Expédition Lapérouse. 1786
Les moulins à farine sont une innovation de l’ expédition Lapérouse, connus au point de devenir un symbole de la silhouette d’au moins un navire. On sait par ailleurs que le capitaine de vaisseau. de Langle était très inventif, notamment dans le domaine des instruments culinaires pour la santé des équipages, qu’on devait préserver dans une si longue campagne.
Le récit de voyage de Lapérouse en parle à deux occasions : après le départ des Îles Hawaii (Maui) vers l’Alaska, Lapérouse est préoccupé pour la santé des équipages avec la fraîcheur qui apparaît, route au nord. Il encourage diverses mesures de lutte contre l’humidité, fait ajouter secrètement du quinquina au rhum du grog, et parle du grain, embarqué en France et au Chili de préférence à la farine, pour des raisons de conservation . Il dit en juin 1786:
« On nous avait donné des meules de 24 pouces de diamètre sur 4,5 pouces d’épaisseur; quatre hommes devaient les mettre en mouvement. On assurait que Mr de Suffren n’avait point eu d’autre moulin pour pourvoir au besoin de son escadre; il n’y avait plus dés lors à douter que ces meules ne fussent suffi santes pour un aussi petit équipage que le notre; mais lorsque nous voulumes en faire usage le boulanger trouva que le grain n’était que brisé et point moulu, et le travail d’une journée entière de quatre hommes que l’on relevait toutes les demi-heures, n’avait produit que 25 livres de cette mauvaise farine. Comme notre blé représentait prés de la moitié de nos moyens de subsistance, nous eussions été dans le plus grand embarras sans l’esprit d’invention de Mr de Langle qui, aidé d’un matelot ancien garçon meunier,imagina d’adapter à nos petites meules un
mouvement de moulin à vent. Il essaya d’ abord avec quelque succès des ailes que le vent faisait tourner, mais bientôt il leur substitua une manivelle; nous obtinmes par ce nouveau moyen une farine aussi parfaite que celle des moulins culinaires, et nous pouvions moudre chaque jour deux quintaux de blé ». On notera que Suffren pendant sa glorieuse campagne des Indes écrira à Port Louis pour demander, parmi d’autres problèmes logistiques importants, d’envoyer un meilleur instrument pour moudre le grain des équipages …
On voit clairement un dessin de Duché de Vancy montrant l’arrière du seul navire de Langle avec des ailes de moulin, alors qu’il était au mouillage dans la Baie des Français.
A Monterey en septembre 1786, décrivant les moeurs des indiens, Lapérouse écrit :
« Les femmes ne sont guère chargées que du ménage et des enfants, et de faire rôtir et moudre le grain. Cette dernière opération est très pénible et très longue, parce qu’ elles n’ont d’autre moyen d’y parvenir que d’écraser le grain sur une pierre avec un cylindre. Mr de Langle, témoin de cette opération, fi t présent de son moulin aux missionnaires; il était diffi cile de leur rendre un plus grand service : 4 femmes feront le travail de cent, et il restera du temps pour fi ler la laine des troupeaux …»
On peut en déduire que depuis le départ de Brest le grain était moulu en tournant autour d’un axe de centrage commun aux deux meules, la meule supérieure manoeuvrée directement par une poignée de bois dont on voit le logement sur les deux meules de dessus qui sont conservées au musée Lapérouse d’Albi. La farine et le son produits sont récoltés dans une boite de confi nement. Dans le texte de Lapérouse on remarque deux éléments assez distincts, d’une part un mécanisme de transmission et de démultiplication de l’effort (à partir d’une manivelle pour faire tourner la meule supérieure, à la place d’une simple poignée en prise directe ), et d’autre part une énergie fournie par les ailes d’un moulin à vent de 3 ou 4 m. de haut, peut être démontable pour être utilisé dans des conditions favorables (par exemple sur rade, quand il n’y a pas la voile d’artimon, ou que celle-ci est établie avec un cap stable). Ce moulin a été débarqué à Monterrey en Californie, et on s’est ainsi privé de deux meules.
Finalement la manivelle et un système de démultiplication de l’effort ( axes, poulies ou engrenages de diamètres différents, éventuellement courroies) étaient ce qu’il y avait de plus productif pour une manutention commode de la meule mobile. Le procédé, quand il a été au point, a évidemment été appliqué aux deux navires. Le moulin à vent de l’Astrolabe a été laissé à Monterey. Bien qu’il il n’était pas très agréable pour les offi ciers qu’on vienne moudre le grain au dessus de leurs locaux, à l’ extrême arrière pour ne pas gêner la voile d’artimon, de Lesseps, un des rares survivants de l’expédition precise que De Langle a demandé d’en reconstruire un autre après le départ. Sur la Boussole, navire de Laperouse, qui bénéfi ciait d’une demi dunette légère à la poupe, l’installation d’ un tel moulin, juste au dessus des locaux abritant le chef d’ expédition, aurait supposé des madriers pour le supporter (comme imaginé par le dessinateur nantais J.B. Héron dans Géo – juin 2004). Il n’a donc mis en place que la “ manivelle”-
D’après l’ouvrage d’un descendant de Fleuriot de Langle sur l’expédition quand B. de Lesseps âgé, alors Consul Général au Portugal, participe à l’ inauguration des épaves recueillies lors de l’exploration Dillon à Vanikoro, présentées au Louvre (qui abritait à cet époque un début de musée de la Marine), il aperçoit une meule. Il aurait déclaré à Dillon qui était présent “voilà ce que vous avez trouvé de mieux. Nous avions en effet des moulins établis sur les navires pour moudre nos grains”, mais il vise plus probablement le mécanisme que le moulin à vent expérimental dont il avait peut être gardé un souvenir vivace, étant luimême embarqué sur le navire de Langle. Mais Fleuriot signale aussi d’une part que l’ âge et l’émotion semblent avoir perturbé la mémoire de Lesseps lors d’autres déclarations apparemment inexactes. D’autre part de Lesseps avait annoté de sa main l’édition abrégée du voyage parue en 1831 en y précisant que de Langle avait inventé et construit ce moulin sur l’Astrolabe …- Il est donc certain qu’un moulin à vent a été expérimenté après l’escale aux Hawaii sur l’Astrolabe, et c’est celui qui a été débarqué à Monterey quelques mois plus tard., puis reconstruit après le départ, sur la seule Astrolabe.
On voit sur la représentation de la Recherche et l’Esperance de l’expédition d’Entrecasteaux de tels moulins installés à terre avant le départ par des professionnels, après que l’on ait appris à Brest le dispositif de Langle ( qui en a peut être fait un compte rendu par courrier à l’ Académie de Marine, dont il était membre); cela peut être aussi une concession aux équipages post révolutionnaires, bien décidés à minimiser les corvées. On sait en tout cas que ces moulins ont rapidement disparu du paysage de la marine à voile, car ils devaient présenter beaucoup d’ inconvénients d’ encombrement. Par contre la “manivelle” a dû être adoptée partout, et éventuellement perfectionnée. De plus la mise en oeuvre dans la Marine de l’ appertisation (conserves) vers 1810 a aussi modifi é la conservation des aliments, en permettant de les préserver longtemps intacts.
Pierre BERARD – Article paru dans le Monde des Moulins – N°25 – juillet 2008
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