L’article L.211-5 du code de l’environnement ne peut conduire l’administration à faire usage de sanctions administratives qu’en cas d’incident ou d’accident ayant créé un “dommage constaté”. Par ailleurs, le respect des règlements locaux et l’exécution de premières mesures d’exécution empêchent l’application des articles L. 215-7 et L.215-15 du code de l’environnement.
Cour Administrative d’Appel de Paris, 10 février 2005, req. n° 00PA03632, (figurera au Recueil Lebon)
(…) Considérant que, par un arrêté du 16 juin 1999, le Préfet de l’Essonne a mis en demeure MM. X et Leluc, propriétaires indivis du moulin d’Echarcon, de réaliser les travaux de confortement de l’ancien moulin et de remise en état des vannages pour maintenir le niveau réglementaire de l’eau tant en période de crue qu’en période d’étiage, de faire procéder, à cette fin, à une étude, et d’en communiquer les résultats à la direction départementale de l’agriculture et de la forêt au plus tard le 30 septembre 1999, faute de quoi une exécution d’office des travaux serait mise en oeuvre ; que, par un second arrêté du 12 janvier 2000, le Préfet de l’Essonne a mis MM. X et Leluc en demeure de consigner solidairement, entre les mains du trésorierpayeur général, la somme de 750 000 F correspondant aux travaux urgents à effectuer ; que, par le jugement attaqué, le Tribunal Administratif de Versailles, saisi par M. X a, d’une part, rejeté ses conclusions dirigées contre l’arrêté du 16 juin 1999, d’autre part, annulé l’arrêté du 12 janvier 2000 ; que M. X demande la réformation de ce jugement en ce qu’il rejette une partie de ses demandes et que, par la voie du recours incident, le ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement demande l’infirmation du même jugement en ce qu’il a annulé l’arrêté du 12 janvier 2000 ; Sans qu’il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement : Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 18 de la loi du 3 janvier 1992 sur l’eau, dont les dispositions sont désormais reprises à l’article L. 211-5 du code de l’environnement : “Le préfet et le maire intéressés doivent être informés, dans les meilleurs délais par toute personne qui en a connaissance, de tout incident ou accident présentant un danger pour la sécurité civile, la qualité, la circulation ou la conservation des eaux. La personne à l’origine de l’incident ou de l’accident et l’exploitant ou, s’il n’existe pas d’exploitant, le propriétaire, sont tenus, dès qu’ils en ont connaissance, de prendre ou faire prendre toutes les mesures possibles pour mettre fin à la cause de danger ou d’atteinte au milieu aquatique, évaluer les conséquences de l’incident ou de l’accident et y remédier. Le préfet peut prescrire aux personnes mentionnées ci-dessus les mesures à prendre pour mettre fin au dommage constaté ou en circonscrire la gravité et, notamment les analyses à effectuer. En cas de carence, et s’il y a un risque de pollution ou de destruction du milieu naturel, ou encore pour la santé publique et l’alimentation en eau potable, le préfet peut prendre ou faire exécuter les mesures nécessaires aux frais et risques des personnes responsables (…)”; qu’aux termes de la première phrase de l’article 27 de la même loi dont les dispositions sont désormais reprises au I de l’article L. 216-1 du code de l’environnement : “Indépendamment des poursuites pénales, en cas d’inobservation des dispositions prévues par la présente loi ou les règlements et décisions individuelles pris pour son application, le préfet met en demeure d’y satisfaire dans un délai déterminé. Si, à l’expiration du délai fixé, il n’a pas été obtempéré à cette injonction par l’exploitant ou par le propriétaire de l’installation s’il n’y a pas d’exploitant, le préfet peut : l’obliger à consigner entre les mains d’un comptable public une somme correspondant à l’estimation du montant des travaux à réaliser, laquelle sera restituée au fur et à mesure de leur exécution (…), faire procéder d’office, sans préjudice de l’article 18 (…) aux frais de l’intéressé, à l’exécution des mesures prescrites. Les sommes consignées en application des dispositions ci-dessus peuvent être utilisées pour régler les dépenses entraînées par l’exécution d’office” ; Considérant qu’il ne résulte pas de l’instruction que le mauvais état des ouvrages du moulin d’Echarcon était à l’origine d’un dommage constaté ; que, de ce fait, ces ouvrages ne constituaient pas, par euxmêmes, un incident présentant un danger pour la sécurité civile, la qualité, la circulation ou la conservation des eaux au sens des dispositions précitées de l’article 18 de la loi sur l’eau ; que, par suite, le Tribunal Administratif de Versailles a jugé à bon