Le site des Moulins de France
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Si déjà un siècle avant JC, les moulins à grain utilisaient l’énergie hydraulique, il fallut attendre le Xème siècle pour qu’un moulin à foulon naisse en Europe Occidentale. Il paraissait nécessaire de faire le point sur l’état de la recherche. Selon les périodes et les lieux, il servait à nettoyer les étoffes en les débarrassant de l’huile d’ensimage et autres colles employées en cours de fabrication, et à imbriquer les fibres les unes dans les autres. La pièce de tissus en ressortait propre, épaissie, et rétrécie tant en longueur qu’en largeur. Cette étude présente une synthèse sur les problématiques posées, en Europe, par le moulin à foulon, premier moulin de l’industrie textile lainière. Quelle est l’ancienneté et la diffusion de cette machine ? Quelle typologie technique peut-on proposer ? Quelle valorisation culturelle pour ce patrimoine ?

1- L’ANCIENNETE ET LA DIFFUSION DU MOULIN A FOULON

1.1 – L’ancienneté

Pour l’heure, le premier est italien. Il s’agit d’une machine abritée dans un moulin arrimé au bord de la rivière Serchio, en Toscane, en 983. Le nouveau moulin va rapidement connaître une diffusion assez large. En 1008 nous le trouvons à Milan, puis en 1086 en Normandie, dans l’actuel département de l’Orne, à Saint- Georges-d’Annebecq. C’est le premier moulin à foulon mentionné en France. Le XIIème siècle confirme son implantation sur de vastes territoires : En 1101 à Troyes, aux limites de la France et de l’Espagne, dans les Pyrénées-Orientales en 1139, à Vernet-de-Conflent, entre 1147- 1151 à Châlons-en-Champagne, en 1156- 1159 à Bernay dans l’Eure. La Scanie,
dans le Sud de la Suède le connaît dès 1161. Ce n’est qu’en 1185 qu’apparaît la première mention de moulin à foulon anglais à Newsham en Yorkshire. Au XIIIème siècle, les moulins à foulon sont mentionnés en Allemagne, à Spire en 1223. Aux Etats-Unis d’Amérique le premier foulon fut construit à Rowley (Massachussets) en 1643 (Zimiles, 1973, 102).

Le premier romancier européen à décrire le moulin à foulon est Miguel de Cervantès. Au chapitre XX, du tome premier de son célèbre livre, publié en 1605, “El ingenioso hidalgo Don Quichotte de la Mancha” l’auteur espagnol
fait intervenir ces moulins, sis en bordure du Rio Guadiana, en l’associant à une scène nocturne, durant laquelle elles effrayèrent Don Quichotte jusqu’à l’aube.

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Fig 1. Moulin à foulon pendulaire en 1617. Cette gravure de Jacques Strada montre pour la première fois un ouvrier foulonner du travail – Collection JPH.Azéma.

Cette première mention littéraire d’un moulin foulon pour le textile de laine, est pratiquement contemporaine de la première représentation graphique de ce type de moulin, par Zonca en 1607 dans son “Novo téatro di macchine et edificii”. Ce document représente un moulin à deux maillets pendulaires, actionnés par un arbre à cames entraîné par une roue hydraulique verticale à aubes. Quelques années plus tard, en 1617-1618, Jacques Strada (fig. 1) en donne une autre figuration dans le “Théatrum instrumentorum et machinarum”. La gravure représente un moulin à deux maillets pendulaires, actionnés par un arbre à cames entraîné par une roue hydraulique verticale à aubes. Un ouvrier manipule une fourche à deux dents en bois, affairé à retourner la pièce de drap dans l’auge du foulon. Toujours au cours du XVIIème siècle, l’Espagnol Juanelo Turriano publie une oeuvre essentielle “Los veintiun libros de los ingénieros y de las maquinas” où nous trouvons la représentation du même mécanisme.
Ensuite les mécanismes de foulon trouvent place dans les traités de mécanique; G.A. Boeckler en 1662 avec le “Theatrum Machinarum Novum” ; Jacob Leupold et Beyer en 1724-1727, avec le “Theatrum Machinarum Molarium”, où ils décrivent des moulins à foulon à pilons et des moulins à maillets, Johann Van Zyl en 1734 avec le “Theatrum Machinarum Universale” qui figure des moulins à foulon à pilons mus par le vent; Duhamel du Monceau, en 1765, avec “l’Art de la draperie”, qui propose là un traité technique exclusivement consacré au foulage des tissus de laine en France, où figurent tous les types de moulins à foulons existants. ; enfin, les gravures publiées dans l’Encyclopédie en 1773. 

