Le site des Moulins de France
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L’Isle et la Dronne, deux rivières du bassin de la Dordogne, prennent leurs sources dans le Massif Central, traversent le département de la Dordogne et confluent au lieu-dit La Fourchée à Coutras. En Gironde, la Dronne chemine sur 16 km, tandis que l’Isle s’étire sur 24 km. Douze moulins jalonnent ces rivières dans leur partie girondine. La présente étude fait ressortir le destin commun de ces moulins, depuis leur naissance au XVe siècle jusqu’à leur essor industriel du XIXe siècle et à leur disparition en tant qu’usines au XXe siècle.

Les premières traces de moulins sur l’Isle et sur la Dronne sont dans les archives des abbayes de la Sauve-Majeure et de Faise. Le grand cartulaire de la Sauve-Majeure signale qu’entre 1079 et 1095 un certain André et son épouse firent donation à l’abbaye de leur alleu et de quatre moulins sur la Dronne. Les moines, pour en jouir en paix, demandèrent confirmation à la vicomtesse de Fronsac qui accepta et ajouta le droit de donation sur toute sa terre. Après sa mort, son fils contesta cet acte puis finit par le confirmer et reçut 40 sous pour lui et 20 pour son épouse.

Situation des principaux moulins de l’Isle et de la Dronne

En 1187, Pierre, vicomte de Castillon, confirma, selon la volonté de son père, le don à perpétuité, à titre d’aumône, des moulins de Lapouyade, à Saint-Médard-de-Guizières, à l’abbaye de Faise, avec tous les droits détenus sur ces moulins.

Les églisottes (Gironde) – Les bords de la Dronne à l’Usine – Collection du GRAHC (Groupe de Recherches Archéologiques
et Historiques de Coutras)

Ces deux mentions des XIe et XIIe siècles ne permettent pas de connaître la nature de l’activité pratiquée par ces moulins. Il faut attendre 1244 pour voir le comte du Périgord construire, peu en amont de Montpon, un port destiné à recevoir les marchandises, au lieudit “Le Port Vieux”. Ce dernier fut remplacé plus tard par un autre port, en amont du premier, le port de Calandre.
La situation se dégrada lors de la Guerre de Cent ans. Durant cette période troublée, les riverains construisirent néanmoins des moulins et des barrages sur l’Isle et la Dronne. Pour autant, il fallut attendre la reconstruction du pays, après 1453, pour constater une activité organisée et régulière en ce domaine. À partir de 1466 et pendant une vingtaine d’années, les seigneurs de Fronsac accordèrent des baux à fief nouveau pour la création de moulins : Coutras et Sablons sur la Dronne, Abzac, Penot et Laubardemont sur l’Isle. Ainsi, le 21 septembre 1466, « vénérable homme Messire Simon Hospitalier, prêtre, archiprêtre de Fronsac, comme procureur de noble et puissant seigneur Joachim Roaud, écuyer, seigneur du Bois Meynard et lors vicomte de la vicomté de Fronsac, eut baillé à fief nouveau selon les fors et coutumes de bourdelois à vénérable personne messire Jean Baussen, prêtre, comme personne privée, par tout tems, est assavoir la moitié de la rivière de l’Ile, devers la Double de Fronsac pour joindre et aprocher faire et accomplir l’écluse et écluzar du moulin de Laubardemont avec cent pas de terre, estant en la dite Double ».
Le 18 juin 1471, le même Simon Hospitalier, procureur de Louis de Prie, écuyer, conseiller et chambellan du duc de Guyenne et seigneur de Fronsac, bailla à fief à Antoine Boneau et Johan Coulombs aîné, fils de Jehan Coulomb, « tota aquera veilha place deserte par far molins en la terra loc en que viven les aygas alantas venentas, esclusas et desfuitas aux dits molins apartenent et qui apartenir deven et podan en aucuna maneyra enrolas sus universaux apartenansas enteyrament laqueu place de molin es sus la ribaire de lisle en la paropia de Sent Pey d’Absac, propz ladicta egleysa et audesus deu castel avecque certainas terres desertes nécessaires pour l’exercice deusdits molins deserts ».
Le Moulin de Penot, également situé à Abzac, fut pris à fief nouveau par Penot Horreyreau d’Odet d’Aydie, seigneur de Lescun, comte de Comminges, vicomte de Fronsac le 28 février 1482. Le moulin de Sablons (anciennement appelé Moulin de Turlay), aux Peintures, reçut un bail à fief nouveau, le 3 janvier 1482.

