Le site des Moulins de France
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oct2018 bailly1Afin d’honorer la mémoire d’un meunier « Mort pour la France », allons en Champagne, dans la très pittoresque bourgade viticole des Riceys1. Ce village, qui partageait ses activités entre la vigne, les travaux des champs et le tissage des toiles, a alterné les périodes de prospérité et de grande misère au gré des conflits territoriaux de l’ancien régime : une partie du finage était champenoise et l’autre bourguignonne ! Cependant, c’est un conflit fratricide, au début XXe siècle, qui a bien failli ruiner le village : la guerre de l’appellation Champagne !

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Carte postale : Les Riceys – Vue générale de Ricey-Haut avant 1914. Col. privée

Quand la Grande Guerre éclate, le village est exsangue : la « Révolte des Vignerons » de 1911, durement réprimée, a laissé un goût amer avec le classement de la Champagne historique en « seconde zone ». Le vignoble détruit par le phylloxéra est loin d’être reconstitué et les jeunes vont chercher du travail dans l’agglomération troyenne où les usines de bonneterie sont prospères. De 3558 habitants en 1851, la population ricetone est tombée à 2140 personnes en 1911 !

René Bailly, qu’on appelle Jules, est né le 4 avril 1880 aux Riceys où son père, Alexandre, tenait la boulangerie de Ricey-Haute-Rive2. Quand le père a pris sa retraite, Jules lui a succédé3, mais les affaires sont loin d’être prospères ; alors, peu de temps avant la déclaration de guerre, Jules met la boulangerie en location et achète un moulin à eau, le Moulin du Magny, en amont du village, pour être meunier.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, il y avait cinq moulins à grain en activité sur la Laignes4 aux Riceys et deux huileries. Il ne semble pas, pendant la Grande Guerre, qu’un autre moulin à grain ait fonctionné dans le village et, dans l’état actuel de nos recherches, le sort des autres moulins à cette époque nous est inconnu. Le concurrent le plus proche, dont parle souvent la meunière, est le meunier de Celles-sur-Ource.

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Les Riceys, détail de l’Atlas du département de l’Aube dressée par A. Leloup, 1875. Col. Société académique de l’Aube

 

Les bâtiments du moulin ne sont pas en très bon état5, mais l’équipement est moderne. Le moulin est équipé d’une chaudière à vapeur pour suppléer au manque d’eau de la Laignes6, en été, (ou quand la Laignes est gelée en hiver) et de cylindres pour moudre le blé. Il contient aussi un moulin à orge.
Son investissement de 15 000 francs n’est pas remboursé au moment de la déclaration de guerre.
Jules Bailly exploite le moulin avec trois ouvriers : l’un âgé, le père Gilot, (53 ans à la déclaration de guerre), meunier expérimenté, qui ne sera pas mobilisé, André, un peu plus jeune mais chargé de famille nombreuse, qui sera exempté de service, et Paris, qui reste seulement jusque début 1917. Les deux derniers sont chargés des tournées de collecte du grain dans les villages alentours et aident aussi, occasionnellement, aux travaux des champs.

En 1904, Jules épouse Solange Jacob, d’un an plus âgée que lui. Solange est une femme rude à la besogne, sans grande instruction, placée comme fille de ferme depuis l’âge de 9 ans jusqu’à son mariage. C’est elle qui entretient le potager et s’occupe d’une basse-cour bien pourvue en poules, canards et dindons. En plus, elle nourrit une vache, élève un veau et un cochon tous les ans, fait des fromages qu’elle vend.
Elle aide son mari à la culture des champs, à l’entretien d’une petite vigne et d’un verger.
Ils ont une fillette, Suzanne, née en 1908, souvent malade.

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Le facteur : carte postale humoristique, 1915. Col. Catherine Tartre

 

Courrier de guerre

Pendant la guerre, les deux époux vont entretenir une correspondance régulière dont seulement une partie a été conservée, c’est-à-dire environ 840 lettres7, quelques cartes de correspondance et des cartes postales. Il reste aussi quelques courriers d’amis ou de membres de la famille.

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Correspondance des Bailly : panier de lettres conservé dans le greneir du moulin. Col. Patrice Romary (Cf la note en fin d’article)

Toutes les lettres n’ont pas été conservées, malgré la demande du soldat à son épouse. Il y a peu de lettres en 1914 et 1915, un peu plus en 1916, beaucoup en 1917. Il y a des lacunes importantes en 1918, notamment à partir du moment où le soldat est blessé, le 28 mai. Son dernier courrier est du 18 août 1918, alors qu’il meurt le 28 octobre. Nous ne savons donc rien de ses dernières semaines. Nous ignorons encore ce qu’est devenue la famille du soldat. Le corps de Jules Bailly a été ramené de Barbotan, dans le Gers, où il est mort, pour être enterré dans le cimetière des Riceys.
L’importance croissante du courrier, au fur et à mesure de l’avancement de la guerre, n’est pas propre à la famille Bailly ; nous l’avons rencontrée à maintes reprises en étudiant des courriers de guerre. Les soldats, agriculteurs, artisans ou commerçants pour la plupart, n’avaient pas l’habitude d’écrire, mais comme le courrier était le seul lien qui les reliait à leur famille et leurs amis pendant plusieurs années, ils prirent l’habitude d’écrire de plus en plus souvent et de livrer leurs sentiments plus ouvertement, ce qui était loin d’être courant au début du XXe siècle.

Le courrier de guerre des Bailly a été retrouvé dans le grenier du moulin, il y a quelques années, par la propriétaire actuelle. Toutes les lettres et cartes, encore insérées dans leurs enveloppes d’origine, étaient contenues dans un grand panier en osier. L’ensemble, bien que poussiéreux, est en excellent état8 de conservation.

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Village de Mailly-le-Camp, le 9 sept. 1914. Col. privée

 

Août 1914
La guerre est déclarée, les réservistes sont appelés, les civils doivent s’organiser pour assurer le quotidien. Le meunier quitte son moulin et reprend son ancien métier de boulanger.

Le département de l’Aube n’a pas été envahi : les Allemands ont été arrêtés le 9 septembre 1914, à la limite du département de l’Aube avec la Marne, au village de Mailly, qu’ils ont brûlé. Puis le front s’est stabilisé à la hauteur de Reims et des Monts de Champagne.

Cependant, quelques villages du nord de l’Aube ont été inclus dans la Zone des Armées, alors que le reste du département était classé en Zone des étapes où s’effectuaient la répartition des envois de munitions, des vivres, des troupes, ainsi que le retour et le tri des blessés.
Ce classement a considérablement restreint les libertés de circulation des civils, comme nous le verrons ultérieurement.

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Troyes, août 1914 : départ des Territoriaux. Col. privée.

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Fours de campagne à Troyes, août à novembre 1914. Col. privée.

 

Jules Bailly, de la classe 1900, est réserviste. Sur son livret militaire, il est enregistré comme boulanger ; aussi, lors de la mobilisation, il est affecté à la station-magasin de Troyes10 qui fonctionne d’août à novembre 1914. Les fours mobiles, installés sur les promenades à l’emplacement des anciennes fortifications de la ville, alimentent les troupes lors de la bataille de la Marne, puis les unités stationnées à proximité.

Le pain des soldats

Le procédé de fabrication du pain destiné aux soldats est expliqué11 dans les 80 pages du règlement du service des subsistances. Il est précédé de 200 pages sur les opérations de mouture et choix des farines.
Le pain des soldats était fabriqué par l’Armée :

  • dans ses stations-magasins éloignées du front, comme à Troyes, Nantes ou Besançon,
  • dans ses centres de fabrication comme celui du camp militaire de Mailly dans l’Aube,
  • ou dans ses boulangeries de campagne, mobiles, qui suivaient les affectations des unités combattantes.

Les boulangers de l’Armée étaient tous des professionnels et le matériel mis à leur disposition était de bonne qualité, souvent même d’une technologie plus avancée que le matériel utilisé dans le civil (ex. pétrins mécaniques).
Les pains fabriqués, des boules de
1500 kg, correspondaient à deux rations journalières. Sa qualité était assez suivie et, vers la fin de la guerre, le pain des militaires était meilleur que celui des civils. Bien qu’il n’ait jamais été rationné, le pain dépendait des facilités d’approvisionnement…
Lorsque des militaires étaient au repos ou à l’entrainement dans un village, le pain pouvait être acheté aux boulangers locaux.

Cependant, Jules ne reste pas à Troyes. Il est détaché à Nantes où il arrive le 12 septembre après un voyage en train de 45 heures. Dans sa première lettre, datée du lendemain, il écrit à sa femme :  Il y a beaucoup de moulins à vent, c’est curieux de les voir tourner. J’irai les visiter quand j’aurai un moment.  Puis il ajoute :  Il y a deux cents fours de montés. On fait cinq fournées et c’est dur car les fours sont grands .

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Nantaises : Carte postale envoyée par Jules Bailly à sa fille. Col. Patrice Romary

 

Jules n’a jamais voyagé, il regarde autour de lui et s’extasie dans sa lettre du 4 octobre :  Si tu voyais à Nantes comme c’est beau, c’est magnifique. Les hommes avec leurs grands chapeaux et leurs rubans, les femmes avec leurs riches toilettes… Le velours et la broderie sont leur orgueil, leur petit bonnet de fine dentelle est épatant . Et quelques lignes plus loin :  Tu ne me dis pas si tu as de l’argent en caisse, l’argent rentre-t-il un peu ? Ne livre pas trop à crédit .
Ses premières lettres donnent le ton de toute sa correspondance à venir : il raconte ce qu’il voit, ce qu’il fait et donne des détails sur sa vie quotidienne, dans le strict respect des informations autorisées par la censure. Puis il s’inquiète de la marche de ses affaires et, par des conseils, essaie de diriger, ou plutôt contrôler à distance, ce qui se passe chez lui. Nous allons voir, au fil du temps, comment ce contrôle lui échappe.

Les informations que le soldat livre sur les évènements sont l’écho de ce que la presse colporte. Or la presse, de juillet 1914 à la signature de la paix en 1919, est muselée par la censure et les informations imprimées ont pour unique but de préserver la combativité des soldats et le moral des civils, ce qui n’a rien à voir avec la réalité des faits !

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La Censure – Almanach des Anciens Combattants, 1934. Col. Catherine Tartre

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Partie de cartes : aquarelle d’André Romand. Col.Sylvain Romand (Cf la note en fin d’article)

Le 19 septembre, Jules Bailly écrit à son épouse :  Sur les journaux ça a l’air de bien marcher et si nos troupes avancent sur la frontière, nous avons beaucoup de chance de retourner à Troyes . Puis le 11 octobre :  Voilà la bataille de l’Aisne qui est gagnée, je l’ai vu sur le journal .
Le « bourrage de crâne » allait continuer pendant toute la durée de la guerre.
La routine s’installe avec des bons et des mauvais jours.
À la station-magasin de Nantes, le travail est irrégulier, ainsi que l’approvisionnement, mais peu à peu, l’organisation de guerre et une discipline rigoureuse remplacent l’improvisation des premiers mois.
Ce n’est pas facile mais :  Enfin c’est la guerre et il y a encore des plus malheureux que nous  (Lettre du 06.10.14).
La nourriture est souvent mauvaise et, habitué à la cuisine familiale, le réserviste a du mal à avaler le « rata » militaire. Il va manger au restaurant ou achète des extras et, le 11 novembre, il écrit à son épouse : Si je dépense un peu d’argent, tu es là pour m’en gagner et tu sais je ne le dépense qu’à regret. Les dépenses du militaire : un problème récurrent pour les années à venir !

1915
La guerre s’installe et le front se stabilise. Jules Bailly est boulanger à Nantes, la vie n’est pas trop dure mais il s’ennuie. Son épouse prend leurs affaires en main.

