Nous y sommes ! Nous rentrons dans l’ère de la civilisation industrielle en manque d’énergies fossiles. Pas un journal imprimé, pas une chaîne de télévision qui ne traite de ce problème chaque semaine. Cependant peu de journalistes s’aventurent à faire des pronostics dérangeants. Nous allons nous y employer.
Commençons par rappeler brièvement les étapes qui ont marqué le développement de la civilisation industrielle actuelle.
Pendant des millénaires, les hommes ont vécu par groupes d’une trentaine d’individus, forme d’organisation permettant d’exploiter au mieux la nature sur les quelques kilomètres carrés accessibles dans la journée depuis leur camp de base.
Le bois et la bouse des bisons étaient les seules énergies dont ils disposaient pour se chauffer, cuire leurs aliments et éloigner leurs prédateurs. Le transport fluvial prit naissance au néolithique (-10000 ans avant J-C). La domestication des boeufs suivit un millénaire après. Celle du cheval fut plus tardive (- 4000 ans avant J-C) en Europe de l’Est. Elles permirent le développement de l’agriculture et des transports terrestres. Pour compléter et élargir l’usage du “sang”, citons également l’esclavage dans les régions méridionales (Aristote considère que tout barbare peut être un esclave naturel) et le servage dans le Nord de l’Europe.
L’invention de la roue hydraulique donna à nos ancêtres la possibilité de transformer l’énergie de l’eau en énergie mécanique.
La production de farine en bénéficia en premier, suivie de multiples productions préindustrielles. Dans la foulée, ils utilisèrent le vent en imaginant des moulins qui eurent leurs siècles degloire en permettant aux régions dépourvues de fleuves de se développer aussi.
Vint alors la civilisation industrielle proprement dite avec l’utilisation intensive du charbon, notamment en Grande- Bretagne. L’invention de la machine à vapeur développa les transports par voies ferrées et augmenta la vitesse des bateaux, celle de la machine de Gramme rendit obsolètes les roues hydrauliques et les ailes qu’elle remplaça par des moteurs électriques. Le pétrole (fin du XIXème siècle) vint alors compléter le charbon et permit le développement du transport routier et de l’aviation. Restent les matières fissibles (uranium) : les centrales nucléaires permettent de s’affranchir pour une part des factures pétrolières pour les pays comme la France qui ne disposent pratiquement plus de ces ressources fossiles (pétrole, charbon,…) et qui sont soucieux de préserver leur indépendance nationale Eau, vent, charbon, pétrole, gaz, marée et matières fissibles permettent de produire de l’électricité alimentant l’industrie et les besoins des populations. Il est impossible de dire quand nos ancêtres se rendirent compte que la maîtrise de l’énergie leur rendait la vie plus facile. Aujourd’hui, cela parait évident. On peut avancer que le niveau de vie d’un individu, tel que le monde moderne l’entend, est proportionnel à la quantité d’énergie qu’il consomme, le touriste, passager d’une navette spatiale, étant très représentatif du niveau maximal. Pour un pays, son niveau de vie est facteur de la quantité de travail fournie par ses habitants mais surtout de la quantité d’énergie qu’il brûle ou qu’il vend.
Aujourd’hui, quelle est la situation énergétique mondiale ? Examinons tout d’abord les énergies fossiles.
Le charbon : la Grande-Bretagne a été la première nation à l’utiliser et massivement au XIXème siècle. La souplesse d’utilisation du pétrole lui a fait perdre de son intérêt mais il en reste des réserves importantes. Elles serviront à fournir de l’électricité encore pendant des siècles. Malheureusement, son utilisation dégage du CO2, facteur du réchauffement de la planète et il ne peut résoudre les problèmes des transports routiers. Le pétrole : c’est aujourd’hui le premier combustible utilisé. Son utilisation massive fait que son épuisement prochain est programmable. D’autant plus que chaque pays considérant que son avenir est dans la croissance de sa population, celle de la terre est actuellement de 6,5 milliards d’individus qui ne rêvent qu’à l’amélioration de leur train de vie. Force va être cependant de partager avec les chinois et les indiens les restes du gâteau. Dans une situation de pénurie, les producteurs de pétrole vont donc pouvoir profiter au maximum de leur situation en vendant au prix fort. On peut s’attendre au renforcement des tensions, voire des conflits armés pour que les uns et les autres accèdent aux sources d’approvisionnement.