1.2 – De grosses difficultés d’implantation.

Dans plusieurs pays le développement de cette nouvelle machine, se heurta aux corporations de fouleurs à pied et à main. Effectivement à Châlons-en-Champagne, “l’invention du moulin à foulon permit de fouler jusqu’à 50 fois plus de draps” que le foulage au pied. Les perspectives de profits sont tellement prometteuses, qu’en 1158, “les templiers demandent le monopole sur les moulins foulons. En Anjou, les moulins à foulon remplaçaient de 20 à 40
ouvriers fouleurs. Il en résulta beaucoup de mécontentement et de révoltes”. En Flandre, dans le Nord, à Honschoote, la résistance au moulin à foulon persista jusqu’au XVIème siècle. Il s’ensuivit un retard qui eut de sérieuses conséquences sur le devenir industriel de cette région drapière.

1.3 – Dénomination des moulins à foulon.

Parler de moulins foulon c’est aussi aborder la question de la dénomination de ce moulin spécialisé dans les différents pays d’Europe. En France, les termes sont très variés. En dehors de moulin foulon, nous trouvons aussi, moulin drapier, foulerie dans la partie Nord de la France. Ala charnière des pays d’Oc et d’Oïl, se trouve l’appellation mail. En Provence et en Occitanie, nous avons paradou, ou parayre.
Pour l’Aquitaine, la Gascogne et l’Espagne, domine le mot batan. Au Portugal, c’est le pisao ou fulao. L’Italie dispose de plusieurs dénomination : gualchiéra, (cousine de la forme walkmühle des régions germaniques) localisée en
Toscane, et ailleurs follo, follone. En Europe du Nord, fulling mill signale une influence française, mais d’autres dénominations se rencontrent aussi, en Cornouaille, Devon, Somerset et Irlande : tucker, tuck mill, tucking mill. Dans la région du Lake District : walk, walker, walking mill, walkmill. Le Pays de Galles fait exception avec pandy du verbe pannu qui signifie fouler (de pan et ty : moulin de foulage ou melin-ban).

2- PROPOSITION DE TYPOLOGIE TECHNIQUE

En Roumanie, depuis l’âge de la Tène (450 av JC), on avait inventé un outil nommé “tourbillon”. Celui-ci se compose d’une fosse tronconique, garnie de madriers de bois, dans laquelle, sous l’effet d’un jet d’eau naturel, les tissus
s’épaississent et s’effilochent. Le tourbillon peut fonctionner comme une installation indépendante ou associé au moulin foulon.

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Fig 2. Moulin foulon oblique anglais, dessiné par le constructeur anglais Kilburn en 1931. Collection JPH.Azéma.

Le moulin foulon, premier moulin textile, est la première machine à utiliser l’arbre à cames, la première machine lourde de l’histoire de l’industrie textile occidentale. Au fil du temps, plusieurs familles de mécanismes de moulins à foulon se sont différenciées.

2.1 – Moulins foulons à maillets.

Les moulins à foulon à dégraisser, à maillets à attaches pendulaires. Pour pouvoir mener à bien, et en toute sérénité le foulonnage du drap de laine, il fallait commencer par le nettoyer dans un premier moulin à dégraisser. Cela consistait principalement à procéder à l’extraction de l’huile d’ensimage. Pour cela on employait surtout du savon fait à partir d’huile (d’olive de préférence) par exemple à Elbeuf et Louviers (Alcan, 1866), ou de la terre à foulon (argile smectique) en Flandres (Espinas, 1923) dans le Languedoc et le midi de la France. Ensuite, le drap étant lavé à grande eau, le foulonnage à proprement parler pouvait s’effectuer dans de bonnes conditions

2.2 – Les moulins à foulon pour draps fins, à maillets à attaches pendulaires.

