Depuis la plus haute antiquité, la Provence et le bassin méditerranéen dans son ensemble cultivent l’olivier pour son huile. Dans une grande partie de la France, le fruit du noyer est aussi converti en huile comestible. Mais ce bel arbre a depuis longtemps presque disparu de la région du nord, décimé par les guerres et… la fabrication des crosses de fusil ! Le fruit du hêtre, la faîne, a également été utilisé dans nos contrées, surtout en Ardennes. C’était une huile comestible comme celles que l’on vient de citer.
Dans le nord de la France, on tire l’huile de plusieurs plantes : le lin, probablement la plus ancienne plante cultivée, la navette, l’oeillette ou pavot-oeillette, la cameline, le chanvre, pour ne citer que les plus importantes.
Longtemps, leur fabrication a été une des principales branches de commerce des départements du nord de la France et particulièrement de la Flandre. Le préfet Dieudonné, dans son livre “Statistique du département du Nord”, paru sous le Premier Empire,
démontre l’importance de la culture des graines oléagineuses, dont la culture de certaines graines sont assez récentes à l’époque.
“Le colza est celle de ces plantes qui est cultivée le plus généralement et avec le plus d’abondance dans les arrondissements de Lille, Hazebrouck et Douai. Il commence à s’introduire dans les arrondissements de Bergues au Nord, Cambrai et Avesnes au sud.”
“La navette se propage dans les arrondissements d’Avesnes et de Cambrai”. On la cultive déjà dans la région de Lille au 16ème siècle. “L’oeillette, introduite dans le département quelques années avant la révolution, est beaucoup cultivée depuis cette époque, surtout dans les arrondissements de Lille, Douai et Cambrai.
On commence à en connaître la culture dans l’arrondissement d’Avesnes”. “La cameline (camomille dans le pays), introduite depuis environ 30 ans, reconnue très utile depuis 10 à 12 ans, surtout pour remplacer les colzas et grains d’hiver manqués. Cette culture s’est considérablement accrue depuis la révolution dans les arrondissements de Lille, Douai et gagne ceux du sud du département”.
Le lin est cultivé depuis des temps immémoriaux, pour sa tige principalement, mais aussi pour sa graine qui donne une huile utilisée pour la fabrication de la peinture, du vernis, du mastic, du savon et de graissage. Vingt ans après Dieudonné, l’ingénieur J. Cordier, en 1823, constate que “la Flandre est la contrée du monde où la culture des plantes oléagineuses et la fabrication de l’huile ont pris, depuis longtemps, le plus d’extension, et ont fait le plus de progrès. On compte autour de Lille, près de deux cents moulins à huile, appelés tordoirs, que le vent fait mouvoir et depuis 1814 on établit chaque année, des machines à vapeur destinées au même usage”.
La seconde ville en importance est Arras avec une centaine de moulins à vent répartis dans les communes d’Achicourt, Beaurains, Agny et Dainville. Ensuite, Béthune, Cambrai et en Flandre, Cassel avec une dizaine de tordoirs.
J. Cordier affirme aussi que dans l’arrondissement de Lille, les tordoirs sont en activité toute l’année, lorsqu’ils ont le vent. Tout ce qui s’y fabrique est pour le commerce. Un moulin à vent peut fabriquer de 300 à 600 hectolitres d’huile par an. Dans l’arrondissement
de Lille, la quantité moyenne de fabrication est de 400 hectolitres. Les 3/6ème des huiles s’exportent vers l’étranger, Hollande, Russie ; 2/6ème vers l’intérieur, Bourgogne, Paris ; et le 1/6ème restant pour le département, d’après Dieudonné.
Le tableau ci-après, tiré des statistiques de Dieudonné et de Cordier, donne un état précis des tordoirs en 1789-1801-1818, montrant bien leur progression continue :
Elle se poursuivra encore quelque temps, puis les moulins sont remplacés par des machines à vapeur et les graines de lin sont importées d’Argentine, de Riga, des Indes et du Canada. On utilisera également les graines des colonies, l’arachide notamment, l’oeillette disparaît et quelques autres.
A Lille, la fabrication de l’huile fera la richesse de nombreuses familles, véritables dynasties de fabricants. Mais le déclin des moulins à vent est inéluctable. Une machine à vapeur remplace 10, 20 moulins. A Lille, de 94 en 1830, ils ne sont déjà plus que 30 en 1860 qui disparaissent avant 1900.
Le dernier carré des survivants, à Cassel, disparaît dans les années 1920, le dernier en activité brûle accidentellement en 1937. Mais le tout dernier, à Hoymille près de Bergues, est incendié par les Allemands lors de leur retraite en 1944.
A cette date, il ne reste donc plus un seul tordoir complet mais quelques vestiges. Le moulin-tour de St-Vaasten- Cambrésis qui possède encore ses meules mais qui a perdu sa presse et son chauffoir. Il a été partiellement restauré par l’ARAM NPDC. Seul le moulin d’Offekerque, ancien tordoir, originaire d’Audruicq, converti en moulin à farine dès avant la Révolution a été réadapté en tordoir grâce à l’ARAM qui l’a racheté en ruine en 1974 et complètement rénové avec son mécanisme de fabrication d’huile. Il est l’unique exemplaire d’un tordoir de type sur pivot, au monde.
