Le site des Moulins de France
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I – Les travaux de réhabilitation

Lorsque le site de Campustelle a été acquis en 1993, sur la commune de Genestelle (Ardèche), près d’Antraigues, les trois bâtiments étaient en mauvais état : une maison d’habitation fissurée et au toit percé et affaissé, et deux moulins (G & H selon le cadastre) sans toit et une partie des murs et des ponts d’accès écroulés et envahis de ronces et de lierre, ouverts aux quatre vents, sans portes ni fenêtres. Bref, un état d’abandon avancé depuis la mort en 1956 du dernier meunier et le départ de sa fille héritière à la fin des années 60 qui n’avait plus rien entretenu.
Dès l’été 1993, le toit du moulin G est refait pour sauver la machinerie complète et les outils en place, hélas déjà abîmés par les intempéries depuis 1985, quand le toit s’était effondré sous le poids de la neige. Le « moulin H » n’avait plus de toit du tout, un arbre avait poussé à l’intérieur, avec une partie du pignon ouest démoli, mais, au rez-de-chaussée, c’est la découverte d’une belle voûte en arête et, enfouies à demi sous une couche épaisse de limon, les meules, gisante et tournante, en place sur une petite voûte pour le rodet.

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Fig. 1 – La cheminée moyenâgeuse de Campustelle. Photo CP. Chavanon

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Fig. 2 – Moulin devenu ferme et habitation. Photo Dong Ling

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Fig. 2 bis – Moulin devenu ferme et habitation : plan d’évolution. Illustration CP. Chavanon

Dès 1993 est créée une Association de Sauvegarde, déclarée en préfecture en janvier 1994.
Pendant la restauration de l’habitation, ferme avec étable surmontée d’un vaste fenil, on découvre que le centre de l’habitation a été aussi un moulin, avec traces de l’emplacement des meules, écluse (partiellement conservée et toujours alimentée par la fontaine) et canal de fuite.
Cette maison est surmontée d’une cheminée monumentale moyenâgeuse de 4,35 m, comme on en voit sur les gravures anciennes (fig 1). Il en existe 14 en Ardèche et celle-ci est la seule à être complète, de sa base carrée, ornée de masques jusqu’au faîte avec lanterne et cône surmonté d’une boule, le tout en granit. Elle a été estimée du XIIe siècle par Michel Rouvière, spécialiste de l’architecture vernaculaire, qui a étudié ces 14 cheminées.
Cette haute cheminée cylindrique et la toponymie de Campustelle non encore élucidée, ont alimenté localement les interprétations les plus fantaisistes sur Compostelle et les Sarrazins, le pèlerinage et la reconquête espagnole, malheureusement reprises sur certains sites web peu sérieux.
Le moulin (fig 2) a été flanqué d’une tour, fortification datant certainement des guerres de religion entre château catholique de Boulogne et château protestant de Labastide, et dont on voit encore la trace, bien que définitivement intégrée à un nouvel agrandissement de la maison en 1880 (fig. 2 bis).
L’association, aux faibles moyens, aura donc mis plus de 20 ans pour restaurer l’ensemble de ces moulins avec « l’huile de coude » des propriétaires, amis et membres de l’association et avec l’intervention d’artisans pour les parties les plus complexes.
Si bien qu’aujourd’hui, dans « le moulin G » (fig. 3, 5 et 6), la roue a été remplacée, fabriquée à l’identique et posée par l’entreprise Croix, ainsi que la vanne d’accès à la roue.
Les 400 dents en cormier des engrenages ont été changées et taillées. Les poutres, les planchers, les portes et fenêtres ont été refaits, les archures sont à refaire, la trieuse qui avait trop souffert a été démontée, l’escalier et les coffres à farine sont refaits. La presse à huile en bois et fonte est en place comme le « moulatou » et la bluterie, sans véritable restauration nécessaire. Des courroies à godets ont été récupérées dans un moulin en démolition ainsi qu’une potence à réajuster de quelques centimètres. Des accessoires, comme une bascule, ont eux aussi été récupérés. Le petit poêle pour chauffer les cerneaux de noix, avant de les presser, a été déplacé pour plus de commodité (évacuation des fumées).
Le moulin produisait son électricité en 1920, ainsi que celle de la maison d’habitation et de l’étable, mais la génératrice a été volée et il ne restait en 1993 qu’un tableau électrique rouillé.