Pour les militaires, il n’est pas question d’aller en permission : le règlement militaire l’a bien prévu mais pas le Haut Commandement puisque cette guerre doit être courte !
Cependant, Jules Bailly a de la chance, car, contrairement aux soldats de l’active qui sont envoyés sur le front, donc sans adresse fixe, lui, il séjourne dans une ville avec une adresse de cantonnement. Son épouse peut donc venir en train lui rendre visite. En janvier 1915, c’est déjà le second séjour de la meunière.
Pourtant, Jules se plaint de la discipline : C’est honteux pour des hommes qui travaillent comme nous… tous les hommes qui couchent en ville doivent dès aujourd’hui regagner leur cantonnement… on nous mène comme de vrais bleus  (Lettre du 22.01.15). Il est déçu, car il avait pris une chambre en ville bien plus confortable que le cantonnement offert par l’Armée !
Il rouspète même beaucoup pourtant, plus tard, il se souviendra avec regret des bons moments passés à Nantes qu’il évoquera avec nostalgie dans les courriers échangés avec ses copains.

Jules n’oublie jamais ses affaires et dans les lettres de janvier et février à son épouse, les conseils pleuvent : Tu dois être contente de faire de l’argent comme ça… Quant au reste de ton avoine, il faut la vendre au moins 22 frs les 100 kg, car elle est chère en ce moment (Lettre du 24.01.15 ).
Fais le moins de crédit possible. Achète un peu de blé si tu peux, il va augmenter (Lettre du 26.01.15).
Pour tes farines tu as bien fait de les augmenter un peu et d’ici quelque temps il faudra les vendre 40 frs et au moins 43 au public… Prends et demande de la marchandise, cela vaudra mieux que du crédit (Lettre du 27.01.15).
Le blé est à 27 et 28, eh bien achètes-en autant que tu en trouveras, il va encore monter et passera à 30 frs cette année à mon avis (Lettre du 03.02.15).
Hausse un peu le prix de tes farines car tu vends trop bon marché (Lettre du 05.02.15).
Les conseils portent leurs fruits, car le
11 mars, il écrit : Depuis mon départ tu fais argent de tout et je comprends que ta caisse grossisse .
À Nantes, le militaire bénéficie maintenant d’un jour de repos par semaine et il en profite pour aller voir la mer :  Le sable est aussi fin que la farine  et visiter Les Sables : les Sablaises en jupon court sont canailles mais pas toujours propres à entendre dire. (Lettre du 22.03.15).

La meunière n’est pas la seule épouse d’artisan à travailler. Le 16 avril, elle reçoit un courrier de la boulangère de Neuville-sur-Seine, village voisin : Veuillez me mettre pour lundi neuf sacs de farine… Quant à notre compte, je pense me remettre à jour vers la fin de mai, j’ai de l’argent pas mal à toucher. Lundi je donnerai le plus que je pourrai… Comme je fournis du pain aux soldats, le commandant de Celles12 me donne un boulanger, alors j’ai un bon ouvrier, cela me fera du bien.

Jules Bailly a conscience du travail fourni par son épouse et lui écrit le 12 mai : Tu dois avoir un rude cassement de tête avec tout ce train-là, toi qui avais le cerveau si tranquille quand j’étais là .

En mai, Jules Bailly se préoccupe surtout de ses affaires :
Je voudrais bien être là, pour sûr, pour faire du commerce comme cela. Ça doit être bien agréable, tu dois être heureuse de serrer tes billets les uns près des autres … Cette petite phrase est la première où le militaire laisse percer une pointe de jalousie devant les succès de son épouse. Hélas, ce n’est que le début et ce sentiment de frustration va se développer jusqu’à le ronger et perturber leurs relations.
 Peut-être qu’après la guerre nous ferons la tournée de Nicey… On fera aussi Molesme13 si cela peut prendre… puisque tu as assez de travail et que vous marchez jour et nuit… Heureusement que tu es courageuse et que tu as pris le dessus des choses, sans cela c’était la ruine14 pour nous. C’est ce qui me console, la guerre va nous tirer une bonne épine du pied  (Lettre du 06.05.15).

Début août 1914, les lois de protection du droit du travail furent suspendues pour cause de guerre !

La nécessité de produire armes et munitions permit d’allonger la journée de travail à discrétion et de suspendre le repos hebdomadaire. Femmes et enfants purent être affectés à des travaux dangereux et travailler de nuit. Dans certaines usines, on travaillait jusqu’à 10 ou 12 h par jour, avec 2 jours de repos par mois.
Il semblerait bien que la meunière ait appliqué sans vergogne cet allongement de la durée du temps de travail !

En juin, les lettres de la meunière mentionnent pour la première fois les courriers échangés avec la préfecture de l’Aube concernant le contrôle gouvernemental sur la farine et les grains. Hier j’ai reçu encore une lettre du préfet, une feuille à remplir, le nombre de farine qu’on fait, les clients qu’on sert (Lettre du 02.06.15).

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Taxation du pain blanc de première qualité dans une ville de l’Aube : La Tribune de l’Aube du 3 mai 1915. Col. privée

Quelques jours plus tard, elle sollicite l’autorisation du préfet pour acheter cent quintaux de blé pour les besoins de sa clientèle courante et envoie à son mari copie de la lettre adressée au préfet.
Ce courrier représente une évolution dans la mentalité de la meunière : moins d’un an après le départ de son mari, elle ne sollicite plus son avis mais l’informe de ce qu’elle vient de faire.
Puis, dans son courrier du 15 juin, elle raconte comment elle a berné ses clients en bénéficiant de la bienveillance des autorités de contrôle !
Quelle journée hier, à 5 heures, que de voitures et de populo dans la cour, un vrai champ de foire. On a installé une table au moulin pour les écritures, M. Lot, le président de Chaource, M. Ceuche, le beau-père à la Louise Deschamps qui a tout pesé et délié les sacs de blé. L’huissier de Chaource faisait les écritures. Il n’y avait pas un sac où il y avait le compte et la bascule qui a volé déjà 1 kg par sac, si tu avais entendu tous les hommes, ils étaient fous de voir qu’il y en manquait tant que cela sur leurs sacs. On leur a fait voir que la bascule était juste et personne n’y a rien vu. Il y en a la moitié qui a été payée
31 frs ou 31,50 et pas beaucoup à 32. Les trois hommes étaient bien gentils pour nous et ont travaillé dans notre intérêt… 
Maintenant, c’est elle qui décide les achats à faire et les prix à facturer :
Nous avons plus le droit de rentrer des sacs de blé à partir du 25 et il ne faut plus qu’aucun cultivateur donne un sac de blé [risque de procès pour celui qui vend et celui qui achète]… On nous défend pas les orges ni les avoines, aussi tous les cultivateurs qui n’ont pas tout déclaré viennent me les vendre ou les faire moudre, ce matin en voilà 900 kg et tous les jours la même chose… J’ai reçu une lettre du préfet hier qui me taxe ma farine 43,80 frs prise au moulin et 44.50 si c’est pour la mener mais je vends tout 44,50. Les cultivateurs viennent la chercher par 200 kg, heureusement qu’on nous a laissés tranquilles, qu’ils nous ont pas tenus comme ils font aujourd’hui, sans cela j’aurais pas pu ramasser ce que j’ai en caisse… Il y a du blé au moulin, il y en a bien 100 sacs et on nous tient comme cela jusqu’au 15 août ; tu parles s’ils me font suer avec tout cela. Maintenant le préfet demande ce qu’on a fait de nos sons en mai et juin, tu vois pas qu’il faut encore fournir des explications et il demande la réponse d’urgence… Voilà 2 nuits que je ne peux pas dormir de me voir un ouvrage pareil, je suis énervée, il y a des moments j’en pleure d’être surmenée et de vouloir tout faire .
Le travail est épuisant, mais quelle fierté d’écrire à son mari le 23 juillet :
Penses-tu que voilà un an que tu es parti, tu m’as laissée presque sans le sou, et j’ai payé toutes tes factures et j’ai 15 000 frs dans mon armoire… Quand tu reviendras, le plaisir que tu auras de retrouver de l’argent et toutes tes affaires sans que rien ait souffert. Mais aussi je n’ai jamais tant travaillé depuis que je suis avec toi … 
Se rend-elle compte de la dureté du ton qu’elle emploie ? En soulignant l’énorme travail qu’elle fournit, elle appuie lourdement sur le fait qu’il ne lui avait rien laissé avant de partir, sinon des dettes, et qu’un an plus tard, elle a déjà amassé un beau magot : elle fait donc mieux que lui !
Cet aspect de la situation n’a pas échappé aux illustrateurs de l’époque et les journaux et magazines publient quelques dessins assez savoureux.

Dans la lettre qu’elle poste le lendemain, concernant une cliente qui lui doit de l’argent, c’est elle qui donne des instructions à son mari :
Alors voilà ce que tu vas faire. Tu lui écriras gentiment en lui disant que par les temps qui courent que tu tiens à ce qu’elle signe par main de notaire, pour que tes affaires soient faites en règle, une reconnaissance ou obligation .
Les courriers du soldat en juillet et août sont rares, nous ignorons donc les réactions du meunier-soldat, mais comme il est sensible, on peut imaginer que la nouvelle attitude de son épouse a dû, pour le moins, le surprendre, sinon le blesser.

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Almanach Vermot 1917 : Les femmes meilleures en affaire que les hommes ! Col. Catherine Tartre

Le 17 juillet, il écrit : Nous avons été laver les sacs [de farine] au bord de la Loire et on les étend au soleil pour les faire sécher. Pendant qu’ils sèchent on fait la pose [pause]. En somme on ne fait pas grand travail. C’est terrible de voir occuper 500 hommes à faire ce truc-là pendant qu’on aurait tant à travailler chez soi  ! 
Fréquemment, cette idée de perdre son temps à l’Armée, alors qu’il y a tant de besogne à faire chez soi, revient dans les lettres de l’un ou de l’autre. Ils n’ont pas l’habitude d’être inactifs, et l’idée d’une occupation non productive les révolte.
Jules Bailly a sa première permission début septembre, après 13 mois de mobilisation.
Le 17 septembre, la meunière furieuse écrit à son mari pour lui signaler qu’André, son ouvrier, menace de la quitter pour la concurrence si elle ne l’augmente pas : « Cochon d’André ! Avec des mois pareils ma caisse ne montera pas vite ».

Le 6 octobre, ce sont les vendanges :
38 hottées de raisin, 6 pièces de vin et très bon, alors qu’au moulin on travaille, mais pas encore en pleine force, il nous faut encore plus d’eau que cela, on fait tout de même tous nos orges .
Et comme tout va bien au moulin, la meunière est d’humeur joyeuse et prévoit :
Si je touche mon allocation et que je vas mettre mon argent de lait et de fromage pour me payer mon train, j’irai te souhaiter la bonne année .

Allocation de l’État aux épouses des mobilisés

Au début de la guerre, le départ des hommes mobilisés laisse de nombreuses familles françaises sans ressources pour vivre. La loi du 4 août 1914 assure une petite indemnité aux épouses et enfants. Elle était de 1,25 fr par jour pour l’épouse et de 0,50 fr par enfant à charge de moins de 16 ans. Elle fut augmentée en août 1917.
La meunière des Riceys touche l’allocation à partir de novembre 1915. Mais, en janvier 1917, un courrier de la mairie lui apprend que cette allocation est supprimée étant donné que les revenus qu’elle tire du moulin sont suffisants.

