Le site des Moulins de France
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À quelques kilomètres de Briançon (Hautes-Alpes), à Villard-Saint-Pancrace, sur les hauteurs du quartier de Sachas, derrière de grosses demeures, en lisière de la forêt et au bord du canal du Ton, se cache le Moulin de Sachas, dormant et se dégradant au fil du temps.

Le bâtiment. Photo DR

Dans les années 1990, quelques bonnes volontés ont bien essayé de le réveiller, mais la tâche était d’une trop grande ampleur et, du coup, il a pu encore sommeiller jusqu’à aujourd’hui. Ce moulin à eau , datant du XVIIIe siècle, est aujourd’hui dans un état de dégradation avancé. Il est certain que si rien n’est fait dans les années qui viennent, il disparaîtra, et seuls les souvenirs et les derniers écrits de nos ancêtres subsisteront.
1742 : date présumée de la construction du bâti, déduction faite par la présence d’une poutre en bois gravée à l’intérieur du moulin. Apparemment, ce bâtiment abritait à l’origine un pressoir jusqu’au milieu du XIXe siècle. Ce dernier devait servir à fabriquer de l’huile de marmotte. Cette huile n’a rien à voir avec les animaux des Alpes, mais il s’agit d’une huile fine, devenue très rare aujourd’hui, issue du fruit du marmottier (prunus brigantina) appelé également abricotier ou prunier de Briançon. Cette huile était obtenue par pression de l’amande des noyaux du prunier de Briançon. À partir du milieu du XIXe siècle, le bâtiment est recensé comme moulin sur le cadastre.

Le premier moulin

Il est situé au centre du bâtiment, installé sur un bâti en bois, lui-même posé sur un socle empierré.
Il possède une meule tournante de 140 cm de diamètre sur 30 cm d’épaisseur. Les archures octogonales, en bois de 1,60 m de diamètre, sont assemblées par des clous forgés.

Le moulin vieux. Photo DR

La mouture sortait par une « exhaure »(anche des archures) directement dans un coffre. Le tamisage devait se faire à part, certainement manuellement.
La descente du grain vers les meules se faisait à l’aide d’un tamis qu’il fallait remplir à force de bras, et la proximité des hommes avec la meule pouvait être dangereuse.
La mémoire veut que, dans les années 1850, une épouse serait allée porter le repas de midi à son mari qui était de corvée au moulin. Pendant que ce dernier prenait son repas, l’épouse aurait pris sa place pour alimenter le moulin en grains. Son foulard qui flottait aurait été pris par la roue. La malheureuse femme aurait été écrasée et serait décédée malgré l’intervention de son mari.
Suite à ce tragique accident, mais aussi pour des raisons liées au progrès technique, la décision a été prise de construire un autre moulin : le moulin neuf

Le moulin neuf

Situé à côté du premier moulin, il a été installé sur un bâti en bois, lui-même posé
sur un socle empierré. Ses archures octogonales en bois entourent une meule tournante de 120 cm de diamètre et d’une épaisseur de 30 cm. L’anille est de type industriel. Contrairement au premier moulin, l’alimentation en grain se faisait par un tamis que l’on remplissait par l’étage supérieur, ce qui était plus aisé mais aussi moins dangereux.

Le moulin neuf. Photo DR

La sortie de la mouture se faisait directement au pied d’un plan incliné permettant automatiquement sa montée vers le blutoir, comme un type d’escalier roulant composé d’une courroie munie de godets en zinc. Cela permettait de faire monter la farine dans le blutoir qui est toujours en place. Ce blutoir à cylindre rotatif horizontal, aujourd’hui en mauvais état, permettait de tamiser la farine automatiquement. Le cylindre était entouré de soies de différents « grains » (mailles de grandeurs différentes) permettant de récupérer dans la première partie (« grain fin ») de la farine de première qualité, puis dans sa deuxième partie (« grain » plus grossier) une farine de seconde qualité, pour enfin libérer le son en bout de cylindre par une gouttière en tôle.
Le moulin a cessé son activité en 1942, lors de l’arrivée, dans le Briançonnais, de l’occupation allemande, et la mise en place du rationnement.
L’exploitation du moulin ne se faisait que pour des besoins familiaux et, malgré cette utilisation familiale, une organisation avait été mise en place avec une personne chargée de sa bonne utilisation. Chaque famille qui possédait une part du moulin (5 ou 6 m² en moyenne) venait à son tour pour moudre son grain en fin d’été. Les familles se succédaient afin de ne pas arrêter le mécanisme qui était lancé pour plusieurs jours chaque année.
Il y avait également un « responsable »
de cette organisation, dont le dernier connu était M. Honoré Leauthaud, qui devait tenir un carnet où était inscrit le nom des familles, le jour où les soies étaient prises propres et rendues ; il notait également les incidents éventuels qui pouvaient survenir et devait veiller à l’entretien du moulin durant sa non-utilisation.
Les deux siècles de fonctionnement du moulin correspondaient à une période de vie agricole de montagne dont la spécificité était l’exploitation de mines de charbon sur la commune durant les longs mois d’hiver. On appelait ces habitants des mineurs-paysans : à la mine l’hiver pour leurs propres besoins et aux champs durant l’été.

