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Cette année 2015 est devenue « l’Année Européenne du Patrimoine Industriel et Technique » après la résolution adoptée par la Commission permanente du Conseil de l’Europe, puis par l’Union Européenne et l’Unesco. Car, en effet, la transition énergétique est bien un sujet de politique internationale qui concerne les chercheurs des sciences du climat, de l’ingénieur, de l’économie, de la sociologie. Il existe maintenant un « Groupe intergouvernemental d’experts sur l’ Évolution du Climat » (GIEC) et l’année 2013 a connu un débat national sur la transition énergétique. Pour finir, la « Conférence pour le Climat 2015 » se tiendra à Paris.

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Moulins à vent de Caignac (Haute-Garonne)

Enfin, les historiens s’intéressent à l’histoire de l’énergie qui, jusqu’alors, ne faisait guère partie de leurs domaines de recherche et, de ce fait, l’histoire des moulins pourrait être reprise et revalorisée. Pourtant, cette histoire de l’énergie, c’est d’abord l’étude de transitions, comme l’est, de manière générale, l’histoire tout court ! On a, dans ce sens, caractérisé les périodes que sont le passage du Moyen-Âge aux Temps Modernes ou celui du passage à l’Époque Contemporaine, par les termes de « Renaissance » et de « Révolution ». De même, on a imaginé une « Histoire des Mentalités » ou des « Civilisations »… qui ne font qu’évoquer des mutations dans tous les domaines. Et malgré tout, même l’histoire de l’environnement,
très à la mode, n’a pas mis l’énergie dans ses priorités.

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Moulin de Coivert : canal d’amenée (Charente-Maritime)

Cependant, le point de vue des chercheurs en histoire est en train de changer, comme en témoigne un article du médiéviste Mathieux Arnoux, intitulé : « 2000 ans de transition énergétique » dans la revue « L’Histoire »(1). Mais, pour le moment, il faut se contenter de l’histoire des techniques et se tourner vers des chercheurs comme André Leroi-Gourhan, Bertrand Gille et Fernand Braudel(2), historiens des civilisations, qui ont exposé les caractéristiques des systèmes techniques, qui sont bien des formes de récupération et d’usage des énergies. Ainsi, ce que nous savons de la préhistoire concerne les pratiques techniques, avec leurs caractéristiques énergétiques : taille du silex, invention du manche, du propulseur, maîtrise du feu, de la céramique, de la métallurgie, domestication des animaux, découverte de l’agriculture… qui sont au-delà de la force corporelle seule. Dans toutes les transformations imposées par l’être humain à son environnement, l’énergie tient une place centrale.
Pour faire cette histoire de l’énergie, il faut que les chercheurs fassent preuve d’imagination et de curiosité interdisciplinaires, car beaucoup de domaines ne sont pas reconnus par les historiens comme des sources. Selon M. Arnoux, le « mix énergétique », qui mesure les ressources utilisées pour répondre aux besoins en énergie d’une économie, est une notion récente. Le progrès, quand il y a progrès, est fondé par une succession de transitions qui ne se résume pas au seul passage des énergies renouvelables aux combustibles fossiles et puis, aujourd’hui, au retour aux énergies renouvelables respectueuses de l’environnement.
En réalité, il s’agit plutôt d’une succession de transitions qui entraîne des développements différents selon les lieux (conditions économiques, démographies différentes…).

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Moulin de Coivert : Transmission du rouet à la génératrice.

Mais revenons à nos moulins qui, chez nous, furent d’abord des moulins à eau. Marc Bloch avait, dès 1935, mis en lumière une de ces transitions vers l’énergie hydraulique, mais sans évoquer le rôle des moulins dans la construction territoriale des campagnes, pourtant essentielle pour le Moyen-Âge. La presque totalité des cours d’eau, jusqu’aux ruisseaux infimes, ont été endigués et aménagés, donnant naissance à une véritable géographie des biefs et des chutes, pertinente jusqu’au XIXe siècle, sans qu’on y prête attention plus que cela. Même si les moulins sont des machines peu puissantes, leur très grande diffusion dans tout le territoire et la complémentarité des moulins à eau avec les moulins
à vent, leur donnent une place de premier plan dans l’approvisionnement alimentaire certes, mais aussi dans la civilisation du Moyen-Âge et dans l’histoire de l’énergie. En effet, si l’on replace la part de l’énergie hydraulique dans l’industrialisation, on doit aussi évoquer le développement de la métallurgie. L’augmentation énorme de la demande a poussé aux innovations.
Martelage et ventilation des soufflets par la roue à eau ont permis de dépasser le seuil de la force corporelle des hommes et d’atteindre des températures plus élevées, comme celle de la fusion du métal ( plus de 1500° C ) et vers 1750, certaines forges de bonne taille peuvent posséder six roues hydrauliques en parallèle.

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Éolienne.

La preuve que les transitions énergétiques ne fonctionnent pas partout à la même vitesse en Occident, c’est que l’Angleterre utilise précocement l’énergie fossile (charbon) avant nous, et Arthur Young, voyageant en France, s’étonne de voir construire à Bordeaux, en 1787, « un moulin à farine qui marche par les marées » (avec 24 meules) et ajoute : « de combien une machine à vapeur pour faire le même ouvrage eût été plus économique , c’est ce que je ne rechercherai pas ».

Si l’on considère la place des moulins dans l’usage des énergies renouvelables, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup à apprendre de nos prédécesseurs et que la littérature scientifique et technique à notre disposition ne suffit pas à rendre compte des expériences menées autrefois. Il n’est qu’à considérer combien de techniques ont été oubliées, combien de documents d’archives sont restés inédits, de sites archéologiques restent à découvrir, pour dresser l’inventaire des problèmes affrontés, des échecs et des solutions inventées autrefois (la BNF en a pris conscience et s’emploie à republier des ouvrages techniques relatifs aux moulins, du XIXe siècle). L’élaboration d’un mode de développement durable nécessite de raisonner sur le passé et gageons que l’histoire des moulins y a une place essentielle. Alors, Messieurs les « historiens de l’énergie », courage ! Il reste surtout à convaincre que votre contribution est indispensable. Ceux qui s’intéressent aux moulins le savent déjà.

1 : L’Histoire n°408, février 2015
2 : Les Annales d’Histoire Économique et Sociale, 1935

Alain Floriant, vice-président ADAM17 – Article paru dans le Monde des Moulins – N°54 – octobre 2015

Catégories : Technique

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