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Cet article nous est offert par la dynamique association « Découverte et Mémoire Castelneuvoise » (DMC ), association loi 1901. Les buts de l’association sont de faire connaître l’histoire, les traditions et les coutumes du village de Châteauneuf-du-Rhône, de répertorier et valoriser le patrimoine architectural.
Ce village comptait 2 362 habitants au dernier recensement de 2009. Il est délimité au nord par Montélimar, au sud par Donzère, à l’ouest par le Rhône et à l’est par Allan et Malataverne.

Le vire-vire
Le vire-vire ou vire-soulet était un petit bateau de pêche utilisé sur le Rhône pendant la première moitié du XXe siècle. À cette époque, il n’y avait aucun barrage ni écluse entre Lyon et la mer. Le fleuve correspondait encore à la description qu’en avait faite Jules Michelet quelques décennies plutôt : c’était
« un taureau furieux qui descend des Alpes et court vers la mer ».
Dans notre région, il y avait le long de la rive droite, côté Ardèche, une douzaine de vire-vire en bois amarrés entre Rochemaure et Viviers. Sur la rive gauche, côté Drôme, au niveau de la commune de Châteauneuf-du-Rhône, il y avait les trois vire-vire en bois de MM. Guigon, Bacconnier et Benoit ainsi que celui, en béton armé, de MM. Audigier et Pradier ; M. Audigier était marié à la fille du directeur des Cimenteries Lafarge. L’utilisation du béton armé pour la construction de ce bateau va permettre une meilleure conservation de la coque ainsi que sa récupération et sa restauration en 2014.
Quelques kilomètres plus au sud, nos voisins de la commune de Donzère disposaient aussi de vire-vire en bois. Le célèbre peintre donzérois Loÿs Prat (1879-1934) a réalisé une peinture d’un de ces bateaux. Sur sa toile, on peut observer, du côté du fleuve, une partie de la pale en bois qui, entraînée par le courant, provoque la rotation d’un axe cylindrique sur lequel sont fixés les deux paniers grillagés permettant de récupérer les poissons. (fig.1)

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Fig. 1 – Peinture de Loïs Prat – Photo Découverte et Mémoire Castelneuvoises

L’utilisation du bateau de pêche
À Châteauneuf-du-Rhône, le vire-vire était solidement amarré à quelques mètres de la rive gauche du fleuve, au quartier de la Barcasse. Sa proue était face au courant du « taureau furieux ». Dans cette zone, le débit d’eau varie de 1 300 m3 /s à 3 400 m3/s lors de la crue annuelle.
Des cordes étaient tendues entre la berge, l’avant et l’arrière du bateau, tandis qu’une ancre s’accrochait au fond du fleuve. Sur le navire, l’axe cylindrique rotatif était en fer et maintenu par deux paliers. Il traversait le bateau de bâbord à tribord. Côté rivage, un contrepoids était fixé sur cet axe pour équilibrer le bateau. Côte fleuve, les paniers grillagés étaient ouverts du côté opposé au sens du courant et les poissons qui remontaient le Rhône venaient s’engager dans cette ouverture. Les paniers tournaient en permanence comme deux ailes de moulin et ralentissaient lorsqu’ils sortaient de l’eau. Les poissons capturés glissaient alors doucement vers une goulotte inclinée avant de plonger dans un bassin à l’intérieur du bateau. Ce bassin faisait office de vivier ; il était alimenté en eau courante pour conserver les poissons vivants.
Pour un maximum d’efficacité, les paniers devaient descendre près du fond du cours d’eau sans toutefois le toucher. Le pêcheur, en fonction du niveau du fleuve, éloignait ou rapprochait le vire-vire de la rive. Il disposait, sur son bateau, d’une petite cabane pour se mettre à l’abri. (fig. 2)

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Fig. 2 – Le vire-vire « La Cigale » – Photo Découverte et Mémoire Castelneuvoises

La pêche
Les dimensions du bateau étaient de 7,30 m de long sur 3,20 m de large, pour une hauteur de 1 m. (fig. 3)

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Fig. 3 – Maquette du vire-vire (Gilbert Brémont) – Photo Découverte et Mémoire Castelneuvoises

