L’huilerie Pradalier-Rameau est bien connue dans plusieurs départements : la Nièvre et les limitrophes notamment. Nombre d’habitués continuent de venir lui acheter des bouteilles d’huile de noix ou de noisette, et d’aucuns apportent leur provision de noix pour qu’elle soit devant eux transformée en huile, cela du moins du lundi au vendredi (pour la vente, l’établissement est aussi ouvert le samedi matin). C’est 14 rue de l’Éminence, Donzy, dans la Nièvre. Donzy est un très joli bourg dans le nord de la plaine nivernaise, non loin de la Loire, donc à proximité des départements du Cher, du Loiret et de l’Yonne.
Moulin de l’Ile Donzy – photo P.Landry
Un site superbe
L’huilerie Pradalier-Rameau se trouve au centre de Donzy, pratiquement au pied de l’église et près de remarquables maisons historiques. Du pont sur le Nohain, dit “Pont de la Tréfilerie”, on la dirait occupant une île, avec à droite la rivière formant cascade, et à gauche le large bief longeant une superbe ligne de bouleaux (pour ravir les photographes et les peintres, des cygnes et des canards peuvent compléter le tableau). Ce site a une origine historique, dont témoigne le nom de la rue, “de l’Éminence”. Quand il se rendit propriétaire du duché de Nevers vers 1650, le cardinal de Mazarin, profitant qu’il y disposait en abondance de minerai de fer, de bois, et d’eau, fit bâtir sur ce site une succession de forges hydrauliques ; plus tard, dans les années 1835-50, on en dénombra précisément 3 appartenant au comte (ou marquis) d’Osmond : – la tréfilerie où se fabriquait le fil de fer; ce sont les grands bâtiments que longe le pont ; un article de La Montagne du 7 octobre 1988 disait qu‘elle a eu, après sa conversion en moulin à blé, trois paires de meules : deux grandes roues de 5,46 m de haut sur 7,45 de largeur, avec 30 augets ou aubes chacune! Ce moulin à grain brûla en 1926. C’est désormais une aire de stockage pour les graines et les produits de l’huilerie. – la pointerie ; – puis une forge “industrielle” dont l’actuelle maison et l’étang conservent le nom de l’”Éminence” . C’est la pointerie qu’en 1882 M. Rameau, grand-père de Mme Pradalier, acheta et transforma en moulin à huile, en y installant une turbine à la place de la roue dont on voit encore la trace. On reconnaît aussi encore dans un mur celle de l’ancien four à fondre le fer. Accessoirement, l’huilerie Pradalier- Rameau est tout près du très intéressant moulin-musée de Maupertuis, qui se trouve rue Audinet. Tout cela contribue à rendre le site très touristique. La maison Pradalier-Rameau assume d’ailleurs son devoir d’entretien du bief ; il faut “focarder”, par exemple, c’est-à-dire éliminer les végétations qui pourraient boucher des conduits. La télé est venue plusieurs fois. L’établissement est bien représenté dans le livre sur les moulins de Bourgogne qu’a publié la Taillanderie. A ce propos Mme Pradalier nous dit que la photographe, Flore Deronzier, avait dû revenir deux fois, ayant laissé tombé sa première pellicule dans l’eau.
L’équipement
Alors que l’ancienne roue était à l’extérieur sur le pignon sud, la turbine est évidemment à l’intérieur. Elle est horizontale. Notons que pendant la guerre une petite turbine a fait tourner une dynamo pour capter Radio-Londres. La turbine anime un long axe qui porte une superbe couronne, aujourd’hui dotée de dents en bois exotique encore plus dur que le cormier. Elle-même transmet le mouvement à un assez long axe qui anime la meule tournante et les presses hydrauliques, ainsi qu’à un broyeur à tourteaux. Au besoin, en cas de manque d’eau (c’est rare : mettons au plus 15 jours par an), l’atelier dispose d’un moteur électrique. Les courroies sont en cuir solide. La plus belle pièce est la meule tournante, en pierre de Donzy, qui pèse 2,2 tonnes. Son pourtour garde la jolie couleur caramel des noix qu’elle broie si souvent. Elle roule sur une meule dormante striée, qui de plus, est équipée d’une trappe permettant de récupérer facilement la matière une fois suffisamment écrasée, à savoir au terme d‘un roulage de 15 à 20 minutes. Cette pâte est ensuite chauffée dans un fourneau à cheminée situé dans l’angle gauche de l’atelier. Même pour les noix, on ne procédait pas à deux cuissons à des températures différentes.