Les deux moulins utilisaient la force hydraulique

Ces deux ouvrages étaient mus par la force de l’eau du canal du Ton. L’eau était conduite pour actionner des roues à aubes. Le Moulin de Sachas a connu deux types de roues : la roue à aubes en bois et ensuite la roue métallique.
La rive gauche du torrent des Ayes accueillait plusieurs installations le long du canal. Ce quartier est dénommé, dans les relevés cadastraux de 1842, le Chapelier. Ce nom faisait référence à un artisan qui fabriquait des chapeaux en feutre, et peut-être, aussi , à la présence de foulons à laine, car il il existait aussi un martinet hydraulique.
Les recherches entreprises permettront d’apporter une meilleure connaissance des utilisations de l’énergie hydraulique dans ce quartier de Sachas.
Des habitants du village se souviennent encore de cette activité qui a dû cesser avant la Deuxième Guerre mondiale.
Dans les années 1990, un habitant de Villard-St-Pancrace et l’un des derniers utilisateurs vivants du moulin, Raymond Jevodan, a essayé, sans succès, d’attirer les regards et de sensibiliser les autorités vers ce patrimoine oublié. « Solitaire et abandonné, même vandalisé, le moulin se dégrade, entouré de l’indifférence généralisée » : tels étaient son sentiment et son message.
En 2016, après l’encouragement de la Mairie et un sondage d’opinion publique fait par Internet, une association de riverains et de passionnés d’histoire a été créée pour faire ressurgir du passé ce patrimoine en péril, afin d’établir un partenariat avec la municipalité pour éviter l’effondrement du moulin (Association Raymond Jevodan, le Moulin de Sachas :
Association RJMS).
Des travaux d’urgence ont été entrepris. Des recherches de financement ont aujourd’hui abouti, avec des financements de la Région SUD-PACA et de l’État, à hauteur de 70 % du coût estimé de la restauration de l’édifice. Ces travaux vont débuter dans le second semestre de 2019 avec, comme maître d’ouvrage, la commune de Villard-Saint-Pancrace. Pour sa part, l’association recherche des financements afin de restaurer le mécanisme du moulin, avec pour objectif de remettre en fonctionnement le deuxième moulin. Un appel à souscription par le biais de la Fondation du Patrimoine est en cours d’instruction.
Le Moulin de Sachas apparaît donc comme le point de départ de découverte des activités artisanales de Villard-Saint- Pancrace, pilier, avec l’agriculture en conditions alpines, d’une culture locale encore présente. L’Association RJMS a eu plusieurs occasions de constater que, comme indiqué par Patrick Boucheron, historien, professeur au Collège de France, « ouvrir un site de mémoire est en partie aller vers sa matérialité, la voir se coltiner avec sa présence cachée et poussiéreuse, se mettre en disposition de commencer une enquête à partir de la reconnaissance que dans ce lieu quelque chose a eu lieu, et que ce qui a eu lieu a quelque chose à voir avec nous autres, avec notre présent et notre avenir. »
La volonté de l’association est d’une part de rendre aux moulins leur prestige, et d’autre part de pouvoir créer un projet partagé avec les habitants de ce village, dont beaucoup pensent qu’il ne reste d’autre destin que celui de se transformer définitivement en village-dortoir. Il est besoin de dynamiser la vie locale par un projet culturel partagé entre cette association, la Commune et son Maire, d’autres associations du village et les habitants. Le moulin pourra être le point de départ de cette ambition. Un projet de création d’un refuge pour les oiseaux autour du moulin de Sachas est en cours de concrétisation : c’est un début !
Allier culture, patrimoine et environnement sont des défis majeurs pour nos petits hameaux de montagne.

Association Raymond Jevodan, le Moulin de Sachas
15 route des Ayes – 05100 Villard-St-Pancrace
moulinsachas.com
mail : moulinsachas@gmail.com

Paru dans le Monde des Moulins N° 71 de janvier 2020

Catégories : Zoom

1 commentaire

ordier · 1 février 2020 à 11 h 29 min

Un patrimoine unique qui raconte de belles pages d’histoire et de savoir-faire qu’il nous faut absolument restaurer pour les transmettre aux générations futures. Et bravo à tous les membres de cette association.

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