Le site des Moulins de France
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Heureux de son achat, car petit fils d’une lignée de meuniers, mon père, Henri Maysonnave, devenait propriétaire, en 1972, d’un moulin à Audignon, dans le département des Landes: le moulin de Marseillon.

En 1995, je m’installe au moulin. Saison après saison, comme mon père, comme nombre de meuniers avant lui, je regarde cet environnement, j’apprends à le connaître, à le comprendre et à l’aimer. La magie de l’eau opère sur moi. Désormais atteinte du “virus des moulins”, plus rien ne semble insurmontable. Un seul objectif : faire vivre le moulin!
Le moulin de Marseillon est un petit moulin à “esclaouze” blotti au fond d’un très joli vallon de la Chalosse, à proximité du confluent du ruisseau du Laudon et du Gabas, affluent de l’Adour. Ici la configuration des lieux est un peu particulière, peut-être unique :
Il n’y a pas de canal d’amenée provenant d’une rivière ou d’un étang .
L’eau qui alimente le canal de ce moulin, arrive directement d’une source: la source de Marseillon.
Peut-être est-ce l’abondance de ces eaux intarissables et leur limpidité qui charment et fascinent? Toujours est-il, ce lieu inspira des hommes il y a quelques centaines d’années. Et lorsque l’intelligence de l’homme se met au service de la nature en la respectant, le résultat est étonnant. Ils canalisèrent le lit des eaux jaillissant de la source sur une longueur de 350 mètres, et au point le plus bas du terrain ils élevèrent un moulin … sur le roc !
Ainsi venaient de naître d’une source et de son exutoire, un canal d’amenée et son moulin.
Source, canal, moulin sont indissociables. Un état de fait incontournable !

La source de Marseillon n’est pas banale. Jusqu’en 1941, c’est un grand bassin en forme de virgule, qui recouvre plusieurs centaines de mètres carrés, où bois et végétations aquatiques s’entremêlent sur les bords. Dans la transparence de l’eau, les bouillonnements incessants des griffons attirent, impressionnent, … parfois inquiètent. Pour les gens du pays, la source est plus connue sous le nom de “l’Oeye de Marseilhoun”, l’oeil de Marseillon.
En lisant les explications du BRGM, nous apprendrons que cette source d’eau potable est une nappe libre du crétacé supérieur, se situant sur l’anticlinal d’Audignon, zone karstique, avec un débit de 14000m3/jour. Dans ce secteur, on peut reconnaître aussi différents calcaires du crétacé supérieur, roches qui tapissent naturellement le lit du canal et qui serviront directement de fondation à notre moulin. ( carte géologique Hagetmau n°: 978 )
Vous devinerez tous les soucis qui se greffent dans une telle configuration. (Ils feront peut-être l’objet d’un autre article !)

Résumons succinctement la situation:

  • Le Syndicat des Eaux de Marseillon gère l’eau de la source (23 communes).
  • Des forages agricoles captent l’eau dans la même nappe phréatique en amont de la source.
  • Eaux et boues de ruissellement du bassin versant se déversent directement dans le canal par des fossés et busages installés par la commune.
  • Depuis plusieurs années, le canal est totalement asséché de mai-juin à septembre-octobre.
  • La promesse écrite par la D.D.A.F de 4000m3/jour pour l’alimentation naturelle du canal n’est pas respectée.
  • Les préjudices que subissent la source de Marseillon, le canal de Marseillon et le moulin de Marseillon sont très inquiétants. Seuls le canal et le moulin me concernent.

Lors d’une “table ronde” en août 2002, deux premiers défis me sont lancés: “Faut-il, Madame, que vous puissiez prouver l’authenticité et le fonctionnement de votre moulin?”. Deux challenges à relever!