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« Assistance aux Familles des Militaires sous les Drapeaux » :  supprimée à Solange Bailly ». Col. Patrice Romary

 

Fin octobre, il faut prévoir quelques dépenses et réparations au moulin :
 J’avais pour 42 frs de bois, mais M. Gilot en avait pour sa turbine. Il veut faire recanneler 2 paires de cylindres et faire faire des bagues à la roue qui a éclaté car voilà 15 jours il y a eu 49 dents de cassées. Il a fini de les mettre hier et il veut mettre toutes ses affaires en ordre quand il va bien marcher. Il veut aussi une chaîne à blé (celle qui est en place casse toujours). Tout l’été il disait qu’il en fallait … 
Et, le 4 novembre :  André est parti depuis hier à Tonnerre mener nos cylindres… Si on lui fait tout de suite il va rester 2 jours et il est parti avec Maroc [le cheval] et le quatre-roues. J’en ai encore au moins pour mes
100 frs, 80 frs pour les cylindres et les frais à André 20 frs. J’attends aussi la chaîne à blé, j’en ai demandé 25 mètres comme M. Gilot me l’a fait écrire, il a aussi rhabillé son moulin à orge, il veut être en mesure [de travailler] quand l’eau sera remontée… Je ne fournis pas à l’avoine, tous les jours les émigrés viennent à l’avoine même dans les pays aux alentours. L’on va aller toutes les semaines chez Fleury à la Gloire-Dieu15, il faut 100 kg d’orge et 50 kg de son toutes les semaines et c’est à vendre … 

Si elle est dure à la tâche et âpre au gain, il ne faut pas imaginer la meunière insensible. Elle aime son mari et s’inquiète dès qu’il doit changer d’affectation :
Je reçois ta lettre qui nous fait pleurer et trembler… C’est à ne pas y croire, mon Dieu quelle chance que tu ne pars pas, c’est même à ne pas y croire, dire que c’est ta dentition qui t’en empêche… Je commence à me remettre et je ne peux croire que j’aurai la chance de te savoir à l’abri des balles, moi qui t’aime tant et qui a tant de courage pour nous retrouver heureux après cette maudite guerre  (Lettre du 30.11.15).
La crainte de voir son mari partir pour l’Armée active l’a fait réfléchir et son pragmatisme prend le dessus. Afin de se protéger, elle demande à son mari de rédiger un testament :
Ton testament, il vaut mieux le faire en bonne santé, car quand il faut le demander au moment de la mort on hésite, car c’est déjà assez triste quand ça arrive, moi ça ne me fait pas peur de te donner le mien quand tu voudras, présent et à venir, mais moi ce n’est pas la même chose de mon côté puisqu’il n’y a rien, enfin c’est une petite affaire à faire et au moins on est toujours bien tranquille (Lettre du 08.12.15).
Le militaire s’exécute et le 10 décembre, la meunière remercie : Ton testament, il est très bien fait.
Le 5 avril 1915, la meunière avait déjà obtenu une procuration pour encaisser les paiements de leur commerce.

La femme nait libre, comme l’homme,

dit la loi, mais jusqu’à l’âge de 21 ans, elle est sous l’autorité de ses parents. Lorsqu’une femme se marie, elle reste ou redevient juridiquement « mineure » et abdique en faveur de son mari le soin de défendre ses intérêts. Si la loi de 1907 lui permet de disposer de son salaire, son mari gère tous les biens du foyer.
Pendant la guerre, une loi du 3 juillet 1915 donne à cette femme « juridiquement mineure » l’exercice de l’autorité parentale lorsque le chef de famille est à l’armée. Il s’agit cependant d’un acquis provisoire.
Pourtant, en France, en 1914, environ 40 % des femmes travaillent, ce qui est supérieur à la moyenne des autres pays européens. À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, elles commencent à travailler à l’usine. Ceci est très net dans l’Aube où, avant 1914, la bonneterie emploie à peu près autant d’hommes que de femmes. Après la guerre, les femmes seront majoritaires mais avec un salaire moitié moins élevé !
Certaines femmes vont devoir remplacer l’époux mobilisé dans l’entreprise qu’il dirigeait – commerce ou industrie – et dans ce cas, afin de régler les affaires courantes, encaisser les sommes dues, acter devant notaire, etc., le mari va être obligé de leur signer une procuration.
Peu habitués à ce que les affaires soient traitées sans eux, cette situation irrite cependant certains chefs de famille. C’est le cas du meunier des Riceys qui écrit, le
9 février 1917, à son épouse : « Je t’assure que quoique tu aies ma procuration pour tout faire, j’aurais été fâché si vous aviez traité l’affaire sans mon avis, pourtant la procuration te donne le droit de tout faire.»
Le vote des femmes, accepté par l’Assemblée Nationale, fut rejeté par le Sénat en 1922. Il ne leur sera accordé qu’en 1944 et, enfin, la Constitution de 1946 inscrivit dans son préambule : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme.»

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Carte postale adressée à « Jules Bailly, Soldat boulanger… » Col. Patrice Romary

Le 18 décembre, son mari s’inquiète pour le travail au moulin car un des ouvriers est parti.

Son épouse le rassure :
Pour les commis, ils n’arrêtent jamais, on a toujours plein de travail malgré que de l’orge et de l’avoine c’est contrebande, il n’y en a guère .
La meunière avoue se procurer du grain en contrebande et ce n’est que le début !
À mi-décembre, la boulangerie de Nantes ferme et Jules Bailly est envoyé à la station de Besançon (7e section COA, Besançon Butte /Doubs).
Puis viennent les fêtes de fin d’année. Lettre du 24 décembre de la meunière :
Demain c’est Noël et ici ça ne changera rien, il n’y aura que les commis qui ne travailleront pas et que je paierai quand même. On fera cuire des marrons avec Suzanne, voilà toute notre fête.
C’est un peu difficile pour elle de payer des employés à ne rien faire !

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Carte postale. Col. Catherine Tartre

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Fabricant de bagues – Aquarelle d’André Romand 

1916
Le 21 février, l’armée allemande attaque dans le secteur de Verdun. Jules Bailly voit les soldats passer à Besançon où il travaille. La meunière s’émancipe.

Le soldat écrit le 25 février : On ne touche pas de charbon en ce moment [il neige et fait très froid]. En ce moment ça tape dur du côté de Verdun, hier nous avons vu embarquer le
4e régiment d’artillerie, tu parles s’il y en avait des chevaux et des hommes et des canons de 155 de long. Ils ont formé à eux seuls 4 trains complets. Nous faisons toujours nos 5 fournées de jour et samedi nous prenons la nuit. Si on a eu des bons moments en arrivant, ce n’est plus aujourd’hui, surtout Edmond avec son four, il en a du mal, rien que du bois vert, son four ne chauffe pas et il a un mal de chien, mais il boit une chopine de plus et il est remis .

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Une pièce de 155 présentée à Mailly-le-Camp. Col. privée

 

Nous n’aborderons pas le problème de l’alcoolisme à l’armée, car le meunier est sobre. Dans de nombreux courriers, Jules Bailly s’indigne du manque de conduite des soldats ivres.
Puis, deux jours plus tard, il ajoute :
Les boches ont encore une fois essayé de forcer nos lignes sur Verdun mais ils ont eu des pertes effroyables, des monceaux de cadavres, ils avaient sur ce point 200 000 hommes. Nous, nous avons reculé de 1600 m, mais il paraît que nos canons de 75 ont encore fait du bon travail, si en tout cas on peut appeler ça du bon travail, aussi je dis que c’est plutôt triste… Nous voilà partis ce soir pour
5 fournées .
Le canon de 75 était très performant et Armée comme civils en étaient fiers. Il était fréquemment utilisé comme sujet de propagande et on trouve ses mérites vantés dans les magazines de l’époque ou sur les cartes postales. C’était cependant un canon à tir droit et dans les régions vallonnées, il était moins efficace.
Un problème survient au moulin en juin : la farine est trop blanche et ne correspond pas aux directives gouvernementales relayées par les préfets !
M. Gilot dit qu’on va être obligés d’acheter une soie à gruaux pour pouvoir faire ses farines grises, car voilà 2 fois que le préfet écrit à ce sujet, car il dit qu’il ne peut pas passer ses gruaux, qu’il en reste toujours (Lettre du 09.06.16).

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Le très apprécié canon de 75 : ici une chanson qui vante ses mérites, vendue au profit des blessés dans un hôpital de Troyes. Col. privée

 

Le 23 juin, Gillot écrit à son patron :
J’ai beaucoup cherché ce que je devais faire pour les exigences de la Mouture Nationale, enfin voilà ce que je vais faire : je vais enlever le gros cylindre de la meule à gruau et le remplacer par celui qui faisait diviseur à la centrifuge. Je l’ai conduit chez Thury Guénin ce matin pour le réparer et la garniture de soie coutera moins cher que pour l’autre. Je pense bien faire, je demanderai la soie plus ouverte de manière à ne pas passer les gruaux tant de fois. Aujourd’hui je suis obligé sur une mouture de 50 sacs de passer les gruaux un jour de plus, ce qui fait que c’est du retard et la farine sent mauvais, malgré que c’est bien un peu partout comme ça .
Gillot, qui est honnête et consciencieux, ne devait pas trop approuver les agissements de sa patronne et préfère s’adresser directement à son patron, même par courrier !
En août, il y a assez d’eau pour faire tourner la roue du moulin et l’ouvrage ne manque pas, mais Gilot ne peut pas aller plus vite que le moulin et en voilà jusqu’au mois de mai comme ça (Lettre du 03.08.16).

Nous passerons pudiquement sous silence les ragots colportés par la meunière au sujet de la débauche des femmes même qu’on croyait bien sérieuses, mais moi je ne suis pas de ce caractère là, je n’ai que le travail en tête (Lettre du 16.08.16). Elle revient sur ce sujet dans plusieurs courriers.
Les journaux, magazines et cartes postales sanctifient la femme qui, par ses valeurs morales, soutient le soldat, l’attend, le réconforte. La censure ne tolérait aucune autre attitude : afin d’être tout à son devoir de défense de la patrie, le soldat ne devait pas s’inquiéter au sujet de son foyer. La réalité était hélas toute autre, et les nombreux courriers de guerre que nous avons pu lire montrent que l’attitude de quelques femmes des Riceys n’était pas une exception. Les permissions inexistantes au début de la guerre furent ensuite trop rares (deux ou trois par an maximum), malgré l’effort fait par l’Armée après les mutineries de 1917, alors il y eut quelques entorses aux bonnes mœurs !
Mais revenons à la farine…
Le 27 août, la meunière écrit :
Le préfet a envoyé hier au maire les échantillons de farine qu’il faut faire et le garde me les a apportés. M. Gilot dit que c’est de la 4e et qu’il ne pourra pas faire plus mauvais … 
Coup dur pour la meunière le 4 septembre :
Gilot s’est mis au lit hier dimanche et ne s’est pas relevé, il a une grande fatigue [il travaille quasiment jour et nuit depuis le début de la guerre]… C’est André qui conduit le moulin . On ne relève aucune parole de compassion dans le courrier de Solange Bailly pour le dévoué Gillot !
Un courrier du 5 octobre apporte un éclairage sur les restrictions de circulation des civils en « zone des étapes » où une priorité absolue était réservée au transport de tout ce qui était militaire (transport des troupes et des blessés ainsi que de l’approvisionnement) :
Voilà André qui vient de se faire photographier chez Cottenet, car il a eu un procès la semaine dernière par la brigade volante qui est en auto, s’il n’avait pas eu son certificat ils mettaient les chevaux en fourrière et ils emmenaient André à Troyes en auto. Ça ne rigole plus pour tous les chariots qui viennent au moulin, il faut un passeport et la photo. Paris va y aller tantôt aussi, car les procès ça tombe … 

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Sauf-conduit de 1914 et carte d’identité de 1916, au nom de Gabriel Groley, jeune journaliste de La Tribune de l’Aube. Col. privée

 