droit que les articles 18 et 27 de la loi sur l’eau ne pouvaient servir de fondement légal aux deux arrêtés attaqués ; que, dès lors, le ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que le Tribunal Administratif de Versailles a annulé, pour ce motif, l’arrêté du préfet de l’Essonne en date du 12 janvier 2000 ; Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article 103 du code rural : “L’autorité administrative est chargée de la conservation et de la police des cours d’eaux non domaniaux. Elle prend toutes dispositions pour assurer le libre cours des eaux (…)” et qu’aux termes de l’article 115 du même code : “Il est pourvu au curage des cours d’eau non domaniaux ainsi qu’à l’entretien des ouvrages qui s’y rattachent de la manière prescrite par les anciens règlements ou d’après les usages locaux (…)” ; Considérant qu’il ne ressort pas du dossier que l’état des ouvrages du moulin d’Echarcon engendrait un risque sérieux d’inondation justifiant la mise en oeuvre, par le préfet, des pouvoirs généraux de police qu’il tient de l’article 103 du code rural, alors même qu’il est constant que M. X maintenait le niveau des eaux du bief à 30 cm en-dessous du niveau légal de la retenue, qu’il avait fait procéder, avant l’intervention de l’arrêté du 16 juin 1999, à la remise en état de la vanne guillotine et que, par lettre du 15 mars 1999, la direction départementale de l’agriculture et de la forêt avait constaté que ces travaux, qu’elle avait définis comme les plus urgents à réaliser, permettaient la fermeture des autres vannes ; que, par ailleurs, dès lors qu’il n’est pas contesté que le niveau des eaux était maintenu en-dessous du niveau légal de la retenue, le respect des prescriptions du règlement applicable à la rivière de l’Essonne était nécessairement assuré et qu’il n’y avait, par suite, pas lieu à la mise en oeuvre des pouvoirs définis par l’article 115 du code rural ; qu’il suit de là que M. X est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a considéré que les articles 103 et 115 du code rural avaient pu servir de fondement légal à l’arrêté du 16 juin 1999 et rejeté, par voie de conséquence, sa demande dirigée contre ledit arrêté ; qu’il y a lieu, par suite, d’annuler l’article 1er dudit jugement, d’annuler l’arrêté du 16 juin 1999 et de rejeter le recours incident du ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement (…). Note : A la fin des années 90 et jusqu’au début des années 2000, la France a été touchée par d’importantes inondations le long de ses fleuves et rivières. Comme on le sait, la réaction des pouvoirs publics a été principalement menée sur le terrain de la prévention des crues avec l’intervention de la loi n°2003-699 du 30 juillet 2003 et les nombreux décrets d’application qui s’ensuivirent tout au long de l’année 2004 et durant le premier semestre 2005. De façon générale, le choix a été pris de renforcer l’efficacité des plans de prévention des risques naturels et de consacrer ce dispositif dans tous les bassins versants où il existe un risque grave d’atteinte à la sécurité des personnes et des biens. Cette logique de prévention a été également relayée par une application plus fréquente des sanctions administratives à destination de ceux des riverains qui ne remplissaient pas leurs obligations d’entretien fixées par les textes, ceux qui procédaient à une artificialisation des berges susceptible d’aggraver le risque d’inondation ou encore ceux qui laissaient tomber en ruine les ouvrages hydrauliques régulateurs du débit de la rivière. Ce développement de l’emploi des sanctions administratives a concerné l’ensemble des cours d’eau non domaniaux, que ceux-ci soient ou non visés par un plan de prévention des risques naturels. L’arrêt présentement étudié s’inscrit tout à fait dans cette logique. En l’espèce, les propriétaires indivis d’un moulin à rivière avaient fait l’objet de deux arrêtés préfectoraux successifs : le premier les enjoignant de réaliser des travaux de mise en sécurité des ouvrages du moulin dans un certain délai, le second les conduisant à consigner entre les mains du trésorier-payeur général, une somme correspondant aux travaux urgents à effectuer. Dans l’exercice de ses pouvoirs de police, l’autorité administrative s’est appuyée ainsi sur deux polices différentes qui correspondent historiquement à deux “courants” de la police des milieux aquatiques. Le préfet de l’Essonne s’est tout d’abord servi d’une police dont les fondements remontent à la loi du 8 avril 1898 sur le régime des eaux : la “police des cours d’eau non domaniaux”. Les dispositions ici invoquées sont celles du code rural (articles 103 et 115), aujourd’hui codifiées sous les articles L. 215-7 et