Histoire du moulin

Je rencontre mes voisins, interroge, écoute. Source et moulin ont inspiré histoires et légendes, mais hélas ces dernières n’ont laissé aucune trace d’écrits et de dates. Sur la même commune, un autre moulin, appelé “le moulin Neuf ”, est habité par un homme qui, me dit-on, a grande mémoire et a bien connu “Marseillon”, car il y fut meunier ainsi que son père et son grand-père. C’est ainsi que je fais la connaissance d’Henri Daudignon et découvre un merveilleux conteur. Que de soirées à échanger et à partager son savoir et ses réflexions !
C’est lui qui fera aussi mon “éducation de meunière” et qui le jour de ma première mouture m’offrira le plus beau cadeau de reconnaissance: la pelle d’Augustin, son père, maître meunier.
Henri m’apprend que le moulin de Marseillon et le moulin Neuf étaient rattachés jusqu’en 1967 par un même bail au domaine de Captan. Au pied du moulin Neuf se trouve un bélier hydraulique qui servait à alimenter le château de Captan durant les mois d’été en la présence de la famille du Marquis de Galard. De ce fait, l’eau du Gabas ne produisant plus une énergie suffisante, le meunier du moulin Neuf partait moudre à Marseillon , la source assurant en toute saison, ressources et rendements. Pour preuve un bail daté de 1930.
Cherchant à découvrir toujours plus, j’embarque allègrement dans “la machine à remonter le temps”. Me voilà dans le monde silencieux et mystérieux des Archives Départementales.
Sans l’aide d’une amie et la ferme intention de persévérer, je crois que le découragement aurait fini par m’atteindre. Des mois entiers sans trouver trace de ce petit moulin, jamais inscrit, jamais répertorié.
… Et puis un jour de juin 2003, dans les “extraits des anciens terriers concernant les fiefs de l’abbaye de St-Sever” , nous trouvons le manuscrit suivant: “lo Commanday deu Sainct Esprit près Saint-Sever Per le molin demarceillon apartenen aud commanday 10 s morlans f 1810” – “17 sous morlans au camérier et vestier. Il y a un arpentement contradictoire qui condamne le
commandeur à payer; voyez la liève du chambrier de 1464, 1430, 1487. Idem toutes les lièves depuis 1508 jusqu’en 1565. idem de la sépara(tion) de lamenée 359”.
Enfin nous tenons le bon fil d’Ariane pour progresser dans le labyrinthe des séries. La chance continue. Par un heureux concours de circonstances, je fais la connaissance d’une historienne qui fait une thèse sur l’Ordre Hospitalier du Saint-Esprit. Six mois plus tard c’est elle qui découvre aux Archives Nationales de Paris dans des documents sur la commanderie du St-Esprit d’Audignon, des écrits concernant tout particulièrement le moulin de Marseillon. Un nouveau cadeau! Des descriptifs précis, des dates: un procès verbal en 1567, un contrat en 1611, un bail à ferme du 1er juillet 1671, deux mémoires de 1673 et 1747. L’ordre du St-Esprit possède un fief important autour de son hôpital établi à Audignon, bâtiment classé, situé à deux kilomètres du moulin. Pour qui connaît le sud des Landes, l’ordre du St-Esprit possédait aussi un hôpital à Dax, un autre à Bayonne.
Des hôpitaux qui accueillaient essentiellement des pèlerins se rendant à St-Jacques de Compostelle.
Pour parfaire cette chronologie, nous retrouverons le moulin vendu à la chandelle en 1790 dans le dossier “vente des biens révolutionnaires”. Le nouveau propriétaire est un nommé Raymond Lamarque. Entre 1840 et 1855 Joseph de Captan achète le moulin. Il restera le bien de cette famille jusqu’en 1970.
Signalé par une petite roue étoilée sur la carte de Cassini, doté de “certificats historiques”, la reconnaissance du droit d’eau fondé en titre est apportée.

Le réveil du moulin

Rentrons maintenant dans ce petit moulin à farine. Un corps de bâtiment qui s’élève au dessus du canal, simple,solide et sain auquel est juxtaposé sa maison d’habitation. Une équerre parfaite !
En voici l’inventaire. Il compte trois paires de meules. Le diamètre de chaque meule est d’environ 1m50, pour un poids approximatif de 1500Kg. Les rouages sont en fer, les transmissions, trémies, tonnelles et blutages sont en bois. Les transformations ayant été probablement apportées dans la moitié du XIXème siècle.
La force hydraulique était captée par trois rouets dont un équipé d’un cylindre en fonte qui permettait de tourner en période de hautes eaux. La hauteur de la chute est d’environ trois mètres.
Les dernières années de gloire du moulin de Marseillon furent celles de la guerre de 1940. La farine est précieuse. Malgré les étés d’extrême sécheresse qui se suivent notre moulin fonctionne fidèlement. Il faut dire qu’à l’époque son isolement favorise la clandestinité et aussi les rencontres de quelques résistants. Sur la porte d’entrée en chêne, transparaît toujours la marque symbolique de la croix de la victoire.

