Une tour et un moulin
Située au sud-ouest de la Saône-et-Loire, la Tour du Moulin de Marcigny est vraisemblablement construite entre 1409 et 1419 sur ordre de Jean sans Peur, alors Duc de Bourgogne et en guerre contre les Armagnacs, partisans de Charles VII. Dans ce contexte de guerre civile, chaque clan tente de fortifier ses possessions. Jean sans Peur fait donc construire et remettre en état de nombreuses fortifications des villes du duché de Bourgogne dont Marcigny fait partie. Située à la frontière avec le Bourbonnais, cette ville occupe une place stratégique et de nombreuses fortifications sont donc élevées afin de défendre le Brionnais contre une éventuelle percée des Armagnacs. Une ordonnance du mois d’août 1408 précise les détails de ce plan de fortification mis en place par le Duc de Bourgogne et précise notamment l’obligation pour toute forteresse de posséder un moulin intra- muros afin de pouvoir éventuellement soutenir un siège et empêcher les assaillants d’en profiter.
Très rapidement et ce, afin de répondre aux exigences de l’ordonnance, la tour est transformée en moulin hydraulique et son fonctionnement est confié aux moines du prieuré. Le moulin utilise un bief et une retenue d’eau provenant du Merdasson, une petite rivière approvisionnant également les douves de la ville. La meule et la roue à aubes étaient situées au rez-de-chaussée afin de bénéficier de l’énergie produite par cette arrivée d’eau.
Les mystères
Bâtiment militaire et moulin, situé dans une enceinte religieuse, la situation historique et architecturale de la Tour est déjà ambiguë. Cependant, le plus grand mystère de ce bâtiment et qui reste encore aujourd’hui une énigme, est cet extraordinaire décor « en bossage » présent sur toute la circonférence de la Tour. Ces bossages appelés aussi pustules, gibbosités, mamelons ont depuis toujours généré une forte attraction et un grand questionnement autour de ce bâtiment.
Les interprétations ne manquent pas pour expliquer la présence de ces bossages mais d’une interprétation farfelue à une autre plus sérieuse, les gibbosités de la Tour du Moulin n’ont pas encore livré leur secret et le manque de sources écrites sur ce bâtiment empêcheront peut être pour toujours de découvrir la réelle fonction de ce décor.
Cette impasse historique et architecturale n’empêche pas cependant les différents chercheurs, amateurs ou professionnels de s’intéresser au bâtiment et de développer de nombreuses hypothèses. Après une étude approfondie de ces dernières, il convient cependant d’en retenir seulement trois qui paraissent plus probables et qui ne répondent pas seulement à l’imagination débordante d’une ou l’autre personne.
Des mamelles nourricières
La première hypothèse répond à l’impression de la majorité des visiteurs se retrouvant devant la Tour. En effet, le plus grand nombre qualifieront ces éléments de « boules » et de « mamelons ». Cette première impression n’est pas dénuée de sens et de logique. Le moulin est en effet au Moyen-Âge d’une importance capitale puisqu’il fournit la ville en farine. Cette fonction nourricière importante pourrait donc être symbolisée à travers ce décor en représentant les mamelles du moulin nourrissant la ville. Bien que farfelue, cette hypothèse repose également sur un culte très ancien des mamelles nourricières et de la fertilité. Dès le paléolithique, on retrouve des statues féminines à la poitrine généreuse. Le monde antique apporte également beaucoup d’importance à ce culte et la statue d’Artémis du temple d’Ephèse en Turquie illustre parfaitement cette croyance avec un buste recouvert de nombreuses mamelles, symboles de fertilité et de nourriture. Les romains ne sont pas en reste avec le culte voué à la louve du capitole nourrissant Rémus et Romulus.
Enfin, la période médiévale donne également une place importante à la fonction nourricière et maternelle de la poitrine féminine dans la continuation de la tradition antique. Majoritairement associée à la vierge donnant le sein à son enfant, ce symbole peut logiquement avoir été utilisé sur ce bâtiment afin de symboliser le rôle nourricier du moulin, qui de plus est, implanté dans une enceinte religieuse et donc reflet du rôle de la vierge Marie.
Une fonction défensive
Une étude architecturale classique tend à privilégier cette hypothèse car un nombre important d’autres cas de bossages défensifs existent en France et ailleurs. La façade en bossage est un élément défensif réel, elle permet vraisemblablement d’atténuer la force des projectiles des armes à feu frappant le mur en créant un impact plus diffus et un phénomène de ricochet. De plus, lors d’une situation de siège et de l’installation d’échelles sur les murailles, ces reliefs rendaient diffi cile l’assise de ces dernières.