Les énergies renouvelables peuventelles nous sortir de ce mauvais pas ?
Tous les experts s’accordent pour dire que les énergies renouvelables ne suffiront pas à satisfaire la demande, loin de là. Elle restera forte, malgré les économies d’énergie réalisées, notamment dans le chauffage des immeubles.
Pour la France, les sites hydrauliques importants sont tous exploités. La construction de nouveaux grands barrages n’est guère envisageable aujourd’hui en raison de leurs impacts sociaux et environnementaux. Et la pico-hydraulique (inférieure à quelques kilowatts/heure) dont la production insignifiante par rapport aux besoins nationaux n’est pratiquement jamais citée ! Elle fait pourtant bien partie des énergies renouvelables.
Elle aide des petits producteurs à se chauffer, à s’éclairer, à faire éventuellement fonctionner des machines, téléviseurs, etc. Leur production peut même être achetée par EDF à un prix qui sera réévalué. Quitte à ce que les propriétaires de moulins soient taxés de profiteurs, disons que l’intérêt particulier n’a pas toujours à s’effacer devant une réglementation qui se dit d’intérêt général.
Ce n’est pas parce que les français vont faire les frais d’une énergie de plus en plus chère qu’il faut détruire les moulins hydro-électriques pour que leurs propriétaires ne puissent plus profiter d’une production électrique propre et pratiquement gratuite. Au contraire, l’Etat devrait d’ores et déjà lancer une politique volontariste de restauration des pico-centrales et micro-centrales d’autant qu’elle s’intègre parfaitement dans la politique mondiale de diminution des dégagements de CO2.
N’oublions pas la biomasse : Sous ce vocable, on range le bois qui est de plus en plus utilisé pour le chauffage collectif et certaines plantes, canne à sucre, blé dont les déchets peuvent être utilisés en combustible. Aujourd’hui, la technique est au point pour faire fonctionner les moteurs qui équipent voitures, camions et tracteurs agricoles avec de l’huile de colza ou de l’éthanol produit par la canne à sucre ou les betteraves. Si cette production est possible, à condition d’être subventionnée, il ne faut pas oublier que le rôle des agriculteurs est d’abord de nourrir les populations. Il n’est pas envisageable de consacrer la France entière à produire de quoi alimenter une partie seulement de la flotte actuelle de camions. Ce renchérissement de l’énergie va pousser l’agriculture à modifier ses techniques actuelles en diminuant l’usage des engrais dont les prix de production ne peuvent que grimper, à choisir des cultures se contentant de travaux agricoles plus légers, etc. Enfin, dans certaines régions, les chevaux à peine disparus des champs depuis une trentaine d’années reviendront pour certaines utilisations. Restent le solaire qui a son intérêt pour les maisons individuelles et les éoliennes industrielles qui, avec un retard important par rapport aux pays nordiques, à l’Allemagne, aux Pays-Bas, sont installées à un rythme croissant malgré les réticences liées à leur environnement, réticences qui vont se diluer dans le temps. Héritières de nos modestes moulins à vent d’une puissance de quelques kW, elles atteignent maintenant 150 mètres de haut et 3 mégawatts, puissance à comparer aux 1500 mégawatts des centrales nucléaires. Malgré leur puissance relativement faible, elles concourent à une production volontairement diversifiée. Signalons encore la production géothermique handicapée par des difficultés techniques qui la rendent marginale.
En additionnant toutes les productions renouvelables ou pas, une chose est sûre : nous allons vers une pénurie certaine pour l’humanité. Les pays développés vont devoir “déconstruire” en quelques décennies ce qu’ils ont construit depuis environ deux siècles.
Modifications entraînées par cette pénurie .
Les “experts” sont d’accord sur un seul point : La consommation va dépasser l’extraction dans quelques années. Par contre, les prévisions concernant l’époque de survenue des crises en découlant échappent à leur sagacité. Ils ne maîtrisent en effet ni la courbe des consommations des pays en voie de développement, notamment l’Inde et la Chine, ni la courbe de production des vingt prochaines années. Les prévisions qui suivent ne peuvent donc être datées. De plus, il est nécessaire de distinguer les pays qui disposeront de pétrole pour encore quelques décennies, comme l’Arabie saoudite, et les pays qui en sont dépourvus comme la France. Examinons les modifications qui vont affecter notre pays et la majorité des pays européens .
