“Le Monde des Moulins” dans son n°8 présentait les découvertes archéologiques récentes en Provence et mentionnait brièvement le moulin de Barbegal. Cet article est entièrement consacré à ce moulin.
Les moulins de Barbegal et les aqueducs qui les alimentaient en eau sont justement célèbres (1). Ils sont situés au N.E. d’Arles. Ils ont laissé des ruines imposantes qui ont intrigué beaucoup de monde. Le premier qui a essayé de les interpréter fut P. Véran (2) à la fin du XVIIIème siècle. Les fouilles scientifiques ont commencé avec F. Benoît en 1937- 1939, publiées en 1940. Elles ont repris après la guerre avec plusieurs archéologues, dont Ph. Leveau (Gallia Information 1990 et 1993, Comptes-rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 1995, p. 117-144, Revue Archéologique de Narbonnaise 33, 2000, p. 387-439), M.-C. Amouretti (Gallia Information 1992) et T. Hodge . J.-L. Paillet, architecte, a réalisé des plans.
Description générale et fonctionnement
Ces moulins représentent ce qu’il y a de plus vaste et de plus élaboré comme moulins antiques. Ils constituent un véritable complexe industriel, puisqu’il s’agit de deux rangées parallèles de huit moulins (fig. 1).
Ils sont construits sur la pente d’une colline calcaire, inclinée à 30% environ. L’ensemble de l’usine a une longueur de 61 mètres, une largeur de 20 mètres et un dénivelée de 18m60. Cette construction a été faite alors que la ville d’Arles était alimentée par un aqueduc drainant les eaux des Alpilles. En effet, l’eau potable d’Arles, sous Auguste, était amenée depuis des sources situées au nord des Alpilles. Cet aqueduc se dirigeait vers l’ouest. Un deuxième aqueduc drainait les sources du sud des Alpilles. Les deux branches se rencontraient dans un bassin de convergence au sud de Fontvieille. De là, un pont-aqueduc de 325 mètres traversait le vallon des Arcs. Cet aqueduc unique faisait un coude à angle droit vers l’ouest pour rejoindre Arles par le marais des Baux. Il passait à côté du site choisi pour construire les moulins ; les travaux entrepris pour les alimenter en eau ont tenu compte de cette situation. Dès le IIème siècle, l’eau de l’aqueduc sud, peu avant d’arriver au bassin de convergence, a été déviée vers Barbegal par un deuxième pont-aqueduc parallèle au premier, à l’ouest, avant d’arriver sur la colline (fig. 2).
Il a fallu creuser dans la roche une longue brèche pour que l’eau accède aux moulins. Celle-ci se répartissait alors en deux conduits alimentant chacun huit moulins placés l’un au-dessus de l’autre. Un large escalier entre les deux séries permettait le va-et- vient du personnel. Il y avait peut-être aussi un monte-charge. D’après les restes d’architecture on pense que chacun était mis en mouvement par une roue verticale en bois, d’environ 2m20 de diamètre (fig. 3).
Une goulotte, également en bois, devait amener l’eau en avant de la roue. L’axe de la roue faisait tourner un rouet, dont les dents entraînaient une lanterne, qui actionnait la meule supérieure mobile de chaque moulin. Une trémie faisait sans doute tomber le grain entre les deux meules ; la farine pouvait s’écouler dans un sac. Aucun texte antique ne parle de ces moulins ; s’il y en a eu un, on ne l’a pas trouvé ! On sait cependant qu’il y avait à Arles un architecte célèbre pour ses constructions hydrauliques : Cl. Candidus Benignus, mais rien encore n’a précisé les ouvrages qu’il a pu réaliser.
Production
Elle est estimée à 250 kg par jour et par moulin, donc 4 tonnes par jour pour l’ensemble.
La durée de la période de meulage, la provenance du blé et la destination de la farine sont encore inconnues, sans doute pour Arles et sa région.
Datations
Date de la construction
Celle proposée par F. Benoit était relativement tardive : IIIème siècle. Mais la fouille du fond du bassin de convergence, de la déviation de l’aqueduc Sud vers le canal des moulins, de même que l’architecture du pont-aqueduc et la forme des meules nous renseignent sur cette date. Un as de Trajan (103-111) a été pris dans le mortier de tuileau déposé lors de la réfection de ce bassin au moment de la construction des moulins. Ce tuileau est le même que celui du canal des moulins. La plupart des monnaies trouvées dans les concrétions du fond du bassin sont d’époque antonine (96-192). Alors que l’aqueduc d’Arles est construit en grand appareil, l’aqueduc des moulins montre une combinaison de grand et de petit appareil. De plus, les caractères des meules sont ceux du Haut-Empire. Tout ceci nous prouve que la construction des moulins et de leur aqueduc date du début du IIème siècle.
Durée d’utilisation et arrêt
L’étude du matériel recueilli dans le fossé où s’écoulait l’émissaire oriental des moulins a été terminée en 1994 : 2200 tessons de céramique ont été récoltés. La céramique Sud gauloise y est peu abondante. La sigillée claire B nous propose la 2ème moitié du IIème siècle. La sigillée claire C la fin du IIIème siècle. La monnaie la plus ancienne remonte au siècle d’Auguste, la plus récente à Salonina (254-263).
Lorsque les moulins fonctionnaient, il devait y avoir régulièrement curage de ce fossé. Les éléments que nous venons de décrire sont les derniers témoins de l’utilisation des moulins, puisque des concrétions calcaires scellaient la partie supérieure de ce dépôt.
On peut donc en conclure que l’utilisation de ce fossé se termine à la fin du IIIème siècle.
Le fonctionnement industriel de ces moulins a donc duré peu de temps, compte-tenu de l’importance des investissements que leur construction avait dû demander. Pendant cette période, il a fallu à plusieurs reprises consolider les deux ponts-aqueducs (construits dans une dépression au sous-sol fluant) : contreforts, murs de soutènement pour des arches de celui d’Arles, entretoises entre les deux, mais aussi reconstruction complète de certains tronçons.
Après cet abandon, les moulins ont encore été utilisés de temps en temps.
On a retrouvé en effet, contre le mur oriental de l’usine, une fosse avec des débris charbonneux et des céramiques cassées…
Suzanne Valentini, Association Régionale des Amis des Moulins de Provence
Paru dans le Monde des Moulins n°13 de juillet 2005
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