Cette carte d’identité, délivrée par le maire de la commune ou le commissaire de police dans les grandes villes, permettait au titulaire de circuler librement dans les limites de la commune d’habitation ainsi que dans les communes ou cantons énumérés sur le document. Le document comportait la photographie et le signalement du titulaire. Les exemples de cartes d’identité dont nous disposons sur cette période, pour le département de l’Aube, sont également datés d’octobre 1916 et à durée illimitée. Cette carte remplaçait le sauf-conduit délivré précédemment, qui ne comportait ni la photo ni le signalement du bénéficiaire, et était valable seulement pour une période donnée (quinze jours à un mois).
La meunière est pingre avec ses employés mais sait se montrer généreuse avec son homme, sans toutefois intégrer le fait qu’il soit soldat et donc soumis à la discipline militaire :
Je serais bien contente que tu trouves une chambre pour avoir chaud cet hiver, tu n’as pas besoin de te priver maintenant que nous sommes à l’abri de la misère, tu peux bien te donner cette douceur là … Un peu plus loin, elle ajoute : Si je venais à te perdre, je n’ose pas y penser moi qui ai déjà si peur qu’on te relève (Lettre du 26.10.16).
Le 4 novembre, elle demande à son mari d’écrire à son employé M. Gilot, qui refuse d’augmenter les tarifs :
C’est pas difficile, tout le monde s’abat chez nous, on vend beaucoup et bon. Quand il s’agit d’augmenter quelque chose il s’en fait une montagne et il dit qu’après la guerre on ne fera plus rien. Il n’est pas comme moi, je les vole sur tout ce que je peux… Fais-moi ce que je te dis, une petite lettre bien tournée, sans le froisser, car tu le connais, malgré que c’est lui qui nous a sortis de la misère … 
Apparemment, malgré tout son aplomb, la meunière n’ose pas affronter son employé et délègue son mari ! Elle a plus de facilité avec l’autre employé : André m’a fait augmenter la farine d’orge car Folope16 la vend 32 frs les 100 kg et André dit qu’on livre de la bonne marchandise… À partir d’aujourd’hui on mêle la mouture avec la farine d’orge, et tout est farine d’orge et sera vendu 32 frs les 100 kg … 
La meunière vend au même prix la marchandise de premier choix et les mélanges !
La meunière a reçu la facture des fers de roues ; l’an dernier, c’était 300 frs et cette année 480 frs : elle fulmine ! Mais le 8 novembre, c’est l’euphorie :
Voilà les commis qui rentrent d’Arrelles, les voitures sont bondées, voilà qu’on voit beaucoup de gens de Balnot-la-Grange, le Morel ne fait plus de tournées. Nous avons aussi tout Balnot-sur-Laignes, il n’y a point de jours qu’il n’en vienne point, c’est dommage que le moulin ne peut pas en faire deux fois plus. Si la guerre dure deux ans encore comme on l’entend dire, je crois tout de même que tu pourras vivre sagement de tes rentes… 
Et elle continue le 23 novembre :
Moi je lève le blé pour le moment, j’en ai
150 sacs assurés pour la semaine prochaine et 40 au moulin. Je prends tout ce qu’on m’offre, car il n’y en aura bientôt plus… Une fois que la réquisition va s’y mettre, on n’en trouvera guère… La farine on la vendra à
42 frs à cause que c’est au détail, et le pain est à 40 centimes maintenant.
Pour l’avoine j’en ai pas beaucoup, c’est pour les clients attitrés. Je la vends 30 frs la grise et la noire 35 frs… Il a passé un inspecteur cette semaine qui a relevé de la farine chez tous les meuniers et boulangers, et si on ne peut tirer 80 on sera obligé d’arrêter le blé, car les amendes sont de 3 000 frs… M. Gilot dit qu’il ne passera plus les blés au nettoyage, il mettra tout dans la farine, puisqu’ils veulent de la farine noire (Lettre du 05.12.16).
Nous avons reçu la soie hier par la poste, ils ne nous ont pas fait attendre cette fois. M. Gilot va la monter demain et il va mettre tout son savoir pour pouvoir tirer à 80, il est déjà en train d’essayer… Pour le moment il n’est pas bien gracieux, ce pauvre homme, il ne peut pas rattraper son retard et on ne peut pas se retourner au moulin, et les clients nous assiègent (Lettre du 06.12.16).
Pour tirer à 80, M. Gilot dit qu’il ne doit encore pas y être, malgré qu’il fait bien tout ce qu’il peut, mais c’est gris. Les clients s’y habituent et disent : « Vu [Pourvu] qu’on en ait encore assez longtemps ! »  
Le 10 décembre, M. Gilot a réussi :
Pour les farines, je crois qu’on sera au règlement, c’est tout gris… Il y a du monde au moulin, c’est pire qu’un champ de foire,
10 voitures dans la cour et il y en a encore dans le chemin du moulin, il est impossible de passer dans la cour .
La rareté des lettres en 1916 ne permet pas de connaître l’opinion du réserviste sur les évènements politiques et en particulier l’éviction de Joffre, très populaire auprès des soldats ainsi que du peuple qui voient toujours en lui le vainqueur de la Marne.

1917 
Reprise en main de l’Armée après les échecs militaires et les mutineries. Le meunier quitte la station-magasin et va servir en seconde puis en première ligne. La meunière continue ses bonnes affaires !

Le courrier conservé, pour l’année 1917, est très abondant des deux côtés.
La pression administrative s’accentue au moulin et Solange Bailly a du mal à comprendre : J’ai reçu des ordres du préfet, j’en ai eu pour toute la journée à lire et à comprendre, alors au 15 janvier il faudra lui renvoyer ses feuilles remplies pour expliquer ce qu’il y a en magasin comme farine et blé, car ils nous paieront la différence du sac de blé au sac de farine. De ce jour on vendra la farine 51 frs et le blé sera à 41 frs, mais là ils ne paieront plus la ristourne. C’est simplement pour ne pas perdre sur ce qu’on a en magasin. Ils ont mis l’avoine à 43,50 frs, il dit de lui mettre à part sur une feuille de papier marquée de 0,60, mais on en déclarera guère… Le son est taxé à 35, je le laisse à 40  (Lettre du 09.01.17).
M. Gilot est au courant de son ouvrage surtout qu’il a rhabillé le moulin à orge, il fait de l’ouvrage avec, il moud 100 kg à l’heure. Il fait du feu tous les jours dans la machine [la machine à vapeur qui actionne les cylindres]… J’ai reçu une lettre du préfet qui dit qu’en mai la farine à 42,50, en juin 42,75, juillet et août 43. Bien entendu et comme je prends 1,25 des 100 kg, ça fera ça en plus (Lettre du 29.01.17).
Pendant ce temps, Jules change d’affectation. Il ne sait pas trop où il va aller ni ce qu’il va faire, il attend passivement et son moral est bien bas :  C’est vrai qu’ici j’ai un caractère à part, jamais en colère, jamais un mot plus haut l’un que l’autre, je fais tout ce qu’il me commande sans jamais rouspéter et ça lui va [à l’adjudant]. Que veux-tu, Solange, ce n’est pas drôle que je sois comme ça ici, rien ne m’intéresse, ça m’est bien égal que ça soit bien ou mal… On travaille comme des machines (Lettre du 13.01.17).
Désormais, pour le joindre, il faut utiliser une adresse de secteur : 
J. Bailly, soldat au 97e Régiment Infanterie, 34e Compagnie, détachement C.O.A.,
secteur 147 A. Mets bien l’adresse exacte et écris-moi aussitôt le reçu de ma lettre. Ne te tourmente pas pour le reste. Nous attendons comme je te l’ai expliqué. Tu sais, je ne puis rien te dire à cause de la censure. Il fait un froid de chien ici et on patine toute la journée (Lettre du 03.02.17).
La meunière est inquiète : pourquoi envoie-t-on son mari à l’instruction ?
Tout va si mal en ce moment qu’on ne sait plus quoi penser, malgré qu’on dit que ce sera la fin cette année. Je voudrais bien savoir pourquoi on vous fait faire de l’instruction, on pense donc avoir besoin de vous un jour ? Je m’y attends puisqu’on devait relever jusqu’à 40 ans sans les boulangers et malheureusement tu es 3 ans trop jeune (Lettre du 12.02.17).
Le 17 février, Solange achète toujours du blé en cachette et le 23, elle informe son mari : 
Heureusement qu’on est en avance, voilà les clients qui rappliquent avec des 78 sacs de blé et avoir la farine de suite. Le bruit court partout qu’on va être rationnés et les cultivateurs n’entendent pas de cette oreille. Hier ils étaient avec les 3 chevaux à Avize, il a fallu doubler le Marceau [le cheval] qui était pleine charge et ils ont laissé 28 sacs de blé. Alors tous les gens le vendent et ils disent qu’on va leur mettre de la farine de maïs et que c’est pas bon. J’ai eu encore une circulaire du préfet hier et il défend de vendre de la farine ailleurs que dans l’Aube, car il dit qu’il croyait avoir du blé à l’étranger et qu’il en aura pas et à peine s’il aura du blé pour le public… Défense de livrer du pain à Molesme et que Molesme fournisse du blé. Nous avons nos cartes de sucre depuis le 1er février et surtout pas de sucre chez les épiciers, heureusement que j’en ai quelques kilos… 
Je suis contente de moi, voilà mes 70 sacs de blé rentrés et payés. Charles [un cousin] est passé, on lui a montré les circulaires du préfet et il a tout expliqué en nous disant : « Je ne sais si le préfet est bête ou si il le fait exprès, mais il embrouille tout ce qu’il écrit. »… On ne m’enlèvera pas de l’idée que tu fais tes classes et que tu iras au feu après. Et c’est bien cela, tu ne veux pas me le dire, mais tous ceux qui étaient à Neuville, Loche et Celles faisaient des marches et l’exercice et sont partis au feu (Lettre du 27.02.17).

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Adresse de Jules Bailly à Besançon. La vignette « Jusqu’au bout » n’est pas un timbre postal, le courrier des militaires étant envoyé et reçu en franchise, c’est un outil de propagande. Col. Patrice Romary

 

Le 27 mars, Jules Bailly quitte Besançon :
Ces deux mots en chemin de fer sur mes genoux, je sais que ça te fera plaisir… Je te dirai que l’on nous a embarqués dans des wagons à bestiaux comme des moutons que l’on mène à l’abattoir, malgré que l’on pense aux siens, car tu sais Solange comme je vous aime toutes les deux .
Il passe par Chaumont, Épinal, Saint-Dizier. Puis il traverse le département de la Marne :
Nous sommes partis hier soir avec tout le barda sur le dos par une pluie battante, après une marche de 15 km nous avons couché dans une grange. On peut l’appeler l’hôtel des courants d’air, on y a pas eu trop chaud, juste une couverture, et la pluie ne cesse de tomber. Quels tristes pays dans la Marne, on n’y trouve rien du tout et le peu c’est hors de prix. Hier j’ai acheté 2 litres de vin et une boite de conserve, j’en ai eu pour 5,50 frs. Celui qui n’a pas d’argent n’est pas heureux. On la crève et le pain est rare. Pas de boulanger au pays, même pas de tabac et ici même pas un épicier. Je ne crois pas que nous y soyons pour longtemps. Les maisons ne tiennent pas debout, tout est bâti en planches, quel pauvre pays… On mène une vraie vie de cheminot mais on ne s’en fait pas, et toi fais de même, ne te tourmente pas, car on ne risque rien pour le moment.

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Après avoir quitté Besançon, le soldat a un numéro de secteur comme tous les militaires envoyés au front, en seconde ou première ligne. Col. Patrice Romary

Il donne sa nouvelle adresse : Jules Bailly, 230e Régiment d’infanterie, 14e Compagnie, 4e Bataillon, secteur 195.
Début avril, il marche encore… il manque de tout et sollicite son épouse :
On ne trouve rien dans cette Champagne pouilleuse et tout est hors de prix. Le vin vaut 32 sous le litre, pour faire emplir le bidon il ne te reste guère d’une pièce de cent sous. Je t’ai écrit hier pour avoir de l’argent. La santé est bonne et c’est toujours la vie au grand air .
Le jour suivant : Nous avons fait 10 km hier soir, nous avons arrivés à 6 h ½ et tous cantonnés dans la même grange, pas seulement de la paille et juste une couverture, on y a gelé de froid toute la nuit. Ici il n’y a pas de constructions, tout est en planches. Plus ça va, moins on trouve, le vin vaut ici 45 sous le litre. Tu penses pour faire remplir le bidon il faut cent sous, ce n’est pas rien .
Le 4 avril : Ma Solange adorée, ma Suzanne chérie, vous allez sûrement trouver le temps long de ne pas avoir de mes nouvelles, il ne faut pas m’en vouloir car ici on n’a pas toutes ses aises. Pas de lumière et à 2 km sous terre. Te dire où je me trouve ça m’est impossible, ça n’a pas de nom. Mais ce qu’il y a de certain c’est que le canon tonne à nos oreilles depuis deux jours. Pour s’y habituer c’est assez dur. Si j’avais su comme ça se passe, je t’aurais dit de m’envoyer pas d’argent, on en a pas besoin puisqu’il n’y a plus de pays… J’ai bien reçu ta lettre du 24 mars hier, tu penses si j’étais heureux, c’était hier mes
37 ans, mais comme anniversaire ce n’est pas brillant. Malgré cela pour le moment je ne suis pas en danger et ne te tourmente pas, ma bonne Solange… Je me dépêche à faire ma lettre car il est 9 h du matin et je vais à la soupe à 9 h ½, il faut que je l’emporte… Moi ce qui me console c’est que vous êtes maintenant à l’abri de la misère, quant à ma vie j’en ai fait le sacrifice .
Les lettres qu’elle reçoit ne rassurent pas la meunière :
Mon cher Jules chéri, depuis 4 jours que je suis sans nouvelles, je reçois tes deux lettres du 31 et du 2 avril. Je ne puis m’empêcher de pleurer depuis que je viens de lire tes deux lettres, car cette fois te voilà bien sacrifié. Tu me dis de ne pas m’en faire, oui quand tu étais boulanger je te sentais en sécurité, mais maintenant je ne vis plus, je m’ennuie et partout je ne cesse de penser à toi et de me faire des idées qui me troublent la tête. Quand on me parle je ne suis pas à ce qu’on me dit, je m’en rends bien compte, mais c’est plus fort que moi. Quand je pense que nous pourrions être si heureux (Lettre du 06.04.17).

