Le site des Moulins de France
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L’excellente exposition itinérante « Moulins à marée d’Europe occidentale » annoncée dans notre revue et coordonnée par l’Ecomusée de Seixal (Portugal) permit, lors de son passage à Bordeaux, de mettre à jour l’existence d’un moulin à marée dans cette ville, sur l’estuaire de la Gironde.

Tout au long du XVIIIème siècle, la ville de Bordeaux connaîtra des diffi cultés d’approvisionnement en grains et surtout en farine. Le projet de construction d’un moulin de grande ampleur va ainsi se concrétiser à la fi n du siècle grâce à la pugnacité d’un homme, Joseph Laurent Teynac. Ce moulin, une fois construit, connaîtra un destin étonnant que peu de bordelais connaissent et qui marquera cependant le développement industriel du quartier Bacalan.

Pénurie de grains et farine

Au XVIIIème siècle, la ville de Bordeaux est essentiellement alimentée en grains et farine par les moulins de l’arrière pays (moulin de Laubardemont à Coutras, moulin de l’Isle Saint Georges, moulin du Pont à Barsac,…) et ceux de la région du Quercy et de l’Agenais.

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Moulin de Bacalan

Le transport des grains et farines par voie d’eau entraîne des pertes (crues, avaries, accidents…) de même que leur stockage sur les rives boueuses et humides du fl euve par manque de lieux adaptés. A cette époque aussi, une grande partie de ces importations est le plus souvent réexportée vers les colonies avec une spéculation des négociants et des commanditaires1.

Action des boulangers

En 1784, le Corps des Boulangers de la ville réclame la construction d’un moulin à Bordeaux par un courrier2 au Conseiller d’Etat Monseigneur de Boutin, Commissaire dans la Province de Guyenne. Ils soutiennent le projet de construction de « sieur Teynac ayant fait l’entreprise d’un moulin au Bas des Chartrons qui serait très avantageux et du plus grand secours pour la ville de Bordeaux ». Cette Corporation le cautionne « pour une somme de 20000 livres qui lui a été prêtée dans l’édifi cation de ce moulin ».

Le moulin Teynac

Joseph Laurent Teynac, maître charpentier de la paroisse de Saint Pierre avant de devenir négociant, se lance en 1779 dans la construction d’un moulin économique3 qui fonctionnerait grâce au mouvement de la marée.
Il faut savoir que la marée remonte jusqu’à 150 km en amont dans l’estuaire de la Gironde. Le projet initial prévoit de faire tourner 24 paires de meules actionnées par des rouets de fosse permettant de moudre 1000 quintaux de blé par jour4!

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Le bâtiment aura des dimensions impressionnantes :
• Moulin (bâtiment principal) : Longueur 20 toises soit 39 m, largeur 15 toises soit 31 m, hauteur 8 toises soit 15,60 m, superfi cie 1200 m².
• Canaux arrières : longueur totale 2000 pieds soit 640 m
• Cour : largeur 100 pieds soit 32 m ; longueur 200 pieds soit 65 m

Après de nombreuses péripéties, le moulin sera inauguré le 3 septembre 1788, avec une mouture produite par les six premières meules.

Le 2 septembre 1788, le subdélégué Duchesne de Beaumanoir assiste à l’inauguration de la mouture des six premières meules du moulin Teynac5.

« Bordeaux, le 3 septembre 1788
Monsieur !
Je crois devoir vous rendre compte du succès de l’expérience à laquelle j’ai assisté hier du mouvement et de la mouture des six premières meules du moulin de M. Teynac ; elle s’est faite en présence des offi ciers municipaux
et des personnes les plus considérables de la ville. À quelques défauts prés, mais peu considérables de la manipulation le mouvement a été parfait ; la farine peut-être trop fi ne a été de bonne qualité et ce matin j’ai eu le plaisir de déjeuner avec du pain qui en provenait. La première année de votre administration, vous vous plaigniez que la crainte ou vous étiez, Monsieur, que la ville ne manquât de farine, vous empêchait quelquefois de dormir tranquillement, et c’est ce que vous dites au mois d’octobre 1785 à M. Goussé chargé par la compagnie des actionnaires du moulin, d’aider M. Teynac. Aujourd’hui nous pouvons être tranquilles, M. Teynac nous a donné de la farine et il montra hier comment il nettoierait les vases, par le cours des dernières eaux du réservoir
Ce qui eut un entier succès.
Je suis avec un profond respect
Monsieur
Votre très humble et très
Obéissant serviteur
Duchesne de Beaumanoir » 