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Fig. 3 – Moulin G. Photo Dong Ling

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Fig. 4 – Moulin H en travaux. Photo CP. Chavanon

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Fig. 4 bis – Moulin H. Photo Dong Ling

Un ancien meunier de la Drôme s’est proposé au rhabillage et réglage des meules. Dès que la béalière (canal d’amenée) de 400 m aura été remise en eau et après la pose des « soies » dans la bluterie et les « scourtins » sous la presse, le moulin pourra à nouveau, et bientôt, faire de la farine et aussi de l’huile de noix.
« Le moulin H » a un toit définitif depuis 2013, après avoir connu un toit provisoire de protection et quelques vicissitudes (fig. 4 et 4bis). Abandonné depuis 1890, son porche avait été comblé. Il a été ré-ouvert avec un nouveau parement. Un plancher est posé sur le sol de pierres inégales de l’étage. Reste à dégager le rez-de-chaussée du limon et la voûte sous les meules, pour découvrir sans doute le rodet à cuillères de bois ou ce qu’il en reste. Ce dégagement, avec de sérieuses fouilles, devrait permettre d’en savoir davantage sur l’origine du moulin.

II – Les recherches historiques

Parallèlement aux travaux de sauvegarde, l’association a mené des recherches historiques pour mieux connaître l’histoire des moulins de Campustelle et de ceux qui les entouraient, avec l’aide de l’historien Franck Bréchon (thèse sur le « Réseau routier et organisation de l’espace en Vivarais et sur ses marges au Moyen-Âge »), sachant que les sources médiévales d’archives sont dispersées dans plus de 40 dépôts, qu’elles ne sont pas exhaustives (Notaires, Estimes, Chartriers…), ni la carte de Cassini, ni les enquêtes du XIXe et XXe siècles.

A – Autour de Campustelle

Première étude
Le Conseil Général d’Ardèche et la DRAC, en 1998, ont confié à l’association une étude la plus exhaustive possible et in situ sur le canton des moulins de Campustelle. Il fut alors recensé, avec deux enquêteurs, un historien et un coordinateur, 58 moulins sur les 11 communes du Canton d’Antraigues avec étude typologique des bâtis (deux types principaux), des outils (sept types de rodets et roues), et historique, depuis les Estimes disponibles de 1464 jusqu’au XXe siècle. Depuis, les découvertes ultérieures ont permis de remonter plus haut, aux XIVe et XIIIe, grâce à Colette Veron, auteure d’une thèse extrêmement bien documentée sur les moulins d’Ardèche et dont on attend avec impatience la publication. Cette thèse va permettre de vraiment connaître les richesses des Moulins d’Ardèche.

Deuxième étude
Puis, en 1999, le Parc Naturel Régional des Monts d’Ardèche a demandé une étude, dans le but d’un inventaire pour engager une sauvegarde des moulins, sur son espace de 145 communes. 106 ont répondu à l’enquête, plus les 11 du canton d’Antraigues dont on avait déjà les informations, soit 117 villages, donc 80 % de réponses avec 101 moulins signalés. Cette enquête de 1999 était réalisée comme celles de 1809, 1878, 1924 et 1939, quand les préfectures envoyaient un questionnaire à chaque mairie. Ces questionnaires remplis par les maires ont permis de déterminer combien de moulins existaient encore sur le Parc Naturel à la fin du XXe siècle, et après l’envoi de quatre enquêteurs sur le terrain, de savoir combien pouvaient être sauvés et remis en fonctionnement.
Sur le Parc comme sur le canton d’Antraigues, il s’avéra que 50% des moulins avaient disparu ou étaient en ruine, 35% étaient transformés en habitation, gîte, grange ou garage et 15% étaient encore des moulins, c’est-à-dire en possession de leur machinerie, plus ou moins en état de fonctionner.