L.215-15 du code de l’environnement. L’autorité administrative s’est également appuyée sur la police de l’eau héritée de la loi sur l’eau du 3 janvier 1992. Ici, il a été fait appel aux dispositions des articles 18 et 27 de la loi sur l’eau, actuellement codifiées aux articles L.211-5 et L.216-1 du code de l’environnement. Pour l’essentiel, le préfet de l’Essonne a considéré que le mauvais état des ouvrages régulateurs constituait un “incident présentant un danger pour la sécurité civile, la qualité, la circulation ou la conservation des eaux” (article L. 211-5 du code de l’environnement). Partant, selon l’autorité administrative, le moulin faisait courir un risque sérieux d’inondation de nature à justifier l’exercice des deux polices précédemment indiquées. L’arrêt rapporté est intéressant à un double titre. Il s’inscrit tout d’abord dans la continuité d’un arrêt du Conseil d’Etat en date du 31 mars 2004, “M. Hermann” (req. n° 244495, Environnement, Juin 2004, Note P. TROUILLY, p.17 ; Droit Envir. Oct. 2004, Note P. BOYER, p.179). Dans cette décision, la Haute Juridiction avait considéré que la création de bassins aménagés n’était à l’origine d’aucun “dommage constaté” et ne pouvait constituer en ellemême un “incident présentant un danger pour la sécurité” (article L.211-5 du code de l’environnement). En l’espèce, la Cour administrative d’appel de Paris a considéré “qu’il ne résulte pas de l’instruction que le mauvais état des ouvrages du moulin d’Echarcon était à l’origine d’un dommage constaté”. Dans le droit fil de l’arrêt Hermann, la Cour confirme ainsi de façon opportune qu’en matière de prévention des inondations, l’usage des sanctions administratives doit reposer sur un “dommage constaté” et non sur un dommage futur ou potentiel. Une telle solution est conforme au principe de légalité des sanctions administratives : si celles-ci s’appliquent en effet à un dommage incertain, le risque est que les sanctions ne laissent la place à l’arbitraire. Au demeurant, en matière d’inondation, l’administration est souvent tentée d’agir par “précaution” plutôt que par “prévention” : croyant faire face à un risque inconnu, elle adopte alors parfois une gestion des cours d’eau à la fois sévérisée et fondée sur le risque quasi-zéro (crue millénaire). L’administration croit alors pouvoir fonder sa politique de précaution sur les dispositions de l’article L.211-5 du code de l’environnement dès lors que cet article “recouvre une compétence générale d’intervention, indépendamment de la nomenclature eau, dès lors que survient un incident ou accident présentant un danger pour la sécurité civile, la qualité, la circulation ou la conservation des eaux” (P. BOYER, Note sous CE 31 mars 2004, M. Hermann, n°244595, Dr. Env., Oct. 2004, p.179). L’arrêt permet ensuite de vérifier une nouvelle fois comment le juge administratif peut se saisir du contentieux de pleine juridiction applicable aux décisions administratives intervenant dans le domaine des milieux aquatiques pour vérifier la légalité des sanctions administratives (article L.216-2 du code de l’environnement ; CE, 31 juillet 1996, n°171022, Min. Envir. c/ Adam), spécialement lorsque l’administration invoque le risque d’inondation pour engager les poursuites. En l’occurrence, l’utilité du plein contentieux était d’autant plus avérée qu’outre l’examen des conditions d’application de l’article L.211-5 du code de l’environnement, la Cour administrative d’appel de Paris a été amenée à porter son contrôle sur l’application de la police générale des cours d’eau non domaniaux prévue aux articles L. 215-7 et L.215-15 du code de l’environnement. Sur ce point, la Cour a examiné trois aspects différents. Elle a vérifié tout d’abord si le mauvais état des ouvrages hydrauliques était tel qu’il pouvait entraîner une inondation. La Cour a examiné également si les propriétaires du moulin n’avaient pas pris de mesures destinées à respecter les mises en demeure prescrites par l’administration. Enfin, il a été reproché à l’administration de ne pas avoir tenu compte du fait que les propriétaires du moulin ne se trouvaient pas en situation de manquement à leur autorisation de barrage de la rivière (quant au niveau légal de la retenue) et à l’arrêté de réglementation de la rivière Essonne. Ayant ainsi caractérisé comment les propriétaires du moulin remplissent leurs obligations d’entretien au regard des règlements et usages locaux, la Cour en conclut nécessairement que les sanctions administratives reposaient sur une base légale inopérante.
Sébastien Le Briéro, avocat, docteur en droit public – Article paru dans le Monde des Moulins – N°18 – octobre 2006
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