Au XVIIIème siècle les Etats de Languedoc avaient donné mission à M. De Gensanne, son Directeur des Mines de la Province, de parcourir le territoire de celle-ci dans le but de dresser un inventaire de possibles gisements de houille. Le compte-rendu de ce périple fut publié à Montpellier en cinq volumes de 1776 à 1779 quelques mois avant la mort de son auteur.
Chemin faisant notre savant ne se privait pas d’observer le territoire de la Province et de consigner quelques particularités comme ferait un touriste à la curiosité en éveil. Le voici en Lauragais où il s’attarde quelque peu à Castelnaudary qu’il décrit : «une assez grande ville, bien bâtie et très commerçante».
Il ajoute qu’il s’y fait «un commerce considérable en bleds et en volaille dont on approvisionne tout le bas Languedoc» et souligne : «cette volaille passait pour la meilleure de la Province» mais ajoute (prudent ou ironique) ; «nous pouvons du moins certifier qu’elle y est la plus abondante »
N’oubliant pas pour autant l’objet de sa mission, il quitte la ville et se rend dans la campagne environnante notamment à Mas Saintes Puelles : «Nous avons vu au bord du canal royal, vis-à-vis le village du Mas, au lieu appelé la Dommergue,
une très bonne carrière à plâtre, qu’on exploite, et dont une bonne partie passe à Toulouse. Ces carrières ne sont pas profondes : le banc de plâtre n’y a que douze à quatre pieds d’épaisseur; il est recouvert d’une couche de quinze à dix-huit pouces d’épaisseur d’une très bonne terre à fayance : on en transporte également à Toulouse ». Il avance l’hypothèse qu’au dessous de ce banc on trouverait le «fossile» c’est à dire le charbon.
Ainsi, dans ce Lauragais majoritairement agricole, apparaissaient de petites «zones industrielles» qui exportaient leurs produits grâce au canal du midi dont on mesure ainsi l’importance d’ordre commercial. L’ évolution de la société annonçait
ce XIXème siècle qui réalisera l’aménagement d’une voie ferrée traversant le «bassin » lauragais, parallèle au canal et faisant concurrence tant à celui-ci qu’ à la route séculaire. L’ouverture d’esprit de certains propriétaires terriens conduira ceux-ci vers la petite industrie suscitant la création d’entreprises.
Carrière de gypse à Mas Saintes Puelles et Ricaud. Affleurements dans la mélasse de Carcassonne à l’éocène supérieur d’après Frédéric Christophoul (Laboratoire des Mécanismes de Transfert en Géologie de Toulouse)
Ce fut évidemment le cas à Castelnaudary autour du Grand Bassin ainsi que dans des communes voisines telles Ricaud, Fendeille, Villeneuve-la-Comptal qui possédaient des carrières de plâtre.
Vers la fin de ce XIXème siècle inventif et commercial, on comptait à Mas Saintes Puelles huit fabriques de plâtre donnant en moyenne 100.000 fr de produits et existaient des fours à chaux dont quelques ruines sont visibles aujourd’hui encore. L’un d’eux se trouvait très proche du canal non loin de l’écluse dite du Médecin. Il fut vendu en 1857, démoli et remplacé par une poterie artisanale qui fonctionne encore de nos jours. Elle exportait ses productions par la voie d’eau dont le calme évitait le bris des objets transportés. Notre attention se porte plus particulièrement sur les fabriques de plâtre aujourd’hui disparues. Deux se trouvaient proches du canal et particulièrement d’un embarcadère (qui existe encore de nos jours) situé lui-même à une très faible distance de l’écluse triple dite de Laurens (classée) laquelle se trouve dans le secteur dit de la Dommergue cité par Gensanne. Trois usines à plâtre : celles dites de Laurens (entre le canal et la voie ferrée) et celle dite du Fournayrac (au sud de la voie ferrée). Les carrières de plâtre (aujourd’hui étangs) sont à une courte distance des bâtiments. Telles sont les relations entre ces fabriques de plâtre tant avec la voie d’eau qu’avec la voie ferrée.(1)
En l’état nous disposons de fort peu de documents d’archives. Les matrices cadastrales de la commune permettent cependant de situer ces entreprises de plâtre et chaux approximativement dans la deuxième moitié du XIXème siècle (on mentionne une usine à plâtre en 1838 mais n’est-ce pas plutôt un four à chaux ?) et leur disparition pendant ou peu après la guerre de 1914- 1918.
Quelles causes de cette disparition ? Le plâtre produit n’aurait pas été d’une qualité parfaite(2) et fut donc fortement concurrencé. D’autre part l’extraction du minerai devait être pénible combinant la poudre pour faire éclater le minerai et la «pince» (sorte de barre de fer dont une extrémité était aplatie) maniée par l’ouvrier lui-même. Enfin une main d’oeuvre moins nombreuse (au front) et la diminution de la population active (1346 h. en 1846 – 936 h. en 1926…) désormais tournée vers l’agriculture.
Autre cause de pénibilité : le bruit «infernal » à l’intérieur du bâtiment aux dires de personnes qui ont travaillé dans de telles conditions. Pourquoi ce bruit ? En raison du broyage du minerai à l’intérieur d’une construction ayant une grande surface au sol englobant elle-même une sorte de bâtiment carré dont le haut dépassait la toiture et portait une sorte de petite tour apparemment en fer portant cinq ailes et susceptible de pivoter pour se placer face au vent.
Ces ailes présentaient une longueur appréciable. Au repos elles étaient d’une très faible largeur mais par un système ingénieux (inventé au milieu du XIXème siècle par Pierre-Théophile Berton et plus connu dans le nord de la France que dans nos régions) qui consistait à placer sur chaque aile des planchettes mobiles que l’on pouvait manoeuvrer de l’intérieur (quel que soit le temps) donnant ainsi une surface variable qui permettait une prise de vent plus ou moins importante; de la même manière que l’on entoilait plus ou moins les larges ailes des moulins fariniers (mais de l’extérieur). Du sommet de la tourelle extérieure descendait un axe en fer terminé par un broyeur ce qui, en état de marche, donnait un grand bruit difficilement supportable au pied de cette installation. L’investissement nécessaire pour réaliser cet équipement devait être coûteux mais la source d’énergie était, en quelque sorte, gratuite comme pour tout système éolien.
Moulins à plâtre
Le canal, pour sa part, a poursuivi son rôle de transporteur au service de voyageurs, de produits agricoles, de carburant en s’effaçant peu à peu devant la concurrence du chemin de fer concurrencé, à son tour, par les grandes routes.
Maître Georges De Capella – Article paru dans le Monde des Moulins – N°27 – janvier 2009
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