Niché dans le Piémont Ariégeois, à 730 m d’altitude, dans la haute vallée de la Barguillère, à 13 km de Foix, au bord d’un vif ruisseau montagnard, le petit moulin de la Laurède, propriété de la commune de Burret (40 habitants permanents), a été réhabilité grâce à une active collaboration avec l’Association « Moulin de la Laurède ». Depuis octobre 2003, il peut tourner et faire de la mouture, pour le plus grand plaisir des visiteurs et des randonneurs de passage qui empruntent ses sentiers d’interprétation. Il est aussi ouvert aux visites du mercredi au dimanche les après-midi de mi-juillet à fi n août, et lors des grandes manifestations nationales des moulins en mai et en juin, pour les Journées du Patrimoine, ainsi que sur rendez-vous.
Mais notre moulin a aussi le privilège d’abriter dans ses abords une faune exceptionnelle constituée par quatre espèces sentinelles, entendez par là des espèces dont la sensibilité à la pollution sert d’indicateur précoce des changements de l’environnement, ce que nous trouvons tout à l’honneur du cadre préservé que nous entretenons avec raison et passion.
Tout d’abord, il y a le desman ou rattrompette (Galemys pyrenaicus), mammifère insectivore de la famille des talpidés, espèce endémique des Pyrénées en grand danger et qui fait actuellement l’objet d’une étude approfondie de la part du CREN Midi-Pyrénées (Conservatoire Régional des Espaces Naturels) pour essayer d’enrayer sa disparition annoncée. C’est un animal nocturne et craintif que l’on repère en général à ses crottes torsadées à odeur musquée, posées sur des rochers ou pierres émergeant de la rivière. Le desman est de couleur grise à brune ; ses poils, réunis en paquets par l’humidité, pouvant donner l’apparence d’écailles. Ses yeux sont entourés par des poils et il est quasiment aveugle : il est en effet tout juste capable de distinguer les ombres de la lumière. Il possède une longue queue terminée par une touffe de poils blancs. Nous avons eu la chance d’en voir un (et de le photographier longuement…) le 6 juin 2011, jour de la St Norbert, à la sortie de la chambre du rouet, car il aime nager dans les eaux bouillonnantes riches en oxygène. Nous l’avons donc prénommé Norbert. Il se nourrit de larves d’éphémères, insectes qu’il débusque avec son museau en forme de trompe, entre les pierres et les murets de
pierres sèches qui bordent le ruisseau du Baillès.
Figure 1 : Norbert le desman (Photo C. Denier)
Et puis, il y a le cincle plongeur ou merle d’eau (Cinclus cinclus) qui, avec son plastron blanc sur sa robe noire, règne au-dessus du torrent où il plonge à l’envi dans les eaux claires pour y chercher sa nourriture : larves d’insectes, mollusques et petits crustacés qui abondent dans les eaux fraîches. Il a établi son nid sous le porche de la chambre du rouet, dans une anfractuosité qu’il a comblée avec de la mousse. Cet oiseau étonnant, qui « vole sous l’eau » (en fait, il avance vite à contrecourant pour fouiller le lit du ruisseau à la recherche de ses proies), laisse parfois entendre son chant mélodieux, avec en fond sonore le chant des petites cascades.
Figure 2 : le cincle plongeur (DP)
La troisième espèce est un gros triton, endémique lui aussi des Pyrénées, et contemporain de l’époque des dinosaures : l’euprocte des Pyrénées (Calotriton asper), qui vit dans les cours d’eau à fond pierreux avec peu de végétation et dont les eaux sont fraîches (7 à 10°C) et pures. Il se cache sous les pierres et se nourrit d’insectes, de moustiques et parfois de larves d’amphibiens. Nous en observons régulièrement l’été, sa saison des amours, au bord du canal d’amenée d’eau et plus particulièrement près de la vanne.
Figure 3 : l’euprocte (Photo C. Denier)
Enfi n, la quatrième espèce est la plus petite mais elle est essentielle, puisqu’il s’agit de larves d’insectes (éphémères, tricoptères, diptères, phryganes…) dont se nourrissent les trois autres évoquées plus haut. Ces larves, qui grandissent dans des sortes de fourreaux en bois, en sable ou en pierre collés sur les rochers à fl eur de l’eau et que les pêcheurs du coin appellent la « bête », sont très sensibles à l’environnement et leur disparition, due à la pollution, peut entraîner celle des espèces qui en dépendent.
Figure 4 : larve d’éphémère (DP)
Figure 5 : Ephémère roptère
De ce fait, le moulin, en plus de sa richesse patrimoniale reconnue, est aussi un lieu d’accueil et de vie d’espèces rares que nous devons tous protéger. Entretenir un moulin à eau nous amène donc aussi à préserver un cadre de vie pour ces animaux, sentinelles de la biodiversité, garants de non-pollution, et pourtant en grand danger d’extinction.
Et puis savez-vous qui hiberne chaque année tranquillement, en même temps que le moulin ? Il y a d’abord le petit loir (Glis glis), fort coquin, qui effraye parfois les visiteurs en les regardant du haut de la poutre maîtresse de la chambre des meules avec ses grands yeux bordés de noir, et aussi une petite chauvesouris (rhinolophe) qui, à chaque printemps, quand nous ouvrons à nouveau le moulin aux visiteurs, traverse en volant la chambre des meules où elle s’accroche au plafond.
Ah ! Les moulins à eau, quelle richesse patrimoniale, mais également quel refuge pour un grand nombre d’animaux parfois rares et que nous devons respecter et protéger.
Colette DENIER – Article paru dans le Monde des Moulins – N°44 – avril 2013
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