Zoom sur un moulin producteur pendant le confinement
En Dordogne, le vent et l’eau ont façonné notre département. L’homme a construit des moulins en fonction de cet environnement. Il a mis des ailes aux moulins là où il y avait du vent et des roues là où les cours d’eau étaient nombreux.
Mon père est propriétaire d’un vieux moulin à roue horizontale à Vézac, près de Sarlat, en plein Périgord Noir. Un moulin que j’avais un peu oublié après mon adolescence, et que j’ai redécouvert pendant la période de confinement que nous venons de vivre.
Quand mon père a racheté la maison, les équipements du moulin, au rez-de-chaussée, étaient dans leur jus, et tout le matériel était sur place.
Le moulin avait cessé de fonctionner depuis l’après-guerre. Pendant une quinzaine d’années, sur ses deniers personnels, mon père l’a nettoyé et remis en état, aidé par ses amis de l’Association Périgordine des Amis des Moulins (APAM).
Dans ce petit moulin de rivière, alimenté par le Pontou, affluent de la Dordogne, mon père Élie Coustaty ne moulait guère plus de 20 kg de grains par semaine avant le confinement, surtout pour des agriculteurs locaux qui font leur pain et leurs pâtisseries avec leur propre blé.
Vêtu comme un meunier d’antan, pantalon et longue chemise blanche, foulard rouge autour du cou et sabots en bois aux pieds, Élie surveille de près la meule qui tourne lentement pour moudre une des denrées les plus demandées en ces semaines de confinement. En effet, le coronavirus a dopé l’activité de notre moulin à eau.
Avec l’explosion « du jour au lendemain » de la demande de farine, illustrée par les rayons vides dans les supermarchés, mon septuagénaire de père, agriculteur à la retraite, président de la jeune Association des Moulins du Périgord Noir, a dû répondre à la demande et mobiliser son épouse, sa fille et son gendre.
Maintenant que les Français se sont découvert des talents de boulanger et de pâtissier, pour meubler les longues journées de confinement et occuper les enfants, les ventes de farine ont augmenté de 168 % par rapport à mars-avril de l’an dernier. Chaque jour, jusqu’à 150 kg de farine bio, à l’ancienne, partent du moulin.
Sollicitée du fait de la crise, toute la famille participe à la mise en production du moulin. Serge, le gendre, aide à régler le blutoir qui va séparer la farine du son. Pierrette, ma mère, dans son rôle de meunière, ensache avant les envois. Personnellement, je suis au four et au moulin.
La famille Coustaty n’arrive pas à satisfaire la demande. La meule de silex tourne à
60 tours par minute, rien à voir avec les grosses minoteries industrielles automatisées qui produisent quotidiennement à la tonne. Élie en rit : « Il faut que les gens retournent à la boulangerie, on ne pourra pas produire pour tout le monde !»
Pour justifier que je suis bien au four et au moulin, j’ai pris la plume pour rédiger cette page d’histoire, et rappeler que « la finalité de ce moulin, qui date du XIVe siècle et qui a appartenu aux Evêques de Sarlat, n’est pas qu’il devienne une grande entreprise, mais qu’il soit utile au territoire et qu’il permette de valoriser le patrimoine meulier. On calcule notre prix (de 3,50 à 3,80 € le kilo) pour que le producteur de grains soit correctement rémunéré (500 € la tonne) et qu’on garde un petit bénéfice afin de bichonner le moulin.
Derrière cette démarche, il y a le bien-penser, avec des rémunérations et des prix corrects, et le bien-manger, avec des produits de qualité. Il y avait un frémissement ces dernières années, mais le confinement a remis l’église au milieu du village. Les gens savent maintenant qu’ils peuvent faire vivre des producteurs locaux qui font attention à leur environnement. »
Chez les Coustaty, nous sommes convaincus que la crise sanitaire va permettre la prise de « bonnes habitudes ».
Quant au Moulin de l’Évêque, situé sur le chemin de meuniers de cette commune, à quelques encablures de la Dordogne dite « rivière Espérance », avec vue sur les châteaux de Marqueyssac, Castelnaud, Fayrac, des Milandes et Beynac, il est un maillon de la chaîne du bio sur le secteur en valorisant certaines céréales (sarrasin, épeautre…). Entre l’agriculteur, le meunier et le consommateur local, il va garder son âme ; et, en développant sa vocation de moulin pédagogique ouvert à un public d’enfants, il permet d’assurer la transmission des savoirs, et de restaurer un patrimoine à haute valeur sentimentale.
Dans les ‘’Lettres de mon moulin’’, Alphonse Daudet, dans un style sans équivoque, relate la triste fin de maître Cornille qui n’a pas résisté à l’installation d’une minoterie. Ce ne sera pas le destin d’Élie, le meunier du Moulin de l’Evêque en Périgord Noir.
Moulin de l’Evêque – 28, chemin du Lavoir – 24220 VÉZAC
Tél. 06 56 76 88 02 – Email : marierose24@gmail.com
Marie-Rose Ampoulange – Coustaty
Article publié dans le Monde des Moulins n° 73 de juillet 2020
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