Le site des Moulins de France
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Juin 1997, je reçois un appel téléphonique d’un particulier , il souhaite vendre “un moulin à chanvre”, qui se trouve encore au rez-de-chaussée d’une maison qu’il vient d’acquérir à Cuers dans le Var. Cette démarche lui a été suggérée par le Musée de Toulon à qui il a formulé cette proposition. Signalons qu’il avait auparavant, sollicité la commune du lieu, qui avait décliné cette offre. N’ayant pas connaissance, de la présence de moulin à chanvre ou de vestiges de cette activité dans le département du Var, il était urgent d’aller sur place pour découvrir cette pièce rarissime.

La visite sur le site, révèle un moulin installé au fond d’une vaste remise, cette situation n’offrant aucune gêne dans l’utilisation de l’espace lui a permis de franchir de nombreuses décades pour parvenir jusqu’à nos jours, il n’en a pas été de même pour le système d’entraînement du moulin, qui occupait une petite cour et avait disparu. Cet espace était à l’origine une immense écurie pouvant recevoir très facilement une quinzaine de chevaux sur un coté, l’autre coté étant réservé aux voitures hippomobiles. Cette hypothèse est confortée par la présence sur un coté des carreaux vernissés rouge délimitant l’emplacement d’une longue mangeoire et par la nature du sol sur chaque moitié de la remise. Enfin la partie au dessus est un vaste grenier pour engranger le foin, avec des goulottes pour alimenter la mangeoire, l’installation du moulin s’étant faite au détriment de l’ancienne utilisation de cet espace.

Un rapide examen me confirme que nous sommes en présence d’une pièce exceptionnelle, de part son état de conservation et des particularités qu’elle offrait : moulin à sang, meule tournante fortement crantée, trémie métallique percée de nombreux trous de deux centimètres de diamètre. Ce type de moulin m’était totalement inconnu. A priori, ce n’était pas un moulin à chanvre, mais il fallait s’en assurer auprès de spécialistes.

C’est ce que j’ai fait en consultant des personnes qualifiées, des fabricants de chanvre. Les réponses toutes négatives confirmées ma première impression.

Moulin à tan au musée

L’observation de la structure de la meule et de la trémie située sur le pourtour de la meule dormante faisait penser à du concassage d’une matière semi dure pour obtenir un granulat. Une étude devait écarter certaines matières devant être réduites en poudre, comme le plâtre ou la chaux. Un premier indice me donnait une piste, dans “l’Indicateur du Var” du début du XXème siècle, celui ci signalait Cuers comme ville fournissant du “tan” pour les corroyeurs du département. Un autre indice est fourni par l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert, qui indique qu’en Provence le tan est obtenu avec des moulins ayant des meules de pierres.

Une recherche cadastrale n’a pas permis de déterminer la présence d’un moulin dans cette maison, mais les archives communales confirmaient que la ville de Cuers possédait en 1809 , une fabrique de tan employant deux ouvriers. Le tan est l’écorce réduite en poudre, qui donnera le tannin, produit contenu dans certains végétaux. Il pénètre à l’intérieur de la peau, se combine avec les corps organiques dont il arrête la décomposition, il durcit les fibres et les fixe dans leur forme naturelle en les rendant imputrescibles.
La multitude de tanneries dans le département du Var, 119 en 1789, 183 en 1838, 8 en 1936, pratiquant le tannage lent au tannin, nécessitait une production intense de tan.

Une rapide enquête aux Archives Départementales révélait, dans les dossiers concernant l’industrie, la présence au début du XIXème siècle de dix-sept moulins dont une partie se trouve dans les tanneries. A Draguignan on trouve cinq moulins à tan en 1859. Ils sont encore présents en 1885. A cette époque il en existe un au Luc, un à Méounes. Un à Belgentier, deux à Soldes pont, un à Tourves.

Si j’étais en présence d’un moulin à tan, encore fallait-il trouver quel type de matière il devait écraser.
Une première réponse est donnée dans une lettre de doléances de M Clapier en 1863. représentant des tanneurs des Bouches-du -Rhône : “Le Var est favorisé, outre le bon marché de la main-d’oeuvre, par le fait qu’il possédait en abondance les écorces  de chêne vert recherchées pour la qualité supérieure du tan qu’elles fournissaient, et que les tanneurs de Marseille étaient obligés de faire venir de loin”.
Idem pour le département des Alpes- Maritimes, dans un rapport, en 1884, le sous-préfet de Grasse soulève les problèmes que les tanneurs rencontrent du fait qu’ils sont obligés d’utiliser comme tan des feuilles de myrtes réduites en poudre, écrasées dans des moulins à huile en dehors des récoltes. Il ajoute “La rareté du chêne vert, dont l’écorce est employée à cette fabrication (pour les cuirs rouges ), ne permet pas de lui donner une grande étendue”.