Les presses
La matière est tassée dans une sorte de tissu filtrant, à l’origine en “cheveux de Chine”, puis en poils de chèvre, désormais en fibres synthétiques. Le sachet ainsi constitué est plongé dans la maie (la cuve) de la presse dans laquelle une pression hydraulique par en-dessous pousse le sac contre le couvercle de la presse (le plot). Les 8 presses de l’atelier, des Laurent et Collot de Dijon, disposent d’une force de pression de 200 kg par cm2 chacune. Ensuite l’huile est mise une dizaine de jours dans des cuves de décantation. Le tourteau est brisé dans le broyeur en forme de sablier placé à l’entrée de l’atelier. Des éleveurs continuent d’en utiliser pour leur bétail.
Les matières travaillées
Le moulin ne travaille plus que la noix et la noisette. Guère le colza. Le lin ne se pratique plus ; on en extrayait surtout une huile pour l’entretien du bois et la peinture car elle est “siccative” ; les artistes peintres utilisent des peintures à base d’huile de lin. Autre huile siccative qu’a travaillé le moulin Rameau : la cameline, désormais bien rare. On n’a jamais travaillé l’arachide dans cet établissement. Par contre on a jadis travaillé le chènevis : les pêcheurs s’en servaient comme amorce, les rebouteux en tiraient une crème de massage et les vétérinaires utilisaient la même “crème” pour réduire les luxations Quant à l’oeillette, un pavot dont la culture est désormais interdite, le moulin Rameau l’a travaillée autrefois au profit des laboratoires pharmaceutiques, lesquels notamment dépêchaient des techniciens pour inciser la capsule de la fleur. Pendant la guerre certains torréfacteurs pulvérisaient des coquilles de noix pour en faire un succédané du café. Jusque vers 1940, l’atelier a disposé d’une cidrerie, parce que les paysans de la région en étaient friands. Des “trains entiers” apportaient des pommes de Normandie en gare de Donzy une ligne alors en pleine activité, aujourd‘hui démontée. Cela n’a pas repris après la guerre.
Le travail aujourd’hui
Mme Pradalier continue d’oeuvrer avec deux ouvriers permanents. Il y a du travail toute l’année, mais essentiellement de novembre à mai. Il peut y avoir un creux lorsque la récolte est médiocre. Il faut 1,7 à 2 kg de cerneaux (donc beaucoup plus de noix pesées avec la coquille) pour faire un litre d’huile. Une clientèle fidèle continue de venir à Donzy, parfois de loin. Rares sont ceux qui se présentent munis de la fameuse “toule” à bec verseur, étroite, compliquée à nettoyer. Toutefois notons que la tendance est à éliminer ces beaux noyers qu’on voyait dans tous nos bois, le long des chemins ou au milieu des prés. Le moulin Pradalier-Rameau ne propose que de la très bonne huile de noix ou de noisette, “vierge, pure, première pression” reconnue excellente pour la santé. A ce propos Mme Pradalier nous a précisé différentes notions, à retenir notamment quand on va faire ses courses au supermarché ou à l’épicerie :
- “l’huile de noix vierge” est tirée de beaux cerneaux blancs qu’on aurait dégustés en fruits ;
- “l‘huile de noix”, sans autre précision, est issue de cerneaux “noirs” moins “mangeables” ; elle est fortement chauffée puis raffinée chimiquement pour lui donner un aspect attrayant.
- “l’huile noitée” : est une huile neutre de colza avec un peu de noix, laquelle en relève le goût, mais cela ne dure pas longtemps après l’ouverture de la bouteille.
Philippe Landry – Article paru dans le Monde des Moulins – N°16 – avril 2006
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