Le désespoir engendré par la situation provoque un net changement de ton dans les lettres qui sont plus affectueuses, plus sentimentales et, malgré sa retenue habituelle, Jules n’hésite pas à écrire :
Je ne souffre pas de la faim ni même de rien du tout, sauf de la séparation de tout ce que j’ai de plus cher au monde… Celui qui ne vit que pour vous deux (Lettre du 06.04.17).
Les lettres suivantes racontent sa vie dans les boyaux, dans le froid, l’humidité, la promiscuité, l’obscurité, la vermine qui grouille, la soif qui les tenaille en l’absence d’eau potable. L’ennemi est proche, alors les soldats ne peuvent sortir que la nuit de leur trou. Pour passer le temps, les soldats mangent : On mange tout le temps .
Mais que son épouse ne s’inquiète pas, il est dans  « un régiment de position, c’est-à-dire qu’il occupe les tranchées », il n’y a pas de danger à craindre.
Dans sa lettre du 15 avril, Solange avoue qu’elle lui souhaite une « bonne blessure » :
Dire que je te souhaite que du mal maintenant, je voudrais que tu sois estropié pour être sûre que tu me resteras . Le soldat rassure son épouse, le 18 mai il lui écrit :  Je n’ai pas encore tiré un coup de fusil, et les boches on n’en voit pas .
La « bonne blessure » est le vœu avoué ou non de bien des épouses… Nous le trouvons dans les courriers de nombreux soldats et en particulier des hommes mariés, pères de famille.
Le 25 avril, la meunière l’informe que d’après la circulaire du préfet il va falloir mettre 15 % d’orge et seigle dans 100 kg de farine de blé, et les inspecteurs ne tardent pas à passer … 
Cette mesure, qui ne concernait que les civils, n’est cependant pas appliquée pour la première fois !

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Corvée dans un village. Aquarelle André Romand

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Repos à l’arrière du front. Aquarelle André Romand

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Une tranchée inondée. Aquarelle d’André Romand

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Le bois des Chevaliers. Aquarelle André Romand

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Déblayage. Aquarelle André Romand

Règlementation pour la fabrication du pain des civils en temps de guerre

Les mesures prises en 1917 pour encadrer la fabrication du pain ne constituent pas une nouveauté. Dans le plus ancien registre des délibérations du Conseil de Ville de Troyes17 vers la fin de la Guerre de Cent Ans en décembre 1432, alors que la campagne autour de Troyes était ravagée par les troupes bourguignonnes, le blé vint à manquer. Afin de procurer du pain au peuple, le Conseil de Ville prit des mesures : les fromentiers ou boulangers faisant du pain de froment durent ajouter un tiers d’avoine au froment pour faire leur pain. Pour les seigliers, ou boulangers faisant du pain de seigle, ce fut un peu plus compliqué, ils durent utiliser environ un petit quart de seigle (13 setiers), un petit quart de froment (13 setiers) et une grosse moitié d’avoine (28 setiers).
L’année suivante, le pain des seigliers fut imposé à tous.

Le 5 mai, Jules passe une revue :
Quelle suée aujourd’hui, marche musique en tête, j’ai vu 2 généraux, décoration de plusieurs officiers. C’était beau pour les autres, mais pour nous, tu parles, qu’est-ce qu’on a pris par la chaleur qui faisait ! Nous avons gagné un quart de vin… Tout brillait, on aurait jamais dit un régiment qui venait de prendre les tranchées depuis 15 jours… Peut-être demain nous aurons encore de la pluie et nous allons encore prendre une bonne suée, je crois que nous avons au moins 15 à 20 km à faire dans la nuit… Si tu voyais ce qu’on a sur le dos, c’est à ne pas y croire, enfin on suit la foule et on marche machinalement comme des bestiaux, sans penser aux risques .
En mai, un problème d’approvisionnement en pain se pose aux Riceys. La boulangerie ferme et le pays a peur de manquer de pain !
La meunière écrit le 16 mai :  Ces jours-ci le pays est en émoi parce que les boulangers partent… Alors notre boulangerie va être fermée …
Le locataire de la boulangerie familiale était devenu « abruti à force de boire » et il doit abandonner le travail.
Ce matin il est venu un inspecteur meunier en auto pour prendre l’échantillon de farine. Il nous faut une soie à la centrifuge et recanneler les cylindres, cette fois il faut mettre tout dans la farine… Tout marche bien au moulin, mes 17 000 sont faits  (Lettre du 16.05.17).
Quelques jours plus tard, Jules reçoit un courrier de son père :  il y a des malades pas mal aux Riceys, et le docteur dit que c’est le pain  !

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Deux aquarelles d’André Romand montrant le travail effectué de nuit  par les réservistes  ou territoriaux afin  de renforcer les tranchées.

 

Le 20 mai, le soldat raconte son quotidien et explique à son épouse que lui aussi est payé :
 Hier nous avons porté à dos du matériel dans les lignes, et nous avions de l’eau jusqu’aux genoux. Il faut être joliment forcé de marcher pour faire du travail pareil. Aujourd’hui tout le monde était en caleçon pendant que les effets séchaient au soleil, quelle vie tout de même ! Nous sommes encore au repos pour 12 jours, ce sera encore autant de pris tranquille… J’ai bien peur que nous n’y arrivons pas, c’est bien ce qui m’ennuie le plus. Pourtant j’y comptais bien, mais je commence à perdre espoir. Nous avons été bien nourris aujourd’hui et nous avons touché un litre de vin par homme, on nous a payés aussi. Le gouvernement nous a augmenté : en ligne nous avons 20 sous par jour et 9 sous de prêt, ça fait 29, mais on laisse 12 sous pour le pécule… On va nous donner un petit carnet et on collera des timbres dessus. La guerre finie, on nous remboursera le tout en argent. Tu vois que l’on fait bien les choses en France, malheureusement on ne fait pas ce que tout le monde désire : LA PAIX  !
Jules s’inquiète pour son épouse le 21 mai :  
Où vas-tu aller au pain maintenant ? Et il te faudra le payer au lieu de recevoir de l’argent. C’est bien ennuyeux pour nous…

Le 22 mai 1917, le meunier, toujours plein de bon sens, écrit à son épouse :
Comme tu dis je n’ai pas profité beaucoup du moulin, mais il aura contribué à notre bonheur. Quant à ma distraction après la guerre, elle sera vite prise : rester auprès de vous deux, faire mon jardin, ma vigne et mon clos… Ça ne fait rien de payer l’impôt sur le revenu, le principal c’est d’avoir de quoi pour le payer… Je me doutais bien que tu n’avais plus Paris, mais pourvu que Gilot tienne jusqu’au bout, ça sera déjà beau. Quand à André, donne-lui ce qu’il te demandera, il va aussi avoir de la peine et c’est un bon ouvrier. Pour faire de grosses réparations au moulin, je ne veux pas, puisque nous ne sommes pas pour y rester, on fera juste le nécessaire, et j’aime mieux abandonner quelques
mille francs sur la vente que de me casser la tête avec des ouvriers …
Le militaire alterne les périodes plus ou moins longues sur le front pour garder les lignes, consolider les tranchées, poser du barbelés, etc., puis au repos, quelques kilomètres à l’arrière.
Je suis arrivé au repos dans ce petit pays où nous sommes très bien, je crois pour trois semaines ou un mois, on ne sait jamais au juste… 2 h d’exercice de 6 h à 8 h et c’est tout pour la journée. Nous sommes cantonnés dans une grande ferme, ici ce n’est plus la Champagne, c’est la Marne, on n’y voit que des fermes immenses, les blés sont de toute beauté, il y a 8 moissonneuses, 12 chevaux,
10 paires de bœufs, des vaches… Les gens sont gentils, mais les patrons on ne les voit pas, du reste la femme est seule, le mari est prisonnier depuis le mois d’août 1914, tu parles si elle a du tracas aussi celle-là, elle mériterait bien la croix de guerre comme toi .
À l’intérieur de l’enveloppe il a écrit « Sivry-sur-Ante » (Lettre du 16.06.17).

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Carte postale. Col. privée

 

Le 19 juin, Solange a des ennuis avec l’Administration :
Maintenant les gendarmes sont venus hier me faire voir un procès-verbal d’après l’échantillon de ma farine du mois de mai qui n’était pas à la loi, alors les gendarmes ont écrit ceci, d’après mon rapport, que je n’étais pas outillée pour à cette époque, et que depuis il y avait une nouvelle bluterie. Ils ont demandé mon adresse, mon nom, où j’étais, aussi le nom de mon père et de ma mère, et depuis l’âge de 9 ans jusqu’à 25 ans j’ai toujours été chez les autres, et cela va au tribunal correctionnel, mais le 1er procès coûte que 20 frs .

Le 28 juin, le soldat change encore de cantonnement (Prouilly, à l’est de Reims) :
 Nous embarquons dans les autos pour faire 130 km par une chaleur et une poussière à en crever sur place. Nous étions 22 par voiture avec tout le barda impossible de changer un pied de place…Tu ne peux pas te faire une idée de ce qui circule sur les grandes routes comme chevaux, matériel, autos, enfin ça n’arrête pas, on est toujours dans un nuage de poussière qui ne finit pas .

Le 1er juillet, gêné, il demande de l’argent à son épouse :
Peux-tu m’envoyer encore 50 francs, ça m’ennuie bien de te demander mais comment faire puisque je n’en gagne point. Et le lendemain : C’est ennuyeux qu’on en sait toujours rien pour tes procès .

En juillet, les conditions de vie au front sont très pénibles et le soldat souffre : Nous avons fait encore 6 km et par une pluie battante dans des boyaux pleins d’eau. C’est terrible de voir des hommes marcher de la sorte, ce que l’on endure c’est effrayant, la mort souvent serait bien préférable à toutes ces souffrances. Ce que tout le monde criait, fallait voir ! Penses-tu, ma pauvre Solange, et arrivés dans un trou à 8 mètres sous terre sans même pouvoir se changer ni se déchausser, c’est défendu. On couche à même la terre, quand on lève un peu les jambes, l’eau vous coule dans les jambes, et avec ça pas avoir grand-chose à manger. Pour aujourd’hui juste une petite portion pour la journée, pas même de café, plus de tabac, pas d’eau que celle qui tombe (Lettre du 09.07.17).

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Cartes postales montrant le Chemin des Dames : Moulin de Laffaux et Village de Vaudesson. Col. Catherine Tartre

 

L’amertume envahit le soldat qui a des paroles très dures pour les civils… Alors, il écrit à son épouse : Pour arriver ici c’est incroyable, de l’eau 1 m dans les boyaux jusqu’à la ceinture, et impossible de se changer, on gèle de froid… On voit beaucoup de tanks dans la région, mais ils sont tous en panne, que de matériel et d’argent qui se perd ici, c’est à ne pas y croire… Pas lavés depuis le départ, on est tous mangés à la vermine… Il ne sait pas, le civil, ce que l’on souffre ici pour empêcher l’Allemand d’aller ravager nos contrées, et c’est bien vrai ce n’est que pour leur bien-être qu’on se fait tuer  (Lettre du 10.07.17).
Les prix augmentent, il s’inquiète pour le moulin :
« Je me demande bien comment vous allez pouvoir vous en tirer avec le blé à 50 frs cette année, à quel prix va donc être la farine ? On parle de 1 sou d’augmentation par kg de pain, mais on ne dit rien pour la farine… Si ça continue, je doute fort qu’on puisse y gagner sa vie (Lettre du 16.07.17).