A l’origine, ces mécanismes se trouvaient en Italie du Nord, Espagne, France et Angleterre. Les maillets oscillant horizontalement, la pièce de tissu tournait beaucoup plus facilement. Régulièrement il fallait racler le fond de pile, pour en enlever les échardes et fibres de bois saillantes, ce qui la creusait. Les derniers modèles de piles avaient résolu cette question en revêtant le bâti en fonte avec des garnitures en bois amovibles. Alcan en 1866, rappelle
que le poids des maillets varie de 25 à 35 Kg, et qu’un foulage peut durer jusqu’à 40 heures. A raison de 50 coups par minute (25 coups pour chaque maillet), le moulin encaisse 120.000 coups de maillets en 40 heures, ce qui représente une force de 1 tonne par maillet et par heure. Ces maillets provoquent un échauffement de la pièce de tissu, la soulève alternativement d’un côté puis de l’autre dans un mouvement de rotation infinie en forme de 8, le travail s’effectuant surtout en longueur. Leur principal inconvénient venait de la perte énorme d’énergie occasionnée par le choc des maillets dans la pile. En effet, les 4/5 de l’énergie étaient perdus dans l’ébranlement de la structure, et de l’usine hydraulique. Ce moulin devait être très solide pour pouvoir durer. Au Pays de Galles, Parkinson (1985, p.45) constate que les moulins à foulon en ruine ont tous leurs piles à maillets appuyées contre un mur porteur de l’usine. Les 30 à 36 coups minutes encaissés par les murs, et ce durant plus de 12 heures d’affilée en sont certainement la cause.

2.3 – Les moulins à foulon à maillets à attaches obliques

Cette deuxième famille de mécanismes a connu une diffusion apparemment bien plus restreinte que celles des moulins à maillets pendulaires. Quelques spécimens ont été signalés au Portugal par Veiga de Olivera et Galhano en 1960, d’autres ont été étudiés en Roumanie. Le moulin moderne à ossature en fonte construit (à la fin du XIXème siècle) par le constructeur anglais Kilburn (fig.2), s’apparente à ce groupe. Ce mécanisme a aussi servi à la fabrication de feutres épais notamment à l’usage des papetiers. A la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, l’industrie du chapeau de feutre fut une grande utilisatrice de ce type de moulin. La chapellerie Tirard Frères, à Nogent-le- Rotrou, dans l’Eure-et-Loir (fig.3),  présente au début du XXème siècle, une batterie de foulons à maillets obliques actionnés par un système bielle-manivelle.

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Fig 3. Nogent-le-Rotrou (Eure et Loir). Chapellerie Tirard frères. Atelier de foulage mécanique vers 1900 – Collection JPH.Azéma

La chapellerie “Chapeaux de France” de Montazels (Aude) a récemment procédé à la restauration de foulons à maillets à attaches obliques. De marque Radice et Cie, fabricant à Monza (Italie) ils ont les queues de mail et la pile en fonte. Les têtes de mail sont en bois, ainsi que la garniture des pots à fouler. Au début du XXème siècle, Monza était la capitale mondiale du chapeau de feutre.

2.4 – Les moulins à foulon pour les draps grossiers à pilons verticaux.

Ils sont une variante technique directement issue de leur emploi dans les moulins à vent de Flandre et des Pays Bas. Ils ne connurent qu’une diffusion de faible ampleur.
Ces mécanismes possèdent de grands pilons de bois soulevés par les cames fixées sur un arbre horizontal. Ces derniers tombent verticalement dans un pot à fouler creusé dans de grosses pièces de bois. Ce mécanisme fragilise le tissu, et le perce, si la pâte n’est pas régulièrement remuée. Le moulin à pilons verticaux, de type hollandais ou allemand, a été introduit en France en 1666 par Van Robais, à Abbeville, dans un moulin à vent octogonal. Il fut ensuite transféré, en 1690, dans un moulin hydraulique, à Ansennes-sur- Bresles.