Premier sujet à revoir : Les transports aériens particulièrement gourmands en kérosène et, disons-le, gaspilleurs. Même si l’Airbus A380 consomme moins de kérosène au km/passager que les avions des générations précédentes, effet de taille oblige, on peut s’interroger sur son utilisation par les français dans 10 ans. Les voyages au bout du monde seront hors de nos possibilités financières. Naturellement, les fruits exotiques disponibles toute l’année ne viendront plus par avion, ni peut-être par bateau. On remarquera au passage que Boing et Airbus prévoient le doublement de la flotte mondiale dans les vingt ans à venir. Estce de l’intox ou un refus de prendre en compte la réalité? Pour les transports continentaux, on peut s’attendre au développement des trains à moyenne vitesse en remplacement des lignes aériennes intérieures. La concurrence aérienne diminuant, on peut s’interroger sur l’intérêt de développer des TGV circulant à 360 km /h, devenant très coûteux en énergie et en entretien.
Deuxième sujet à mettre au programme : Les transports routiers qui ne peuvent remplacer le fuel par un autre combustible. Malgré des grèves naturellement prévisibles, les transporteurs routiers ne pourront échapper à un relèvement conséquent du prix du fuel. Il en résultera une diminution de leur nombre et un transfert partiel de leur activité vers le fer et les transports fluviaux, tous deux en pleine crise actuellement mais qui seront remis à l’honneur par une politique européenne. Le tunnel ferroviaire permettant la liaison Lyon-Turin sera opérationnel vers 2018 et l’avant-projet de canal Seine-Nord Europe qui doit relier la Seine au canal Dunkerque-Escaut par l’Oise vient d’être signé. S’ajoutant à une diminution de la vitesse des voitures due à l’installation des radars, une nouvelle baisse de la consommation a été constatée pour une légère augmentation des carburants ! Qu’en serat- il quand le pétrole sera à 200 dollars le baril ? L’ère des voitures gourmandes en essence est terminée, même si les Ferrari vont persister un temps. D’ores et déjà, la fabrication française de voitures entre en crise. Quant aux taxis, la mode des taxis collectifs asiatiques arrivera-t-elle chez nous ?
Troisième point : L’électricité. Grâce au nucléaire et à la possibilité d’alimenter les centrales thermiques en gaz ou en charbon, nous pouvons espérer conserver nos habitudes quelques décennies. N’oublions cependant pas que son prix s’alignera avec celui du pétrole, comme c’est déjà le cas du gaz, l’Etat devant récupérer les taxes qu’il perdra avec la diminution du transport routier. Concernant le nucléaire, il faut signaler un revirement de l’opinion publique qui se rend compte, y compris en Allemagne, que cette production va devenir obligatoire même si elle comporte des risques difficilement acceptables. Signalons qu’au rythme de la croissance mondiale actuelle, les réserves d’uranium seront épuisées dans une trentaine d’années.
En conclusion, la concurrence entre les différentes énergies fossiles, dont le charbon, a permis, pendant quelques décennies, de maintenir leurs prix à des niveaux qui ne représentaient pas leur véritable valeur mais socialement acceptables. Leur diminution programmée, si elle va enrichir les pays qui vont rester producteurs pendant quelques décennies et qui auront la maîtrise des prix, va a contrario diminuer notre pouvoir d’achat, nous poussant à recentrer nos dépenses sur ce qui sera devenu vital. Contrairement aux idées actuelles qui considèrent que le niveau de vie ne peut que s’améliorer, il est en effet fort probable qu’il ne va maintenant que diminuer, au prorata de la diminution des énergies consommées. Il nous faut, dès à présent, prendre en compte les nouvelles contraintes prévisibles pour faire évoluer notre société afin que nos héritiers ne soient pas pris au dépourvu quand nous aurons vidé la planète de son pétrole.
Gérard Gau – Article paru dans le Monde des Moulins – N°20 – avril 2007
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