Une vallée marquée par l’activité du foulage des textiles

Au XVIe siècle, nombre de moulins de la vallée de l’Isle s’ouvrirent au foulage des textiles en même temps qu’à la production de farines. En 1581, l’entretien des écluses, la pêche des colacs (esturgeons), l’usage des bourgnes et filets et le foin pour la nourriture des ânes sont mentionnés dans un acte relatif au moulin de Sablons. En 1600, les tenanciers Pierre Turlay et son père reconnurent tenir de François d’Orléans et Anne de Caumont, seigneur et dame de Fronsac, « tout icelluy moulin à eau et bled moulant avec ses meules et moulanges, moulin à mailher drapt avec leurs eaulx allantes venantes escluzes desfuites droicts de pescherie sablière entrées issues droicts de servitude pour aller et venir qui est sis et situé en la paroisse des Poinctures sur la rivière de Dronne appellé le moulin de Turlay ». Quelques années après, en 1598, Pierre Turlay dit “du Moulin”, habitant Les Peintures, et Pierre Caillou [ou Chaillou], son gendre, habitant Lagorce, passèrent un contrat avec Guillaume Lamoureux, charpentier, qui promit de « refaire une maillerie au-dedans des moulins appelés de Turlay » aux Peintures. Turlay et Chaillou promirent de fournir tous les bois tandis que Lamoureux fut tenu de faire dresser des poulies aux alentours des moulins, de la longueur de 36 aunes de drap, pour faire sécher les draps sortant de l’établissement.

MONFOURAT, près Les églisottes (Gironde) – Le Bac – Collection du GRAHC

Situé plus en amont, le Moulin de Monfourat, sur la Dronne, dont la première mention date du renouvellement d’un bail à fief nouveau du 23 avril 1555, est décrit comme un « moulin appelé de Montferrat, avec ses apartenances, chaussée, écluse, pêcherie, gits defoussés, hauts et bas, cours et défuites d’eau devant et derrière, scituées en la paroisse des Eglisottes sur la rivière de Dronnes ». Dans le livre terrier des seigneurs de Fronsac en 1681, une maillerie apparaît : « icelluy moulin à eau et bled moullands mailherie avec ses eaux allantes et venantes écluzes defouittes meulles moullanges droit de pescherie […] le tout situé en la paroisse des Eglisottes sur la rivière de Dronne appellé le moulin de Maufourat alias de Barraud ».
Le Moulin de Coutras, sur la Dronne, tenu en 1600 par Colin Rallion, marchand, Micheu Guynier, marchand, et Jacmes Brisset, couralier [ patron battelier ], est lui aussi équipé d’une maillerie : « Toutz iceux moulins à bled moulantz et à mailher draps, le tout en ung tenant qui sont assis et sictués sur la rivière de Dronne en la paroisse Sainct Jehan de Coutras appellés antiennement les moulins des Coings, et à présent les moulins de Coutras avecq leurs meules, moulanges, escluzes et deffuictes d’aulx allantes et venentes, comprenant (…) plus ont reconnu tenir en fiefz la sablière pour servir à prendre cailhou et gravier pour assabler l’escluze du susdit moulins au-dedans une pièce de terre et chaulme qui est en la tenue de la meyteyrie du susdit seigneur et dame […] ». De nombreux textes de cette époque confirment l’importance des chenevières sur les berges des deux rivières, alimentant en matières premières les mailleries des environs.