Une épuisette permettait de récupérer les poissons dans le vivier ; une gaffe servait à accrocher ou à repousser les bois morts qui flottaient trop près du bateau.
L’autorisation de pratiquer ce genre de pêche était liée à l’attribution d’un « permis de pêche » délivré lors d’une adjudication à la préfecture de Valence. L’adjudication des lots de pêche était triennale ; le prix était fixé à l’avance, mais certains pêcheurs pouvaient surenchérir. La pêche n’était pas autorisée du samedi 18 h au lundi 6 h. Tous les autres jours de la semaine, entre les mois de mars et juin, le pêcheur « récoltait » les poissons : des brochets, des lamproies, des aloses, des hotus. L’alose et la lamproie sont des poissons de mer qui viennent se reproduire en eau douce ;
l’alose capturée en mer a mauvais goût, elle doit parvenir à une assez grande distance dans le fleuve pour que sa chair devienne savoureuse. Une pêche journalière pouvait correspondre à 100 kg de lamproies et 200 ou 300 kg de hotus… ou à la capture exceptionnelle de
2 esturgeons de 80 à 100 kg chacun. La rotation des paniers devait alors être quelque peu perturbée. Un garde-pêche veillait au respect de la réglementation.
Chaque jour, la pêche était commercialisée. Le poisson frais, transporté en charrette, était vendu de porte en porte dans la région.

L’aménagement du Rhône
Le parcours du « taureau furieux » va subir de nombreuses modifications. La Compagnie Nationale du Rhône, créée en 1933, doit aménager le fleuve au point de vue production d’électricité, navigation et développement agricole.
Les premiers travaux, à Génissiat, sont très perturbés pendant la guerre de 1939-1945. Ils permettent toutefois la mise en service du premier groupe hydroélectrique de 70 000 kW en 1948. L’aménagement au point de vue de la navigation concernera le fleuve essentiellement de Lyon à la mer Méditerranée.
L’écluse de Bollène est mise en eau en 1952. Le 22 mars 1953, les travaux du Canal de Montélimar sont officiellement lancés. La mise en eau du barrage de retenue, de Rochemaure à l’usine hydroélectrique Henri Poincaré de Châteauneuf-du-Rhône (fig. 4) aura lieu quatre ans plus tard, le 12 juin 1957. C’est au cours de cette année que M. Ferdinand Pradier cessera d’utiliser son vire-vire.

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Fig. 4 – Usine hydroélectrique de Châteauneuf-du-Rhône – Photo Découverte et Mémoire Castelneuvoises

L’ensemble des travaux, de Genève à Port Saint-Louis, comprend : 19 barrages, 14 écluses à grand gabarit, 19 usines hydroélectriques, des kilomètres de canaux aménagés et … des passes à poissons.
L’essentiel de ces travaux est effectué de 1952 à 1980.

La récupération du vire-vire
Pour les utilisateurs de bateaux de pêche, le débit du fleuve, la qualité et la quantité des poissons ont changé. Le vire-vire de M. Ferdinand Pradier est de moins en moins utilisé avant d’être abandonné sur la berge du fleuve.
C’est son petit-fils, M. Alain Pradier qui, en 2012, propose de récupérer et de restaurer l’ancien bateau (fig. 5). Son objectif est de constituer un petit groupe de bénévoles pour accéder à l’épave dont la coque est partiellement recouverte de limon ; il faudra ensuite la désensabler puis, en fonction de son état, son transport sera envisagé soit par voie d’eau jusqu’au port de Viviers, soit au moyen d’une remorque pouvant circuler sur la digue parallèle au fleuve.

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Fig. 5 – Le vire-vire échoué sur la berge – Photo Découverte et Mémoire Castelneuvoises

L’Association Découverte et Mémoire Castelneuvoises est intéressée par ce projet qui concorde avec ses objectifs : découverte de l’histoire du village, étude et valorisation du passé et du patrimoine. D’autre part, pour le propriétaire du bateau, elle peut proposer des bénévoles pour certains travaux et s’occuper de la partie administrative : demandes d’autorisations de travaux, de locations de matériels, de crédits, etc.
Les vestiges d’un petit sentier permettant d’accéder à l’épave du vire-vire sont dégagés. Il faut ensuite sortir le limon qui s’est accumulé dans le fond du bateau depuis plusieurs décennies, à chaque crue du Rhône.
Mi-septembre 2014, le bateau est partiellement dégagé. Son fond, très abîmé, ne permet pas d’envisager un transport par flottage jusqu’au port de Viviers. Deux sangles sont glissées sous la coque qui est totalement renforcée par un solide châssis en bois. À l’intérieur du bateau, des entretoises métalliques assurent un écartement fixe et plus rigide des deux bords du bateau.
Pour les bénévoles, l’arrivée de l’automne est aussi l’arrivée d’un temps pluvieux, le risque d’une montée des eaux du Rhône. Tous les travaux de préparation effectués pourraient être anéantis si le bateau était à nouveau immergé. Le temps presse.
Sur la berge, deux arbres sont coupés pour permettre le passage de la charge. Le plateau de la remorque qui servira au transport est recouvert d’un matelas de pneus pour amortir au maximum les chocs et les vibrations.
Jeudi 9 octobre 2014, le grand jour est arrivé. À 10 heures, la remorque et la grue des établissements Lafont sont sur le chemin qui surmonte la digue. Le grutier oriente la flèche vers le fleuve tandis que le crochet de levage descend lentement à la verticale du bateau. Les sangles sont accrochées, le précieux chargement s’élève dans les airs, remonte au-dessus de la berge puis descend lentement sur le plateau de la remorque et son matelas de pneus (fig. 6). Tout s’est bien passé, on entend le clapotis de l’eau qui s’écoule dans le Rhône et le « ouf » de soulagement des bénévoles et des spectateurs venus assister à l’opération. Le vire-vire est sauvé. (fig. 7)

