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Depuis près d’un siècle, la Meunerie mélange aux farines de froment qu’elle fabrique, pour en augmenter les qualités boulangères, une quantité de farine de fèves dont la proportion atteint environ 3%. Cette addition est considérée comme licite jusqu’à 4 % par un arrêt de la Cour de Cassation du 22 Avril 1854 et, plus récemment, par les Congrès pour la Répression des Fraudes tenus à Genève en 1908 et à Paris en 1909, lesquels envisagent comme une opération régulière de la Meunerie l’addition de farine de fèves. De plus, celle-ci faisant en quelque sorte partie intégrante de la farine de froment, n’a jamais été comprise par les décrets ministériels, au nombre des farines de succédanés, pendant les années de réglementation.

Si la farine de fèves est depuis longtemps utilisée en France, c’est évidemment que cette pratique offre un avantage. En effet, l’expérience, acquise par le temps, a fait ressortir que la plupart des blés à grand rendement donnent à la mouture des farines défectueuses; que les blés, récoltés au cours d’années anormales par leurs conditions climatiques, possèdent un gluten, dépourvu d’élasticité et d’extensibilité, défavorable au gonflement du pain, et que ces défauts disparaissent, ou sont
singulièrement atténués, par la présence d’un faible pourcentage de farine de fèves. On s’est demandé, pendant bien des années, quelle était l’action exercée par la farine de fèves sur les farines de froment, et quelle est la cause de l’amélioration que
cette addition produit. On sait, d’après les travaux de Ritthausen, Osborne et Worhees, que le gluten de la farine de froment renferme deux principes essentiels, la gliadine et la gluténine. La gliadine assure l’élasticité, l’extensibilité, la cohésion de la pâte, elle lui permet de bien lever, d’y emprisonner l’acide carbonique dégagé par la fermentation, de constituer ainsi un réseau glutineux distendu que la chaleur du four coagule pour former les alvéoles, les yeux du pain. La gluténine, au contraire, est pulvérulente et sableuse, elle rend la pâte courte et sèche, elle est incapable à elle seule de donner une pâte qui lève convenablement et un pain bien gonflé.

Ces deux principes constitutifs du gluten de froment, d’après leurs propriétés mêmes, possèdent des avantages et des inconvénients. M. Fleurant, professeur au Conservatoire des Arts-et-Métiers, a montré en 1899, que, pour être de qualité satisfaisante, le gluten des farines ne devait pas contenir d’excès de gliadine ou de gluténine, mais se rapprocher d’un certain rapport au delà duquel les pains présentent des défauts dans leur gonflement. Lorsqu’il y a excès de gliadine, par
exemple, la pâte lève bien sous l’action du ferment, mais elle retombe au four et l’on obtient un pain plat au lieu du pain bien levé, léger, réclamé par le consommateur français. C’est ici, précisément, que l’intervention de la farine de fèves est utile et
que son rôle est efficace parce que son gluten est presque exclusivement composé de gluténine, et, qu’en ajoutant à la farine de froment une certaine quantité de farine de fèves, on enrichit le mélange en gluténine, on diminue de la sorte l’excédent de
gliadine en ramenant les deux corps à un rapport normal; le défaut se trouve ainsi corrigé.

C’est la première explication scientifique qui a été donnée de l’emploi des farines de fèves et des avantages que la Meunerie en retire; mais ce n’est pas la seule. En effet, à la suite d’une étude qui nous a été confiée en 1919 par M. G. Bassot, gérant
des Grandes Minoteries à Fèves de France, M. Ed. Kayser, alors Directeur au Laboratoire de Fermentations à l’Institut National Agronomique et moi-même, avons montré que l’amélioration des farines de froment par l’addition de farine de fèves avait encore d’autres causes; que des phénomènes d’ordre biologique intervenaient aussi pour expliquer l’action bienfaisante de cette adjonction. Ce travail a fait l’objet d’une Communication présentée par M. Lindet, membre de l’Institut, alors professeur a l’Institut National Agronomique, au cours de la Séance de l’Académie d’Agriculture du 18 Février 1920.

Notre étude, qui a porté sur des essais nombreux et répétés, a fait ressortir que la teneur en matières azotées solubles des farines de fèves favorise l’action des ferments alcooliques, qu’elle augmente la proportion de sucre transformé, la quantité
d’acide carbonique dégagée ainsi que le poids de levure par la reproduction plus énergique des cellules. La farine de fèves favorise, en outre, l’action des ferments lactiques qui dégagent de l’acide carbonique et de l’acide lactique à dose modérée,
lequel aide à la transformation des matières azotées assimilables et protège le milieu panaire des fermentations butyriques, si nuisibles dans la panification. Nous avons remarqué encore que certains principes des farines de fèves excitent la sécrétion de la zymase alcoolique par les cellules de levure et activent ainsi la fermentation.

Enfin, on sait, d’après Kosutany, que la gluténine de la farine de froment se transforme partiellement, en présence de l’eau, en gliadine accentuant ainsi le défaut dans les farines qui en contiennent déjà un excès; or, nous avons reconnu que la gluténine des farines de fèves résiste infiniment mieux que celle du froment, à l’action de l’eau, et que de ce côté il y a encore un avantage à l’actif de la farine de fèves. Ces observations d’ordre biologique complètent les données que l’on possédait
sur les causes qui président à l’amélioration des farines de froment par l’addition de farines de fèves et montrent son efficacité. Il en sera de même toutes les fois que les farines seront incapables de fournir à la levure les quantités convenables d’aliments azotés solubles, pour la fermentation des pâtes à pain, ou de leur procurer les substances nécessaires à l’activité des cellules. A ces différents points de vue, l’incorporation de farine de fèves suppléant à l’insuffisance de certaines farines de froment, constitue une opération dont la pratique est à recommander.

Marcel Arpin, anciennement Chimiste-expert des Tribunaux de la Seine et Professeur de l’Ecole Française de Meunerie – Article paru dans le Monde des Moulins – N°12 – avril 2005

Catégories : Technique

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