Le morcellement de la propriété des moulins

À de rares exceptions près, tous ces moulins à blé, fondés ou remis en mouvement dans la deuxième moitié du XVe siècle, ont connu un destin commun. Au bout de quelques générations, les héritiers, attachés à conserver des parts du moulin familial en héritage, devinrent propriétaires de portions de moulins toujours plus petites au gré des successions.
Le Moulin de Monfourat est significatif de cette évolution : le 25 juin 1582, Jean Chaperon, marchand au Chalaure, « faisant tant pour lui que pour Maître Samson, Marie et Marthe, ses frère et sœurs » , afferma à Jean Boussier, meunier des Églisottes, « tout leur droit, part et cotité des moulins à blé, pêcherie, ilots, et autres appartenances desdits moulins, situés sur la rivière de Dronne appelé le moulin de Malfourat en la paroisse des Eglisottes, montant ledit droit à une quarte partie ». La fratrie se partagea le quart du capital que possédait leur mère, Marie Thévenin : bien maigre héritage, difficilement valorisable.
Mais l’exemple du Moulin de Penot, sur l’Isle, illustre mieux encore la précarisation des héritiers de possesseurs de moulins : les héritiers de Pénot Horreyreau morcelèrent fortement le moulin, en l’espace de trois générations. Par un acte du 21 février 1573 :
. Pierre et Françoise Vacher, représentés par leur tuteur Jean Vacher le jeune, habitant Coutras ;
. Collas Vacher, représenté par son curateur autre Maître Jean Vacher, notaire d’Abzac ;
. et Benoite Vacher, faisant sous l’autorité d’autre Maître Jean Vacher, juge de Feyze, son curateur ;
[ Il y a donc trois «Jean Vacher» distincts présents à l’acte ! ]
vendirent à « Maurice, Denis et autre Maurice Fellonneau, frères, marchands d’Abzac, […] la douzième partie des moulins, écluses, meules, droits de pêcherie, et eaux allantes et venantes des moulins vulgairement appelés de feu Pénot Horreyreau, situés et assis sur la rivière de l’Isle en la paroisse d’Abzac », tout en précisant qu’il fallait exclure de cette part « une vingt-quatrième partie de cette douzième partie qui appartient à Micheau Horreyreau ».
[ L’acte précise que les vendeurs étaient les héritiers de feu Raymond Vacher, lequel avait été condamné à verser cette somme aux trois acheteurs par la Cour de Fronsac. Ne pouvant payer les dettes dont ils ont hérité, ils cèdent les droits qu’ils possèdent dans le moulin à leurs créanciers.]
Les parts vendues représentaient moins de 8 % de l’ensemble. La vente fut réalisée moyennant la modique somme de 180 livres tournois. Ainsi, Micheau Horreyreau ne possédait plus en 1573 qu’1/24 de 1/12, soit 0,35 %. Mais les quatre héritiers de Raymond Vacher n’étaient guère mieux lotis : ils n’avaient chacun que moins de 2 %. Et les acheteurs, au nombre de trois, n’achetèrent chacun que 2,66 % de la propriété du moulin de Penot.

Dernier exemple aussi spectaculaire qu’extrême : au début des années 1670, Jean Rallion ne possédait plus que 1/15 des parts sur le Moulin de Coutras. Le 13 avril 1741, Pierre Gros, chamoiseur, époux de Marie Rallion, arrière petite-fille de Jean Rallion, vendit à Moïse Formel, bourgeois de Coutras, « la quatorzième partie d’un cinquième d’une quinzième partie des moulins à blé de Coutras », soit à peine 1/1050e du moulin, pour la somme dérisoire de 25 livres. L’indivision des moulins ne pouvait donc qu’engendrer une mauvaise gestion : abandonnés, sans soins, ni pour les bâtiments ni pour les ouvrages hydrauliques, les moulins souffrirent de délabrement. En 1669, le Moulin de Saint-Seurin fit l’objet d’une campagne de restauration afin « d’accomoder et entretenir lesdits moulins quoy que soit la chaussée et escluze d’iceux a rompeu soudain et à tel point que la force de l’eau a rompeu les fondemants dudit moulin du costé du nord, et le coin qui joint ladite excluse qui est cause a ladite escluse de graves dommaiges ». Dans les années 1750, ce moulin était “en ruine” et “abandonné”.

Quand un moulin rencontre une personnalité

Le XVIIIe siècle vit la renaissance des moulins à blé des vallées de l’Isle et de la Dronne. En 1767, la famille Duclion acheta le Moulin de Logerie, alors en fort mauvais état, y entreprit de lourds travaux de réfection et l’équipa de quatre paires de meules. À partir de la fin du XVIIIe siècle, mais surtout depuis le milieu du XIXe siècle, le destin de ces moulins a basculé pour connaître un développement sans précédent. L’essor industriel des moulins de l’Isle et de la Dronne est systématiquement dû à la rencontre d’une personnalité politique ou d’un industriel avec un site reconnu comme propice à une activité de production.

Le site du Moulin d’Abzac et Roussel de Goderville

Après sa construction en 1471, le Moulin d’Abzac passa aux mains de la famille Fournier, puis fut acheté en 1662 par Raphaël de Fournel, chevalier, seigneur de Tayac, déjà propriétaire du château d’Abzac. C’est alors que débuta une aventure économique exceptionnelle.
Passé par héritage aux mains de la famille Roussel de Goderville en 1763, le moulin fut reconstruit et agrandi pour devenir une importante manufacture.

