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Avant 1789, la plupart des moulins de Bourgogne ont été banaux, au moins au début de leur histoire. De quoi s’agit-il ?
Voici quelques exemples dans les duchés de Bourgogne (plus tard départements de Côte-d’Or, Saône-et-Loire et Yonne) et du Nivernais (Nièvre).

La banalité en théorie

Le grand jurisconsulte Guy Coquille, par ailleurs un temps conseiller du roi Henri IV, en insère cette définition dans sa « Coutume du Nivernais » de 1603 (telle que rééditée en 1854) : « Les banalités étaient un droit en vertu duquel le propriétaire d’un moulin ou d’un four pouvait contraindre les habitants de la seigneurie à venir faire moudre leur grain et cuire leur pain à son moulin et à son four, sans pouvoir aller ailleurs, ni même moudre ou cuire chez eux, à peine de confiscation des grain et pain et d’amende envers le seigneur. Les banalités avaient leur bon et leur mauvais côté. Elles étaient légitimes si, dans un pays qui n’avait ni fours ni moulins, le seigneur avait construit ces usines à ses frais, sous la condition consentie par les habitants de venir moudre au moulin et cuire au four construit sur la foi de cette convention : c’étaient les banalités conventionnelles.» Le style de Guy Coquille est savoureux ; ainsi laisse-t-il entendre son avis : c’est que souvent le seigneur a imposé la banalité, surtout tant que le servage a été dominant. En effet, on n’imagine pas les seigneurs d’avant 1603 demander leur accord pour quelque chose aux manants… sauf quand un pressant besoin d’argent le poussait à accorder un avantage en échange.
La banalité fonctionne en Bourgogne de la même manière que dans le Nivernais.

« Conventions » de banalité entre le seigneur et ses sujets

À Magny, près d’Avallon, se trouve le Moulin de Marraut ; l’abbé Baudiau publie, en annexe du tome III de son énorme ouvrage sur le Morvan, le texte de la convention par laquelle, en 1609, le seigneur s’engage à le construire (le reconstruire, pense l’historien Parat) comme « moulin banal ». « Cela fait les habitants dudit Marault ont reconnu au profit dudit seigneur que son moulin, situé sous l’Etang dessous dudit Marault, sera banal, auquel ils seront tenus de moudre leurs blés, sans pouvoir les moudre ailleurs, sous peine de vingt sous d’amende contre chacun contrevenant, à la charge toutefois qu’icelui seigneur sera tenu comme il l’a promis faire bastir à ses frais un pont de bois pour passer la rivière du chemin tendant dudit-Marault à Magny… comme aussi que le meunier, qui sera audit moulin, sera tenu d’ a11er prendre leurs blés en leurs maisons, les faire moudre fidèlement et bien sans pouvoir exiger que la mouture ordinaire et leur rendre leurs farines en leurs dites maisons. Et toutefois ladite banalitè n’aura lieu ni effet que si au préalable icelui seigneur n’ait fait construire et bastir un moulin en la place du moulin Cadoux, ou autre plus commode, selon qu’il s’y est obligé par contrat de banalité qui a esté accordé par ceux de Magny et Estrées. Encore a esté accord et convenu que (au cas) où les forains et étrangers viendraient moudre audit moulin, le meunier sera tenu de faire moudre lesdits sujets de Marault les premiers et par préférence à tous autres, et où il ne ferait moudre lesdits blés 24 heures après les avoir menés, ils pourront remporter moudre leurs blés ailleurs, sans encourir aucune amende, ni payer aucun droit de mouture au meunier. Et si quelqu’un achète du blé en la ville d’Avalon pour leur nourriture, ils pourront et leur sera loisible de faire moudre où bon leur semblera, pourvu que ce soit auparavant que de l’avoir déchargé chez eux. »

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Moulin Villerin. Carte postale. Collection Philippe Landry

Au passage, on a noté un des aspects de la banalité qu’on rencontre parfois : le meunier est ici obligé d’aller chercher le grain chez l’habitant et de le rapporter moulu. C’est pourquoi il était nécessaire qu’il possède un âne… et généralement, dans les villages reculés et pauvres, il était le seul à avoir cette « richesse ».
M. de Montalembert m’adressa en 1987 un extrait du terrier de La Roche en Brenil, près de Saulieu : « Reconnaissent et confessent les dits habitants que les moulins de Villerin, Fromagère et Matrot et autres qu’il plaira audit seigneur d’établir sur ses rivières et étangs sont banaux et que tous les habitants des dites terres et seigneuries sont tenus d’y aller moudre leurs grains sans pouvoir aller moudre ailleurs, à peine de 65 sols contre chaque contrevenant, et sont les dits sujets et habitants préférés aux étrangers par les meuniers… Les dits habitants et sujets banniers sont obligés de laisser leurs grains pendant vingt-quatre heures aux dits moulins passé lequel temps, s’ils ne sont moulus par faute d’eau, ou que le dit seigneur n’ait moulins à bras, vent ou chevaux pour moudre les dits grains, ils peuvent aller moudre où bon leur semblera ».
La banalité pouvait être étendue par accord individuel. Le sire de Vésigneux, à St-Martin-du-Puy dans le Morvan nivernais, céda des biens à titre de cens et rente au curé de Chalaux, à condition qu’il fasse moudre le grain de son ménage au moulin banal de Chalaux. (Bulletin de la Société Nivernaise des Sciences, n° 13)

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Dessin : Moulin de Chalaux. Collection Philippe Landry 

 

