejoint le lit de la rivière.
2-1. Les moulins dérivés des collines possèdent de longs canaux de dérivation et sont équipés de roues à augets (fi g.3).
2-2. Les moulins dérivés sur bras Ils se trouvent sur des rivières à faible pente et sont équipés de roues à aubes ou de roues vannes (fi g.4).
2-3. Les moulins en bout de chaussées sont équipés de roues à aubes ou de roues vannes (fi g.5).
2-4. Les moulins bateaux Deux moulins bateaux sont mentionnés, sur la Basse-Seine, dans le département de l’Eure. Un à Poses, mentionné en 1198, don de Richard- Coeur-de-lion aux religieux de l’abbaye de Bonport. L’autre, mentionné en 1226, appartenant à l’abbaye de Saint-Ouen de Rouen. Le dernier moulin bateau fut installé en 1851 le long de l’île Tribouillard. Il s’arrêta en 1871.
2-5. Les moulins à marée Six moulins à marées ont été répertoriés sur le littoral normand, comme ici à Veules-les- Roses (Seine-Maritime). Ce moulin à mer fonctionna de 1235 à 1906 (fi g.6).
2-6. Les moulins pendants Surtout présents dans le nord de la France, les moulins pendants sont dans cette région au nombre de sept, tous situés sur la Seine à l’exemple de Muids (Eure) (fi g.7).
Fig.5 Lonlay-l’abbaye (Orne). Le moulin (vers 1900). Dans l’ouest du département, au sud-ouest de Flers, un moulin à trois roues verticales.
Fig.6 Veules-les-Roses (Seine-Maritime). Le moulin de la mer (vers 1900). Le dernier moulin à marées normand disparut vers 1906.
Fig.7 Muids (Eure). Le moulin (vers 1900). La façade aval. Sous le moulin la roue pendante est entièrement relevée. Le toit conserve encore les deux lucarnes aveugles qui abritent les vis du système de relevage de la roue à aubes. Site Classé en 1926. Moulins pendants et moulins bateau de la basse Seine furent tous condamnés par l’édifi cation du barrge de Poses entre 1878 et 1885.
Après 1850, la roue hydraulique Sagebien, à structure métallique, se diffuse progressivement dans la région, surtout dans l’est, sur la Risle, l’Eure, le Robec, l’Aubette, le Cailly, etc. mettant en jeu les fi latures, foulons et ateliers métallurgiques. La variante établie par le suisse Zuppinger reçoit en Normandie un accueil enthousiaste, au vu des vestiges encore visibles aujourd’hui. Deux fabricants spécialisés établis à Louviers ont contribué à ce succès, la société Boulenger-Bayard et la société Salentey (fi g.8).
Fig.8 Louviers (Eure). Atelier Louis Salentey, 33 rue Saint-Jean, Louviers (vers 1900). Construction d’une roue hydraulique en fer type Zuppinger.
3. moulins transformant les matières minérales
La transformation des roches au moyen de moulins fut une grande industrie en Normandie. Les moulins à fer s’y établissent très tôt. Ils se trouvent surtout localisés dans le Perche au sud-ouest de la Normandie où des forges sont mentionnées dès le XIème siècle. Aux grosses forges, traditionnelles s’ajoutèrent progressivement des fenderies, des tréfi leries. Le Sud du Cotentin abrita longtemps un pôle coutelier, autour de Mortain.
3-1. Les grosses forges à fer
Très souvent leur établissement a nécessité la création d’un grand étang, retenu par une digue faisant barrage. La métallurgie de première transformation toucha les départements de l’Orne, de l’Eure. Au XVIème, siècle, on recense près de soixante-huit usines à fer et au XVIIème siècle, cinquante-trois sur les hautes vallées de l’Iton, la Risle, l’Avre. Au nordouest de la région il y avait aussi quelques forges dans le pays de Bray et en pays d’Ouche au sud-ouest d’Evreux. Certaines forges à fer étaient orientées vers des marchés très ciblés. Avant la Révolution, la forge de Conches (Eure), travaillait pour la marine. Au XVIIème siècle, la forge de Sottevast, à Bricquebec (Manche) produisait du fer de mauvaise qualité destiné à la fabrication de boulets et de bombes pour l’arsenal de Cherbourg.