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Les espoirs seront vite déçus car en 1792 « malheureusement, l’entrepreneur n’avait pas suffi samment compté avec l’engorgement du canal…la vase charriée par les eaux de la Garonne boucha le canal, les moulins s’arrêtèrent et il fut impossible de les remettre en marche… »6.

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Le moulin Lafitte

Jacques Lafi tte, négociant bordelais, achète le moulin en 1819 pour le transformer en un établissement industriel à plusieurs fonctions. Il projette d’abandonner l’énergie hydraulique (et l’envasement) au profi t de « deux machines à vapeur de 30 chevaux chacune ». Les travaux s’étaleront de 1819 à 1828. C’est un véritable projet industriel qui se développe à Bacalan :
• « Transformations des magasins en greniers d’abondance (150000 quintaux de grains
• Utilisations des canaux comme fosses à mâture, inexistantes à Bordeaux
• Elévation de dépôts de bois de construction pour la marine
• Installations de laminoirs et de moulins à scie
• Mise en service de canaux pour le dessèchement des marais
• Etablissement d’une école de natation et bains publics dans un bassin nord.7»

En avril 1828, J. Lafi tte attend toujours les moteurs à vapeur commandés en Angleterre. En 1830, la Révolution de Juillet signera la fi n du projet. La Municipalité loue alors les locaux pour le casernement des troupes de
garnison.

La Manufacture de poterie Johnston

En 1834, David Johnston, négociant bordelais et futur maire de Bordeaux, achète l’ancien moulin, 77 quai de Bacalan, pour y installer une manufacture de poterie. En 1835, la production commence et en 1838 quatre fours
sont en fonctionnement, 400 ouvriers y travaillent8.

La Faïencerie Vieillard

En 1845, la Société David Johnston devient la « Manufacture Vieillard & Cie ». En 1850, trois fours de dix-huit pieds de diamètre (5,80m) sont construits pour la cuisson de la porcelaine. En 1852, Napoléon III visite la Manufacture qui occupe 800 ouvriers et produit chaque mois pour 100 000 francs de marchandise.
En 1871, le nombre d’ouvriers se stabilise à 1300 9.

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Porcelaine Vieillard représentant le moulin de Bacalan. Collection Vieillard.

La manufacture fermera le 20 août 1895.
Sur le terrain, de nos jours, il ne reste plus de trace de ce riche passé industriel. Une nouvelle fois, nous pouvons découvrir qu’à l’origine de cette épopée, il y eut un moulin, fruit de l’imagination et de la volonté d’hommes entreprenants et désintéressés qui répondirent à la nécessité de pourvoir à la nourriture d’une population en plein développement.

1. Archives Municipales HH 29 – Archives Départementales de la Gironde 36 30.
2. ADG C 1985.
3. Moulin Economique : cette expression indique que les moulins de ce type réalisent une mouture économique avec des passages successifs entre les meules (meilleure rentabilité pour la même quantité de grain). Habituellement et jusqu’alors un seul passage permettait d’obtenir une mouture « à la grosse ».
4. ADG C 1985.
5. ADG C 1985.
6. AM H – 7/5 : témoignage de Lorenz Meyer, rapporté par Méandre de Lapouyade dans « Voyage d’un allemand à Bordeaux en 1801 ».
7. AM 5 b 47.
8. Sources : Musée des Arts Décoratifs de Bordeaux.
9. Musée des Arts Décoratifs de Bordeaux – « Catalogue des Céramiques et des Dessins » – 1996.

Alain Eyquem – Article paru dans le Monde des Moulins – N°31 – janvier 2010

Catégories : Histoire

1 commentaire

Le dernier moulin à eau de Bordeaux – Ma Vie en Gazelle · 20 janvier 2020 à 11 h 27 min

[…] « Moulin à marée de Bacalan », par la Fédération des Moulins de France […]

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