La dernière fabrique d’huile de lin du Nord, à Comines, a cessé sa fabrication vers 1980. Il ne reste pour toute la France que l’huilerie Coache à Villeroy (Somme), usine qui a succédé, suite à l’incendie en 1970, au moulin hydraulique de Gennes- Ivergny (Pas de Calais) qui était situé de l’autre côté de l’Authie.
Les types de moulins
Dans le Nord-Pas-de-Calais, on emploie la force du vent, et la plupart des moulins sont groupés aux approches des villes principales, constituant parfois, comme à Lille, de véritables zones industrielles avant l’heure. Les moulins sont de deux espèces : les moulins en bois sur pivot, les plus nombreux et les moulins-tours, en brique ou en bois. Il existe également des moulins mus par l’eau. Il y eut aussi des moulins mus par un cheval.
Les moulins sur pivot opèrent la trituration des graines par une batterie de 5 pilons et la pression par une seule presse à coins, exactement comme l’installation du moulin des Olieux à Villeneuve d’Ascq. Un chauffoir y figure également, comme dans tous tordoirs.
Les moulins-tours comptaient des meules verticales remplaçant les pilons et une ou deux presses à coins. Il en est de même pour les moulins à eau, qui sont plus performants, du fait de l’énergie plus régulière et constante de l’eau.
La fabrication
Au 19ème siècle, on a ajouté au moulin le concasseur ou aplatisseur, qui comme son nom l’indique, aplatit la graine (de lin pour notre exemple). Cette opération terminée, on porte la graine sous deux meules verticales qui achèvent de la réduire en pâte. Au
nombre de deux, elles sont en granit ou en pierre calcaire de Tournai ; elles ont environ deux mètres de diamètre et 45 cm d’épaisseur. Le poids de la paire de meules est de 7 à 8 tonnes. Elles sont placées verticalement sur une troisième posée à plat et scellées dans un massif en maçonnerie. Les meules peuvent se soulever lorsqu’elles rencontrent une épaisseur de graines, de sorte qu’elles n’agissent jamais que par leur propre poids. Il en est de même pour les pilons des moulins sur pivot. Mais pour les meules, du fait du mouvement circulaire dans un cercle très rétréci, la graine est non seulement écrasée, mais encore froissée. Un racloir fixé à des traverses qui tournent avec les meules ramène sans cesse la graine sous l’action de ces dernières, de sorte que l’opération se termine en 15 à 20 minutes, en supposant que les meules fassent 11 tours par minute.
Lorsque la trituration est complètement opérée, un autre racloir force la graine à sortir par une ouverture pratiquée à la bordure circulaire en bois ou en tôle qui est encastrée autour de la meule gisante. Quant aux pilons, appelés aussi estampes, au nombre de 5, disposés à gauche en entrant et occupant toute la hauteur du moulin jusque dans la toiture, ils sont soulevés au moyen des cames fixées dans l’arbre- moteur. L’extrémité inférieure est chaussée d’un sabot en fonte pour empêcher l’éclatement du bois.
Chaque pilon d’un poids d’environ 300 kgs retombe dans un trou creusé dans une grosse pièce de bois d’une section de 50 x 50 cm. La pâte est ensuite portée dans une espèce de casserole sans fond, en tôle, posée sur une plaque en fonte chauffée. Cette opération s’appelle chauffage, et l’on nomme chauffoir l’appareil qui sert à la pratiquer. Un excitateur mis en mouvement par un arbre vertical, ou ramoneur, retourne constamment la pâte et l’empêche de brûler. Au bout de 6 à 8 minutes, on soulève au moyen
d’un levier, l’excitateur, et en tirant la casserole au-dessus des entonnoirs, on introduit la pâte dans des sacs de laine suspendus aux crochets placés sous la plaque chauffée. On enveloppe les sacs dans une étoffe de crin doublée en cuir nommée étrindelle ou étendelle, qui est placée dans la presse par groupes de deux. L’huile qui sort alors se nomme huile de froissage. On rebroie de nouveau les pains de farine et après un second chauffage, on presse une seconde fois ; on obtient ainsi une huile d’une qualité inférieure à la première et que l’on nomme huile de rebat. Les pains ou tourteaux que forme le résidu sont durs et solides. Ils servent pour la nourriture des bestiaux ou pour être répandus sur la terre comme engrais. Les moulins plus récents ont employé des presses hydrauliques, mais les moulins sur pivot n’ont utilisé que la presse à coins, plus simple et moins dispendieuse mais très bruyante. Un coin renversé est maintenu à une certaine hauteur au moyen d’une corde et d’un ressort. Le pilon appelé ici hy tape sur le coin qui en s’enfonçant fait pression sur les sacs d’où l’huile coule dans une bassine en cuivre disposée sous la pièce de bois. Une fois l’opération achevée, le hy est maintenu soulevé et on libère l’autre hy qui frappe le coin maintenu levé, permettant aussi de débloquer l’ensemble. L’huile est ensuite versée dans des tonneaux pour être purifiée à l’extérieur du moulin.
Jean Bruggeman – Article paru dans le Monde des Moulins – N°16 – avril 2006
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