3-2. Les tréfi leries pour le fer
L’énergie hydraulique actionnait les souffl ets des hauts fourneaux, les laminoirs des fenderies, les marteaux ou martinets pour le forgeage, mécanismes des tréfi leries. Il en sortait d’importantes quantités de clous, de pointes et d’épingles autour de Rugles et de L’Aigle (fi g.9).
Fig9. Sainte-Honorine-de-Chardonne (Orne). Filature d’amiante. Usine du plat fond, vallée de la Vère. Entre 1890 et 1900. Créée en 1890 elle est acquise en 1925 par la Société Française de l’Amiante, puis en 1927 par Férodo, elle transforme 700 tonnes d’amiante par an. Elle cesse de transformer l’amiante en 1998, et ferme en 2005.
3-3. Les moulins couteliers
Ce type de moulins ne concerne que quelques territoires restreints des départements de Seine-Maritime, d’Eure et de la Manche à diverses périodes chronologiques. Les moulins couteliers de l’Eure sont les plus anciens. Il en existait un à Evreux en 1204 et un à Pont-Saint-Pierre. En Seine-Maritime, ils apparaissent au XVème siècle, en 1459 au Houlme, en 1464 à Maromme, en 1465 à Darnétal et plus tard en 1534 à Fécamp. Au XIXème siècle le département de la Manche voit se constituer un pôle coutelier autour de Mortain-Sourdeval. C’est le pays de Guy Degrenne. Le nombre d’usines consacré à cette activité progresse sensiblement à la fi n du XIXe siècle.
3-4. Le travail du plomb
Au début du XVIIIème siècle, l’industrie normande commence à s’engager dans la transformation des métaux non ferreux sur la commune de Dévillelès- Rouen (aujourd’hui Seine-Maritime). Créée en 1729, à partir d’un site de moulin, la Fabrique Royale de plomb laminé s’y établit. Les plaques produites servaient entre autre à assurer l’étanchéité des toitures, des bassins et des cascades et la fabrication de tuyaux d’adduction d’eau du Château de Versailles. Elle est rachetée en 1825 par J.-J. Lavessière et Fils puis à la fi n du XIXème siècle par la Compagnie Française des Métaux. La transformation du plomb cesse en 1899. En 1975, devenue Vallourec, on y fabrique des tubes en acier sans soudure pour le raffi nage du pétrole, la recherche pétrolière, l’industrie nucléaire.
3-5. Les forges à cuivre
Cette industrie est intimement liée à la proximité du littoral, des ports et chantiers navals établis sur la basse Seine. Au XVIIème siècle il existait un moulin frappant la monnaie au Pont-del’Arche (Eure).
En 1782, la plus importante usine métallurgique travaillant le cuivre s’installe sur le site du moulin hydraulique de Prepignan, à Romilly- sur-Andelle (Eure) (fi g.10).
Fig.10 Rai (Orne) Environs de l‘Aigle (vers 1900). Usine de Boisthorel, sur le Risle. Tréfi lerie de fer établie en 1646 par René d’Erard, Baron de Rai à l’emplacement d’un moulin à grain. Vers 1820, elle abandonne le tréfi lage du fer pour celui du laiton. Vers 1850, il y avait cinq roues hydrauliques.
En 1813 s’ajoutent trois autres ateliers.
1. Six fours réverbères où se mélangent des cuivres en provenance de Sibérie, Suède, Angleterre.
2. Trois fours réverbères, deux laminoirs et un martinet pour fabriquer les fonds de chaudières pour sucreries.
3. Un laminoir, fonderie, tréfi lerie.
Romilly-sur-Andelle est alors un des sept principaux centres français du travail du cuivre. L’usine emploie deux-cents-trente-cinq ouvriers. Les feuilles de cuivre obtenues sont destinées à doubler les coques des bateaux en bois.
