Avant-propos : Les exemples présentés dans cet article proviennent de moulins de l’Albret Lot-et-Garonnais. L’Albret est une partie de la Gascogne (Sud-Ouest). Les seigneurs d’Albret sont les ancêtres d’Henri IV, notre bon roi Henri.
Le fermage d’un moulin était, jadis, une pratique courante. Le fermier est celui qui prend à bail (ou fermage) un moulin, en général pour une durée d’un an, trois ans ou neuf ans, généralement de la Saint-Jean de l’année à la Saint-Jean de l’année suivante. Après le seigneur, le fermier était donc le personnage le plus important du moulin.
La Révolution française généralisa des baux de neuf ans et rendit obligatoire l’enregistrement des baux à ferme de moulin par acte notarié. Ainsi, de nombreux baux à ferme de moulins peuvent être retrouvés dans les archives départementales ; ces documents sont des sources précieuses de renseignements sur nos anciens moulins.
Le montant du fermage était jadis exprimé en nature : quantité de froment et méture (autres céréales) ou autres productions du moulin. Le fermier devait gérer au mieux son moulin, choisir son ou ses meuniers, et autres employés… Pour les petits moulins de nos ruisseaux et les moulins à vent, le fermier était souvent le meunier. Pour les moulins de nos rivières, pour les moulins qui ne faisaient pas de farine, le fermier n’était parfois pas meunier ! Le fermier pouvait être marchand, négociant, notable…
Les moulins de nos rivières faisaient travailler de nombreux employés (dénommés avant la Révolution française « domestiques du moulin » ou « valets du moulin ») et souvent plusieurs meuniers. Les statistiques de 1809 du Lot-et-Garonne indiquent 1200 employés pour 485 moulins recensés. Les grands moulins des rivières du Lot-et-Garonne (Baïse, Gers, Gélise, Avance, Dropt…) avaient une dizaine d’employés ; les grands moulins sur la rivière Lot en avaient jusqu’à 30 .
Exemple de fermier (non meunier) : en 1777, Jacques Mazeret était fermier au Moulin de Vialère, qu’il habitait ; Jean et Joseph Méne étaient meuniers à ce même moulin à la même époque. Le Moulin de Vialère, situé à Moncrabeau (Lot-et-Garonne), était alors équipé de quatre paires de meules, un foulon et une filature de laine. Jacques Mazeret signa un nouveau bail à ferme le 1er juin 1792 pour une durée de neuf ans et un montant annuel de 4000 francs. (réf. A)
L’afferme se faisait en principe aux enchères au plus offrant, mais des négociations entre candidats ou avec des grainetiers avaient lieu. Des cautions (garanties de paiement) pouvaient être demandées. Fréquentes aussi étaient les associations de fermiers pour obtenir l’afferme d’un moulin. De même, l’association d’un meunier et d’un négociant en grains était fréquente pour les grands moulins.
Ainsi, Andrivet du Vergier et Ramonet Dirouard furent fermiers associés de 1486 à 1489 au Moulin de Nérac, puis pour les moulins de Nérac, Nazareth et Vianne (trois contrats de bail distincts) pour la période de 1489 à 1492.
Le 24 juin 1838, Marcelin Sentou et Gabriel Sentou (son oncle), meuniers demeurant au Moulin de Rubignac, à Montagnac-sur-Auvignon, signèrent un bail à ferme de neuf ans au Moulin de Vialère. Le bail fut signé avec, en garantie de paiement, le moulin à vent et les terres et maison détenues par Gabriel Sentou à Montagnac. (réf. A)
Fermiers aux temps des seigneurs d’Albret
Un document comptable (réf. B et C) ou relatif à la partie de l’Albret située à « l’est de la rivière Ciron », c’est-à-dire à la partie de l’Albret située dans l’actuel département du Lot-et-Garonne, nous apprend que le fermage des grands moulins était la pratique habituelle sous le seigneur d’Albret Alain le Grand.
La régie apparaît comme une solution provisoire imposée par des événements comme le décès d’un fermier ou la difficulté pour en trouver un.
Les fermages moyens des principaux moulins d’Albret en Lot-et-Garonne sur la période 1480-1495 étaient ainsi de :
- Moulin de Vianne : 313 q. (q. = quartons*) de froment et 156 q. de méture
- Moulin du Pont-Vieux de Nérac :
181 q. de froment et 94 q. de méture (1/3 au prieur et 2/3 au seigneur d’Albret) - Moulin de La Vaquère (Labaquère à Montpouillan sur l’Avance) : 167 q. de froment et 84 q. de méture
- Moulin de Barbaste (Moulin des Tours): 146 q. de froment et 73 q. de méture
- Moulin de Nazareth (Nérac) : 142 q. de froment et 71 q. de méture
- Moulin de Vialère à Moncrabeau : 103 q. de “blés”
- Moulin de Padiern (Padières sur l’Auvignon) : 14 q. de froment et 30 q. de méture
Notons que les montants des fermages étaient cohérents avec le débit moyen des rivières sur lesquels les moulins étaient installés.
Un moulin pouvait avoir plusieurs propriétaires. Le Moulin du Pont-Vieux à Nérac en est un exemple : « En 1308, le prieur de Nérac et le sire d’Albret s’engagèrent à nommer conjointement des meuniers et des gardes qui devaient chaque semaine, quand ils en seraient requis, rendre en même temps à chaque coseigneur sa part de revenus : grain, farine, tan, toiles, poissons ou argent ».
Les gardes servaient, en temps de paix, à collecter le péage du pont qui permettait de traverser la rivière entre le Foulon (rive droite) et la meunerie (rive gauche).
Un moulin pouvait parfois faire l’objet d’une sous-afferme. Le fermier général devait valoriser tout un « territoire » pour le bénéfice d’un seigneur propriétaire des biens. Le fermier général sous-affermait alors terres, moulins et autres biens dont il avait acquis la gestion. Ainsi, le 28 juin 1700, Prévost Trigan, sieur de la Fraigonnière, fermier général du Duché d’Albret appartenant à son altesse le duc de Bouillon, afferma au sieur Merle les moulins de Barbaste (Moulin des Tours), Vianne, Nérac et Nazareth. (réf A)
Seigneur(s), fermier(s), meunier(s), em-ployé(s), et parfois garde(s) … telle était donc la structure hiérarchique de nos grands moulins.
Références:
(A) Archives départementales de Lot-et-Garonne.
(B) Les moulins de la Baïse (1480-1495) – Jean-Bernard Marquette
* quarton : défini dans « Les moulins de la Baïse » comme étant « la mesure de capacité indiquée dans les documents par « q. » et retenu comme équivalence de 23 litres »
(C)/© Registre de la généralité de Monseigneur Alain D’Albret » – Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques sous la cote E 89 : 246 f
Hendrik Degraeve, ADAM du Lot-et-Garonne
Article publié dans le Monde des Moulins n° 73 de juillet 2020
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