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Fig. 5 – Machinerie du moulin G. Photo Dong Ling

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Fig. 6 – Une paire de meules et bluterie. Photo Dong Ling

Mais faute de moyens financiers ou simplement d’intérêt, il n’y en aura que 6 ou 7 qui feront l’objet, sur ce territoire, d’une véritable réhabilitation, aidée financièrement par les collectivités ou pas du tout.
L’étude avait réparti les 101 moulins en 6 catégories selon l’état et le projet des propriétaires, et préconisait de maintenir l’activité de 5 moulins encore opérationnels, et d’aider à re-fonctionner 4 ou 5 autres qui avaient un projet. Cela faisait une dizaine de moulins à visiter ensuite en circuit sur le territoire du Parc, avec des présentations complémentaires (système hydraulique, type de bâti, rodet ou roue, farine ou huile, histoire, production…). Suite à cette enquête et malgré ses conclusions, le Parc n’a aidé alors que le Moulin de Mandy, certainement le mieux adapté à l’accueil du tourisme, à se développer en musée et n’a pas suivi l’étude qu’il avait commanditée. Mais cela n’est peut-être pas terminé, car aujourd’hui, 15 ans après, il y a des demandes de réseaux entre les moulins que le Parc Naturel des Monts d’Ardèche semble avoir entendues.

Les moulins de la Vallée du Sandron
La Vallée du Sandron comporte un ensemble de ruisseaux et de rivières dont les deux principales, le Moulet et le Mazel, se rejoignent pour former le Sandron, affluent nord-sud de l’Ardèche, et dans cette vallée de 18 km, on situe au moins 21 moulins d’après les archives et le cadastre napoléonien.
Le Moulet prend sa source près du col de la Fayolle, sur la commune de St-Julien-du- Gua et en traverse successivement 5 autres.
D’abord Saint-Joseph des Bancs, puis au confluent avec le Mazel, sur la commune de Genestelle, il prend le nom de Sandron et traverse ensuite St-Andéol-de-Vals, St-Julien-du -Serre et Ucel où il se jette dans l’Ardèche.
Ces communes ont d’autres moulins sur les autres rivières qui les traversent ou les longent : Volane, Bise, Oise, Luol, Boulogne, Ardèche…
Comme tous les cours d’eau de la montagne ardéchoise, le Sandron est fougueux l’hiver comme un torrent, avec des crues destructrices des seuils et parfois des installations, et en été, rivière tranquille qui peine à remplir les béalières et les écluses.

Liste des moulins sur le Sandron (voir image tableau)

