Le site des Moulins de France
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L’histoire raconte la libération d’une ville de Bourgogne en septembre 1944. Près du pont qui permet d’entrer dans la ville est un grand moulin. Il est en bonne pierre de taille, calcaire en bas, granit pour le reste, sauf l’encadrement des fenêtres en briques. Il apparaît aux Allemands et à la milice comme une petite forteresse, aussi l’occupent-ils pour y attendre l’armée française. Ils prennent en otages le meunier et ses deux commis. A plusieurs reprises est décrit le moulin, ou évoquée l’histoire
des meuniers et des moulins (par exemple l’affaire des “contingents” qui a commencé en 1935). Voici deux scènes.

La première est plutôt au début du roman. Le meunier et les commis viennent d’être enfermés à la cave alors que commencent les échanges de tirs.

“Dans la cave, le meunier et ses commis attendent. Ils ont déjà entendu toutes les vitres du moulin éclater, et les volets s’écarteler, et le crépi s’effriter sous les balles, tomber par grands pans, tandis que s’écaille le granit de la bonne pierre taillée.

Ils attendent, muets.

A la cave l’odeur du salpêtre gris sale qu’abondamment déclinent les vieux murs calcaire surpasse le parfum de l‘amicale farine de froment. Le vieux meunier, encore grand et costaud quoique légèrement voûté, passe son temps à contempler ce que lui ont légué ses ancêtres. Surtout l’antique rouet de fosse qui tantôt encore tournait avec la régularité de la terre autour du soleil. Le rouet a un mètre vingt de diamètre, et la fosse est profonde de près d’un mètre ; l’arbre est en fonte, cette grosse fonte si lourde à déplacer quand il faut réparer. Depuis trois siècles la famille du meunier tient ce moulin, et ce toujours à l’avant-garde du progrès ; ainsi a-t-elle réagi en adoptant la turbine à la place de la roue, puis les cylindres à la place
des antiques meules, puis la machine à vapeur avec sa grande cheminée disparue depuis, puis l’électricité quand ça s’est avéré nécessaire pour surpasser les moulins voisins et résister à la concurrence des grandes minoteries de Dijon. Il est fier d’avoir gardé l’essentiel, ce grand rouet à dents en fonte, qui fait tourner une couronne à dents en cormier, qui elle-même fait tourner une autre couronne à dents en fonte, elle-même faisant tourner une couronne en cormier, celle-ci faisant tourner ces belles poulies en bois qu’on dirait de la marqueterie dont on faisait les secrétaires sous Louis XV, ces poulies qui grâce à des courroies transmettent le mouvement à tout le reste, aux cylindres, aux plansichters, au blutoir à vis sans fin, aux chaînes à
godets contenues dans les grands tubes en pin traités à l’huile de lin tintée d’ocre laquelle leur donne cette si jolie couleur rousse voire caramel.

– Qu’il est beau, pense le vieil homme, ce moulin que m’ont transmis mes pères, dont je me suis acharné à faire un outil aussi merveilleux qu’efficace, que je destinais à mon fils qui finira bien par être libéré de Silésie… que deux ou trois obus suffiront pourtant à réduire à gravats!”

Plus tard, le moulin, libéré, est visité par un soldat qui a rejoint la France Libre dès juillet 1940 en Angleterre ; fils d’un petit meunier, il est tout heureux de décrire ce qu’il voit à son camarade de guerre.

“Au dernier étage, maintenant qu’ils se sont assurés qu’il n’y a plus d’ennemis au moulin ni qu’il n’est piégé, Noël et André s’arrêtent devant les plansichters. André est d’ailleurs assez étonné de voir comme Noël est à la fois admiratif et envieux devant ces étranges engins, certes d’une jolie couleur rousse ou caramel, cependant bizarrement suspendus à une grosse poutre, et posés sur des pieds on dirait en caoutchouc.

– Superbe, finit par dire Noël. C’est superbe. Un beau travail que ces engins : d’un beau bois traité à l’huile de lin teinté d’ocre pour faire joli mais aussi pour ne pas retenir la poussière de farine. Car c’est elle qui a fichu la santé de mon père. A propos, il n’en a pas, mon père, de ces engins : tu vois, un plansichter, c’est suspendu ; quand on met le moulin en marche, ça remue la farine tant et plus, pour qu’elle passe dans les tamis ; ce que tu pourrais prendre pour des pieds en caoutchouc, ce sont en
fait des gaines par lesquelles la farine va à des cylindres pour être retravaillée, ou à des sacs pour livrer au client. Un jour j’en aurai, dans mon moulin. Il le faudra, sinon les grandes minoteries de Dijon vont nous acculer à la fermeture.
Mais j’en aurai, un plansichter, j’en aurai!”

Philippe Landry – Article paru dans le Monde des Moulins – N°18 – octobre 2006

Catégories : Histoire

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