Dans le cadre d’une recherche doctorale récente1, l’analyse de la littérature sur la puissance des moulins à vent montre que les données sont très limitées avec des valeurs très variables. Par exemple, l’historien français des techniques Maurice Daumas indique : « On pouvait compter de nombreux moulins ne donnant que des puissances de 1/3 de cheval à 3 ch2. ». Récemment, l’historien hollandais Karel Davids a recensé en 2003 une trentaine de sources évoquant des puissances de moulins de 1 à 30 kW suivant les époques, les pays et les usages3.
De fait, les seules observations détaillées d’un moulin à vent sont celles effectuées en 1781 à Lille par Charles-Augustin Coulomb4 : il s’agit de tordoirs à vent, des moulins à huile à vent présents en grand nombre dans la région5. Ingénieur du Génie Royal, Coulomb est muté à Lille et, « pour tromper l’ennui » dit-il lui-même, entreprend de travailler sur la « théorie des moulins ». Coulomb observe les tordoirs à vent (ils sont au nombre de 80 à Lille en 1781), des moulins à vent équipés de sept pilons entraînés par des cames installées sur l’arbre, cinq pour le broyage des graines, deux pour leur pressage (presse à coins). Coulomb donne la vitesse du vent et la puissance de ces moulins pour différents modes de fonctionnement
(cf tableau 1) : charge nulle (autorotation en roue libre, Expérience 1), démarrage avec un seul pilon embrayé (Expérience 1a), vent faible et cinq pilons de broyage (Expérience 2), vent optimal avec les sept pilons embrayés (Expérience 3) et enfin vent fort (Expérience 4), les voiles étant serrées.
Une simulation informatique de ce moulin à vent de 24,6 m de diamètre et 80 m² de surface de voiles a été réalisée en utilisant la théorie moderne dite de « l’élément de pale »
telle que l’a explicitée Albert Betz6 en 1926. Le calcul donne la puissance et le couple du moulin à vent en fonction du vent, ou, ce qui revient au même, en utilisant des expressions sans dimension, au coefficient de performance Cp (rapport entre la puissance fournie et la puissance théorique du vent) en fonction du rapport d’avance X (rapport entre la vitesse à l’extrémité de l’aile Rω et la vitesse du vent V) :
P = ½ ρ A V3 Cp X = R ω / V
avec ρ = masse volumique de l’air et A = surface balayée par le rotor
La puissance calculée est la puissance disponible sur l’arbre moteur du moulin, déduction faite des pertes dues au frottement et à la vitesse de levée des pilons en suivant les calculs de Coulomb (cf figure 1).
Il faut prendre garde au fait que le moulin dont les voiles sont serrées par grand vent (dans l’Expérience 4 par vent fort, le diamètre passe de 24,6 m à 20,7 m) a des caractéristiques différentes de celles du moulin vêtu. La théorie montre en effet que les caractéristiques de puissance d’un moulin à vent, et de toute éolienne, dépend de la solidité du rotor définie comme le rapport entre la surface des voiles et la surface totale balayée par le rotor. Réduire le diamètre en serrant les voiles par grand vent, c’est utiliser un moulin dont la solidité est plus élevée qui n’a donc pas les mêmes caractéristiques de puissance. Il en est de même quand le moulin est déshabillé : la seule planche à vent dans le cas du moulin flamand suffit à entraîner le moulin, d’où la nécessité de maintenir le frein à l’arrêt.
La précision du calcul est limitée par la connaissance approximative des données aérodynamiques d’une aile, ici l’aile flamande asymétrique avec planche à vent au bord d’attaque. Ce point est partiellement levé en prenant comme base les données aérodynamiques d’une voile de bateau et en modifiant légèrement ces valeurs de base pour approcher les données mesurées par Coulomb. Ces données sont approchées car les caractéristiques aérodynamiques d’une aile dépendent de nombreux facteurs dont les principaux sont le nombre de Reynolds et l’allongement de l’aile, défini comme le rapport entre la largeur de l’aile (ou la corde de son profil si l’aile est incurvée) et sa longueur. Les données de la voile de bateau sont modifiées (augmentation de la traînée) pour tenir compte de la présence du longeron (le « volan » chez Coulomb, la vergue du moulin) qui perturbe l’écoulement. On notera que les données mesurées sont elles aussi approximées puisque la vitesse du vent est mesurée en jetant des plumes dans le vent et en mesurant leur temps de parcours d’une distance définie (150 pieds dans le cas de Coulomb, soit 48,6 m).
à partir de ce programme informatique validé sur les données de Coulomb, il est possible de calculer la puissance de moulins à vent équipés d’ailes différentes : ailes planes à angle d’incidence constant, ailes planes à angle d’incidence variable avec la distance au centre, ailes flamandes (cf figure 2).
Il s’agit de la puissance disponible sur l’arbre du moulin, la puissance utile étant obtenue en évaluant les pertes de frottements sur les paliers, les pertes de transmission de puissance (pertes de plus de 40% pour des engrenages en bois) et les pertes de la machine entraînée (pertes hydrauliques dans le cas d’une pompe).