Roussel de Goderville

En 1793, le conventionnel Gilbert Romme décida d’y implanter une fonderie de canons, projet vite avorté. Vendu comme bien national, puis acheté par la famille Rozier, le site du Moulin d’Abzac vécut au rythme d’une utilisation industrielle continue : minoterie, rizerie, huilerie, puis à partir de 1928, cartonnerie spécialisée dans la fabrication de mandrins pour la papeterie et de fûts en kraft pour la chimie.

Le Moulin d’Abzac – Coll. d’Anglade

La papeterie de Monfourat et Auguste Vorster

En 1765, le Moulin de Monfourat était équipé de quatre paires de meules et de deux foulons à draps avec des étendoirs et un pressoir à huile. Il fut vendu en 1812 par les frères Frichou à François Lartigue et Jean Vidal, négociants de Coutras. Les propriétaires n’ayant pu tenir leurs engagements financiers, le moulin fut saisi, le 18 septembre 1827, et adjugé, le 10 juillet 1829, à Jean Eygreteau et Jean Peletingeas. C’est en 1830 que se situe le projet de l’exploitation d’une papeterie mécanique à Monfourat. Quelques riches négociants bordelais décidèrent de se lancer dans cette entreprise : un marché important existait pour l’exportation de papier vers les républiques d’Amérique latine. Le 29 septembre 1832, José Maria Aguirre Vengoa acheta une moitié du Moulin de Monfourat, puis l’autre moitié le 7 octobre de la même année. Le 13 septembre 1835, la société anonyme de la “Compagnie de la papeterie mécanique de Monfourat” fut autorisée par ordonnance royale, mais l’exploitation fut laborieuse en raison de problèmes techniques et financiers. La société fut dissoute en 1844.

Auguste Jules Victor Vorster

C’est alors qu’Auguste Jules Victor Vorster, papetier d’origine allemande, décida d’affermer cette papeterie devenue vétuste. De 1849 à 1853, la papeterie fut à nouveau exploitée, réparée et améliorée. Inaugurée en 1852, la ligne de chemin de fer Bordeaux-Paris passait à proximité de Monfourat. Ce fut la chance de la papeterie. Auguste Vorster décéda en 1865 : après un court intermède assuré par ses deux fils, la direction de l’usine échut à la veuve Vorster. Ainsi, jusqu’en 1883, la famille Vorster participa au développement de la papeterie de Monfourat.
Le moulin fut alors acheté par Georges Legrand qui le reconstruisit et le modernisa. Empreint de paternalisme, soucieux de la qualité de vie de ses ouvriers, Legrand créa une cité ouvrière, une coopérative et une caisse de sécurité sociale. En 1906, la papeterie passa aux mains de la famille et du groupe Navarre et connut encore de belles heures de gloire. Victime de la mondialisation, l’usine ferma ses portes en 1969.

Vue générale des Usines à Papiers de Monfourat – Prise des bords de la Dronne près Les églisottes (Gironde)

 

Huilerie de Laubardemont et Calvé

Le 27 avril 1808, Jean-Antoine Chaumeil, originaire de Clairac, acheta le château, les terres et le Moulin de Laubardemont. En 1841, Chaumeil, dit «l’oncle», étant mort sans héritier, son héritage passa à son neveu, Jean-Joseph Chaumeil. Celui-ci organisa, à grande échelle, l’exploitation du Moulin de Laubardemont. Du point de vue industriel et commercial, l’usine de Laubardemont était pourvue d’une excellente organisation.
Cette minoterie était composée de neuf coursiers sur lesquels évoluaient autant de paires de meules activées par des rouets à cuve. Aux deux étages supérieurs étaient installés des nettoyeurs de grains, des bluteries et une étuve à vis d’Archimède tournante, laquelle causa un violent incendie qui détruisit l’usine en janvier 1850. Le moulin fut immédiatement reconstruit, remis en marche et agrandi. Année après année, le moulin ne cessa d’être amélioré par ajouts de turbines, de machines à vapeur et d’autres éléments de technologie moderne jusqu’à atteindre une production de quatre tonnes de farine à l’heure.

