Le site des Moulins de France
ArabicBasqueBelarusianBulgarianCatalanChinese (Simplified)CzechDanishDutchEnglishFinnishFrenchGermanGreekHebrewHungarianItalianJapaneseLithuanianNorwegianPersianPolishPortugueseRomanianRussianSpanishSwedishTurkishUkrainian

Influence de la mouture sur la panification

Nous aborderons aujourd’hui l’influence du meunier sur la qualité du produit final, qui est le pain, et l’intérêt d’être un homme filière (dans ce cas : meunier–boulanger), dans le but de pouvoir moduler son travail en amont pour influer sur le résultat final désiré.

Diagramme simplifié d’une panification française

Farine de froment (issue d’un mélange de blés tendres) + pate fermentée* (développant une fermentation alcoolique sauvage) + levure cryptogamique** (transformation par fermentation contrôlée des sucres en alcool et gaz carbonique) + eau (tempérée) + sel (sans additifs).
* plus connue sous le nom de levain, qui fut le vecteur de pousse des pains durant des millénaires ; aujourd’hui, son utilisation comme unique élément de fermentation des pâtes est rarissime car trop aléatoire (tributaire du bon entretien d’un  » chef « ), compliquée et avec un temps de pousse trop long. Aujourd’hui, seuls des puristes l’utilisent avec plus ou moins de réussite.

NB : un pain, avec incorporation de 600 gr de vieille pâte (fournée précédente) par kg de farine, a droit à l’appellation  » pain au levain « . Attention, marketing trompeur.
** les levures sont des organismes naturels de la famille des champignons. Grâce à un dosage rigoureux, leur action est prévisible. Elles provoquent un développement performant et rapide. Employées seules, elles annulent les différents goûts provenant de la farine et de la fermentation.
À l’inverse, le levain est une fermentation alcoolique, spontanée, incontrôlable et capricieuse, qui exalte les différents goûts et saveurs jusqu’à l’extrême s’ils ne sont pas
dirigés. Il faut cependant reconnaître qu’une fermentation mixte (levain+ levure) bien menée est une façon universellement reconnue qui a fait la gloire du pain français.

mout45-1
Fig. 1 : À gauche, pain à la levure, à droite, pain au pur levain. Photo DR.

Mélange de blé tendre
La procédure suivante, appelée le  » report « , n’est pas scientifique, mais née de l’observation : elle figure au premier rang des enseignements qu’un maître meunier transmet à son élève. Le  » mélange meunier  » est le lot de blé qui sera mis en mouture sur une journée. Dans un bon mélange meunier doivent figurer trois années de blé : des grains issus de la dernière récolte, de l’avant-dernière et de celle qui précède.
Le blé nouveau apporte la fraîcheur, mais attention, dans son premier état laiteux (grains volumineux encore verts, jus laiteux), il est préjudiciable. Le blé vieux apporte la maturité. Le blé très vieux, de par son début de germination, apporte les vitamines et les amylases*.
* les amylases sont des enzymes provenant des glucides ayant subi une hydrolyse (réaction chimique se produisant dans de l’eau) ; elles sont indispensables à la fermentation panaire.
Une campagne de meunerie commence début août, après les récoltes, et se terminera fi n juillet de l’année suivante. Au 30 juillet, on met en place un nouveau dosage qui va fluctuer au cours des mois. Au début, peu de blé nouveau, beaucoup de vieux et moyennement de très vieux. Au fi l des jours, le premier monte en puissance (récoltes abouties et meilleure maturité), alors que les deux autres diminuent. Tout l’art consiste à savoir jongler au mieux avec les répartitions pendant les douze mois qui nous séparent du prochain dosage.
Dans chacune des années doivent figurer trois catégories de grains : des blés courants, supérieurs et de force (différences directement liées au pourcentage de protéines  » gluten « ).
Leur proportion dans le dosage dépend de la qualité de la récolte, qui dépend elle-même des conditions dans lesquelles elle a pu être effectuée.
Les courants sont les blés autrefois appelés  » tout-venants « , souvent ceux récoltés à proximité immédiate du moulin. Les supérieurs sont ceux que le meunier réserve chez l’agriculteur d’une année sur l’autre et dont il encourage les semailles parce qu’il en a besoin pour ses mélanges. Il en est de même pour le  » blé de force  » qui, lui, est largement surpayé ; cependant, le meunier préfère l’acheter en cours d’année aux courtiers, car son pourcentage dans le mélange dépend de la qualité des deux autres
qui peut varier dans le temps. Avec le développement des transports, on a pu accéder à des blés de provenances géographiques diverses (composition des sols et climats différents). Avec les progrès de la sélection, le meunier peut choisir dans une grande palette de variétés qui peuvent lui apporter rendement, couleur, texture, tolérance des pâtes, goût, odeur, etc.….
Donc, on voit ici que l’art du meunier commence aux achats, et se poursuit au silo : la conservation d’un très vieux blé, entre trois et quatre ans, nécessite un certain savoir-faire et quelques précautions, ainsi qu’une trésorerie conséquente. Le silo est le coffre-fort du moulin. Le meunier doit également avoir les connaissances suffisantes pour réagir aux aléas des récoltes (ex : récolté sous la pluie, un blé  » hyperdyastasique  » germe prématurément, et à l’inverse, un blé de canicule sera dur à la germination  » hypodyastasique « ). Ces défauts  » amylasiques  » doivent être compensés dans le mélange (dans un cas, adjonction de blés durs,  » ceux qui font les nouilles « , dans l’autre, adjonction de blés maltés).