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Remarques sur ces moulins :
Comme autrefois « moulin » signifiait l’outil plutôt que l’ensemble du bâtiment. Il faut confronter ces dénominations de moulins avec les lieux-dits, les emplacements et les noms des meuniers.
* Le Molet était, sur l’estime de 1464, un moulin tenure, c’est-à-dire collectif et on sait que Jean et Jacques Cayron en disposaient du 1/16ème.
* le 9 juillet 1692, on lit « où jadis avait mollin au terrain des Rouvières », que l’on retrouve pourtant le 4 septembre 1748 sur la carte de Cassini, et sur le cadastre de 1843.
* Aujourd’hui, le moulin de la Croze, depuis sa réhabilitation, s’appelle: Moulin de Pailhiaire.
* On peut considérer que le Moulin de Bodo est le même que celui du Bouchet, en tout cas c’est en 1431 (Bodo) et 1464 (Bouchet) le même meunier, Jean de Gleyzal, sur le moulet, et on ne connaît pas de lieu-dit Bodo, à la
différence du Bouchet (Boscheto).
*Pierre Charrié, dans son dictionnaire topographique, assimile l’Abeillaud à Bodelio (1410), ce qui n’est pas avéré. La Bastide présente une architecture massive, d’où son nom, l’Abeillaud paraît plus récent. Les deux bâtiments sont accolés en L. Il y avait encore deux propriétaires différents, en 2000, l’un pour la partie Bastide, l’autre pour la partie Abeillaud, même si le nom Bastide n’était plus utilisé.
* « Le petit moulin al soleyrol » conserve son appellation de « petit moulin » ou de Soleyrolet, étant sur la partie cadastrale Soleyrol, bien après son rattachement à Campustelle et son agrandissement.
* En 1687, le meunier de Campustelle, Louis Tardieu, est chargé de construire et d’équiper entièrement, avec tous les détails, « deux mollins » (à blé et à huile de noix) en ruine totale, à St-Andéol pour la somme de 200 livres avec « rodet à la française en bois de chaine ». Ce n’est pas sur le Sandron, mais « du lieu de Doize », c’est à dire sur la rivière Oise parallèle au Sandron. Le cadastre napoléonien indique deux fois sur cette rivière, au nord et au sud de la commune, « le moulin » sans autre précision.
* En 1429, un document notarié cite un certain Massiol possédant le Moulin de la Pause. Aujourd’hui, on ne connaît que le Moulin de Massiol. À l’évidence, ces deux noms recouvrent un seul moulin.
*D’autres moulins, sur d’autres rivières (Luol et Oise), sont bien identifiés sur le CN à St-Julien- du-Serre. Le Sandron fait un bref passage sur cette commune, il serait étonnant toutefois qu’il n’y ait pas eu un moulin, peut-être donc le Moulin de Passelaigue de Marc Guiron, qui n’est pas identifié sur les autres cours d’eau, mais attesté sur ce village par un testament en 1770.
*Le cadastre de 1837 ne mentionne pas de lieu-dit La Guischarde, attesté pourtant en 1697 avec deux moulins, mais on y trouve Les Moulinas sans trace de béalière, ce qui fait sans doute correspondre les deux ? Au début du XXIe siècle, dans la vallée du Sandron, sur 21 moulins recensés, au minimum 9 moulins sont transformés en habitation, 8 sont en ruine ou ont disparu, 4 sont réhabilités, dont 2 ouverts au public sur St-Joseph- des-Bancs : le Moulin de Raoul (Moulin du Mazel) et le Moulin de Pailhiaire (La Croze), ayant bénéficié d’aides publiques. Les recherches de 1998-1999 ont été mises à jour en 2015 grâce aux échanges avec Colette Veron.

B – Les Trois Moulins de Campustelle

Au-delà des textes trouvés dans les archives qui attestent, et des bâtiments qui témoignent, on peut reconstituer l’histoire des trois moulins de Campustelle avec de fortes probabilités qui peuvent compléter ce dont on est certain.

1- Le Moyen-Âge
D’après la Carta Vielha, cartulaire de l’évêché de Viviers, Genestelle, village où se trouve donc Campustelle, est attesté vers la moitié du Xe siècle avec 20 manses (maisons). Il est fort à penser que, très vite, ces habitants ont eu besoin de farine et de pain et donc de moulins.
Campustelle se trouve au creux de la vallée, à 150 m juste en dessous de l’église Sainte- Marie de Genestelle, au confluent du Sagnes et du Sandron, emplacement idéal avec deux cours d’eau pour alimenter des moulins. Plusieurs moulins sont attestés déjà au Xe siècle, et même avant, en Ardèche.
Campustelle est signalé en 1242 comme « fief de Campestel » puis en 1272, et en 1296. Cheminée monumentale et éléments d’architecture confirment l’existence médiévale du site.
Il faudrait faire appel à des fouilles d’archéologie pour en savoir davantage ou découvrir de nouveaux textes.
Au Moyen-Âge, les terres ont appartenu au clergé avant d’appartenir aux seigneurs, et les évêques de Viviers se sont disputé cette partie de l’Ardèche avec les évêques du Puy, si bien que les Estimes de 1464 sur Genestelle n’indiquent pas tous les moulins actifs, soit qu’ils appartiennent encore au clergé, et deux moulins dépendant de la Commanderie de Jalès sont signalés en 1244 sur le mandement d’Antraigues (assez similaire au canton actuel), soit d’autre part qu’ils appartiennent à la noblesse, dispensée également des impôts des Estimes.
Les seigneuries et coseigneuries d’Antraigues et de Genestelle, depuis le XIIe siècle, ont conservé les biens, donc les moulins, de mariage en mariage (Famille de Chanaleilles, de Goys, de Cayres, de Lestrange, de Launay), et sont toutes vassales des Montlaur, eux-mêmes vassaux des Comtes de Toulouse. Au XVIIe siècle, le meunier Louis Tardieu de Campustelle doit encore un quarteron de seigle au Comte d’Antraigues.
« Le petit moulin du Soleyrol » était en ruine « del soleyrol loco dicto al moli herm » en 1407, en pleine guerre de cent ans qui a affecté tant de moulins et en a vu tant disparaître. Mais sur l’Estime de 1464, Etienne et Jean de la Chalabreysse déclarent posséder ce petit moulin « parvum molendinum » au lieu-dit Al Soleyrol, pour lequel ils doivent annuellement un cens de 4 quartes de seigle au Seigneur de Crau, mais le moulin n’est annexé que le 2 juin 1687, par mariage du meunier de Campustelle, Pierre Tardieu, avec Anne Hustachi, veuve de Jean Chalabruyesse.

2- La période moderne
Campustelle figure sur les Compoix de 1634 et suivant, comme « moulins à bled, à huile et à drap », imposés pour 6 sols et se trouve sur la carte de Cassini (Campustel), puis sur tous les documents de recensement comme moulin en activité jusqu’à celui de 1939.
En 1687, construire un moulin coûte 200 livres pour une imposition à 5 sols. En 1740, une meule vaut 40 livres et en 1809, les meules  iennent de Gourdon ou de Saint-Julien-du-Serre.
En 1705, les différends religieux sont toujours vivaces et on ne rechigne pas à dénoncer ses voisins, mais on apprend que Louis Tardieu, meunier de Campustelle, catholique, avait protégé deux mois chez lui son compère et voisin Jacob Plan, protestant, inquiété pour avoir accueilli une assemblée de réformés et avoir soutenu les camisards des Cévennes et du Vivarais. Les meuniers, amenés à fréquenter tout le monde, étaient peut-être plus tolérants.
Les Tardieu sont déclarés meuniers de Campustelle, mais arrentent souvent les moulins et parfois les terres alentour. On voit passer les Faure, Chastagnier, Chambranle… Vivent aussi à Campustelle des familles d’ouvriers qui s’occupent des champs et du bétail. Les Tardieu, pendant ce temps, sont sollicités pour la remise en état de moulins ou du toit de l’église comme charpentiers ou maçons.
La seconde moitié du XVIIe siècle est une période de grande prospérité à Campustelle. Les documents montrent que ce n’est ni forcément le fils ou l’aîné qui hérite et que depuis le XVe siècle, les trois moulins sont passés de père en fils ou fille, d’oncle à neveu, ou même de neveu à oncle, de tante à nièce, ou de veuve à mari. On relève la famille Chalabruyesse de 1464 à 1687 pour le petit moulin, et pour Campustelle depuis le XVe siècle, les familles Vedesche (Pierre, Jean, Guilhaume, Antoine), puis Tardieu par oncle donataire (Estienne, Pierre et Louis, Antoine, Anne et ses quatre maris), puis, depuis 1767 jusqu’en 1993, Audigier par mariage avec la petite-fille
d’Anne Tardieu.
Tous ces documents permettent de retracer la vie des meuniers et de leur famille avec les testaments, les baptêmes, les mariages, les inventaires liés aux dots ou aux arrentements, et les différends entre voisins, cousins ou frères.
Ce qui ne pouvait se régler chez un notaire ou à la seigneurie d’Antraigues, était envoyé au baillage de Villeneuve de Berg, comme en 1685, suite à des arriérés de gages non versés par Louis Tardieu à Scipion Robin, ou si le présidial de Nîmes ne suffisait pas à des affaires plus importantes, elles étaient soumises à la juridiction d’appel du Parlement de Toulouse.
Ainsi le 30 mai 1778, Anne Coste du Moulin de Campustelle, donne procuration avec frais payés à Jean Audigier, son neveu par alliance, pour aller récupérer à Toulouse l’arrêt gagné contre dame Ducros et son fils Chabassol, après une action entamée le 4 août 1777 auprès du procureur Gaubert. Il se pourrait que le litige portât sur du drap, car Anne dite Nanon Ducros avait épousé Jean Chabassol, cardeur de laine, et l’on sait qu’à Campustelle on foulait le drap de laine.
Suite à un différend sur le partage des eaux, le notaire Jean-Antoine Comte fait dessiner pour le tribunal de Privas, le 18 janvier 1823, le tracé « aux lieux en litige » des béalières qui alimentent moulins et prés des voisins. Sur le