Le bénéficiaire de la banalité

La banalité pouvait exister quelle que soit la nature du seigneur, noble ou ecclésiastique : c’est ainsi que les moulins de l’abbaye de Vézelay et de l’évêque d’Autun furent banaux.
Le seigneur tire un revenu de son moulin, d’autant plus important quand il est banal. Ne pouvant faire moudre à un autre moulin, le producteur de blé ne peut faire jouer la concurrence, donc doit accepter le coût de la mouture (le prélèvement sur la quantité de farine produite) tel que défini par le seigneur par l’intermédiaire du meunier à qui il afferme son moulin.
La banalité est propre au moulin, et donc vendable avec lui. En 1788, les propriétaires du Moulin de Beauregard, à Arleuf dans le Haut-Morvan, Étienne et Noël Rollot, poursuivent leur homonyme Edme Rollot devant la justice du seigneur parce qu’il refuse de leur confier son grain à moudre « alléguant que le sieur de la Tournelle leur avait vendu ledit moulin avec le droit de banalité ». (Archives Départementales de la Nièvre, dossier Marlot).

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Moulin Cadoux. Carte postale. Collection Philippe Landry 

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Moulin Cadoux. Collection Philippe Landry 

Si la banalité est un droit féodal typiquement médiéval, à la Renaissance, les seigneurs n’y renoncent guère : c’est ainsi qu’au
XVIe siècle, quand l’archevêque de Sens se fait construire des moulins à Villeneuve-l’Archevêque, il spécifie bien qu’ils sont banaux.
Au fil des temps, des droits seigneuriaux tombent en désuétude, voire sont franchement abrogés, dont la banalité. Courant XVIIe, et surtout vers la fin du XVIIIe siècle, d’aucuns seigneurs tentent de les faire revivre. En 1758, le seigneur d’Estrée prétend remettre en vigueur les droits seigneuriaux, et notamment obliger ses « sujets » ainsi que ceux du roi à moudre dans son Moulin Cadoux près d’Avallon (un grand moulin à trois roues), mais il n’obtient pas gain de cause. (AD Côte d’Or C 856, trouvaille Francine Béguin).

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Moulin de Bauzot. Collection Philippe Landry

 

À Thianges, près de Decize (Nivernais), en 1780, Charles Serrurier, meunier, a voulu appliquer le droit de banalité, mais les habitants contre-attaquent en l’accusant de fraude sur les instruments de pesage. Une pétition réunit les signatures d’au moins cinquante personnes de la paroisse de Thianges, sans compter les plaignants de La Machine. Sentence : une amende de 217 livres infligée à Serrurier (AD Nièvre 30 J 244).

Violence de la banalité

L’une des conséquences de la banalité est la violence, puisque le seigneur peut confisquer les grains ou la farine. Il dépêche alors ses gens d’armes pour le faire. Parfois, c’est le meunier qui est chargé d’exercer ce rôle de police… toutefois sans nécessairement disposer de la force armée pour ce faire.
Maître de la justice dans son territoire, le seigneur est à l’aise pour infliger les sanctions aux paysans qui ont désobéi à la banalité ; dans l’affaire Rollot évoquée plus haut, le seigneur de la Tournelle condamne les récalcitrants à 10 sols d’amende (il l’estime modérée, mais dans une contrée pauvre, où en plus les paysans n’ont pas d’argent en monnaie, elle n’est pas si dérisoire
que ça).
Réciproquement, quand le meunier insiste trop pour appliquer son droit de banalité, il s’expose à de rudes retours. En 1593, le meunier du Moulin de Bauzot à Issy-l’Évêque, appartenant à l’évêque d’Autun, essuie une douloureuse mésaventure. En effet, comme les habitants du hameau de Noireterre refusent de moudre chez lui, il a tenté de les contraindre ; or, ils arguent que leur moulin est banal… de la seigneurie de Noireterre ; et justement, le seigneur de Noireterre envoie ses gens tomber à bras raccourcis sur le meunier, qu’ils « battent fortement », allant jusqu’à menacer de le « tuer ». L’évêque d’Autun porte plainte contre le seigneur auprès du bailli du roi.

Comme l’écrit Gérard Mignot dans « Les moulins de Saône-et-Loire » : « Au XVIIe et surtout au XVIIIe siècle, le principe de la banalité était de moins en moins accepté » : on peut penser que dans certaines contrées cela a fait partie des causes de la révolution de 1789 et de la violence avec laquelle elle s’est déchaînée.

Disparition de la banalité

Au fil des temps, de moins en moins de moulins demeurent banaux. Certains seigneurs auraient remplacé l’obligation de moudre par une taxe sur la farine ; comme le meunier se rémunère en retenant une part de la farine produite, il suffit d’en augmenter le pourcentage. Mais concrètement, je n’en ai, pour ma part, pas trouvé trace en Bourgogne (ce qui ne prouve pas que ça n’a pas existé).
La banalité disparait à l’occasion de la révolution de 1789 quand, lors de la fameuse nuit du 4 août, l’Assemblée Constituante abroge les droits seigneuriaux. C’est une libération pour tous les sujets des anciens seigneurs.
D’une manière seconde, cela a une curieuse conséquence : la disparition de la banalité fait baisser la valeur des moulins banaux, donc le loyer que le propriétaire peut en attendre. Par exemple, comme tous les biens d’Église, ceux de la Commanderie de Pontaubert sont saisis pour être vendus en 1790-91 à titre de « biens nationaux », dont le moulin banal, affermé 760 livres par an : la disparition de la banalité entraîne la diminution du bail du meunier qui n’est plus évalué que 419 livres 7 sols. (1Q 163 des AD de l’Yonne).

Philippe Landry
Collège des Membres Individuels

Paru dans Le Monde des Moulins N°64 – avril 2018

Catégories : Histoire

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