Moulin de Marseillon

Ayant cessé toute activité à la fin des années 50, son fermage en 1967, le moulin de Marseillon est resté en l’état.
Mon père apporta beaucoup de soins aux principales réparations , rêvant de ressusciter son trésor. A mon arrivée, je fus d’abord sensible au charme du “jardin”, du canal, du ruisseau de dérivation serpentant entre prairie et arboretum. Et pour dire la vérité, le maniement de débrousailleuse, tronçonneuse et tondeuses m’impressionnait moins que le volume des meules. A chacun ses limites! Alors que tout l’environnement reprenait forme, le moulin était simplement balayé trois fois l’an. En silence, sûr de lui, il patientait.
En septembre 2004, Michel Choquet, un ami, me demandait s’il pouvait s’intéresser au mécanisme du moulin.
“Avec plaisir !” m’écriai-je, sans me douter qu’ il ne ferait appel à aucun artisan, seulement à la mémoire d’Henri Daudignon.
Explications, croquis et dessins sont échangés et confirmés par des visites d’autres moulins. En décembre 2004, la potence est installée, début janvier les meules sont déshabillées, un système de griffes inventé et réalisé par Michel, est fixé à la potence par un palan et voilà la meule tournante de 800kg sortie de son axe et basculée sur le côté. Nous pouvons nous lancer dans la restauration du mécanisme. La crapaudine est en état, le rouet aussi, mais l’arbre et la pontille en chêne sont bien trop usés. Nous sollicitons un charpentier pour qu’il fournisse le bois de ces deux pièces. Nous choisissons du chêne d’Afrique pour sa solidité et son imperméabilité. Restons fidèles à la tradition, construisons solide! Avec mille astuces pour lever ces différents poids, Michel remet petit à petit tout le mécanisme en place. Tour à tour viennent prêter main forte François, son petit-fils ou Jean, mon frère. Il m’est arrivé aussi de participer au gros oeuvre de ce chantier, non sans quelque crainte. Au début de cette aventure Henri Daudignon est un peu sceptique sur notre réussite, mais devant ma volonté à rendre vie au moulin et l’adresse géniale et incontestable de Michel, il vient nous rejoindre de temps en temps, donner des conseils et partager ses souvenirs.

En mai tout est en place, … mais hélas la sécheresse commence à sévir et l’eau ne coule plus assez abondamment. Déception. L’été passe, les orages violents se succèdent, entraînant avec eux des coulées de boues dans le canal.
Dans une chaleur moite et étouffante imparable au sud-ouest, nous attendons que l’eau revienne. Fin septembre la source de Marseillon coule à nouveau. L’espoir revient.

Nous projetons une mouture pour le lundi 17 octobre. La veille, toutes les écluses sont fermées pour monter le niveau de l’eau du canal. Ce lundi, à 9h, tout le monde est là, Michel, Henri, François, Yves,un ami photographe, Maurice et Nina. Maman nous rejoint vers 10h, suivi par le frère Cyril. Sans trahir mes amis Michel et Henri je crois qu’il y a un peu d’excitation dans nos têtes.

Une année d’investissement, de patience et de persévérance !

Le blé est versé dans la trémie, je lève la vanne, l’eau entraîne le rouet, l’arbre, la meule tournante qui vient écraser le grain sur la dormante. La mouture coule régulièrement dans le coffre, bercée par ces petites notes si caractéristiques du sabot contre le babillard …

Pur moment de joie et d’émotion. Je suis heureuse ! Et Henri de dire: “C’est fantastique, on croirait qu’il n’a jamais cessé de tourner !”

Inévitablement j’ai pensé à mon père, à mes ancêtres des moulins de Biéou, de Monget et de Banos et aux meuniers de Marseillon.

Coule-t-il encore dans mes veines le petit brin de folie qui habite le coeur des meuniers ?

Aujourd’hui

A ce jour la procédure engagée suit son cours. Une deuxième meule est en rénovation pour un nouveau projet.
La pollution va crescendo, les boues du bassin versant se déversent toujours dans le canal, un barrage sur la limite de propriété, source-canal, avec un seuil à clapet anti retour est à l’étude par le syndicat des eaux de Marseillon.
Et une gestion intelligente des eaux de surface pour une protection naturelle de l’environnement de l’ensemble source-canal-moulin ne semble pas être une priorité !
Je referme ici la “boîte de Pandore” de Marseillon, en y gardant précieusement … l’Espérance !

Nicole Maysonnave

Paru dans le Monde des Moulins n°17 de juillet 2006

Catégories : Zoom

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