Minoterie de Laubardemont : Facture avec en-tête figurant l’Exposition de Bordeaux de 1859 et 1865 (cf aussi la photo de la dernière de couverture)

Un incendie détruisit à nouveau la minoterie de Laubardemont le 21 juin 1893. Lui succéda une huilerie créée par Emmanuel Calvé. Les arachides que l’établissement employait provenaient du Sénégal. L’origine de cette industrie et du commerce des arachides en Gironde est étroitement liée au naufrage de la frégate «La Méduse», qui inspira le célèbre tableau «Le Radeau de La Méduse» de Théodore Géricault. En effet, le 2 juillet 1816, La Méduse, transportant une mission au Sénégal, s’échoua sur le banc d’Arguin, à proximité de la côte sénégalaise. Un jeune médecin de Marine s’était, comme les autres passagers, réfugié sur le radeau historique. Ayant oublié sa montre, précieux cadeau de sa mère, il remonta à bord du bâtiment. Le radeau s’étant entre temps éloigné, le jeune homme sauta dans un petit canot jugé inutilisable par les naufragés et put ainsi gagner la côte. C’est ainsi que Victor Calvé débarqua au Sénégal. La perspective des profits qu’il pouvait tirer de la transformation des arachides lui apparut immédiatement, au point d’appeler ses frères pour en organiser le commerce. Telle fut l’origine de la Maison Calvé Frères. En 1934, l’usine traitait jusqu’à 73 000 tonnes d’arachide par an grâce à 450 salariés et bateliers. L’établissement ferma progressivement ses portes à partir de 1955.

Vue extérieure de l’Huilerie de Laubardemont (devenue Maison Calvé frères)

Coutras – Huilerie de Laubardemont (devenue Maison Calvé frères) – Salle des presses N°2

 

L’aciérie de Saint-Seurin et William James Jackson

Propriété de la famille des seigneurs de Saint-Seurin-sur-l’Isle, les Lageard, le moulin était en ruine à la fin du XVIIIe siècle. Ce moulin, équipé de six meules, fut racheté en 1835 par Durand-Monbrun, qui reconstruisit le moulin alors abandonné. Il implanta le barrage déversoir à son emplacement actuel. La chute d’eau alimenta dorénavant des roues à aubes et des meules à blé. Le barrage fut achevé en 1839.
En 1850, William James Jackson acheta le moulin. Son projet était des plus audacieux : il envisageait de dépasser son concurrent des forges de Coly, au Pizou (Dordogne), et de traiter les fontes périgourdines afin de fabriquer de l’acier fondu en creuset, tout en se réservant la possibilité d’améliorer le procédé. Son projet fut soumis à l’administration centrale et fut étudié par le service hydraulique. Il fallut aménager la chute, édifier des bâtiments nouveaux, obtenir des autorisations, vaincre des résistances locales, réunir des capitaux et amener une main-d’œuvre spécialisée. C’est vers Napoléon III que se tourna l’industriel. Un décret de 1851 autorisa la création de l’usine. Un prêt de l’État à Jackson de
1 200 000 francs fut employé à la construction d’un atelier très complet pour la fabrication des ressorts et pour l’érection d’une forge pour le laminage des lingots d’acier.

William James Jackson – 1855

Intérieur de l’aciérie Jackson

Le charbon fut importé d’Angleterre et remonté par les chalands aux abords immédiats de l’usine. Tandis que se poursuivait la construction des ateliers, des hauts fourneaux, des cubilots, Jackson édifia un vaste immeuble destiné au logement collectif des ouvriers et à l’installation des bureaux. Il importa aussi les savoir-faire nécessaires à cet établissement sidérurgique. Les ouvriers, d’origine anglaise, alsacienne, hollandaise et allemande firent passer la population de Saint-Seurin de 614 habitants en 1851 à 1080 dix ans plus tard. Le complément de main-d’œuvre non qualifiée fut choisi parmi les paysans et artisans de Saint-Seurin. L’aciérie fonctionna idéalement : William Jackson, concessionnaire de Bessemer, introduisit le premier en France la fabrication de l’acier au convertisseur.

Vue générale de l’Usine de Saint Seurin-sur-l’Isle

La production maximum d’acier atteignit 18 000 tonnes. Les produits finis, poinçonnés acier Jackson, consistaient en ressorts, cœurs d’aiguillage de chemin de fer ou encore plaques de blindage et canons. En 1869, le prix des matières premières étant trop élevé, les portes de l’usine fermèrent. L’activité fut transplantée à Imphy et à Montluçon.