J’ai vu sur le journal un article pour la taxation des denrées cette année, mais pour le prix de la farine ça sera taxé par le préfet, encore faut-il bien recommander à Gilot de tirer jusqu’au bout pour y gagner sa vie  (Lettre du 17.07.17).

Pas de souci, son épouse a trouvé la parade, elle lui explique le 23 juillet :
J’ai encore augmenté la mouture, 38 frs
les 100 kg de farine, orge 40, son 35,
avoine grise 36, noire 38. On fait comme on veut, personne dit rien, on est même assiégé par les clients qui s’occupent pas du prix, riches ou pauvres, pourvu qu’ils aient de la marchandise… Nous rentrons des sacs plus que jamais, la voiture est toujours pleine jusqu’à la bâche, André en rote .
Une fois n’est pas coutume, le soldat se plaint de la qualité du pain alors que sur sa  gauche au plateau de Craonne, quel bombardement tous les jours, c’est un second Verdun  !
La bataille du Chemin des Dames fait rage d’avril à octobre 1917, il n’est pas étonnant que la qualité du pain ait eu à souffrir !

Cependant, son copain Eugène Leclerc, soldat à la 5e section de COA à Sens, écrit, à la même époque (le 11 août) : Quant à la fabrication, on fait du drôle par moment avec ces farines, on dirait des balayures de route, c’est dire à la main. Le son y abonde, ça ne prend pas beaucoup corps .
Y aurait-il eu des problèmes d’approvision-nement ?

Le 7 août, Jules Bailly est soulagé :  Je fais toujours la cuisine, j’ai chopé le filon pour cette fois .
Mais Jules Bailly, qui acceptait tout sans broncher, devient de plus en plus irritable et écrit le 12 août à son épouse : Aujourd’hui je suis allé piocher depuis ce matin pour installer de nouveaux baraquements, on appelle ça du repos, mais on nous fait travailler pire que des prisonniers, après avoir fait 18 jours d’avant–poste et même encore pas lavés ni avoir pris de douche .
Quelques jours plus tard, il pense avoir prochainement une permission et le moral revient. Il demande à sa femme de ne rien vendre en l’attendant : il va s’en occuper et faire de l’argent (il en rêve !). Le 20 août, il part en permission et, de retour à l’Armée le 2 septembre, il écrit : J’ai un cafard terrible…

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Cuisine roulante. Aquarelle d’André Romand

 

La vie continue au moulin : Cette année il n’y en a pas [de réquisition], mais nous avons reçu une circulaire, on nous dit bien que le commerce est libre et de ne rien demander au ravitaillement, qu’on peut acheter du blé dans tous les départements, c’est tout le contraire de l’année dernière  (Lettre du13.09.17).
Alors que dans les tranchées (Jules Bailly est toujours au sud de l’Aisne entre Craonne et Reims) :  Je crois que c’est la dernière lettre que tu vas recevoir régulièrement pour la raison que je t’ai expliquée, mais tu sais les détails on ne doit pas en parler, c’est bien recommandé… Il pleut encore aujourd’hui et les boyaux sont pleins d’eau, on est frais, si tu voyais dans quel état de saleté…
J’ai toujours les questions d’argent dans la tête. Je ne peux pas croire que tout cela est à nous, ça fait 65 000 francs que tu as gagnés en 3 ans… On peut vivre heureux après la guerre (Lettre du15.09.17). Le 24 septembre, il explique :  On s’amuse comme des gosses, ou du moins ceux qui veulent courir, sauter à saute-mouton, c’est malheureux des vieux comme nous de faire des bêtises pareilles, au lieu de nous faire travailler, soit disant pour nous assouplir… Enfin, le capitaine ne nous force pas trop…

Et son épouse, qui n’apprécie pas particulièrement l’exercice militaire, lui répond, alors qu’il doit venir en permission :  J’ai encore de l’ouvrage de tracé pour t’occuper, surement que tu seras plus utile ici que de faire les bêtises qu’on vous fait faire et qui servent qu’à te fatiguer (Lettre du 28.09.17).

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Réfectoire dans les tranchées. Aquarelle d’André Romand

 

Pourtant, l’exercice continue : Quelle vie pour des vieux comme nous, par une chaleur pareille, ce matin à 7 h en tenue et à l’exercice, des vrais gamins comme je te le raconte sur mes dernières lettres : on marche à quatre pattes, on se porte les uns les autres, en avant, en arrière, à droite, à gauche, on saute sur un pied, et un tas de choses comme ça qui ne sont guère intéressantes pour moi, enfin on fait ce que l’on peut, mais ce soir je suis courbaturé (Lettre du 29.09.17).

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« Maternité ». Aquarelle d’André Romand

 

En octobre, il est cuisinier : Ça me fait de l’ouvrage, et j’ai un homme qui me donne la main, après il faut faire la vaisselle. L’essentiel, c’est que je suis tranquille pendant que les autres sont toute la nuit dehors exposés à tout, moi je suis au fond de mon trou .
Jules Bailly a enfin une permission début novembre 1917, mais il semblerait qu’elle se soit mal passée et qu’il ait dû essuyer quelques reproches d’après sa lettre du
18 novembre : Tu vois que, quoique tu avais bien de l’ouvrage, j’ai bien fait tout de même tout ce que j’ai pu pour vous rendre service. On ne peut pas m’appeler paresseux, enfin c’est passé n’en parlons plus, peut-être ma prochaine permission sera plus agréable .
Il ajoute qu’il a le cœur gros. Il est maintenant en première ligne.
Novembre se passe mal, l’état dépressif du soldat s’accentue, il devient agressif, jaloux de son épouse et de l’argent qu’elle amasse. Il s’en rend compte et s’en excuse auprès de Solange qui lui répond le 28 novembre :
Ta lettre d’hier m’a rassurée un peu, car ta lettre d’avant-hier m’avait rendue malade. Tu avais une rancune contre moi pour me faire de la peine, moi qui ne sais quoi faire pour te faire plaisir. Je vois quand même bien que la vie de la tranchée t’a bien aigri le caractère. Je le comprends très bien, mais il n’y a pourtant rien de ma faute, pas plus que de la tienne .

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Le ravitaillement. L’Illustration 6 novembre 1915. Col. Catherine Tartre

Le 1er décembre, le désespoir du soldat est à son comble :
On voit si souvent la mort de près qu’on ne peut pas tenir à la vie, et l’existence que l’on mène là vous change bien le caractère, et je ne suis pas le seul… On mène une vraie vie de sauvage : marcher à quatre pattes souvent, parler à voix basse comme un bandit qui guette un honnête homme au coin d’un bois. Penses-tu que c’est une vie cela, ma pauvre Solange. Tous les civils on les a en horreur… Souvent tu ne comprends pas le fond de ma pensée, et moi je ne veux pas te la dire pour ne pas te faire de la peine, c’est terrible pour moi de vivre ainsi, car je ne t’ai jamais rien caché, tu peux me croire .

Mais son épouse lui fait parvenir quelques chiffres et le moral remonte : Maintenant, avec 3 305 frs de rentes, c’est quelque chose… Si les copains savaient, ils seraient furieux ; tu sais, ils n’aiment pas ceux qui placent, parce qu’ils disent que c’est pour faire des obus pour nous casser la g… ! [ Ils doivent encore 15 000 frs à l’ancien propriétaire du moulin et 1 000 frs à la Société Générale, et le reste est à eux.] Je suis au repos à Guyencourt…. Ce matin je suis allé à la visite, on voulait m’envoyer à Salonique, et si j’avais eu une bonne dentition je n’y coupais pas. Tu vois ce que c’est, je n’ai encore pas tout vu, mais le major m’a mis « inapte par insuffisance de dents »  (Lettre du 07.12.17).
La fin d’année arrive. Aux tranchées, le 24 décembre dans la nuit :
Je suis assis près de mon petit fourneau en train de faire mon jus… Les lettres ne sont pas parties à cause du changement, le ravitaillement n’a pas été tout seul. Je fais cuire pour 2 h du matin des châtaignes pour mon adjudant et demain il y a messe à 10 h du matin, bien sûr on ne sonnera pas les cloches, car à Berry18 il n’en existe plus que des morceaux… Il tombe de la neige, toutes les pistes sont recouvertes et c’est difficile à retrouver son chemin, si bien que hier encore peu nous portions la soupe aux boches au lieu d’aller chez nous  !

Et, le 28 décembre : Les petits gâteaux [du colis] étaient délicieux, on ne dirait pas que c’est la guerre et que la pâtisserie est interdite19. Hier j’ai rapporté du ravitaillement 43 colis pour les 25 que nous sommes… Ici il y a beaucoup de camaraderie. Quand on reçoit quelque chose, c’est pour toute l’escouade. Mon copain de Baccarat avait 3 colis pour lui tout seul. Les autres, ça vient presque tous de leurs marraines de guerre, car ils sont tous garçons …

Les marraines

Afin d’entretenir une correspondance avec les soldats isolés (orphelins, venant des départements envahis ou des colonies), les recevoir pendant de courtes permissions et leur envoyer des colis, l’idée des « Marraines » a germé dès janvier 1915, lancée par le journal l’Écho de Paris (qui eut 11 000 filleuls). Puis des œuvres furent créées, comme la Famille du Soldat qui comptait 25 000 filleuls. Il y eut aussi des initiatives personnelles.
Malgré les précautions prises, il y eut quelques débrouillards qui multiplièrent les marraines et firent du commerce avec les colis. Les dessins humoristiques publiés dans la presse de l’époque montrent que les maris n’appréciaient pas tous les relations épistolaires entretenues par leurs épouses.
 Le plus incroyable, c’est qu’au nom du patriotisme, des jeunes filles purent écrire à des inconnus, ce qui avait toujours été jugé inconvenant !

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Carte postale. Col. privée

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Les marraines – Dessin : l’Illustration du 21 juillet 1917. Col. Catherine Tartre 

 

Comment échapper à la guerre quand on est réserviste ?

Avant de quitter l’année 1917, il est un point important du caractère de Jules Bailly que nous ne pouvons pas occulter : Jules Bailly ne supporte pas d’être éloigné de son foyer, il n’est pas patriote, il le dit et l’assume (Lettre du 06.02.15). Sa priorité est de se maintenir en vie pour sa famille qui compte sur lui. Mais c’est un homme honnête, alors il fait son devoir et il prend son mal en patience car, comme tout le monde, il pense que la guerre sera courte et qu’il pourra rentrer rapidement chez lui. En attendant, il apprécie d’être boulanger :
C’est bien heureux que j’aie eu un métier comme ça pour être à l’abri des balles, car bien de mes camarades n’y seront plus (Lettre du 18.10.14).
Quand son épouse lui demande s’il va venir en permission, en février 1915, il ne se fait pas trop d’illusions, et sans coup de pouce, il ne pense pas y parvenir. Il suggère que son père fasse intervenir le député Paul Meunier. C’est le début de ses tentatives d’obtenir du piston (choper le filon !) pour gagner quelques avantages et, plus tard, échapper au front.
Puis nous trouvons dans ses papiers le brouillon d’une lettre adressée le 18 juillet 1916 à Ferdinand Maison20, lieutenant-colonel,
68 bis rue Jouffroy à Paris :
Je prends la liberté de vous écrire pour vous demander un petit service… Je suis en ce moment comme boulanger classe 1900, territoriale service Armée à Besançon butte. J’ai trouvé un camarade qui est à Troyes à la Chapelle Saint-Luc, également comme boulanger, classe 1999 territoriale service armée, qui ne demanderait pas mieux que de permuter avec moi, étant lui-même de Besançon… 
Le 21 août, le lieutenant-colonel Ferdinand Maison a envoyé un mot au capitaine de Jules Bailly, car la demande de permutation doit passer par la voie hiérarchique.
S’il y a de nombreux brouillons de demandes de permutation dans le courrier du soldat, nous n’avons trouvé aucune réponse de la hiérarchie !
En avril 1917, quand Jules Bailly arrive au front, il cherche frénétiquement un moyen d’en sortir :
Oui, j’ai toujours espoir de retourner dans une section, puisque la liste a été faite avant de quitter le dépôt, et il faut attendre que la circulaire revienne ; peut-être dans 15 jours ce sera fait. Du reste j’attends la réponse que je t’ai fait demander à Paul Meunier pour notre tranquillité à tous les deux, et tu verras que ce que je t’ai dit est vrai. Pour mes dents, je t’ai expliqué le motif pourquoi j’attendais, mais si ça ne vient pas j’irai voir le major et je me plaindrai en même temps de mon estomac. Je sais bien qu’on ne me proposera rien si je ne réclame pas, sois tranquille. Nous avons aussi écrit à Mme Préteux, de Paris, qui est présidente de la ligue des boulangers et qui s’occupe de nous. Nous attendons la réponse. Je crois même que la relève est arrêtée, donc il n’y a pas de raison pour que l’on nous laisse ici, surtout que la classe 18 va arriver… (Lettre du 13.04.17)
Quand on est au repos, c’est tout notre travail à nous que le génie ait besoin d’hommes, on y va faire du terrassement, quel métier à côté de la boulange… Je n’ai pas une bonne réponse de Paul Meunier, j’irai à la visite pour mes dents… Heureusement que tu me dis que tu m’enverras à manger, parce qu’on la crève (Lettre du 21.04.17).
Mme Préteux, elle dit qu’elle va s’occuper de nous, et pour Paul Meunier il n’a pas compris ce qu’on lui demandait, c’est pourquoi je lui ai écrit moi-même. (Lettre du 28.04.17).
Son épouse répond le 18 mai : Tu as bien fait de réécrire à Paul Meunier et au ministre pour savoir si réellement tu dois être relevé…
Le 20 mai 1917, le soldat reçoit la réponse de Paul Meunier :
« Cher ami, j’ai bien reçu votre lettre et j’ai fait une démarche auprès de M. le Ministre de la Guerre pour que vous soyez réintégré. Vous pouvez, de votre côté, faire une réclamation par la voie hiérarchique. Croyez à mon dévouement, Paul Meunier. »
On m’a appelé pour faire un stage à l’arrière pendant une quinzaine de jours, c’est pour apprendre à lancer des petits obus avec le fusil. Ça n’a rien de mauvais, au contraire, on est toujours en 2e ligne. Ça sera autant de pris… J’écrirai peut-être un jour à Lesaché… Je veux chercher par tous les moyens à essayer de m’en sauver, quoique ça sera peut-être difficile (Lettre du 20.06.17)

