Préambule
Cuirs et peaux sont des matériaux nobles fabriqués depuis près de 7000 ans. Mais qui peut en donner une définition exacte ? A 300 ans de distance, la définition des dictionnaires est incapable de les différencier. En 1690 Furetière donne pour Cuir : “Peau des animaux qu’on corroyé…” et pour Peau: “Cuir qui couvre l’animal…”. Les définitions données par le Petit Larousse de 1986 ne sont guère plus éclairantes. Ainsi il donne pour Cuir : “Peau détachée de certains animaux”, Peau : “Cuir détaché du corps de l’animal”. La confusion est totale. Cuirs et peaux sont deux produits marchands, stables, et mécaniquement résistants, prêts à l’emploi. Ils ne peuvent être confondus avec les matières brutes putrescibles des dépouilles. Pendant des siècles, cuir et peau se sont différenciés par l’épaisseur de leur derme et par les méthodes de tannages employées pour les fabriquer. Avant l’avènement du tannage minéral au chrome, les cuirs étaient tributaires des moulins à tan. Les peaux quant à elles nécessitaient des moulins foulons spéciaux appelés moulins à chamoiser.
Les moulins à tan
Selon les régions, les moulins à grain représentent près de 80% de l’ensemble des moulins. Parmi les moulins spécialisés qui arrivent juste derrière, se trouvent les moulins foulons pour le travail du textile de laine et le moulin à tan. Durant le Moyen-Âge, André Guillerme (1997, 104) constate que leur importance s’établit à peine à 5% du total. Les informations disponibles pour le XIXème siècle donnent 2% à 3% pour les seuls moulins à tan.
Indissociables des tanneries, les moulins à tan étaient dispersés sur l’ensemble du territoire européen, au plus près des zones d’élevage, et de forêts pourvoyeuses d’écorces. Les dépouilles d’animaux ne pouvaient se conserver indéfiniment sans traitement. Pour être transformées en cuir, elles doivent subir une phase de nettoyage, le travail de rivière. Le côté chair doit être débarrassé des tissus conjonctifs et de la graisse. L’épiderme, formé de cellules mortes, doit être éliminé côté fleur. Il ne reste que le derme, intégralement composé de collagène et de ce fait très fragile. Il est alors urgent de le stabiliser en le tannant. Pour cette phase de travail, il faut utiliser du tanin, matière chimique naturelle contenue dans l’écorce des arbres. Feuillus et résineux furent utilisés. En France l’écorce du chêne rouvre fut majoritairement employée.
Indre – Moulins-sur-Céphons – moulin à tan de la Fosse – le mécanisme à pilons – photo JPH Azéma
L’écorçage des arbres s’opérait entre le 15 avril et le 15 juin. Conditionnées en bottes de 20 à 30 kilos, les écorces étaient transportées des forêts vers les hangars à écorces des moulins à tan. Dans les moulins à tan du Nord de la France, les mécanismes se composaient de pilons en bois armés de couteaux en fer en leur partie inférieure. Ceux du moulin à tan de Lézarazien, commune de Guiclan (Finistère) sont parmi les plus remarquables. Les pilons sont groupés par ensembles de 4, 8, 12, et actionnés par une roue hydraulique verticale, à augets ou à aubes, entraînant un arbre à cames qui soulève les pilons. En France méridionale, le mécanisme de broyage est composé par des meules tournant de chant, mues par des roues hydrauliques horizontales. Depuis au moins le XVIIIème siècle, une autre machine fut utilisée : le moulin à noix. Celui-ci n’est rien d’autre qu’un très gros moulin à café.
Entièrement construit en fonte, il n’était pas sans poser des problèmes de souillure par transfert d’oxyde de fer sur le tan et ensuite sur le collagène des dépouilles. L’écorce, une fois broyée est alors appelée tan (dans le Nord) et rusque ou ruche (dans le sud). Les conditions de travail des ouvriers (les piletans) étaient d’une grande dureté. La balivole (ou fleur de tan) saturant l’air agressait toutes les muqueuses du corps.
Une fois obtenu, le tan est recueilli dans des grandes corbeilles en osier, les manes, et porté dans les fosses, où il est déposé en couche régulière entre deux niveaux de dépouilles d’animaux à dermes épais. Cet empilement est terminé par un chapeau de vieux tan et de grosses planches, couvert par de grosses pierres. L’eau qui est ensuite introduite dans la fosse va permettre au tanin contenu dans le tan de se libérer et d’atteindre le collagène des dépouilles pour les transformer en cuir. Une fois épuisé, le tan se nomme tannée, et sert à la confection de mottes employées pour le chauffage des ouvriers tanneurs.
Jean-Pierre H.AZEMA – Article paru dans le Monde des Moulins – N°8 – avril 2004
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