Au cours du XIXème siècle, la dynamique impulsée par la construction de l’usine à cuivre de Romilly-sur-Andelle amène certaines forges à fer à se convertir dans le travail du cuivre, du zinc ou du laiton comme la forge d’Aube (Orne), voire des instruments de musique en laiton à Ivry-la-Bataille. Vers 1850, le département de l’Eure est le premier de France pour la transformation des métaux non ferreux.
En 1898, à Ivry-la-Bataille (Eure), Adrien Thibouville et son épouse, héritier d’une famille de fabricants d’instruments de musique (cuivres, cornets à piston, trombones, altos…), se rendent acquéreur de deux usines hydrauliques mitoyennes (fi g.11). Le moulin l’Abbé et le moulin de la Portelle, achetées à Monsieur Duval, fabricant de peignes en ivoire. Les instruments fabriqués sont des clarinettes, fl utes traversières, etc.
Fig.11 Rommilly-sur-Andelle (Eure). Vue panoramique. Usine à cuivre puis verrerie, établie sur le l’Andelle (vers 1900).
En 1919, vente de l’usine à Monsieur Martel, fabricant de peignes. Ensuite une fabrique de jouets s’y installe, l’entreprise Solido, qui y restera jusqu’en 1983. L’usine de la Portelle fabriquera des instruments de musique jusqu’aux années 1970.
3-6. Moulins fi latures d’amiante
L’ancienneté de l’industrie textile en Normandie a favorisé l’implantation de cette nouvelle activité en 1890 (fi g.12). Plusieurs sites hydrauliques de l’Orne et du Calvados ont abrité cette industrie, dans les vallées de la Vère et du Noireau, aux confi ns des deux départements. La roche brute était broyée, cardée, fi lée et retordue. Le fi l était employé à de nombreux usages : tissus, moquettes, joints. Cette fi bre, cinquante mille fois plus fi ne qu’un cheveu, posa de nombreux problèmes de santé. Elle est maintenant interdite.
Fig.12 Ivry-la-Bataille (Eure). Vue sur l’Eure (vers 1900). Fabrique d’instruments de musique Adrien Thibouville.
Conclusion
Les moulins ont formé l’armature industrielle de la Normandie. Le littoral de la Manche joua un grand rôle dans cette aventure de plus de onze siècles. Disposant d’un chevelu hydrographique réduit, la Normandie a su tirer le meilleur parti du potentiel énergétique disponible. A la fi n du XIXème siècle on comptait dans le département de l’Eure une densité de quatre-vingt moulins pour 100 km de rivière. La diversité des moulins est aussi un élément marquant. Au total trente-trois types de moulins différents, dont certains ont été parmi les pionniers de leur domaine au niveau français, ont animé la région. Ce beau patrimoine reste maintenant à préserver face aux projets destructeurs et funestes de l’Agence de l’eau Seine-Normandie. En effet, ici comme ailleurs en France, une politique sournoise est programmée pour détruire à jamais plusieurs milliers de chaussées de moulins et usines hydrauliques. Préserver les moulins, c’est préserver la vie aquatique, la vie tout court. Mobilisez- vous… demandez des comptes à vos députés et sénateurs. Longue vie aux moulins Normands.
Jean-Pierre Henri AZEMA – Article paru dans le Monde des Moulins – N°30 – octobre 2009
2 commentaires
Bienvenu Michel · 16 décembre 2021 à 20 h 50 min
il y a une inversion d’images (10) entre Rai et Romilly
(et Romilly : un seul m)
Cordialement
MB
Dominique Charpentier · 11 février 2022 à 19 h 25 min
Le mieux serait de le signaler à l’auteur : « Jean Pierre Azema : jph.azema@wanadoo.fr