Le passage d’ailes symétriques à inclinaison constante à des ailes à inclinaison variable augmente légèrement le coefficient de performance qui est atteint pour un rapport d’avance supérieur. Ce dernier moulin tournera plus vite que le précédent pour une même vitesse de vent. Le passage des ailes à inclinaison variable à l’aile flamande augmente plus fortement le coefficient de performance, le rapport d’avance restant comparable.
Un autre point important de l’évolution des ailes de moulin, souligné par Dennis Shepherd7, est la diminution des phénomènes d’instabilité aérodynamique (flottement ou flutter, vibration de flexion et de torsion de l’aile) en rapprochant le point d’application des forces aérodynamiques (typiquement à 25% de la corde) avec celui des forces de rappel, c’est-à-dire le longeron de l’aile. Il devient donc possible d’augmenter le diamètre du moulin tout en gardant une bonne manœuvrabilité (cf figure 3).
Le perfectionnement des ailes de moulin permet d’augmenter leur vitesse spécifique (vitesse de rotation dans un vent donné), leur coefficient de performance ainsi que leur diamètre. L’impact combiné de ces différents facteurs sur la puissance d’un moulin à vent est très important comme le montre le tableau 2.
Rappelons qu’il s’agit ici d’une puissance maximale disponible sur le rotor et non de la puissance utile fournie par le moulin à vent, les pertes étant liées au type de transmission et à la bonne adaptation du récepteur qu’il s’agisse de pilons, de meules ou de roue à palettes.
Cette analyse montre que la puissance d’un moulin à vent varie fortement, de un à dix, suivant le type d’ailes utilisées (vitesse de rotation et performance) et le diamètre du rotor qui dépend lui aussi du type d’ailes (stabilité de fonctionnement). Puissance et vitesse sont des facteurs de base de conception d’un moulin puisque ces données permettent de dimensionner la transmission et le récepteur. Reste que du point de vue de l’utilisateur, de l’olieu lillois (conducteur de moulin à huile) ou du meunier, c’est l’énergie produite qui a le plus de valeur, mais c’est une autre histoire…
- BRUYERRE Philippe, Dynamiques d’innovation technique et d’intégration socio-économique – Le cas de l’éolienne en Allemagne, au Danemark et en France, Thèse de doctorat de l’EHESS en sciences sociales d’histoire des techniques sous la direction de Mme Hilaire-Pérez, soutenue le 30 novembre 2017 – Un volume de texte (698 p.) et un volume d’annexes (210 p.). L’auteur est ingénieur des Arts et Métiers.
- DAUMAS Maurice, Histoire générale des techniques. Tome 2 : Les premières étapes du machinisme, Paris, P.U.F., 1969, p. 450.
- DAVIDS Karel, « Innovations in windmill technology in Europe c.1500-1800. The state of research and future directions of inquiry », NEHA-jaarboek voor de economische, bedrijfs- en techniekgeschiedenis, 2003, vol. 66, p. 60-61. Téléchargeable sur : https://socialhistory.org/nl/publications/neha-journals/neha-jaarboek-66
- COULOMB Charles Augustin, « Observations théoriques et expérimentales sur l’effet des moulins à vent, et sur la figure de leurs ailes », Histoire de l’Académie royale des sciences, 1781, vol. 84, p. 65 81. Téléchargeable sur : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k35800/f191.image
- BRUGGEMAN Jean, « Les moulins à Huile du Nord-Pas-de-Calais », Le Monde des Moulins, avril 2006, n° 16, p. 5-7.
- BETZ Albert, Windenergie und ihre Ausnutzung durch Windmühlen, Göttingen, Vandenhoed & Ruprecht, 1926. Une présentation détaillée en français de la théorie de l’élément de pale est donnée dans : JOURIEH Munif, Développement d’un modèle représentatif d’une éolienne afin d’étudier l’implantation de plusieurs machines sur un parc éolien, Thèse de Doctorat de Mécanique, Arts et Métiers ParisTech, Paris, 2007, p. 51-57. https://pastel.archives-ouvertes.fr/pastel-00003390/
- SHEPHERD Dennis G., Historical Development of the Windmill, NASA-CR-4337, NASA, Washington, United States, 1990. Téléchargeable sur : https://ntrs.nasa.gov/search.jsp?R=19910012312. Ce rapport est repris dans le premier chapitre de l’ouvrage : SPERA David A. (ed.), Wind Turbine Technology: Fundamental Concepts in Wind Turbine Engineering, 2nd éd., New York, ASME, 2009 [1994]. Téléchargeable sur : http://ebooks.asmedigitalcollection.asme.org/book.aspx?bookid=271.
Philippe Bruyerre – Juin 2018 et mai 2019
pbruyerre@yahoo.fr
Article paru dans le Monde des Moulins – N°69 – juillet 2019
1 commentaire
Paradowski · 21 août 2020 à 18 h 48 min
Des moulins à vent oui j ai imaginé plusieurs manière de les fabriquer aux niveaux des structurés extérieurs ainsi qu au niveau des pales et à moindre coût tout en respectant les lieux de leurs implantations