L’Île d’Antigua, aujourd’hui connue pour ses plages immaculées destinées au tourisme, a eu une riche histoire sous la domination coloniale britannique, et était un important producteur de sucre de canne.
L’ile elle-même est petite :
280 km2, avec un paysage vallonné et une côte découpée. Elle comptait autrefois plus de 200 plantations de canne à sucre. Aujourd’hui, plus de 100 moulins à vents sucriers parsèment encore le paysage, dans différents états de délabrement, témoignant d’une époque d’opulence à côté d’épreuves et de souffrances humaines. Le verset suivant d’un poème me fait penser à cela chaque fois que je regarde à travers le paysage et que je vois ces anciens édifices :
Le moulin à sucre de Pat Von Levern. (1er verset)
Quand je vois un moulin à sucre au sommet d’une butte herbeuse
Et que je regarde ses murs battus par les intempéries,
Il faut dire à ces gens
Qu’un peuple a été amené ici
Arraché à sa terre natale
Dans des chaînes et des cordes.
Ils sont venus en bateau
À travers les mers traîtresses.
Ils rêvaient de jungles si différentes
De ces terres insulaires endormies
Et pensaient aux mères aimantes
Pendant qu’ils peinaient près des sables blancs.
Il n’y a pas deux moulins identiques, ce qui rend chacun d’eux unique. Ils sont construits avec la pierre naturelle environnante allant du calcaire à la roche volcanique jusqu’à la pierre verte indigène.
La forme conique globale de la tour reste la même, mais les pierres sont variées, chaque bloc étant calibré, dimensionné et ajusté à la main. Ces moulins sont toujours construits sur des hauteurs bien choisies afin de capter les alizés pour faire tourner leurs puissantes ailes.
Les murs mesurent jusqu’à un mètre d’épaisseur et comportent deux parties en pierres taillées, l’une à l’intérieur et l’autre à l’extérieur, avec un remplissage de gravats entre les deux.
Le mortier utilisé était un mélange de chaux (élaborée à partir de coquilles de conques brûlées et broyées), de fine poussière de marbre, de sable de rivière entrecoupé de bouse de vache, de sang de bœuf, de fibre d’agave ou de crin de cheval. Une fois coulé, ce mortier remplissait les fissures et les crevasses et prenait trois mois pour durcir, formant un lien plus fort que n’importe quel béton d’aujourd’hui.
Tous les moulins avaient plusieurs ouvertures :
- l’arche principale et l’entrée pour la canne fraîchement coupée,
- la sortie pour la bagasse, réutilisée comme combustible,
- l’ouverture de la boîte à jus pour transporter le jus vers la maison d’ébullition
- la fente d’échange permettant de changer l’arbre d’entraînement vertical,
- le hublot pour la cloche.
Ils étaient également équipés à l’intérieur d’une cheminée utilisée pour le travail de nuit.
Un tremblement de terre, en 1834, a détruit de nombreuses structures de moulins qui n’ont pas été remplacées en raison de l’arrivée de la révolution industrielle lorsque la vapeur est entrée en jeu.
Ceux qui ont été réparés portent souvent la date « 1834 » sur la pierre au-dessus du linteau, tandis que d’autres semblent avoir été rehaussés par l’ajout de 5 à 8 rangs de pierre.
D’autres peuvent avoir les initiales des propriétaires, des armoiries ou, pour mon préféré, un petit cœur en brique rouge (The Hope plantation).
Chacun de ces moulins est unique et a une histoire différente à raconter. C’est la raison pour laquelle le plus grand nombre possible de moulins doit être préservé.
Lorsque l’usine sucrière centrale a fermé ses portes en 1972, la canne à sucre n’a plus été plantée dans les champs méthodiquement aménagés. La terre est alors revenue à la brousse qui a enveloppé et caché de nombreuses structures de moulins. Les racines envahissantes se sont insinuées lentement dans les fissures et les crevasses, affaiblissant et émiettant ces structures séculaires. La pierre taillée est devenue alors facile à enlever et a souvent été prise pour être réutilisée pour un nouveau bâtiment ou un mur.
Certains de ces moulins, situés sur des terres privées, ont été rénovés, quelques-uns ont été réaménagés, mais beaucoup ont encore besoin d’être restaurés. En raison du manque de précipitations à Antigua et de la pénurie d’eau, de nombreux moulins ont été aussi parfois transformés en citernes.
Ainsi, se pose la question : que peut-on faire pour sauver le plus possible de moulins ?
Quelle est la meilleure façon de le faire en gardant à l’esprit que les moyens financiers sont toujours un gros problème et que, de plus, l’île est sur la trajectoire des ouragans ?
Un moulin à Betty’s Hope a été rénové pour fonctionner et écraser la canne avec les machines d’origine, mais il est difficile et coûteux à entretenir. De nouvelles ailes sont maintenant nécessaires et avec le bois de qualité inférieure actuellement produit, la restauration ne dure pas. Par ailleurs, la canne à sucre n’est plus cultivée en assez grande quantité pour être traitée.
Personnellement, j’aimerais voir le plus possible de moulins réparés, coiffés d’un toit et avec des ouvertures fermées par des grilles de ferronnerie. Il faudrait clôturer la zone environnante pour la protéger des chèvres qui parcourent l’île, ajouter un banc ou deux et présenter à l’intérieur un bref historique du moulin. Les moulins proches de l’accès public pourraient être transformés en mini parcs, entretenus par le village voisin ou l’entité intéressée. Cela renforcerait également l’industrie touristique de l’île.
Les moulins de Crosbies et Patterson ont été transformés en appartements, alors que plusieurs moulins situés sur une propriété hôtelière ont été transformés en bars, comme le moulin Date Hill.
Le Moulin de Weatherill, récemment rénové, a été pourvu d’ailes modernes en aluminium fixées à l’extérieur de la tour et qui tournent naturellement au vent.
Un escalier à l’intérieur permet d’accéder au sommet de la tour et à un petit balcon encastré à mi-hauteur, offrant ainsi une vue spectaculaire sur la campagne environnante. Avec cet aménagement, le moulin est utilisé comme point d’observation pour l’hôtel de charme dont il fait partie.
Le moulin nous donne une idée de ce à quoi l’île pouvait ressembler entre 1750 et 1850 et est extrêmement agréable à regarder.
Au vu de ces réhabilitations, on peut se demander si les moulins peuvent ainsi être réaffectés de quelque manière que ce soit sans nuire à l’intégrité de l’aspect historique.
Devraient-ils être reconstruits selon leurs spécifications d’origine avec les ailes et le mécanisme, sachant qu’Antigua est sujette aux ouragans ?
Est-il acceptable de tricher un peu en utilisant des équipements et des matériaux modernes dans l’intérêt de la longévité et de la facilité de reconstruction ?
Est-ce mieux que de ne rien faire ?
J’espère que cet article suscitera non seulement de l’intérêt pour la manière de préserver historiquement les moulins à vent sucriers, mais également des suggestions quant à la meilleure façon de le faire, et peut-être aussi des idées pour trouver des sources de financement.
Agnes C. Meeker MBE
Traduction Michel Lajoie-Mazenc
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