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Fig. 6 – Le vire-vire sur sa remorque avant restauration – Photo Découverte et Mémoire Castelneuvoises

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Fig. 7 – Le vire-vire est sauvé – Photo Découverte et Mémoire Castelneuvoises

La restauration du bateau
Les premiers travaux consistent à nettoyer le vire-vire à l’eau sous haute pression, puis à sabler complètement la coque ; il faut éliminer toutes les traces de limon et de terre accumulées au cours des décennies. La coque bien propre, ainsi que les anciens éléments en fer apparents, sont ensuite badigeonnés d’enduits spéciaux pour les protéger et permettre, localement, une meilleure adhérence du béton qui va les recouvrir. Des grilles et des tiges de fer à béton sont mises en place dans tous les trous importants au fond et sur les flancs du bateau, avant la pose des coffrages.
La bétonnière peut maintenant entrer en action. Sur les trous, au fond du bateau, le mortier est étalé à la truelle ;
sur les parties trouées des flancs, il est coulé dans les coffrages. Après la partie de restauration maçonnerie, le travail n’est pas terminé pour les bénévoles. Ils vont courageusement montrer leurs polycompétences en forge, soudure, menuiserie… Les parties métalliques du vire-vire ont été récupérées dans ou à proximité du bateau échoué : axe cylindrique en acier permettant aux paniers de tourner dans l’eau, supports métalliques des paniers, vestiges de grillages, contrepoids… Tous ces éléments sont à leur tour nettoyés, puis passés à la forge et redressés ;
ceux manquants ou trop abîmés sont refaits à l’identique et soudés, la grille des paniers est découpée puis mise en place. En ce début d’été 2015, le vire-vire est prêt.

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Le vire-vire après restauration – Photo Découverte et Mémoire Castelneuvoises

Un clin d’œil à la minoterie !
Le vire-vire de Châteauneuf-du-Rhône était un bateau de pêche et uniquement un bateau de pêche, mais il existait aussi sur le Rhône d’autres bateaux qui servaient à moudre des grains. L’énergie utilisée était aussi celle du courant d’eau du fleuve. Au lieu de faire « virer » des paniers de pêche, elle entraînait une roue à aube.
M. Gilbert Tournier, directeur de la Compagnie Nationale du Rhône et homme de lettres, signale dans son livre « Rhône, dieu conquis » que « des « moulins à nefs » ou « pendus » sont mentionnés sur le Rhône dès 1245 (dans une bulle d’Innocent IV). Il y en avait à Lyon 17 en 1493, une vingtaine en 1516 ; en 1817, on en comptait encore 27 sur le Rhône ».
L’écrivain Guy Dürrenmatt, dans son livre « Le Rhône autrefois », se réfère à M. Gilbert Tournier et précise que la bulle d’Innocent IV de 1245 parle d’une somme de
110 sols que doivent verser les moulins du Rhône au monastère de Saint-Pierre… Il mentionne aussi qu’en période d’étiage, « l’on pouvait monter une seconde roue sur l’arbre et augmenter ainsi la force motrice ou, l’ensemble étant mobile, l’on pouvait rechercher un courant plus rapide en s’éloignant du rivage… ».

Document envoyé par Annie Barrault, présidente de l’association : annie.barrault@outlook.com
Association DMC Mairie de Châteauneuf-du-Rhône
Place de la Grangette
26780 CHÂTEAUNEUF-DU-RHÔNE
Tél. 04 75 90 69 40

Une machine à pêcher dans les Landes
Le baro fut inventé par un Peyrehoradais, Germain Cazaumajou, à la veille de la Révolution. Véritable machine à pêcher, le baro est un moulin muni de quatre filets tournants, actionné par le courant. Installé le plus souvent sur les berges, parfois sur les embarcations, ce système ne nécessitant aucun personnel fit fureur à Peyrehorade :
il permettait de pêcher jusqu’à 50 saumons par jour. À Sorde, en 1884, un baro parvient à capturer 106 saumons en une heure !

http://www.arthous.landes.org

J et H Picard
Découverte et Mémoire Castelneuvoises – dmc-26780.blogspot.com
Paru dans le Monde des Moulins n°58 – Octobre 2016

Catégories : Technique

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