2.5 – Moulins foulons à cylindres

Comme de nombreuses machines utilisant le mouvement alternatif, le moulin à foulon finit par se transformer en machine fonctionnant avec un mouvement rotatif continu. En 1831, Vouret de Louviers, fait breveter un tambour cylindrique dans lequel se meut un excentrique à cames. Deux ans plus tard, l’Anglais John Dyer de Trouwbridge, patente une machine dotée de rouleaux tournants et pressants pour fouler les draps. Ce modèle est importé en 1838 par les fabricants rouennais Hall, Powell et Scott (Cormeille, 1873).

L’adoption des foulons à cylindres (fig.4) se fit parfois par nécessité de satisfaire aux produits demandés par le marché, mais aussi à la suite d’accidents dramatiques. Ainsi en fut-il aux Moulins Lerry (Cardiganshire), vers 1870, après qu’un ouvrier foulonnier, glissant sur le sol gras, tomba sous les maillets du foulon (Parkinson, 1985, p.45).

De nos jours le drap de Bonneval, fabriqué par la famille Arpin à Séez (Savoie) réputé pour la fabrication de culottes de montagne, est encore foulé pendant 3 heures dans un foulon à cylindres. 

3- QUELLE VALORISATION POUR LES MOULINS A FOULON EUROPEENS?

Après 900 ans d’activités ininterrompues, les moulins à foulon ont pratiquement disparu des paysages industriels et de la mémoire européenne. Leurs vestiges sont rares.

De nos jours, en France, les derniers moulins à rester en activité oeuvrent au service d’entreprises de chapellerie, dans l’Aude ou en Béarn, où le foulage des bérets s’effectue par lot de 400, dans des moulins foulons. Quelques rares tentatives de valorisation culturelle ont été engagées. Deux exemples sont à signaler. Tout d’abord en Aveyron, le moulin du Pont-Vieux à Saint-Jean-du-Bruel. Construit au XIIIème siècle au pied du versant Nord des Cévennes, en rive droite de la Dourbie, au coeur du village, il s’arrête en 1986. La commune l’achète en 1992. Après la constitution du nouveau PNR des Grands Causses, en 1995, il est rénové et rebaptisé “Noria”.
Inauguré le 24 juin 2000, il abrite la reconstruction hasardeuse d’un moulin foulon. Aucune animation n’est possible avec un mécanisme si étrange qui se découvre par une galerie métallique qui le domine.

Le deuxième site est celui du moulin de Gaumier à Cugand (Vendée). Installé en rive gauche de la Sèvre Nantaise, il s’est arrêté en 1955. En 1984, Benoît Dufournier, le redécouvre et signale l’intérêt de ce bâtiment exceptionnel. Acheté en 1998 par le Conseil Général de Vendée, le moulin foulon est remis en marche en 2001. L’une de ses particularités est la roue hydraulique à aubes qui fait aussi office de roue élévatrice des eaux. L’avenir de ce moulin ainsi restauré, ne semble pour l’heure pas totalement assuré. En effet, aucune structure permanente n’a été mise en place pour le faire fonctionner, et l’ouvrir au public de manière régulière.

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Fig 4. Machine à fouler à cylindres en 1874. Turgan : les grandes usines tome V. Collection JPH Azéma.

Conclusion

Aujourd’hui tombé dans l’oubli, après avoir révolutionné les processus de fabrication des tissus de laine, le moulin à foulon reste encore méconnu. Au-delà des seules recherches historiques, il reste à restituer tous les aspects d’histoire des techniques, sociaux et géographiques,  économiques et industriels, qui ont présidé aux destinées d’une machine de production textile originale.

Pour en savoir plus, voir l’article publié la première fois dans les actes du colloque “Traces, trajectoires et territiores. Le devenir du patrimoine industriel textile”. Abbaye du Valasse (Gruchet-le-Valasse, Seine-Maritime), 28 janvier 2005.

Jean-Pierre Henri AZEMA – Article paru dans le Monde des Moulins – N°20 – avril 2007

Catégories : Technique

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