Pour pouvoir agir, il faut savoir
C’est pour cela que le premier travail d’un élève, au sortir de l’école de meunerie, est souvent la création ou la modernisation d’un laboratoire dans le moulin où il exerce. Il lui servira à évaluer les différentes composantes de la graine qu’il doit mettre en oeuvre. Cependant, aucun essai chimique ne remplacera jamais une panification d’essai. Si le mélange meunier est réussi, on a coutume de dire que le résultat final est acquis à 60%.

Nettoyage, humidification, repos : la réussite de cette phase compte pour 10% de plus dans le résultat final.
Survient alors l’étape primordiale qu’est le conditionnement, que nous avons déjà largement évoqué précédemment. Nous soulignerons à nouveau l’importance du nettoyage du blé dans le goût final du pain, mais aussi de l’indispensable humidification et repos, et nous verrons plus avant l’importance de l’eau incluse dans le grain, durant la fermentation panaire.

Abordons maintenant la mouture proprement dite : les 30 derniers % qui permettront l’obtention d’un bon pain, après une panification satisfaisante.
Dans nos écrits précédents, nous avons raisonné en meunier qui, depuis trois millénaires, s’ingénie à séparer ce qui est assimilable par l’organisme humain et ce qui ne l’est pas, mais aussi à conserver pour l’homme ce qu’il croit être le meilleur pour lui et enfin, et peut être surtout, à tirer le meilleur rendement en farine de cette richesse complexe qu’est le blé. Exemple de méconnaissance : la farine issue de sons de gruaux (qu’il était interdit d’extraire sous l’ancien régime, car on croyait que curer les sons était pure spéculation et que le produit en résultant était nocif) s’est avérée par la suite la meilleure et la plus nutritive.

Mon arrière-grand-père n’avait aucune idée de l’incidence de la chimie du blé sur la qualité d’un pain. Il avait trois critères pour juger de la qualité de sa farine.
1 : la couleur (blancheur)
Avec une palette (spatule), il lisse sur une surface plate un échantillon de farine, puis face à la lumière il évalue la couleur de fond (blanche, crème, grise) et le nombre de piqûres (résidus d’enveloppes) parsemant le témoin de points plus ou moins gros, nombreux et sombres.
2 : la morphologie
En la faisant rouler entre le pouce et l’index, il juge de la grosseur des particules et de leur faculté à rouler. Il sait qu’une farine qui roule est insuffisamment convertie et que son rendement meunier a été faible car beaucoup de produits nobles sont partis avec les issues.
3 : son taux d’humidité
En serrant une poignée de farine dans sa main, il voit sa capacité à s’agglutiner sous la pression. Ainsi, il jugera de son humidité et s’il a suffisamment mouillé son blé. Puis il portera la farine à sa langue humide et jugera de sa faculté d’absorption ; si celle-ci est satisfaisante, cela lui évitera de se faire traiter de voleur par le boulanger qui n’aime pas  » les farines ne prenant pas l’eau  » qui pénalisent son rendement en pain.