“L’Indicateur du Var” de 1892, signale dans les productions agricoles et animales, vingt et un villages ayant des ressources produites par le tan, écorces de chêne vert pour les corroyeurs.

Enfin dernier témoignage, celui d’un ancien bûcheron travaillant avec sa femme dans les années 1944/1945 pour le compte d’un exploitant forestier dans le secteur de Mons (Haut Var) : “Lors des coupes de chênes verts aux mois d’avril/mai au moment de la floraison, quand la sève monte ( durée un mois à un mois et demi), l’écorce était immédiatement enlevée. On plume le morceau de bois en tapant quelques petits coups avec la tête d’une petite hache le long du morceau et l’écorce était décollée facilement avec le biseau du manche. Celle-ci était mise en tas dans l’attente de son transport vers Belgentier (dernière tannerie à utiliser ce produit).
Les balles d’écorces entières et les sacs remplis de débris étaient chargés directement sur le camion.”
Le musée à acquis, avec l’aide du FRAM, ce moulin pour le réinstaller, faute d’espace à l’intérieur, sous abri dans le jardin.

Moulin à tan in situ – photo DR

Description
Moulin à tan de la fin du XVIIIème siècle ou début XIXème siècle, très rare dans notre région où la quasi totalité des moulins utilisaient la force hydraulique. Ce moulin est exceptionnel de par ses particularités : le système d’engrenage en bois est de petite dimension, les dents du grand rouage (diamètre 120 cm) sont de forme pyramidale tronquée alors que la majorité des engrenages de nos moulins possèdent des dents de
forme cylindrique. La meule tournante est crantée, les dents de forme triangulaire de 3 cm de hauteur sur 8 cm à la base sont très acérées, ce qui de l’avis des spécialistes, en fait un spécimen unique. Le pourtour de la
meule dormante où s’écrase le tan est formé d’une plaque circulaire en tôle épaisse, criblée de trous de 2 cm de diamètre.
Les écorces prélevées sur le tronc des chênes verts, après séchage, sont mises sous le chemin de la meule crantée qui agit comme un broyeur, les fragments sont chassés vers la périphérie sur plaque perforée, trous d’un diamètre de 2 cm, retenant les plus gros morceaux qui seront ramenés sous la meule afin d’être totalement écrasés.
On comptait 20 moulins à tan dans le Var au début du XIXème siècle. Ils fournissaient le tan pour l’industrie du cuir, très importante dans ce département (119 tanneries en 1789, 113 en 1838 – statistiques du Var 1840).
Quelques moulins à tan sont recensés comme activités industrielles dans les rapports des maires au préfet au cours du siècle dernier. On trouve ainsi : 5 moulins à Draguignan 1859/1888, 1 moulin à Saint- Zacharie (1864), 1 moulin à Tourves (1885), 1 moulin au Luc (1885), 1 moulin à Méounes (1885), 1 moulin à Belgentier (1885), 1 moulin à Solliès-Pont (1886). D’autres moulins sont signalés installés au sein des tanneries.
Le tan, c’est “l’écorce de chêne vert pour corroyeur”, mentionne l’indicateur du Var (1892) dans la rubrique “productions agricoles” du département, signalant les villes qui le fournissent à savoir: Ampus, Baudinard, Cotignac, Cuers, Fox-Amphous, le Thoronet, Méounes, Moissac, Montmeyan, Montauroux, Régusse, Rians, Saint-Martin, Seillans, Sillans, Saint-Julien, Tourtour, Tavernes, Varages, Vinon, Vins… En fait, si de
nombreux végétaux produisent du tan, il semble que ce soit l’écorce de chêne vert qui donne le meilleur produit pour obtenir un cuir d’excellente qualité.

Yves Fattori, Conservateur du Musée des Traditions Provençales à Dragignan

Article paru dans le Monde des Moulins – N°22 – octobre 2007

Catégories : Histoire

2 commentaires

BELLEMARE Paul · 19 mai 2020 à 17 h 38 min

Tels genres de moulin avaient-ils l’apparence extérieure des moulins conventionnels éoliens, hydrauliques, etc…? Je présume que seul le matériau utilisé et le produit final différaient, mais je dois être sûr. Je m’intéresse particulièrement au XVllle siècle, plus précisément à l’époque précédant 1760.
Merci
Paul Bellemare, Canada

    Webmaster FDMF · 29 mai 2020 à 18 h 52 min

    Bonjour et Merci pour votre retour.
    Voici la réponse de Colette VERON :
    « Bonjour,il y avait plusieurs types de moulins à tan hydrauliques, pour les moulins à vent je ne sais pas. L’écorce de chêne était écrasée soit entre des meules soit par un moulin battoir. Le mieux est de vous adresser à Monsieur Jean-Pierre Azema qui a écrit un ouvrage sur le sujet : jph.azema@wanadoo.fr« 

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