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La Ligue des Boulangères. Col. Patrice Romary

Le 17 juillet 1917 : Hier j’ai écrit à M. Lesaché, à titre de renseignement, parce que pour les boulangers je crois qu’il ne faut plus rien y compter.
Rien ne fonctionne, alors le 11 août 1917, le soldat écrit :
Depuis que j’ai quitté la tranchée j’ai laissé la popote. Je verrai plus tard. Ensuite je viens de me faire inscrire pour conduire les autos. On demande les classes 1900 et plus vieilles. J’ai encore la chance d’en faire partie. Il en faut 360 dans la division. Alors je pense avoir des chances de réussir ; nous sommes que 4 chez nous et il en faut 40 par bataillon, comme nous avons 9 bataillons, ça fait le compte. On peut toujours demander, ça ne coûte rien, et si ça réussit on serait toujours à l’abri. C’est tout ce que je cherche. Autant de demandes il y aura, autant j’en ferai, qu’en dis-tu ?
Je vais aller trouver le chef ce soir pour mes dents, mais ne crois pas pour cela que l’on vous met à l’arrière. C’était bon dans les débuts, cela, il y en a bien d’autres que moi et qui sont avec moi. Tout d’abord on vous arrache tout étant au repos, il y a un service dentaire. Il n’y a que pour l’appareil que l’on va à l’arrière, et encore ça ne dure pas longtemps. Enfin je verrai. Quant aux autos, il ne faut pas désespérer, il n’y a rien de perdu encore (Lettre du 11.09.17).
Bien que Madame Gallimard ne puisse rien faire, il insiste le 22 septembre 1917 : Tu pourrais emporter mes lettres à Mme Gallimard et lui demander si elle ne pourrait pas s’occuper de moi… Étant porté boulanger sur mon livret classe 1900, je n’aurais pas le droit de rentrer dans une formation, à Troyes par exemple… Peut-être as-tu l’occasion de la voir chez Maître Moutard, c’est une bonne personne. Mon colonel s’appelle Lourdel…
Puis deux jours plus tard : J’ai écrit à
Mme Préteux, présidente de la ligue des boulangers, pour savoir si réellement il y a quelque chose pour nous. J’ai écrit aussi aux camarades pour leur demander comment ils s’y sont pris. Vois de ton côté si Mme Gallimard voudrait s’en occuper…

Aucune démarche n’aboutit ! 

Les « célébrités » auboises auxquelles Jules Bailly fait appel :
••Paul Meunier (1871-1922) : avocat, conseiller général et député de l’Aube de 1902 à 1919, journaliste au Petit Troyen, Paul Meunier s’est fait connaître lors de la Révolte des Vignerons puis, pendant la guerre de 1914-1918, pour son implication à défendre les libertés et les soldats.
••Mme Gallimard, veuve du général Paul-Édouard Gallimard ; celui-ci, né et décédé aux Riceys (1837-1907), se distingue pendant la Campagne de 1870-71 puis lors de la campagne d’Algérie, il a été directeur de l’infanterie en 1887. Trois enfants dont un fils mort pour la France en 1914.
••Victor Lesaché (1860-1938), avoué ; il commence une carrière politique comme 1er adjoint au maire de Troyes, devient directeur du journal La Tribune de l’Aube qu’il dirige pendant la Grande Guerre, député de 1919 à 1928, puis sénateur de 1930 à 1938.
••Le lieutenant-colonel Ferdinand Maison, mort pour la France ainsi que son frère, appartenait à une famille d’artistes installée aux Riceys. Son père, Louis Maison, avait fondé une célèbre entreprise de ferronnerie d’art.

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Paul Meunier

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Victor Lesaché

1918 
Au printemps, violente offensive allemande : Jules Bailly est dans une unité combattante « Le temps se passe, les jours se suivent, les mois coulent et on est toujours là21 »… Blessure et mort du soldat-meunier.

Jules Bailly commence l’année comme cuisinier des sous-officiers pendant les quelques jours qu’il passe au repos près des tranchées :
J’ai un peu de peine mais je suis exempt de toutes les corvées (Lettre du 02.01.18).
Le 9 janvier, il est de retour en seconde ligne : J’ai un copain qui a roulé dans un trou, adieu la soupe et les haricots… ! Je me suis grillé toutes les moustaches autour de mon fourneau, mais ça n’est pas grave, tu me reconnaitras quand même dans un mois…
Il pense avoir bientôt une permission et compte les jours : Je serai content de coucher au chaud dans un bon lit, voilà trois mois que je ne me suis pas déshabillé pour me coucher.

Pendant ce temps, son épouse reçoit de nouvelles directives préfectorales :
Demain [pour le préfet] je dois faire l’inventaire de tout ce que j’ai en magasin comme blé et farine d’après leurs instructions que j’ai reçues. Ce que j’ai à moi doit être marqué sur une feuille marquée 60 c que j’ai achetée, alors je serai remboursée de la différence, puisqu’à partir du 15 il faut vendre la farine 51 frs, le transport sera le même 1,50. Le blé sera acheté 43,50 et maintenant moi je le vends 48… Sur une autre feuille je dois leur dire si je veux fournir en boulangerie ou faire la mouture à façon, mais il faut plus se payer en grain, on doit tout rendre aux cultivateurs et prendre 3,50 frs des 100 kg et le transport en plus. Mais pour nous c’est convenu que c’est impossible de faire cela, on le fera à ceux qui l’exigent et on fera comme on l’entendra. Ils nous font suer avec toutes leurs bêtises… Voilà 3 jours, impossible de sortir à cause du verglas, notre cour est comme un verre, elle est remplie de fumier pour ne pas glisser car la neige y a été tant tassée par les voitures qu’il y a un verglas à ne pas tenir (Lettre du 13.01.18).
Puis, le 15 janvier, Jules Bailly est envoyé en première ligne (Craonne, secteur du Choléra, boyau Gobereau).
À 6 h il faut partir au ravitaillement, ça ira peut-être un peu mieux parce qu’on va avoir la lune ; cette nuit je me suis perdu tout seul, il faisait tellement noir et je tombais dans les trous d’obus, et avec cela la mitrailleuse boche nous tirait dessus, il fallait se coucher vivement. J’ai été au moins une heure pour me retrouver… Pourtant ça fait bien cent fois que je fais le chemin… C’est les sentinelles de nuit qui m’ont arrêté, sans cela j’allais voir Fritz le boche… (Lettre du 17.01.18)
Les directives gouvernementales, concernant la mouture et les achats de grain, changent sans cesse et la meunière, en plus de son travail, doit les étudier afin de les suivre pour éviter des procès : Maintenant je n’ai pas le droit d’acheter du blé pour les demandes du public, il en existe plus. J’ai le droit de moudre pour le public et le sac de blé doit me rapporter 7 frs rendu chez le client. Brégard [lieutenant de ravitaillement] a dit que j’avais le droit de faire 5 ou 6 kg d’évaporation, il m’a dit : « C’est les clients qui se sont plaints que le meunier leur prenait trop de farine, alors faites les payer autrement, voilà assez longtemps qu’ils nous ennuient à ce sujet ». Il passera simplement pour voir si on tire à
80 % et le son bien curé…. J’ai déclaré
75 sacs de blé qui représentent 60 sacs de farine à 51 frs maintenant, alors cette farine je la livrerai d’après les ordres du préfet aux boulangers qu’on me dira, et ma ristourne sera de 7 frs par sac de blé, donc 525 frs, tu comprends, car maintenant le sac de blé est vendu 43, alors tout le blé est pour les Grands Moulins (Lettre du17.01.18).
Depuis leur nouvelle loi, il faut que je sois là continuellement pour rendre la monnaie de 3,50 et il faut qu’ils me présentent leur certificat pour mettre la quantité de blé qu’ils amènent, en voilà un fourbi… C’est de l’ouvrage aussi pour les maires ou les secrétaires, mais ils ont 25 centimes pour chaque bulletin que l’état paie (Lettre du 20.01.18).
Le soldat a le cafard, il attend une permission qui ne vient pas (il va l’avoir fin février). Pour maintenir son moral, il fait des comptes sur les enveloppes !
Au moulin, les affaires ne faiblissent pas et la meunière joue avec l’argent : Quel champ de foire c’était chez nous : tous les gens de Balnot-la-Grange qui revenaient aujourd’hui chercher leurs sacs ! Il y avait réquisition d’avoine qu’ils ont conduit à la gare et tout s’est abattu dans notre cour, quel potin avec des chevaux entiers, ils ont dételé et attaché les chevaux après les roues. Dans ma journée j’ai fait 130 frs de mouture et André 107 frs et hier 150 frs. Je suis à mes 10 000 et pourtant j’en ai pris pas mal pour payer… Tu vois que pour moi l’argent est un jeu, il m’en passe dans les mains (Lettre du 07.02.18).
En mars-avril, Jules Bailly est en première ligne à Cormicy, au nord de Reims. Tu sais, je ne peux pas y tenir tellement j’ai froid aux mains et aux pieds, surtout depuis le matin jusqu’au soir à courir dans les boyaux pleins d’eau (Lettre du 05.03.18).
Les soldats sont dans des sapes à douze mètres sous terre et il y a de nombreux malades.