Aujourd’hui, on sait qu’une farine doit comporter des éléments qui roulent, les conglomérats de semoules intactes. On sait aussi que d’autres doivent être très plates pour que les sacs d’amidon soient ouverts, afin de laisser pénétrer l’eau à coeur. Au cours du XXème siècle, les générations de meuniers ont appris, grâce à l’infl uence de l’école de meunerie, que la granulométrie, la texture, et l’aspect des produits de mouture et de la farine n’étaient pas les seuls critères de qualité.

La valeur boulangère d’une farine

a – Qualités physiques des pâtes au pétrin
La farine mise en oeuvre par le boulanger devra engendrer des pâtes élastiques, tenaces et souples (la force, ou le corps). L’artisan de ce résultat est le gluten, par sa texture propre mais aussi par sa préparation au moulin. En plus du gluten, intervient la préparation mécanique des amidons qui généreront les amylases. Pour optimiser ou corriger la valeur boulangère, au meunier de sélectionner et d’acheter des blés améliorants, au très fort taux de gluten assimilable, par exemple la variété  » florence aurore  » qui pousse seulement dans le comtat Venaissin. Ces grains devront être conditionnés avec soin, car ce blé  » vitreux « , presque  » dur « , a besoin de deux mouillages suivis de deux temps de repos, et c’est seulement à cette condition qu’il pourra subir la mouture avec le blé  » tendre « .
C’est entre autre par ses secrets d’approvisionnement qu’un meunier obtenait une qualité de farine différente d’un autre, ce qui faisait la réputation de son moulin.
De plus, les pâtes doivent être :
• tolérantes : supporter les petits défauts, les farines rondes sont moins fragiles que les plates.
• absorbantes : bien prendre l’eau pour assurer un bon rendement en pain mais aussi plus de moelleux de la mie, les farines plates prennent plus l’eau.
• maniables : ne pas être collantes, on doit savoir moduler le réglage des derniers passages, l’écartement des cylindres et l’ouverture ou fermeture des mailles des tamis, car plus on va vers les queues de moutures, plus les farines sont grasses.
On commence à entrevoir le rôle du chef meunier qui, devant sa vis double à farine, spatule en main, prive ou non la farine fi nale de tel ou tel passage afi n de pouvoir réaliser en amont les réglages des machines pour adapter la mouture au lot de blé mis en oeuvre.

b – Qualités fermentatives
La production gazeuse de la fermentation panaire, qui engendrera le développement des pains, est essentiellement due aux sucres et aux amylases qui en découlent. L’origine du sucre, nous l’avons vu, c’est l’amidon, et il est facile de comprendre que celui-ci n’agira pas de la même façon s’il est confi né dans son enveloppant, le gluten, ou s’il est libre.
Les amylases sont des enzymes, nous l’avons vu, provenant des glucides ayant subi une hydrolyse (réaction chimique en présence d’eau). Cette réaction se produit naturellement pendant le phénomène de germination. Au pétrin, elle est facilitée par l’eau incluse dans l’amidon, en dernier par l’eau de coulage du boulanger qui doit être dosée et tempérée à la demande. (Matérialisation expérimentale domestique de la réaction chimique : c’est ce qui permet la transformation d’une  » émulsion  » de farine en colle, après passage dans un bain-marie).
Le meunier facilite cette réaction en triturant au mieux les grains d’amidon, par convertissage, pour leur permettre de s’imbiber au maximum ; les sucres seront libérés de l’amidon et pourront alors, sous certaines conditions, produire les amylases.