L’usine de caoutchouc de Reyreau et Maurice Baudou

Vers 1906 germa dans l’esprit entreprenant d’Antoine Baudou, distillateur en Charente-Maritime, l’idée de créer une industrie du caoutchouc sur les rives de la Dronne. La force hydraulique à disposition et les dynamiques industrielles, amenèrent Antoine Baudou à rechercher de nouveaux domaines d’application du caoutchouc. Très vite, l’idée prit forme et la décision suivit après qu’Antoine Baudou eut consulté un spécialiste de l’industrie du caoutchouc.

Monfourat Les églisottes (Gironde) – Avenue de l’Usine à papiers de Monfourat – Sortie des ouvriers

En 1908, son fils Maurice Baudou, qui se passionnait pour l’affaire au point d’en devenir l’animateur et le véritable fondateur, l’assista dans ses premiers projets d’installation et de fabrication, et en 1910 un ingénieur conseil vint de Paris pour achever la mise au point de l’établissement. Les “grandes usines de la sirène” étaient nées, implantées dans le moulin de Reyreau aux Églisottes. Leur publicité fut confiée au célèbre affichiste Cappiello.

En 1910, Baudou débuta la fabrication des pneus de vélo, des boyaux et des chambres à air. En 1915, il se spécialisa dans le pneu increvable pour vélos et motos légères, production qui connut rapidement une vogue auprès de ceux que rebutaient les crevaisons alors fréquentes. En 1935, la gamme de production des bandages increvables équipa les matériels agricoles et industriels, ainsi que ceux de l’armée. L’Increvable Baudou étendit sa renommée aux marchés étrangers.

Mais c’est en 1936 que l’usine développa une innovation marquante. Ce fut le grand départ de la botte en caoutchouc, moulée d’une pièce grâce à un procédé – utilisé encore aujourd’hui – nourri de nombreux perfectionnements techniques. Le succès dépassa rapidement les espérances et vint couronner tous les efforts : la botte moulée, pratique et robuste, conquit, à une allure record, le marché français. Cette nouvelle orientation fera de Baudou, en quelques années, le premier producteur de bottes moulées.

Après 1453, les nouveaux seigneurs de Fronsac firent le choix du développement économique de leur seigneurie en favorisant la reprise et la création de moulins sur l’Isle et sur la Dronne. Ces choix d’il y a 550 ans ont conduit les sites retenus pour l’implantation de ces moulins à devenir les sites du développement industriel. Aujourd’hui encore, le site du Moulin d’Abzac abrite le siège et l’usine d’Abzac SA. La cartonnerie Smurfit est implantée à proximité immédiate du site du Moulin de Camps. L’usine AMCOR-Flexibles occupe le site du Moulin de Saint-Seurin-sur-l’Isle tandis que l’usine Baudou est toujours présente aux Églisottes-et-Chalaures.
Mais bien plus encore, ces moulins furent le creuset d’innovations technologiques majeures au cours de la Révolution industrielle : acier en coulée continue par Jackson à Saint-Seurin-sur-l’Isle ; obtention d’une qualité de papier sans précédent à Monfourat à l’époque de Vorster, Legrand et Navarre ; plus grande minoterie de France, puis huilerie avec
450 employés pour le Moulin de Laubardemont ; épopée de la fabrication d’objets en caoutchouc créant 1500 emplois au moulin de Reyreau aux Églisottes.
Il est remarquable que les choix effectués par les seigneurs du XVe siècle aient déterminé en grande partie le développement économique des vallées de l’Isle et de la Dronne à l’époque contemporaine. L’étude approfondie de l’histoire et du destin de ces moulins, ici simplement ébauchée, mériterait sans doute qu’on s’y arrête davantage.

Affiche publicitaire de « LA SIRÈNE BAUDOU », pour les pneus et le vélo BAUDOU

David Redon :
Président du Groupe de Recherches Archéologiques et Historiques de Coutras (GRAHC)

Philippe Rallion :
Membre du Groupe de Recherches Archéologiques et Historiques de Coutras (GRAHC)

Le texte de cet article est un extrait de l’ouvrage des Archives départementales de Gironde, « Coeur des Moulins », édité par Ausonius Éditions (cf dans ce numéro MdM 77 p32) et contenant de nombreuses références bibliographiques. Les illustrations sont beaucoup plus nombreuses que dans le texte original. Sauf précision dans le texte, les illustrations appartiennent à la collection des auteurs.

Paru dans Le Monde des Moulins n°77 – juillet 2021

Catégories : Histoire

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