Affaibli, énervé par les conditions de vie difficiles, le soldat se met en colère quand son épouse lui parle de ses procès :
Pour tes procès il n’y a rien à faire, c’est de votre faute, vous faites comme vous voulez malgré toutes les circulaires sévères que le préfet vous envoie. Que veux-tu que j’y fasse ? Tu ne te figures pas la vie que je mène, tu crois encore que c’est comme à Nantes ou à Besançon, où je rentrais tous les soirs… Quand on est aux tranchées, ce n’est pas croyable ce qu’on endure. Ceux qui se trouvent trop rationnés dans le civil n’ont qu’à aller faire un tour dans la Somme, et ne te mets pas en contravention pour eux. S’ils t’ennuient, ferme ta porte » (Lettre du 19.04.18).
Solange continue de frauder et André de ramener du grain interdit, le soldat se fâche le 27 avril :
Tu ne m’avais pas dit que c’était pour cette farine que tu avais eu un procès ou si c’est un nouveau que tu as encore eu, je ne comprends rien dans ce que tu m’expliques, ce n’est pas clair. Ce qui est certain, c’est que si vous ne faites pas attention aux circulaires que le préfet vous envoie vous ne gagnerez pas assez pour payer les procès, et après il faudra fermer…
Et le 8 mai il persifle : Je ne dépense pas un sou puisque j’ai à boire et à manger à discrétion. Quand j’irai en permission je te porterai [la solde de militaire] pour payer ton procès…
Au front, les hommes sont épuisés, les malades sont nombreux. L’unité de Jules Bailly est envoyée vers Soissons : Je crois que nous partirons en auto, car il y a une trotte d’ici et les hommes sont incapables de faire la marche tellement ils sont faibles .
Solange, qui n’a toujours pas compris la discipline militaire au front, veut aller lui rendre visite : Quant à venir me voir, ma pauvre Solange, c’est impossible, car on ne sait jamais si on est là pour un jour ou deux ou davantage… C’est l’infanterie qui est la plus malheureuse et la plus exposée, les artilleurs sont tous des embusqués à côté de nous (Lettre du 23.05.18).

Jules Bailly est blessé le 28 mai 1918

Nous apprenons par une lettre de son frère Henri Bailly, datée du 9 juin, que Jules Bailly a été blessé le 28 mai, et évacué vers l’hôpital complémentaire n° 234, rue Notre-Dame-des-Champs à Paris, VIe. Sa femme et sa fille lui rendent visite, c’est la dernière fois qu’elles le voient.
Il a été blessé par des éclats d’obus à l’épaule (soignée rapidement) et à la jambe qui ne guérit pas.

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Un blessé hospitalisé. Aquarelle André Romand

 

Les hôpitaux

Les blessés reçoivent les premiers soins dans une ambulance (unité mobile de soins) le plus près possible du front, puis ils sont évacués vers un hôpital proche qui va les stabiliser avant de les évacuer à l’arrière afin de garder des places disponibles près des zones de combat.
Il y avait des hôpitaux gérés directement par l’Armée (ambulances et hôpitaux complémentaires), des hôpitaux gérés par les différentes branches de la Croix Rouge (les hôpitaux auxiliaires ou temporaires), les hôpitaux municipaux, les hôpitaux privés, les hôpitaux mixtes (militaires et civils).
Nous avons répertorié vingt-huit hôpitaux dans l’agglomération troyenne pendant toute la durée de la guerre, dont l’hôpital des Jacobins (hôpital auxiliaire n° 2 dépendant de la Croix Rouge/SSBM) dirigé par le docteur Charles Bailleul
(1876-1941), spécialiste en chirurgie osseuse, qui accomplissait des miracles. Mais c’est l’Armée qui décidait où envoyer les blessés et elle ne pouvait prendre en considération le domicile des soldats afin de les rapprocher de leur famille !

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Carte Postale . Col. privée

 

Vers le 15 ou 16 juin, le blessé est envoyé à l’hôpital complémentaire n° 9 à Agen.
Autant le blessé louait les soins et l’organisation de l’hôpital de Paris, autant il se plaint de l’hôpital d’Agen : Quel sale hôpital à côté de là-bas, quel mauvais lit et que c’est malpropre ! On crache partout, on arrose et un coup de balai, c’est tout… Depuis que je suis ici, je ne suis pas encore lavé, on ne me donne pas d’eau… Ici on ne sait pas ce que c’est que de faire votre lit. Comme nourriture, on la saute. Petit déjeuner comme les prisonniers, un verre de café non sucré et un morceau de pain noir, avec cela on va jusque 11 h ; voici le menu de midi : mauvaise soupe, une portion de bœuf et un peu de pois cassés en purée, un verre de vin et c’est tout, jamais de dessert… Je ne souffre pas beaucoup, mais pour me tenir debout il n’y a rien de fait, ma jambe devient toute bleue, toute rouge, et elle gonfle à vue d’œil (Lettre du 20.06.18).
Il est opéré de la jambe à nouveau le 24 juin.
Il réclame des colis mais, avec la fièvre, il ne peut rien manger.
Le 6 juillet, il écrit à son épouse : Ma pauvre Solange, que tu dois être fatiguée le soir, et moi qui suis au lit toute la journée…

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Cimetière : Les croix de bois. Aquarelle André Romand

Vers la mi-août, il est envoyé à la station balnéaire de Barbotan22. Il va aux bains le matin et ses plaies cicatrisent, mais sa jambe reste très enflée.
Ma blessure va de mieux en mieux, mais cette patte, quoique désenflée, ne veut toujours pas marcher, ma jambe est plus longue que l’autre et je crois bien avoir la rotule au genou déplacée, j’ai toujours ma jambe raide et je ne peux pas plier le genou… On me dit que ça se remettra, je ne sais qu’en penser… La cuisine est très bonne et il y a de quoi manger, je n’ai besoin de rien. Je n’ose pas te le dire, mais je trouve le temps long (Dernière lettre du 18 août 1918).

Jules Bailly décède à Barbotan le 28 octobre 1918.

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Fiche militaire de décès de Jules Bailly. Col. Patrice Romary

Conclusion

La Grande Guerre, qui fut la guerre de tous, civils et militaires, jeunes et vieux, hommes, femmes et enfants, a révélé des caractères hors du commun et des comportements exceptionnels. Il n’y a cependant pas eu que des héros, il y avait des citoyens ordinaires qui voulaient juste vivre et ne comprenaient pas trop ce qui se passait, ni les contraintes auxquelles il fallait se soumettre.
Les Bailly sont des citoyens ordinaires, plus préoccupés par leurs affaires et leur vie propre que par des considérations politiques qui les dépassent et n’ont pas leur place dans leur vie quotidienne.
Pour eux, seules la famille proche et leurs affaires comptent, les Allemands, ils ne les connaissent pas et ne les ont jamais vus… Chacun va cependant faire son devoir : le soldat à l’Armée, au poste qui lui est assigné, sans état d’âme et ayant fait à l’avance le « sacrifice de sa vie », et son épouse à mener leurs affaires afin d’éviter la ruine de la famille.
Leur témoignage est remarquable, car il nous fait entrer directement dans la vie de tous les jours des années de guerre. Jusqu’à fin 1917, nous sommes loin des batailles et pourtant leur écho résonne dans la vie quotidienne : intendance des soldats du front, travaux d’aménagement à l’arrière pour le militaire Jules Bailly, règlementation stricte des moutures et encadrement du commerce, réquisitions des grains, farines et chevaux, restrictions alimentaires, limitation des libertés, privations diverses pour la meunière restée au foyer. Puis le courrier de 1918 nous plonge dans l’horreur du front avec, en marge des combats, l’épuisement et le désespoir des soldats.
Ces lettres représentent quelques feuillets d’histoire en marge de la grande Histoire à laquelle ils donnent vie en l’insérant dans un contexte humain.

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Le monument aux morts des Riceys. Cliché Catherine Tartre

 

L’auteure remercie vivement son collègue Patrice Romary, membre associé de la Société académique de l’Aube, qui lui a confié pour étude les courriers envoyés pendant la Grande Guerre par Jules et Solange Bailly. Le panier contenant les lettres a été retrouvé récemment dans le grenier du moulin par sa propriétaire actuelle. Il n’a malheureusement pas été
possible, à ce jour, de retrouver des descendants de cette famille qui n’habite plus aux Riceys.

L’auteure, Catherine Tartre, ancienne présidente de la Société académique de l’Aube, spécialiste de la Grande Guerre dans l’Aube, est à l’initiative du projet « L’Aube dans la Guerre, 1914-1918 », recueil de trente-neuf conférences éditées par la SAA en 2016. Elle a également participé à l’exposition conçue par le Département de l’Aube « Si près des tranchées, l’Aube en 1916 ».

Les aquarelles qui illustrent cet article ont été réalisées par l’artiste peintre André Romand (Troyes 1889 -Troyes 1982).
Après un bref retour dans son foyer après son service militaire, André Romand est mobilisé à nouveau en 1914. Il est affecté au 25e Régiment de Dragons puis change plusieurs fois de régiment pour terminer au 240e Régiment d’Infanterie. S’il n’a laissé aucune note sur les années de guerre, dès qu’il en avait le loisir, il dessinait et peignait ce qu’il voyait : des ruines, des paysages tourmentés, des morts, des blessés, ses compagnons et même les soldats alliés ou ennemis qu’il rencontrait. Au retour de la guerre, il a rangé ses dessins, ses aquarelles et repris, comme beaucoup d’autres, le cours de sa vie. Ses aquarelles ont été retrouvées il y a quelques années, dans le grenier de la maison familiale, par son petit-fils Sylvain Romand.
Nous remercions Sylvain Romand qui a autorisé leur publication.

 

Catherine Tartre

Paru dans le Monde des Moulins n°66 – Octobre 2018°66 – Octobre 2018

 

Notes :

1. C’est le seul village de Champagne qui bénéficie de trois appellations contrôlées : Champagne, Coteaux champenois et Rosé des Riceys.
2. Le village des Riceys est né du regroupement de trois villages : Ricey-Bas, Ricey-Haut et Ricey-Haute-Rive.
3. Jules a deux frères mais comme la boulangerie lui appartient, il a probablement acheté leurs parts.
4. La Laignes est régie par le règlement des cours d’eau non navigables ni flottables.
5. Sa construction remonte « aux temps les plus reculés », Règlement d’eau, arrêté de 1862 (AD S766).
6. La Laignes est un affluent de la Seine, alimenté par de nombreuses sources, au débit irrégulier.
7. Jules écrit bien et ses lettres ont été transcrites pratiquement sans modifications. Il n’en est pas de même pour Solange, parfois difficile à déchiffrer, et qui saute souvent des mots. Lors de ses démêlés avec la Justice ne précise-t-elle pas qu’elle a été scolarisée jusqu’à l’âge de 9 ans seulement, ensuite elle a travaillé. Elle écrit probablement comme elle parle et ses courriers reflètent le parler local. Certains textes ont été complétés au mieux afin d’en restituer le sens .
8. Ces lettres appartiennent à Patrice Romary, président de la section des Riceys du Souvenir Français, qui a prévu d’ouvrir un petit musée de la Grande Guerre aux Riceys et d’y déposer le panier de lettres.
9. Les Allemands n’ont pas brûlé le camp militaire de Mailly, créé en 1900, qu’ils souhaitaient utiliser.
10. Les stations-magasins (avec bâtiments administratifs et boulangerie de campagne) dépendent du ministre de la Guerre qui les répartit sur le territoire et indique à chacune les effectifs qu’elle a à alimenter.
11. Le pain militaire par X, attaché d’intendance aux armées – le pain civil par Ch. Heudebert, conseiller du commerce extérieur de la France : l’Illustration du 29 septembre 1917.
12. Le 9e bataillon de chasseurs à pieds était en garnison à Celles-sur-Ource où l’unique boulangerie du village devait être fermée.
13. Nicey et Molesme sont deux villages de la Côte d’Or situés à quelques kilomètres des Riceys.
14. Beaucoup de commerçants et artisans durent fermer lors de la mobilisation, privant ainsi leur famille de moyens de subsistance.
15. Ferme tristement célèbre par le triple crime qui l’a ensanglantée la nuit de la Saint-Vincent en 1885.
16. Le concurrent de Celles-sur-Ource.
17. Délibérations publiées par Alphonse Roserot dans la Collection de documents inédits relatifs à la ville de Troyes et à la Champagne méridionale, tome III, à Troyes, lib. Léopold Lacroix, 1886.
18. Berry-au-Bac, au sud-est de Craonne, lieu de batailles sanglantes en avril 1917.
19. Un décret du 19 avril 1917 règlementait et limitait la fabrication et mise en vente des pâtisseries, biscuiteries et confiseries.
20. Fils de Louis Maison, fondateur des Etablissements Maison, entreprise mondialement connue de ferronnerie d’art aux Riceys. Les deux fils de Louis Maison, dont Ferdinand, étant morts pour la France, c’est le petit-fils, Jean Moutard, qui succèdera à son grand-père en 1920.
21. Lettre de Jules Bailly du 24 avril 1918.
22. Station thermale du Gers spécialisée en phlébologie et rhumatologie.

Catégories : Histoire

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