La farine idéale issue d’une mouture soignée vue par le boulanger

1. elle doit générer une pâte facile à mettre en oeuvre en absorbant le maximum d’eau.
2. la mise en forme des pâtons doit être facile.
3. la fermentation panaire doit être la plus rapide et efficace possible.
4. les temps de pousse doivent être courts.
5. les pâtons doivent être facilement scarifiés et enfournés.
6. l’effet de voûte doit être immédiat (gonflement rapide post-enfournement).
7. la prise de couleur de la croûte doit progressivement être au goût du boulanger (certains la souhaitent pâle, d’autre soutenue).
8. le développement final des pains doit être satisfaisant.
9. les grignes doivent être bien jetées (scarifications qui s’ouvrent).
10. la mie doit être bien alvéolée, de couleur crème et la mâche franche.
11. le goût de beurre noisette.
12. l’odeur de froment chaud.
13. la croûte croustillante.
14. le rassissement doit intervenir le plus tard possible.

Influence directe du moulin sur chacun des points sus-cités

1. travail des amidons.
2. travail du gluten.
3. assimilation de l’eau et libération des glucides.
4. blé très vieux dans le mélange des blés.
5. bon dosage de farines rondes et plates.
6. choix des blés et de leur proportion dans le mélange ou adjonction de blé améliorant.
7. obtention de certaines amylases ou adjonction de malt.
8. juste proportion de blé de force, l’excès et le manque sont préjudiciables.
9. juste dosage du blé vieux.
10. sélection variétale et conduite de la mouture.
11. blé nouveau dans le mélange meunier.
12. bonne conduite de la conservation des blés au silo.
13. bon dosage de l’eau et faible pourcentage de blé hyper-diastasique.
14. farine prenant beaucoup d’eau au pétrin.

NB : il est à remarquer que, dans ce qui précède, aucun adjuvant autre que du blé n’a été évoqué, ceci nous ramenant avant la dernière guerre mondiale car après elle, les meuniers et les boulangers ont usé et abusé d’additifs divers et variés, mais ne provenant pas du blé !

mout45-2
Fig. 2 : Assortiment de pains français. Photo DR.

Conclusion

Depuis toujours, le meunier est le détenteur de l’énergie, celle-ci étant aléatoire (vent et eau) : pour l’optimiser, il doit adapter la technologie.
Les progrès de la technique et de la recherche ont permis à la mouture, qui était un art, de devenir une science.
L’évolution de la société a fait que, d’artisan, le meunier est devenu industriel et en même temps ingénieur. Concomitamment, dans la troisième décennie du XXème siècle, son produit qui était de première nécessité est devenu moins indispensable. Cet état de fait l’a une fois de plus poussé à déployer des trésors d’imagination pour continuer à exister. Il a sophistiqué son outil et ses pratiques, pour tirer le meilleur parti de sa matière première, en optimisant au maximum son produit fi ni. Il a aussi développé des gammes de farines, créé des modes et des besoins, ajouté du marketing, etc…
Mon propos, dans cette série d’articles, était de vous faire entrevoir la grande complexité de ce métier, mais aussi sa richesse, et peut être aussi et en toute amitié, vous faire comprendre qu’il ne s’improvise pas ! On n’est pas meunier parce que l’on possède un moulin, ni parce que, tout simplement, le grain brut que l’on met dans sa trémie tombe dans la huche en boulange grossière…
C’est bien de préserver nos moulins, c’est bien de les ouvrir au public, c’est bien de les faire fonctionner. Il resterait encore une tâche importante à mes yeux, certainement utopique :
la transmission du savoir. Peut-être par ces quelques pages y ai-je un peu contribué.

Alain Mazeau
Minoterie de la Pauze

<< Revenir au chapitre 3

Paru dans Le monde des moulins N°45 – Juillet 2013

Catégories : Technique

0 commentaire

Laisser un commentaire

Avatar placeholder

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *