Le site des Moulins de France
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La forge de Bellefontaine, plan dressé par l’ingénieur Hogard, en 1827, © Département des Vosges, Archives départementales 413 S1.

Le réseau hydrographique dense de la montagne vosgienne1 a permis une implantation quasi systématique, au centre de chaque village, d’un moulin à grains. Il est souvent équipé d’une huilerie, d’un pilon à chanvre ou à écorce. La force hydraulique est aussi utilisée par l’industrie minière, métallurgique ou papetière : bocard pour
concasser le minerai, marteaux-pilons des forges, foulons à papier, moulins à cailloux des faïenceries, mais aussi pour actionner les nombreuses scieries.
Les moulins mus par la traction animale sont anecdotiques, seuls quelques moulins à vent semblent avoir existé dans l’extrême ouest du département des Vosges.

Au nord du massif, les cours d’eau, y compris les plus petits, doivent assurer trois fonctions : l’alimentation des usines hydrauliques, l’irrigation des prés, mais aussi le flottage du bois. En effet, jusqu’au début du XXe siècle, le bois de chauffage ou de construction, assemblé de manière à former des radeaux, était acheminé vers les villes
par flottage. À espacements réguliers, des vannes relevables avec seuils et plans inclinés (pertuis) ont donc été construites afin d’augmenter le tirant d’eau en amont et de créer une lame d’eau en aval de la vanne. La réglementation des droits d’eau est souvent complexe, car elle doit combiner la prise d’eau des usines à celle du flottage du bois.

Dans la montagne, les usines hydrauliques sont mues par des roues par le dessus, alimentées par de longs biefs creusés dans le sol puis aériens, qui permettent d’exploiter au mieux les petits ruisseaux, dès qu’ils présentent une chute de 3 à 6 m. En bordure des forêts domaniales, les scieries foisonnent, on les trouve parfois en
cascade de 5 ou 6, espacées de moins d’une centaine de mètres les unes des autres. Plus à l’ouest, ou lorsque le débit des cours d’eau vient suppléer leur dénivellation, les roues par le dessous ou de poitrine prennent le relai.

Le massif vosgien apporte aussi des ressources minéralogiques variées et précieuses pour la confection des meules. Le site des carrières de rhyolite des Fossottes, à La Salle, est connu pour l’extraction de pierres meulières destinées à des moulins à bras dès la fin du premier Âge du Fer2. Quelques témoignages épars font état de la découverte de meules en granite ou en grès d’époque romaine, leur diamètre incite à les attribuer à des moulins hydrauliques.
À l’époque moderne, le grès vosgien reste largement employé pour les meules des moulins à céréales, tandis que le granite reste cantonné à des usages plus spécifiques, par exemple les meules roulantes des moulins à cailloux.

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Bocard pour concasser le minerai actionné par une roue par le dessus, dessin d’Heinrich Gross, dans « les mines d’argent de La Croix aux Mines » f° 16v, vers 1530.

Les sources écrites viennent nous apporter de précieux renseignements sur la gestion des édifices hydrauliques. Moulins et scieries sont les possessions de notables civils
ou religieux, ils apparaissent dans les inventaires des biens, les baux, les cartulaires et tous les documents domaniaux depuis le Haut-MoyenÂge jusqu’à la Révolution ; ils sont amodiés par baux triennaux à un meunier ou un sagard (scieur) rémunéré sur sa production : fraction de la mouture ou facturation à la planche sciée. La carte de Cassini (seconde moitié du XVIIIe siècle) dénombre plus de 580 sites hydrauliques ainsi que sept moulins à vent situés exclusivement à l’ouest du département. Vendus dans le cadre des biens nationaux, ils passent en mains privées et s’adaptent à la conjoncture économique en modifiant leur activité. Moulin à grains, scierie, féculerie, tissage peuvent se succéder sur un même lieu.

Dès le début du XIXe siècle, le textile se développe fortement dans les vallées vosgiennes. De grands ateliers équipés de nombreux métiers mécaniques remplacent le tissage à bras à domicile. Ils s’implantent en fond de vallée et réutilisent les sites hydrauliques. Les féculeries3 artisanales ainsi qu’une petite industrie du bois (tournerie, boissellerie…) et de la pierre (graniterie) accompagnent ce mouvement.

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Forge hydraulique, graduel à l’usage de Saint-Dié, vers 1510 © Bibliothèque Municipale de Saint-Dié-des-Vosges, Ms 74

Dès le milieu du XIXe siècle, les premières turbines de fabrication locale remplacent les roues hydrauliques. La force hydraulique, trop aléatoire, est alors accompagnée par la vapeur, puis ensuite par les moteurs thermiques et l’électricité.

Sur de nombreux petits sites, les roues ou turbines, complémentées ou non par des moteurs thermiques, continuent à entraîner directement les machines. Sur les sites importants, l’énergie hydraulique n’est plus exploitée directement, mais par des turbines afin de fabriquer une partie de l’électricité nécessaire.

L’artisanat hydraulique disparaît dans les années 1960, les petits sites sont aujourd’hui pour la plupart à l’abandon, à l’exception de quelques installations muséifiées. Seuls les plus importants sont encore exploités pour produire de l’électricité.

Encart 1 :
Extrait des procès-verbaux des biens nationaux du district de Saint-Dié, 7 décembre 1790, Archives départementales des Vosges 4Q56.
[…] nous étant ce jour sept décembre neuf heures du matin, exprès transportés au moulin de la Basse-Mandray dépendance du Chapitre de Saint-Dié nous avons reconnu d’un sentiment unanime
[…] Nous avons commencé par examiner l’état dudit moulin et avoir reconnu qu’il consistait à un tournant et un autre tournant pour un battant sur le même courant que celui du moulin derrière le batiment avec son usine propre à l’usage de faire de l’huile. …/… La grande chenaux4 se trouve totalement pourrie  ainsi que les chevalets qui supportent laditte chenaux et qui sont fait en assemblage dessous laditte chenaux pour la supporter. …/… Le bois dudit battant se trouve tout entièrement usé et défectueux. …/… Nous avons aussy remarqué que la pierre du lit du battant se trouve totalement usée et presqu’impossible de pouvoir s’en servir. …/… Nous avons de même remarqué que la pierre du moulin qui est une pierre de sable5 se trouve totalement usée et il est nécessaire d’y en remplacer une autre. …/… De plus la bertoire6 derrière le moulin se trouve tout entièrement pourrie ainsy que la toile qui couvre laditte bertoire.

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Scierie des Prêtres à Moyenmoutier alimentée par un canal aérien, photo Victor Franck dans « bûcherons et schlitteurs vosgiens », vers 1896.

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Flottage du bois de charpente par train dans la région de Saint-Dié, photo Victor Franck dans « bûcherons et schlitteurs vosgiens », vers 1896.

Encart 2 :
L’Inventaire général du Patrimoine Culturel a pour mission de recenser, étudier et faire connaître les éléments du patrimoine qui présentent un intérêt culturel, historique ou scientifique. Un patrimoine qui, selon l’expression consacrée, va de la cathédrale à la petite cuillère. Les services sont présents dans chaque région, ils dépendent des Conseils Régionaux. Les dossiers constitués pour chaque bâtiment ou objet étudié peuvent être consultés dans les centres de documentation régionaux, ainsi que sur le site internet du Ministère de la Culture et de la Communication dans les bases Mérimée et Palissy : http://www.culture.gouv.fr/ culture/inventai/patrimoine/
Parmi les nombreuses études en cours au sein du service lorrain, « l’architecture rurale de la montagne vosgienne » vise à recenser le patrimoine vernaculaire de la partie montagneuse du département des Vosges. Dans ce cadre, la petite industrie hydraulique a été recensée et les édifices les plus intéressants de ce territoire ou de sa périphérie ont été étudiés.

1. Seuls les sites hydrauliques de la Montagne vosgienne ont fait l’objet d’une étude exhaustive de la part du service de l’Inventaire général – Région Lorraine
2. MICHLER, Matthieu. « Les Vosges 88 ». Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2004. (Carte archéologique de la Gaule).
3. La féculerie de La Neuveville-devant-Lépange fera l’objet d’une présentation dans un prochain numéro de la revue « Le Monde des Moulins ».
4. Grande chenaux : canal aérien en bois amenant l’eau au-dessus de la roue
5. Pierre de sable : grès
6. Bertoire : blutoir (?)

Jean-Yves Henry, Chercheur au Service de l’Inventaire Général du Patrimoine Culturel – Région Lorraine – Paru dans Le Monde des Moulins n°47 – Janvier 2014

 

Catégories : Histoire

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