Cependant, cette fonction défensive ne reste valable que si les bossages sont répartis de manière homogène sur toute la façade comme par exemple au château de Montreuil-Bellay dans le Maine-et-Loire. Les bossages de la Tour du Moulin ne répondent donc pas du tout à une fonction défensive technique du fait de l’hétérogénéité du placement des bossages ainsi que de leur position seulement en partie haute de la façade. Cependant, on peut facilement imaginer une fonction défensive symbolique. La généralisation des armes à feu au XVème siècle a dû marquer profondément la population de cette époque et les maîtres d’oeuvres ont peut-être voulu représenter la force du bâtiment à travers ces bossages qui symboliseraient les boulets s’écrasant sur la façade sans la détruire.
Ce type de bossage est également présent sur la porte neuve de la ville de Vézelay, à une nuance prêt car les bossages de Vézelay sont présents sur toute la hauteur de la façade mais également répartis d’une façon hétérogène. Ce décor similaire sur un bâtiment purement défensif tendrait à confirmer cette fonction symbolique des « gibbosités » de la Tour du Moulin. Cependant, aucune source historique ne vient confirmer cette hypothèse et sa véracité ne repose que sur l’interprétation et la comparaison architecturale.
Une carte des étoiles
Une dernière interprétation et hypothèse est venue récemment bouleverser les deux interprétations précédentes en faisant de ce décor une possible carte symbolique des étoiles. Partie d’une pure observation de la façade et de l’éventuel repérage de combinaisons de gibbosités pouvant symboliser certaines constellations, notamment la Grande et la Petite Ourse, cette hypothèse s’est ensuite concentrée sur l’étude des plans de la Tour débouchant sur une symbolique complète du bâtiment dont le décor en façade ne serait que le reflet de la fonction de la Tour, c’est à dire un observatoire du ciel et des étoiles.
Les plans de la Tour répondraient selon les premières observations au célèbre chiffre d’or qui régit de nombreux bâtiments prestigieux dans le monde comme les pyramides de Guizeh ou le Parthénon à Athènes. Utilisé
depuis l’Antiquité, ce chiffre avoisinant les 1618 permettrait d’obtenir des proportionsparfaites ainsi qu’une harmonie architecturale. Les bâtisseurs de cathédrales utilisaient fréquemment ce chiffre et ce ne serait pas surprenant de trouver ici à Marcigny, dans une enceinte religieuse clunisienne, un bâtiment construit selon ces règles.
Une étude plus poussée des plans a également mis en évidence la possible correspondance de certaines ouvertures avec les deux solstices et deux équinoxes et par conséquent une orientation spéciale de la Tour par rapport aux mouvement des astres et de la planète.
L’étude du nombre d’or et des correspondances entre astronomie et architecture a souvent donné lieu à des interprétations diverses et variées. Le rôle du chiffre d’or est ambiguë et il est important de rester vigilant quant à son rôle réel dans la construction d’un bâti ment. Cette hypothèse de la carte des étoiles et de l’observatoire astronomique est malgré tout relativement intéressante et met en avant l’impossibilité que le décor de la Tour ne réponde qu’à une logique décorative. La répartition hétérogène des bossages, leur présence exclusivement en partie haute, la double fonction nourricière et défensive du bâtiment, tout concorde pour vraisemblablement donner un rôle symbolique à ces gibbosités. La carte des étoiles est une hypothèse pertinente mais qui demande aujourd’hui à être étayée à l’aide de preuves historiques et architecturales.
A la recherche de la vérité
La Tour du Moulin de Marcigny est un bâtiment exceptionnel entouré de mystère. Entre ésotérisme, fabulisme et raisonnement scientifique, elle n’a toujours pas livré le secret de son fabuleux décor qui a fait sa renommée. Mamelles nourricières, figuration de boulets, représentation des étoiles, rien aujourd’hui ne permet de privilégier l’une ou l’autre hypothèse même si l’hypothèse de la représentation des boulets semble tenir la corde grâce à son lien avec la porte neuve de l’Abbaye de Vézelay. Le mystère reste donc entier et offre la possibilité à tous de choisir son camp en attendant de nouvelles découvertes futures.
Adrien Allier – Article paru dans le Monde des Moulins – N°35 – janvier 2011
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