dessin en couleur, on voit bien que le moulin aval est alimenté par le ruisseau Sagnes et par les eaux du Sandron, rejetées par le moulin amont, qui dispose d’une écluse et pas le second. (fig. 7). La béalière se poursuit pour arroser les prés des voisins Jouve et Coulomb.
Le troisième moulin n’apparaît pas, n’étant pas dans le litige et sa configuration actuelle  date de 1880, suite à la construction de la route (1877-1878) qui passe sur une grande partie de l’écluse et sur sa béalière d’amenée d’eau depuis le Sagnes et la fontaine, le condamnant, s’il n’était déjà arrêté.
Fin XIXe, avec l’arrivée des roues verticales métalliques à augets et des engrenages, les moulins plus professionnels abandonnent les rodets, alors que les petits moulins, plus familiaux, changent simplement leur rodet de bois par un rodet métallique à ailettes ou à cuillères de fonte. Le moulin H ne subit pas de transformation.
Il s’est arrêté de moudre en 1890 et a dû rester avec un rodet de bois. Sur l’ensemble du Canton, un seul moulin, le Rigaudel, avait acquis des turbines dans les années 1930 pour fonctionner jusqu’au 18 novembre 1976, victime d’une crue trop forte de la Volane.
Firmin Louis Audigier, meunier, modifie donc en 1895 celui qu’on appelait le « Soleyrolet de Campustelle » ou encore « le petit moulin » dans les documents, car il n’avait qu’un niveau, alors que les autres moulins de Campustelle avaient un étage sur voûte, donc étaient plus grands. On retrouve cette cohabitation sur le canton, à Laviolle, avec un « petit moulin » à côté d’un « grand moulin ».
C’est aussi le mieux situé pour l’acheminement de l’eau. Il le surélève d’un étage et rabaisse le sol pour installer la machinerie (fig. 5). À l’extérieur, il installe une roue verticale, à 48 augets rivetés, de 5 m de diamètre et 1,20 m de large, et creuse un canal de fuite à demi souterrain. À l’étage, deux paires de meules et une bluterie de 5 m de long (fig.6) ; au rez-de-chaussée, une trieuse, un moulatou, une presse à huile de noix, tout un système de courroies à godets et au grenier, mue par des poulies et courroies, une vis sans fin pour réalimenter les trémies après le premier passage en bluterie. Le moulin broie aussi le colza entre deux cylindres et actionne une meule à aiguiser.
Audigier confie le moulin, entièrement refait à neuf, à deux ouvriers meuniers, Méalarès Auguste père et fils, en 1896, puis à son deuxième fils Eugène en 1906. Et Firmin, le petit-fils et dernier meunier, installe une génératrice en 1920. On dit que le moulin a encore tourné un peu pendant la guerre de 39, malgré les interdictions.
L’exode rural, le développement des transports, une alimentation plus diversifiée, la guerre et les progrès technologiques ont eu raison des moulins dans les années 50, ici comme ailleurs.

3- Le XXIe siècle
Même s’il reste encore à faire pour remonter le temps avec les archives, avec des fouilles sérieuses, et pour achever tous les travaux, aujourd’hui Campustelle revit en connaissant son passé, son environnement, et ses moulins sont réhabilités, mais ni en vue d’une production de farine, d’huile ou d’électricité, ni comme attraction touristique, juste pour le plaisir de sauver et de faire revivre ces témoignages d’un lointain passé, et de les transmettre réhabilités.

Claude-Pierre Chavanon, Président de l’Association de Sauvegarde des Moulins de Campustelle – Article paru dans le Monde des Moulins n°54 – Octobre 2015

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